La thérapie par les sons
L’usage de la musique à des fins thérapeutiques est sans doute l’une des plus anciennes traditions de l’humanité. Le chant fut, à l’origine, le seul remède susceptible d’endormir la douleur et la médecine primitive consiste essentiellement en la magie incantatoire.
L’incantation magique
La Magie incantatoire, selon Maurice Bouisson, « c’est la croyance au pouvoir presque surnaturel du chant, ou plutôt d’une certaine psalmodie, dont les charmeurs de serpents dans les souks ou les pâtres de la Forêt Noire, qui mènent leur taureau au marché en murmurant à son oreille un chant sans doute très ancien, affirment encore aujourd’hui la réalité » (La Magie, Debresse).
Si nous ignorons quelles furent les incantations magiques des hommes de la préhistoire, celles des actuelles tribus primitives nous donnent un aperçu de leur nature. Il s’agit généralement de la répétition selon un rythme obsédant, de formules modulées dont les paroles ne sont intelligibles qu’aux initiés.
On trouve dans l’Egypte antique de nombreuses incantations contre la morsure des serpents. L’une des plus anciennes figure sur le sarcophage du roi Ounas, dans la pyramide de Saqqarah (période memphite. Selon Maspéro, le traducteur des hiéroglyphes, « les formules VII et VIII sont intraduisibles dans leur concision ; ce sont des strophes allitérées qui agissent surtout par le choc des sons… Toutes ces formules paraissent cadencées et destinées à être chantées ; ce n’étaient peut-être, à l’origine, que des chants de charmeurs de serpents » (Cité par J. Combarieu dans sa magistrale Histoire de la Musique).
Les Grecs connaissaient bien les pouvoirs curatifs du chant. Selon Homère, les fils d’Autolycos arrêtèrent par un chant magique, le sang noir qui s’échappait de la blessure d’Ulysse (l’Odyssée, XIX, 457). De même, Lucain évoque le pouvoir du chant contre l’hémorragie (Ph. IX, 643). Platon, dans le Théétète, parle des sages femmes qui allègent les douleurs par leurs mélopées et il affirme à maintes reprises dans ses divers écrits, que les recettes médicinales sont inefficaces sans le chant. Pindare nous apprend qu’Esculape soignait les malades « en les enveloppant de chants très doux ». On sait également que la pratique de la guérison par les sons, utilisés comme puissance harmonisante, constituait une part importante de l’enseignement de Pythagore à Crotone.
Pour le Père Amiot, missionnaire jésuite du XVIIIe siècle, Pythagore aurait puisé ce savoir au cours de ses voyages aux Indes et en Chine. Le sinologue Edouard de Chavannes prétend au contraire que les Chinois tenaient leur doctrine musicale des Grecs. Ces deux opinions sont discutables à plus d’un titre. Toujours est-il qu’en Chine comme aux Indes, les effets thérapeutiques des sons étaient connus.
Ainsi peut-on lire dans les Mémoires historiques de Su Ma T’sien, qui comportent un long passage consacré à la musique chinoise: « Les sons et la musique, c’est ce qui agite et anime les artères et les veines ; ce qui circule par les souffles vitaux et conduit le cœur à l’harmonie et à la rectitude ». De même, dans un ouvrage de Shahinda, intitulé « Musique indienne », il est écrit à propos des râgas (modes musicaux): « ce sont des bienfaiteurs de l’humanité, car ils guérissent diverses maladies du corps » et en ce qui concerne les Surs, notes de base du grama, « Les Surs qui possèdent un tempé-rament chaud, ont la faculté mystérieuse de guérir ceux qui sont affligés de rhume ou d’autres maladies de cette nature, et vice versa, mais à condition qu’ils soient chantés par des êtres nobles et de grande valeur morale et que ce soit fait à la saison, à l’heure et au jour qui conviennent ; ce n’est qu’ainsi qu’on obtient l’effet voulu, et toute violation de la loi prescrite est considérée comme sacrilège » (cité par Dane Rudhyar dans son livre La Magie du Ton et l’Art de la Musique).
L’usage de chanter en administrant des remèdes se perpétue jusque dans la tradition chrétienne. Un manuscrit grec (pontifical d’un évêque du IVe siècle, Séparion de Thumis) cite une bénédiction chantée en ces termes (d’après Dom Cabrol, La Prière antique) : « Nous bénissons par le nom de ton Fils unique, Jésus-Christ, ces créatures (l’huile et l’eau) ; nous invoquons le nom de celui qui a souffert, qui a été crucifié, qui est ressuscité, et qui est assis à la droite de l’Incréé, sur cette eau et sur cette huile. Accorde à ces créatures (l’huile et l’eau) le pouvoir de guérir ; que toute fièvre, tout Esprit mauvais et toute maladie soient mis en fuite par celui qui boit ces breuvages ou qui en est oint, et qu’ils soient un remède. »
Comme le fait remarquer J. Combarieu (Histoire de la Musique, T. I., p. 198), la purification de l’eau par le chant est une opération magique. Or c’est l’objet des antiennes Asperges me (XIIIe siècle) et, pour le temps pascal, Vidi aquam egredientem (Xe siècle).
Dans sa Vie de Saint Bernard, Guillaume, abbé de Saint-Thierry, raconte que l’on fit venir au chevet de Bernard, dans son enfance, une femme qui le guérit d’un violent mal de tête grâce à un chant magique.
L’incantation médicale aboutira au XVe siècle à de simples formules magiques à réciter. Ces formules sont recueillies dans des livres de recettes pour divers usages : guérison, amour, retour d’affection, désenvoûtement, exorcisme (le Rituel romain lui-même contient un formulaire des exorcismes).
Cependant, les chants rituels traditionnels, que l’on peut encore entendre par exemple dans les monastères, continuent d’exercer leur action singulière sur le corps et sur le psychisme. « Ce n’est pas sans raison que l’usage de la cantilène a été institué dans l’église de Dieu : elle charme les auditeurs et les incite à l’amour de la vertu. Mais la musique a un pouvoir tel que, si elle emploie des modes plus agréables qu’il ne faut, elle entraîne les esprits à la licence. Si elle emploie des modes sévères et des mouvements recueillis, elle est un stimulant pour le courage et la vie spirituelle.» (Simon Tunstede, XIVe siècle, cité par de Coussemaker : Scriptorum, etc. IV, 204).
L’énergie phonique
De tout temps, le chant fut associé à la magie, car la voix humaine est investie de pouvoirs mystérieux. « Chacun des sons (émis par la voix) a une puissance particulière qui échappe au commun des mortels, mais que les adeptes connaissent et dont ils se servent. » (Maspéro, Etudes de mythologie et d’archéologie égyptienne, T. I., p. 106).
Le diagnostic auditif
La voix humaine est révélatrice, non seulement des états de l’âme, mais aussi de la nature profonde de l’être. Dans la Chine antique, la voix était censée manifester les dispositions favorables ou défavorables d’un individu. Les vagissements d’un nouveau-né, selon leur hauteur des sons, laissaient plus ou moins bien augurer de son avenir ; les voix des serviteurs, selon leur intonation, témoignaient de leur loyauté envers leurs maîtres… Les plus anciens souverains chinois testaient déjà la fidélité de leurs sujets d’après leurs voix comme le montrent les joutes oratoires sur passages chantés du Shijing.
Selon les Mémoires historiques de Su Ma T’sien, « toute note musicale a son origine dans le cœur humain (…) Lorsque le cœur ressent une émotion de tristesse, le son qu’il émet est contracté et va en s’affaiblissant ; lorsque le cœur ressent une émotion de plaisir, le son qu’il émet est aisé et relâché ; lorsque le cœur ressent une émotion de joie, le son qu’il émet est élevé et s’échappe librement ; si le cœur ressent une émotion de colère, le son qu’il émet est rude et violent ; si le cœur ressent une émotion de respect, le son qu’il émet est franc et modeste ; si le cœur ressent une émotion d’amour, le son qu’il émet est harmonieux et doux. » Ces observations s’accordent parfaitement avec celles de nos actuels psycholinguistes, pour qui les variations tonales de la voix constituent des réactions émotives, comme l’accélération du pouls et de la respiration, parmi les autres manifestations neurovégétatives. Les variations de tension des cordes vocales sont en relation avec le système nerveux et les réponses émotionnelles se traduisent par des variations de fréquence. Chaque individu possède une « empreinte vocale » qui lui est propre, et lorsque la voix s’écarte de son registre fondamental, c’est que le sujet ressent une émotion.
Le timbre est, en quelque sorte, la « physionomie » de la voix. Les sons de la voix sont des ensembles complexes de vibrations qui forment des ondes. L’une d’entre elles, que l’oreille perçoit plus intensément, caractérise le son entendu, c’est la fondamentale ; les autres composantes donnent la couleur du son, c’est-à-dire le timbre. Ces ondes sonores peuvent être représentées graphiquement par des courbes : celles de la voix parlée forment un ensemble désordonné de sinusoïdes, celles de la voix chantée présentent un rapport numérique simple entre les sinusoïdes élémentaires. La plupart des sons musicaux comportent, en effet, un certain nombre d’harmoniques, plus aigus, dont la fréquence est, selon la loi de Fourier, un multiple entier de la fréquence de la note fondamentale.
Selon la théosophie hindoue, les sept premiers sons de l’échelle des harmoniques correspondent aux sept chakras. Rappelons que les chakras sont des centres énergétiques étagés sur la ligne médiane du corps et dont la topographie correspond à celle des principaux plexus sympathiques. Ce sont à la fois des points de jonction des nadis, canaux invisibles par où circule l’énergie vitale, et des centres correspondant à certains niveaux de conscience.
Le timbre de la voix est déterminé par la vibration des chakras, qui caractérisent la personnalité de l’individu et lui confèrent sa tonalité. Le centre vibratoire – Anatha chakra – se situe au niveau du plexus cardiaque et correspond au quatrième harmonique ; de part et d’autre se trouvent les harmoniques 5, 6, 7, orientés vers l’aigu, qui forment un accord transitif de résolution tonale, et les harmoniques 3, 2, 1, qui constituent l’accord fondamental, orienté vers le grave. Cet équilibre n’est maintenu que si l’individu sait gérer ses centres vitaux et maîtriser ses énergies ; il est rompu, soit dans le sens descendant si les bas instincts prédominent, soit dans le sens ascendant si des tendances mystiques l’emportent. Pour les yogis, l’homme est une partie de l’univers et chaque individu se caractérise par un son fondamental qui forme un intervalle, consonant ou dissonant, avec chaque son du monde. La médecine ayur-védique s’emploie à rétablir l’harmonie de l’homme et de l’univers, en utilisant notamment le pouvoir des sons (nada-yoga), pour obtenir la guérison, car le déséquilibre se traduit par des troubles physiques et mentaux que le timbre de la voix révèle.
Dans les traditions anciennes, les médecins sont très attentifs au timbre de la voix, qui témoigne de l’état de santé. Ainsi en est-il au Japon où le Shin kyu bassui affirme que « le diagnostic auditif consiste à juger de l’état de la maladie en saisissant par l’ouïe les relations entre les troubles des cinq voix. Une voix qui nasille, avec « susurrement du nez », traduit un trouble du poumon ; une voix avec rire et salive indique un trouble de la rate ; une voix vociférante avec larmes, est en relation avec une maladie du foie ; une voix délirante, avec sueurs, provient d’une maladie du cœur ; une voix gémissante, avec salive, est un signe d’un dysfonctionnement du rein. »
Si la voix est l’expression de notre être profond et révèle notre personnalité, ce n’est pas sa seule fonction ; elle possède aussi des effets vibratoires et psychologiques dont l’action investit notre propre corps, comme le corps des autres.
Les pouvoirs de la voix
La voix, organe générateur des sons et de la parole, est avec la station debout, l’un des plus grands privilèges de l’homme. Chez l’être humain, les mécanismes bucco-pharyngés et respiratoires sont, en effet, parfaitement adaptés à la fonction phonatoire. Hélène Foglio, dans son livre Approche de l’univers sonore (Ed. Le courrier du livre), parle de la voix en ces termes : « Née du souffle, elle participe de la vie physiologique, en empruntant pour se manifester la fonction respiratoire et la fonction masticatoire, car lorsqu’elle se fait parole, elle « articule » les phonèmes comme on « mâche » les aliments, pour libérer l’énergie qu’ils contiennent. Mais elle participe tout autant des fonctions d’excrétion car elle est aussi rejet, pulsion hors du corps, et possède par là-même un pouvoir libérateur et purificateur. » On ne saurait mieux définir cette double fonction de la voix, qui d’une part exprime, extériorise et qui d’autre part imprime, transmet l’énergie.
L’action thérapeutique des sons de la voix nécessite cependant une émission correcte et une certaine maîtrise des organes vocaux. Tous les chamans affirment que la voix doit être juste, c’est-à-dire capable de transmettre la volonté, l’énergie de compassion d’un être en contact avec la force vitale universelle. Ainsi, selon Champollion, les hiéroglyphes égyptiens MA et ROU du Livre des Morts, désignaient la justesse de la voix.
L’intonation juste est celle qui est en accord avec la substance acoustique divine. Elle nécessite donc une maîtrise de la voix suffisante pour être « dans le ton ». Celui qui chante juste converse avec les dieux. La Chândogya Upanishad (I, 22, 1) précise que la voix doit mugir pour s’adresser au dieu Agni, qu’elle doit être voilée pour approcher Prayapati, claire pour aborder Soma, douce pour prier Vayou mais puissante pour invoquer Indra. Selon son niveau spirituel, le musicien exprime la superstition, la prière ou la sacralité la plus élevée. Le chanteur peut se dépersonnaliser au point d’être « possédé » par la divinité et en devenir l’instrument : il est écrit que « tout ce que les dieux font, c’est par la récitation chantée qu’ils le font ». La voix juste est donc une manifestation condensée de la puissance divine.
Le chanteur, en s’adressant à la divinité, libère une énergie qui est aussi transmise à ceux qui l’écoutent. Les sons ainsi émis exercent une influence sur l’organisme et sur le psychisme. Le lama Anagarika Govinda affirme dans son livre Les fondements de la mystique tibétaine que « le secret de cette puissance occulte du son ou de la vibration (…) était bien connu des voyants des temps jadis, les sages rishis qui vivaient sur les pentes de l’Himalaya, les « mages » de la Perse, les Adeptes de la Mésopotamie, les prêtres d’Egypte et les initiés grecs ». Par exemple, Pythagore appelait « purification » la guérison obtenue par la musique ; il estimait en effet que les sons pouvaient guérir en transmettant l’énergie spirituelle de celui qui les produisait après s’être lui-même purifié, de sorte à s’accorder aux rythmes de la force cosmique.
Certaines pratiques de yoga comportent la répétition de Mantras : formules composées de syllabes dont les sons, parmi d’autres vertus, possèdent le pouvoir de guérir. Les syllabes sont psalmodiées lentement avec une grande concentration, ou bien sont prononcées silencieusement avec une faible contraction de la glotte ou même sans aucun réflexe physique, en connexion avec un exercice respiratoire simple. L’expérience intérieure du « son inaudible » formé par la syllabe créatrice AUMm constitue la formule sacrée du souffle immobile (Rig-véda, IX, 129, 2) traduisant la totalité de l’essence de l’être. Le mot AUMm inclut toutes les possibilités du son articulé (une gutturale, une labiale et une cérébrale). A est en rapport avec le rouge, le feu, la terre, l’Est et le printemps ; U est en relation avec le noir, l’air, le nez, l’Ouest (Sud) et l’été ; M correspond au marron, au ciel, au soleil, à la lumière, à l’œil, au Nord et à la pluie ; m aboutit par l’expiration au néant du silence et se rapporte à l’eau, la lune, la couleur du cristal de roche, le Sud (Ouest) et l’automne…
La plupart des Mantras se terminent par une consonne nasale. Or la nasalisation du son produit au niveau de la muqueuse des fosses nasales, une sorte de massage vibratoire. Cette muqueuse est riche-ment innervée, tant par le système orthosympathique que par le système parasympathique. En stimulant les points réflexes de la muqueuse endo-nasale, le son nasalisé rééquilibre les fonctions neurophysiologiques et constitue une véritable sympathicothérapie.
L’effet vibratoire des sons sur l’organisme est encore amplifié lorsque la voix est chantée. Contrairement à la parole, pour laquelle l’expiration est passive, le chant nécessite une utilisation judicieuse de l’air expiré ; or, un temps d’expiration prolongé stimule le système parasympathique et favorise la détente mentale, neuromusculaire et neurovégétative. Enfin, la respiration, approfondie par les mouvements amplifiés du diaphragme, améliore la circulation pulmonaire.
Madame Marie-Louise Aucher a mis au point une méthode appelée psychophonie, dans laquelle le chant est utilisé comme moyen de rééquilibre et de contrôle de la personnalité. Il s’agit d’une véritable rééducation psychosomatique qui se fonde sur la réception élective des divers sons aux divers niveaux du corps. Cette localisation des sensations aux vibrations sonores se situe sur la ligne médiane postérieure du corps, correspondant en acupuncture au Vaisseau Gouverneur. Selon la réceptivité et la résonance d’une région corporelle, il est possible de diagnostiquer les troubles fonctionnels et d’y remédier par le chant.
L’eurythmie
Nous avons dit plus haut que l’incantation magique était formée de sons sans signification linguistique. Le son déconceptualisé fut de tout temps utilisé par l’être humain pour se mettre en harmonie avec le cosmos. Rudolf Steiner nous a particulièrement éclairé dans ce domaine.
Créateur de la science spirituelle appelée Anthroposophie, Rudolf Steiner (1861-1925) était artiste, poète, écrivain et philosophe. Grand admirateur du Wilhem Meister de Goethe, il élabora notamment un « art de l’éducation » qui prend en compte le corps et l’esprit, et qui met fortement l’accent sur les matières artistiques. L’objectif essentiel est d’éveiller les facultés spirituelles en utilisant certaines méthodes particulières, comme « l’eurythmie. »
L’eurythmie
est une activité artistique inventée par Rudolf Steiner, dans laquelle la parole ou le chant sont représentés par une série de mouvements exécutés par les bras, les mains ou le corps tout entier. Il ne s’agit pas de danse, mais de parole, de chant visibles. On peut distinguer d’ailleurs l’eurythmie du langage et l’eurythmie musicale.Dans l’eurythmie du langage, le son parlé est ressenti intérieure-ment. Les voyelles expriment les sentiments qui s’unissent à la pensée. Le A nous ouvre au monde, le E nous y oppose. Le O nous extériorise. Le OU nous projette hors de nous pour nous unir au monde. Dans le ON nous nous sentons unis à quelque chose dont nous voudrions nous libérer. Le I crée un équilibre entre le monde et nous. Avec le EI nous nous adaptons à quelque chose, nous en épousons la forme… Les consonnes évoquent le contour des choses et nous donnent une représentation du monde naturel. Consonnes et voyelles sont étroitement liées. « Dans chaque consonne il y a un peu de voyelle » et réciproquement.
Le son que nous émettons par la parole ou par le chant, met tout notre être à contribution. L’eurythmie exprime, par le geste, la corrélation entre le son et le sentiment et, pour guider ses impulsions, elle emprunte les conceptions de l’Anthroposophie.
Fondée sur la théorie théosophique des corps multiples, l’Anthroposophie propose une vision symbolique de l’homme en quatre éléments constitutifs. Le corps physique, élément Terre, est soumis aux lois physico-chimiques du monde minéral. Le corps éthérique, élément Eau, en rapport avec le monde végétal, se manifeste par les forces modelantes : croissance, multiplication cellulaire, reproduction. Le corps astral, élément Air, en relation avec le règne animal, s’exprime par tout ce qui est sensibilisé : instincts, désirs, passions, attractions et répulsions. Le moi caractérise la conscience, c’est l’esprit humain dont émane la force qui donne à notre organisme sa configuration particulière ; il se manifeste par la chaleur.
En musique, le corps physique correspond à la mesure ; le corps éthérique, au rythme ; le corps astral, à la mélodie ; le moi intervient là où la musique se transforme en langage, notamment entre les sons et les voyelles : Rudolf Steiner mentionne le parallélisme entre do et ou, ré et o, mi et a, fa et eu, sol et é, la et u, si et i. Par ailleurs, dans le a, comme dans le e, l’âme éprouve un sentiment comparable à celui du mode mineur en musique : c’est le corps astral qui s’empare du corps physique. Dans le o et le ou, comme dans le mode majeur, l’âme tend à s’échapper du corps. Le i se situe entre ces deux pôles, il est neutre.
Le langage nous met en relation avec le monde, il nous extériorise, tandis que la musique nous met en relation avec nous-même, elle nous intériorise et nous permet de prendre conscience de notre moi ; à cet égard, l’expérience intime des intervalles musicaux est significative. La quinte mène l’homme aux confins de son enveloppe charnelle et lui procure une sensation de plénitude. Avec la tierce, l’homme se retrouve dans l’intimité de son être et, avec la septième, il sort de lui-même. L’octave constitue une sorte de soulagement. A l’intervalle de quarte correspond le plaisir de « se sentir plus petit ». La sixte évoque la force d’un sentiment qui régit notre comportement. Le mouvement de la septième à la tonique semble donner vie à ce qui en est dépourvu…
Tous ces intervalles se traduisent en eurythmie par une gestique expressive. La quinte est représentée par une sorte d’enceinte que l’on forme avec les bras. Le caractère d’intimité de la tierce s’exprime pour la tierce majeure, en écartant les bras et, pour la tierce mineure, en les ramenant vers soi. La quarte est rendue par le serrement des poings. L’expérience de la septième se manifeste par les mouvements des mains qu’on agite en tous sens, les bras tendus. Le sentiment de l’octave se traduit par un geste ample qui se termine en retournant les mains. L’accord parfait majeur s’effectue par un pas en avant, un mouvement du bras droit dans la même direction et un geste du bras gauche qui vient heurter légèrement le droit. Inversement, l’accord parfait mineur s’effectue en reculant d’un pas, la tête tournée vers l’arrière et le bras gauche esquissant, dans la même direction, un mouvement qui est interrompu par le bras droit… Ces différentes attitudes prennent vie grâce au mouvement qui les coordonne. L’eurythmie ne peut exister que si le sentiment l’anime : chaque geste doit exprimer une expérience intérieure, ainsi le mouvement vient des profondeurs de l’être.
L’eurythmie n’appartient pas au monde naturel, elle est une création de l’homme. Pour vivre, l’être humain doit transformer les forces de la nature et les adapter à ses besoins ; lorsqu’il ne peut effectuer cette transmutation, il tombe malade. Cependant un organe qui est trop sous l’emprise de la nature peut être libéré par l’eurythmie. Chacun des éléments de l’eurythmie possède un effet thérapeutique. Considé-rons par exemple une sclérose du poumon ou d’un autre organe thoracique : le meilleur moyen de redonner la santé à cet organe, selon Rudolf Steiner, sera de pratiquer fréquemment l’exercice qui consiste à passer de la septième à la tonique. Après avoir effectué le geste correspondant à la septième, la main reste en place, c’est le corps qui se rapproche d’elle en avançant pour trouver enfin l’état d’immobilité, de repos, qui exprime la tonique. Ce mouvement doit évidemment coïncider avec les sons.
L’eurythmie, en donnant une forme artistique aux mouvements du corps, représente les gestes de l’organisme suprasensible, éthérique de l’homme, qui accompagnent ordinairement les sons articulés de la parole et du chant. Elle naît d’impulsions qui viennent de l’entité humaine supérieure et résonnent dans le Cosmos « jusqu’aux plus lointaines sphères éthérées. »
Les instruments de musique
Le chant a atteint un tel niveau de complexité et de subtilité dans certaines civilisations qui l’ont pratiqué d’une façon quasi exclusive, que la musique vocale, à elle seule, aurait sans doute pu suffire à l’humanité. Cependant, dès la préhistoire, l’homme a éprouvé le besoin d’utiliser des objets produisant des sons nouveaux, étranges, pour servir généralement à des opérations magiques. Les symboles qui décorent les instruments primitifs, leur matière, leur mode de fabrication, ainsi que l’origine merveilleuse qui leur est partout attribuée, montrent qu’ils sont d’abord des objets de culte, porteurs de représentations cosmiques.
L’évolution de la forme des instruments au cours des âges ne procède pas réellement d’une recherche de la qualité sonore : la structure actuelle de beaucoup d’instruments n’est pas explicable par la seule acoustique, mais par de multiples raisons extra musicales. Par exemple, les matériaux utilisés pour la lutherie sont chargés de significations ésotériques. Les différents bois sont associés à des valeurs symboliques : le pin à l’immortalité, l’érable à la vanité, le hêtre à la maîtrise de soi, le chêne à la force, l’ébène aux ténèbres, le buis à la fécondité… L’ivoire évoque la pureté. Les métaux correspondent aux planètes : l’or au soleil, l’argent à la lune, le platine à Uranus, le bronze et l’airain à Jupiter, le fer à Mars (le laiton se rattache au signe astrologique du Taureau).
Les instruments, en plus des sons qu’ils produisent, véhiculent tout un ensemble de symboles et de connaissances. La lyre à sept cordes d’Apollon, réglée selon l’échelle de la gamme pythagoricienne, révélait déjà la loi de gravitation en fonction du carré des distances des planètes avec le soleil.
Dans son livre Musique et symbolisme (Editions Dangles, 1988) Roger J. V. Cotte établit un classement systématique des instruments de musique d’après l’étude de nombreux documents iconographiques.
L’Agneau Mystique par Hubert et Jean Van Eyck.
Anges musiciens (détail)
Il apparaît clairement que, en dehors des préoccupations théologiques ou occultistes, les quatre éléments sont fréquemment figurés dans la représentation des instruments. Le FEU est symbolisé par la harpe (Soleil), le psaltérion (Vénus) mais aussi la trompette, le trombone, le cornet droit et clair et le hautbois (Mars) ; l’EAU par le galoubet, la cornemuse (Mercure), le luth (Lune) ; l’AIR par le cistre, le tambourin (Mercure) et l’orgue portatif (Jupiter) ; la TERRE par la mandore et la viole (Saturne).
La classification des instruments de musique est variable selon les époques et les civilisations. La distinction actuelle entre instruments à archets, à vent, à percussion, est purement occidentale et ne date que de quatre siècles environ.
En Chine, le Livre des rites attribué à Confucius (551 - 479 avant J.-C.), établit une classification des instruments de musique en huit catégories, selon leur matériau de fabrication : métal, pierre, bois, soie, bambou, peau, calebasse et terre. Il faut savoir que dans la Chine impériale, la musique avait un rôle social, moral et aussi thérapeutique. C’était une institution publique dont l’objet consistait à maintenir l’harmonie entre le ciel et la terre. Sous la dynastie des Han antérieurs (IIe siècle avant J.-C.) fut même créé un Département de la Musique, le Yue-Fou. Cet organisme, entre autres responsabilités, devait veiller à la bonne fabrication des instruments de musique.
Trois musiciennes. Terres cuites chinoises
Les philosophes chinois de l’antiquité fondent leur conception de l’univers - autant dans son origine que dans sa structure - sur la loi des cinq éléments (le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau), principe de toute chose. La médecine chinoise se fonde sur l’application de ce principe et notamment sur les relations qui existent entre les cinq éléments et les cinq planètes (Jupiter, Mars, Saturne, Vénus, Mercure), les cinq notes : koung (fa), chang (sol), kio (la), tché (do), yu (ré), les cinq organes : foie, cœur, rate, poumons, reins. Ces concordances expliquent le rôle thérapeutique des instruments de musique : les flûtes tonifient le foie, les cordes tonifient le cœur, l’ocarina tonifie la rate, les cloches tonifient le poumon et les tambours tonifient le rein.
Les éléments, et tout ce qui leur correspond, sont soumis à la prépondérance du Yang et du Yin, deux forces complémentaires qui régissent l’univers. L’empereur Fou-Hi serait l’inventeur des huit trigrammes qui fournissaient, sous forme de représentation graphique, l’évolution des rapports entre le Yang et le Yin. A ces huit trigrammes correspondent les huit catégories d’instruments, comme le montre le schéma suivant, emprunté au traité de médecine chinoise de Chamfrault et Van Nghi :
Le rôle thérapeutique des instruments de musique apparaît dans des cultures très différentes et des civilisations très éloignées dans l’espace et dans le temps.
Les rites païens de guérison se réfèrent constamment à l’interdépendance entre musique et nature. Par exemple, la Chanson de la cigogne, très ancienne chanson enfantine de Hongrie, qui fut vraisemblablement réactualisée sous l’occupation turque (1526-1699), souligne la fonction guérisseuse des instruments simples en bois et en peau :
Cigogne, petite cigogne
pourquoi ta patte est-elle en sang?
Un enfant turc te l’a coupée,
un enfant hongrois te la soignera,
avec fifre, avec tambour
et avec violon de roseau. 1
Les Indiens d’Amérique utilisent des instruments fabriqués dans le bois de plantes médicinales. Le son de ces instruments posséderait des vertus thérapeutiques plus puissantes que celles des plantes elles-mêmes. Les flûtes en bois de bouleau sont employées dans le traitement des rhumatismes ; les flûtes en ellébore soignent les maladies nerveuses, etc.
Dans l’Egypte antique, les objets sonores possédaient les attributs de talismans et d’amulettes. On accordait notamment aux percussions métalliques des effets particuliers sur la conscience. Ces instruments accompagnaient la récitation de formules magiques dont nous trouvons un grand nombre d’exemples dans le fameux papyrus médical connu sous le nom d’Ebers (égyptologue allemand du XIXe siècle).
En Grèce, l’aulos dionysiaque, la syrinx des silènes, le tambour des ménades et même la lyre, instrument d’Apollon, déclenchaient la transe des adeptes du culte de Cybèle. Ces « danses de possession » avaient alors une importante dimension thérapeutique.
En Italie méridionale, il n’y a pas si longtemps, dans certaines villes reculées, les personnes piquées par la tarentule (grosse araignée fréquente dans la région de Tarente), exécutaient encore, pour guérir, une danse de possession (la tarentelle) accompagnée de tambours ou de castagnettes.
Dans la médecine traditionnelle d’Afrique, les rituels musicaux de possession, que ce soit dans le culte du Vaudou, de Candomblé ou de Macumba, s’effectuent sous la direction d’un sorcier connaissant parfaitement le pouvoir des sons et des rythmes, qui contrôle le jeu des instrumentistes et choisit aussi bien la hauteur, la durée, l’intensité et le timbre des sons qui ordonnent la transe du malade.
En Occident, nous pouvons constater de nos jours que le timbre des instruments de musique provoque des réactions significatives selon le type humain des auditeurs. Les inquiets et les anxieux préfèreront, par exemple, la flûte ou la harpe, plus « neutres » que le violoncelle, propre à évoquer la mélancolie, l’angoisse ou la tristesse… Les homéopathes connaissent les affinités qui existent entre certains instruments et les patients relevant de remèdes précis comme Alhanodium et le piano, Kali carb. ou Viola odorata et le violon. Calcarea carb. est hypersensible aux sons aigus, Baryta carb. l’est aux sons graves, Nitric. acid. l’est aux sons suraigus et aux sons très graves. Le timbre du piano fait pleurer Copaiva, effraie Phosphorus, angoisse Natrum carb. …
L’acupuncture musicale
L’association des sons à l’acupuncture est l’un des principes de la musicothérapie chinoise traditionnelle. Les Chinois considèrent douze voies principales selon lesquelles se fait la circulation de l’énergie dans notre corps, ce sont les douze méridiens correspondant aux six organes yin et aux six entrailles yang qui rassemblent toutes les fonctions. Ces douze méridiens sont des régions énergétiques qui vibrent comme les cordes d’un instrument. Selon Kong-Tshung-Chu (IIe siècle av. J.-C.) « les esprits vitaux des Hommes accordés sur les tons du Ciel et de la Terre, en reflètent les frémissements comme plusieurs luths, accordés sur la même tonique, vibrent tous quand la tonique résonne. »
Il existe une correspondance vibratoire entre les méridiens d’acupuncture et les douze sons chromatiques. Su Ma T’sien explique dans ses Mémoires historiques que chacun des douze lius (sons correspondant aux méridiens) constitue une fondamentale à partir de laquelle il est possible d’établir une gamme pentatonique. Les notes de musique correspondent alors à des points d’acupuncture situés sur le méridien en rapport avec la gamme : il s’agit surtout des points shu antiques, qui se trouvent sur les membres.
Dans son Traité d’acupuncture chinoise, G. Martinelli estime que « la musicothérapie est efficace car le monde de la musique, comme celui des chiffres, est une manifestation de l’harmonie universelle qui s’appuie sur trois plans du Yin passif, du Yang actif et du Tao qui réunit les deux stimulations de sens contraire ; dans la mesure où elle ramène toutes les déviations sur l’équilibre, la musique permet précisément de récupérer cet équilibre primaire qui est la santé physique, psychique et émotionnelle de l’homme. »
La notion d’harmonie universelle est à l’origine même de la musique chinoise. On raconte, en effet, que l’empereur Huang ti, en 260 av. J.-C., aurait chargé son ministre Ling Louen de l’élaboration d’une théorie musicale en rapport avec l’harmonie de la nature. Celui-ci détermina un son « fondamental » en soufflant dans un tube de bambou de 81 fen (dixièmes de pouce). Ce son de référence, nommé houang-tchong (cloche jaune) a une fréquence voisine de Fa 3 selon le Père Amiot. D’après la légende, le ministre coupa ensuite onze autres bambous, de sorte à reproduire les différentes notes chantées par deux phénix, l’un mâle et l’autre femelle : il obtint ainsi six tubes yin et six tubes yang.
Les notes de ces douze tuyaux sonores constituent le système des douze lius. Lu Pou Wei, dans le recueil encyclopédique Lu Che Tch’oen ts’eou qui échappa à l’incendie des livres sous le règne de Che Houang Ti (IIIe siècle avant notre ère), écrit : « Quand un tuyau a pour longueur les 4/3 de la longueur du tuyau générateur, c’est la génération supérieure ; quand un tuyau a pour longueur les 2/3 de la longueur du tuyau générateur, c’est la génération inférieure. Il y a donc génération supérieure toutes les fois que la note est abaissée d’une quarte ; il y a génération inférieure toutes les fois que la note est élevée d’une quinte. »
Les cinq premiers lius obtenus dans cette série alternative de quintes montantes et de quartes descendantes (fa-do-sol-ré-la) forment la gamme pentatonique (fa-sol-la-do-ré) dont la composition est fondée sur l’union du pair (yin) et de l’impair (yang). Les cinq degrés de la gamme pentatonique donnent naissance à cinq échelles ou « modes » : mode de kong (fa-sol-la-do-ré), mode de chang (sol-la-do-ré-fa), mode de kio (la-do-ré-fa-sol), mode de tché (do-ré-fa-sol-la) et mode de yu (ré-fa-sol-la-do). Selon le principe de la transposition, chacun des douze lius peut servir de point de départ à ces cinq modes, ce qui donne soixante échelles sonores différentes.
La relation entre les douze lius et les douze méridiens s’établit selon le tableau suivant :
Liu |
note |
méridien |
signe |
Vibrations par seconde |
Houang Tchoung |
ré |
Vésicule biliaire |
yang |
292,7 |
Ta ling |
ré # |
Foie |
yin |
305,6 |
Ta tsou |
mi |
Poumons |
yang |
326,2 |
tsia Tchoung |
fa |
Gros intestin |
yin |
343,1 |
Kou Hsi |
fa # |
Estomac |
yang |
365,7 |
Tchong ling |
sol |
Rate |
yin |
391,5 |
Tsou ping |
sol # |
Coeur |
yang |
410,1 |
ling Tchoug |
la |
Intestin grêle |
yin |
437,0 |
I tsou |
la # |
Vessie |
yang |
460,0 |
Nan ling |
si |
Rein |
yin |
471,5 |
Wou che |
do |
Maître du coeur |
yang |
491,3 |
ing tchong |
do # |
Triple réchauffeur |
yin |
549,5 |
Ce tableau a été établi par l’Académie de musique de Tokyo. Les Japonais contemporains poursuivent en effet des recherches très approfondies sur les possibilités multiples des sons. Citons notamment les remarquables travaux du Docteur Michimesa Michizawa, directeur de l’école de Chiba, qui a établi « un traitement par les sons » comparable à celui qui était appliqué dans l’ancienne Chine, en association avec l’acupuncture et la pharmacopée.
Les lius présentent une double polarité : l’aspect positionnel selon la hauteur (fréquence) et l’aspect fonctionnel selon leur place dans la gamme. Chaque liu constitue la fondamentale d’un méridien et forme en même temps différents intervalles avec d’autres toniques. Ces intervalles représentent les fonctions des notes. Les cinq notes et les cinq fonctions correspondent aux cinq éléments :
Koung | Tonique | Terre |
Chang | Seconde | Métal |
Kyo | Tierce | Bois |
Tché | Quinte | Feu |
Yu | Sixte | Eau |
La liste des intervalles correspondant aux points SHU antiques s’établit en respectant le modèle pentatonique :
Méridien |
Tonique |
Quinte |
Seconde |
Sixte |
Tierce |
VB |
ré |
la |
mi |
si |
fa # |
IG |
la |
mi |
si |
fa # |
do # |
P |
mi |
si |
fa # |
do # |
sol # |
R |
si |
fa # |
do # |
sol # |
ré # |
E |
fa # |
do # |
sol # |
ré # |
la # |
TR |
do # |
sol # |
ré # |
la # |
mi # (fa) |
C |
sol # |
ré # |
la # |
mi # (fa) |
si # (do) |
F |
ré # |
la # |
mi # (fa) |
si # (do) |
fa x (sol) |
V |
la # |
mi # (fa) |
si # (do) |
fa x (sol) |
do x (ré) |
GI |
fa (mi #) |
do |
sol |
ré |
la |
MC |
do (si #) |
sol |
ré |
la |
mi |
Rt |
sol (fa x) |
ré |
la |
mi |
si |
(
x signifie double dièse)
C’est la fonction qui détermine le choix des points pour la tonification ou la dispersion, sachant qu’un même intervalle tonifie le Yin et disperse le Yang à la fois. Par ailleurs, à chaque liu est associée une position de la lune. Le monde, macrocosme et microcosme, est animé par une énergie unique, le Qi, dont Yin et Yang marquent le rythme. Par exemple, dans chaque organe, l’énergie connaît son maximum d’intensité à des heures particulières ; cette théorie millénaire se voit aujourd’hui confirmer par la chronobiologie moderne. Ainsi, en fonction du mouvement de l’énergie dans le cycle annuel, la quinte disperse le Yin mais tonifie le Yang de novembre à mai et tonifie le Yin mais disperse le Yang de mai à novembre. La tierce occupe une fonction inverse de celle de la quinte.
De même que l’acupuncture augmente ou diminue la quantité d’énergie d’un méridien, en agissant sur ses points au moyen d’aiguilles, la musique par ses fréquences sonores, rétablit l’équilibre compromis par des troubles pathologiques entre les organes de notre corps et le monde extérieur. On peut lire dans les Mémoires historiques de Su Ma T’Sien : « La note kong agit sur la rate et con-duit l’homme à la parfaite sainteté ; la note chang agit sur le poumon et conduit l’homme à la parfaite équité ; la note kio agit sur le foie et conduit l’homme à l’harmonie de la parfaite bonté ; la note tché agit sur le cœur et conduit l’homme à l’harmonie des rites parfaits ; la note yu agit sur les reins et conduit l’homme à l’harmonie de la parfaite sagesse.»
Comme tout ce qui compose la Vie, le psychisme est dépendant de la Loi des cinq éléments (le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau), principe de toute chose, et par là même il est étroitement lié à l’organisme. Les Chinois sont donc les véritables précurseurs de la pathogénie psychosomatique actuellement « en pointe » en Occident. Pour eux ce sont les altérations physiques qui détériorent le mental : l’orientation chinoise est surtout somato-psychique. La médecine chinoise admet cependant que les désordres affectifs peuvent léser les organes et provoquer secondairement, par cet intermédiaire, une affection d’ordre psychiatrique. Chaque anomalie psychique s’attaque à un organe précis, l’organe cible : par exemple, la peur atteint le rein ; la tristesse le poumon, etc. Vice-versa, la peur est un symptôme bien connu des maladies des reins et la tristesse est classique chez les tuberculiniques.
Il est possible d’agir sur le psychisme en agissant au niveau de l’organe cible, à condition d’employer un facteur d’intervention répertorié au même pôle de la loi des cinq éléments, par exemple les notes de musique. Il existe deux variétés de manifestations selon le niveau énergétique de l’organe. On dit qu’il y a plénitude d’énergie ou vide d’énergie selon qu’il y a excès ou insuffisance. Les excès d’énergie correspondent généralement aux caractères extravertis, les insuffisances aux caractères intravertis. La typologie chinoise classe les tempéraments humains en constitutions psychosomatiques, selon cinq « éléments de base du psychisme » qui correspondent aux organes : le Chenn (cœur), le Yi (rate), le Pro (poumon), le Tché (rein), le Roun (foie). Chacune de ces entités psychiques est en relation également avec une entraille (yang) et avec une note de musique… Le traitement des affections psychiques était donc, pour les Chinois antiques, inclus dans une médecine globale prenant en charge l’homme dans sa totalité et dans sa personnalité.
Le rythme
« Qui connaîtra le monde et ses rythmes
, écrit le Nei King, le plus ancien traité de médecine du monde, connaîtra aussi l’homme et le rythme de sa vie, et qui connaîtra ces accords n’aura plus besoin de rien savoir.» Tout est rythme dans l’univers et tout être vivant est soumis à ses propres rythmes ainsi qu’aux rythmes du cosmos.L’homme est conditionné, comme les animaux et les végétaux, par les cycles de la nature : alternance des saisons, du jour et de la nuit, mais aussi par son « horloge » interne régissant, selon les moments de la journée, la tension artérielle, la température, le taux des hormones, etc. La notion de rythme est étroitement liée à la notion de santé.
Le philosophe Bacon au XIIIe siècle estimait que « pour être bon et efficace, le médecin doit connaître les règles de l’harmonie musicale. » La musique, en effet, a une influence indéniable sur le plan physique comme sur le plan émotionnel. De nombreuses expériences scientifiques ont souligné son action sur le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire et la tension artérielle… Certes, l’intensité et la nature des réactions à la musique dépendent du sujet auditeur, de son tempérament, de sa constitution, etc., mais les neurophysiologistes font remarquer que la musique demeure souvent le seul moyen de communiquer avec des patients autistiques ou des malades ayant rompu le contact verbal. Le sens du rythme notamment résiste beaucoup plus longtemps que les fonctions intellectuelles à la déstructuration mentale. « Le rythme, disait le célèbre pédagogue Maurice Martenot, est l’élément vital de la musique, aussi indéfinissable que la vie elle-même. On doit le considérer comme une force en mouvement, une force qui propulse l’action, une force qui est elle-même mouvement. »
Le rythme joue un rôle déterminant dans les chants et les danses de guérison des peuplades primitives qui recourent généralement à la transe. Dans la Grèce antique, les rythmes des instruments à percussion « avaient la propriété de provoquer la transe de possession des Corybantes » (H. Jeanmaire - 1951- Dionysos. Paris, Payot). Dans les danses extatiques de l’Inde, du Moyen-Orient ou de l’Afrique, le rythme est également primordial.
Dans le Gai Savoir, Nietzsche écrit : « bien avant qu’il n’y eût des philosophes, on attribuait à la musique, et plus précisément au rythme musical, la faculté de décharger les passions, de purifier l’âme, d’adoucir la ferocia animi. La tension normale de l’âme, son harmo-nie venait-elle à se perdre, il fallait se mettre à danser en suivant la mesure du chant… c’était là l’ordonnance de cette thérapeutique. »
Les deux principales caractéristiques les plus fréquentes du rythme des musiques de possession sont la rupture (par changement de rythme ou par déplacement des accents) et l’accélération du tempo. Que ce soit en Haïti, au Bengale, ou encore chez les Indiens d’Amérique, les ethnologues ont remarqué que les musiques destinées à déclencher la transe commencent généralement par un rythme répétitif suivi d’un rythme plus heurté introduit brusquement ; ce nouveau rythme suscitant un état de paroxysme chez les danseurs. Le tempo devient alors de plus en plus rapide et l’intensité du son se fait de plus en plus forte. La danse convulsive aboutit à la chute du malade, soulignée violemment par la percussion. Dans cette chute, le malade, complètement insensible, ne se fait aucun mal : il se produit dans la transe un phénomène d’analgésie, comme dans l’hypnose.
Selon le docteur Jacques Donnars, psychiatre, « la transe opère comme un processus de recul qui relativise les conflits individuels ou collectifs… Je peux constater, dit-il, (par l’expérimentation en groupe de phénomènes de transe sous induction musicale) une spectaculaire disparition d’angoisses, la résolution de conflits intérieurs déjà anciens, la mise à distance de souffrances physiques » (cité par Sophie Humeau dans Les musiques qui guérissent, Retz). Certains praticiens n’hésitent pas, en effet, à recourir aux méthodes ancestrales issues de traditions mystiques, pour soulager leurs patients et tendent ainsi à retrouver « la réalité secrète et indicible de l’être profond » pour reprendre l’expression de J. Donnars.
Le rythme est d’ordre physiologique, d’où son influence sur tous les aspects de la vie végétative. L’une des bases du yoga, par exemple, est la maîtrise du rythme respiratoire, qui est binaire (inspir-expir) dans l’action mais ternaire (inspir-expir-pause) dans le sommeil ou la méditation. On peut ramener l’infinité des rythmes qui animent notre être psychosomatique, à deux catégories essentielles : la cadence régulière et la cadence asymétrique, souvent source d’action et de mouvement. Les Chinois anciens distinguaient six rythmes yang, fondés sur l’impair, et six rythmes yin, fondés sur le pair. Aussi la musicothérapie chinoise utilise-t-elle des rythmes excitants pour les mélodies tonifiantes et apaisants pour les mélodies calmantes ; ce qui correspond selon le cas, à des rythmes binaires plutôt heurtés et à des rythmes ternaires généralement doux.
L’action du rythme sur l’auditeur, comme nous avons pu le constater dans les musiques de possession, n’est pas seulement liée à la régularité ou à l’irrégularité de la pulsation mais dépend aussi de la vitesse du débit sonore. Si la répétition d’un motif dans un même tempo peut induire un état quasi-hypnotique, c’est le changement de rythme et l’accélération qui provoquent la transe. Autrement dit, la tension émotionnelle est en rapport avec la vitesse. Les travaux de Michel Imberty ont d’ailleurs montré que plus le débit des sons est rapide, plus la tension de l’auditeur s’élève ; inversement, plus le débit des sons est lent, plus la détente s’affirme.
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Pour conclure nous rappellerons que dans les traditions anciennes, de la Chine au fin fond de la Sierra mexicaine, en passant par la Polynésie, la pratique de la guérison, qu’elle soit fondée sur l’usage des plantes, des massages, des chants, des rythmes ou de la magie, n’a jamais pu se passer des sons musicaux, utilisés comme puissance énergétique et harmonisante, capable de transmettre la force vitale universelle.
Bibliographie
Aucher, Marie-Louise, L’Homme sonore (Epi)Max Méreaux
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1) Cité par le musicographe A. Autexier dans la revue L’Education musicale (n°336 mars 1987)
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