Otto TICHY
(1890 – 1973)


Otto Tichy
Otto Tichy
(  coll. A. Galpérine ) DR

Otto-Albert Tichy, organiste, chef de chœur et compositeur tchèque, a laissé un catalogue considérable, notamment dans le domaine de la musique sacrée (pas moins de huit messes et un grand nombre de motets), mais aussi de la musique de chambre (diverses sonates, des trios et quintettes, trois quatuors à cordes). Né dans l'empire des Habsbourg et mort après le Printemps de Prague, il vécut quelques années en France et en Suisse avant de retourner dans son pays en 1936. Il connut un destin tragique et singulier, bouleversé par les vents contraires de l'histoire, en Est et Ouest, entre deux guerres mondiales et deux totalitarismes. Il est également relié à l'histoire littéraire française par son mariage avec la fille aînée de Léon Bloy.


Maison natale d'Otto Tichy
Maison natale à Martinkov
( coll. A. Galpérine ) DR

Originaire de Martinkov, en Moravie (partie occidentale de la Tchéquie), où il est né le 14 août 1890, il est le fils d'un instituteur-musicien qui, selon la formule consacrée par plusieurs siècles, portait le titre de regens chori et scolarum. Ce dernier, Antonin Tichy, issu d'une famille pauvre, avait dû interrompre ses études musicales pour mener une double activité de maître d'école et de dirigeant d'une exploitation agricole. Ancien protégé du compositeur Leos Janacek, à Brno (capitale de la Moravie), il éleva ses enfants dans le culte de la musique et les intégra aux ensembles vocaux et instrumentaux qu'il dirigeait tous les dimanches à la tribune de son église. Otto développa très tôt une pratique du violon, puis du clavier, ainsi qu'une connaissance des chants traditionnels moraves, qui plongent loin leurs racines dans le terreau musical de la Mitteleuropa (Europe centrale).


Otto Tichy, jeune.
Otto Tichy jeune
( photo J.F. Langhans, Prague, coll. A. Galpérine ) DR

Après des premières études au "séminaire des garçons" de Brno, où la musique et la théologie accompagnaient les connaissances générales, il est admis dans la classe de composition de Vitezslav Novak (compositeur post-romantique tchèque ancien élève de Dvorak) au Conservatoire de Prague.


Une crise de vocation le conduit à quitter cette prestigieuse institution et, malgré l'insistance de Novak, à suivre l'éditeur Josef Florian (1873-1941) dans son "Atelier de littérature" de Stara Rise (Moravie). Cette maison d'édition (Dobré Dilo) d'inspiration chrétienne, où Tichy travailla cinq ans en tant que traducteur, joua un rôle considérable, avant et après la première guerre mondiale, dans la diffusion d'œuvres majeures, alors parfaitement inconnues en Europe centrale. Outre le rôle de "propagateur de Léon Bloy en Moravie", que Florian s'était attribué, on lui doit d'avoir, parmi beaucoup d'autres réalisations, édité la version tchèque de La Métamorphose de Franz Kafka. C'est d'ailleurs grâce aux travaux de Florian et de ses traducteurs que Kafka en viendra à connaître la pensée de Bloy. 1


Mariage d'Otto Tichy avec Véronique Bloy
Otto Tichy et son épouse Véronique Bloy en 1921
( coll. A. Galpérine ) DR

En 1919, après l'effondrement de l'empire austro-hongrois, Otto Tichy décide de reprendre ses études musicales et de partir pour Paris. Il s'inscrit aux cours de Vincent d'Indy et de Paul Le Flem2 à la Schola Cantorum. Introduit auprès de Jeanne Molbech-Bloy (son mari Léon Bloy est mort en 1917) il fait la connaissance de sa future "famille française" : les deux filles de l'écrivain et un jeune homme appelé à devenir son beau frère, Edouard Souberbielle, qui fréquente à la même époque les bancs de la Schola. Véronique Bloy épousera Otto Tichy en 1920, et sa sœur Madeleine épousera Souberbielle un an plus tard. Ce dernier deviendra un des plus grands organistes de sa génération et, comme Tichy, un ardent défenseur du chant grégorien. Dans les années d'études à la Schola, Otto se lie avec les derniers proches de la famille Bloy : Jacques et Raïssa Maritain, Georges Auric, Félix Raugel, Georges Rouault et le grand géologue Pierre Temier. Son premier quatuor à cordes, composé en 1924 et édité chez Sénart, est l'heureux point d'orgue de cette période.


La famille d'Otto Tichy
Otto Tichy et sa famille
( coll. A. Galpérine ) DR

Après avoir occupé les postes d'organiste et maître de chapelle des églises Saint-Rémy et Saint-François-d'Assise de Vanves (Hauts-de-Seine)3, il se voit proposer la tribune de Notre-Dame-du-Valentin à Lausanne (Suisse). Il s'installe alors avec sa famille dans cette ville où il est également nommé professeur à l'Académie Sainte-Cécile. Les années suisses comptent parmi les plus heureuses de sa vie. Il est joué régulièrement et ses concerts sont largement diffusés à la radio. Ses nombreux élèves d'orgue, de composition ou de chant choral l'entourent de respect et d'affection. 4


Alors que le ciel s'assombrit de plus en plus sur le continent, il se voit offrir5 le poste de Maître de chapelle de la cathédrale de Prague, une position qu'il occupera pendant trente ans.


Otto Tichy dirigeant un choeur de séminaristes à Prague
Otto Tichy dirigeant un choeur de séminaristes à Prague
( coll. A. Galpérine ) DR

Dans les années de guerre, l'ombre terrible de l'occupation nazie s'étend jusqu'à lui, et la tragédie frappe sa famille. Après la mort de deux fils, victimes d'une médecine précaire, il échappe de peu à une exécution sommaire quand, à l'approche de l'armée russe, les SS aux abois s'en prennent à la population du Château de Prague. Pendant cette période, Otto et Véronique sont séparées de leurs filles Marie et Rose, qui sont restées en France.


Funérailles de Jan Tichy, a943, Prague,
Prague, 1943, obsèques de Jan Tichy, mort à l'âge de 22 ans, fils d'Otto et de Véronique Tichy
( coll. A. Galpérine ) DR

En 1946, Tichy est nommé professeur au Conservatoire de Prague. Son art de chef de chœur se développe, à la cathédrale Saint-Guy, à la radio et au Conservatoire. Il compose régulièrement, et se distingue aussi par une activité de critique, d'auteur d'écrits théoriques et de traducteur (on lui doit la version tchèque du Beethoven de Romain Rolland).6

Otto Tichy à son piano
Otto Tichy à son piano
( coll. A. Galpérine ) DR


En 1948, le "Rideau de fer" divise l'Europe, et le parti communiste prend le pouvoir en République Tchécoslovaque. Véronique Tichy commet l'erreur de faire un séjour en France pour revoir ses enfants, et les autorités tchèques lui refusent un visa de retour. Elle mourra le 27 mars 1956 au couvent des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, à Nogent-sur-Oise, sans jamais revoir son mari et sa fille Tereza.


Funérailles d'Otto Tichy en 1973
1973 : inhumation d'Otto Tichy au cimetière de Prague
( coll. A. Galpérine ) DR

Otto lui survivra dix-sept ans. Il mourut le 21 octobre 1973 à la cathédrale Saint-Guy de Prague, au pied de son orgue, après avoir assisté à la Grand-messe. Lors de ses obsèques, célébrées par l'Archevêque, le chœur entonna son De Profundis écrit à la mémoire de Vincent d'Indy. Il repose au cimetière Saint-Mathias aux côtés de son fils Josef.


Alexis Galpérine

1 Gustav Janouch, Conversations avec Franz Kafka (Ed. Maurice Nadeau, 1978).

2 NDLR : Dans cette classe de contrepoint de Paul Le Flem, il obtient en 1926 la "mention très bien" qui est l'équivalent du premier prix des Conservatoires.

3 NDLR : C'est à compter de 1923 que Tichy exerça dans ces tribunes. A St-Rémy, il avait été précédé par Félix Raugel puis par Clotaire Franck, un neveu de César Franck. A St-François-d'Assise, église neuve construite en 1921, il se partageait le casuel avec Michel Jourdain, également ancien élève de la Schola. A cette époque, Tichy résida un temps 35 rue Raspail à Vanves, logement qu'il louait dans la maison familiale des Pagès et c'est par son intermédiaire qu'André Pagès, alors âgé de 15 ans, entra à la Schola en septembre 1924, avant d'entreprendre une longue carrière d'organiste (entre autres à St-Rémy de Vanves où il fut titulaire durant plus d'un demi-siècle.) En 1927, Tichy démissionnait de ses deux postes pour se rendre à Lausanne.

4 NDLR : Il conserve néanmoins d'étroits liens musicaux avec la France, notamment dès 1928 comme membre correspondant de l'Union des Maîtres de Chapelle et Organistes (U.M.C.O.), alors présidée par Widor, et comme collaborateur de la revue de musique religieuse La Petite Maîtrise dans laquelle il écrit quelques articles et publie des œuvres parmi lesquelles un Salut pour 4 voix mixtes en 5 parties (mars 1934 et s.).

5 NDLR : en 1936.

6 Ses compositions sont principalement publiées chez Carrara (Italie), Delatour-France, Maurice Sénart (Paris), Macheret, Henn (Genève), Foetisch (Lausanne) et Bohuslav Rupp (Prague), avec quelques œuvres auprès des éditions parisiennes de La Petite Maîtrise et de celles de la Schola Cantorum.


Otto TICHY : œuvres principales
(© extraits audio avec l'aimable autorisation d'Alexis Galpérine)


1924 : * Fichier MP3 Pie Jesu, pour ténor et orgue, op. 32. Enregistré par Régis Oudot et Édouard Souberbielle (CD Gallo 1095)
           * 1er Quatuor à cordes, op. 34 (Paris, Sénart, 1928)

1929 : * Missa in honorem Sancti Aloisii, op. 44 (Genève, Henn)
           * O Salutaris hostia, pour soprano, ténor et orgue, op. 45 (Paris, Schola Cantorum)
           * Messe en l'honneur de Saint Louis de Gonzague, op. 46
           * Improvisation pour orgue, op. 47 (Sénart, 1930)
           * Missa in honorem Sancti Amedei, op. 48 (Lausanne, Macheret, 1931)

1930 : * Tantum ergoPostula a me, op. 52 (Schola Cantorum, 1935)
           * O quam suavis est, motet, op. 53 (Schola Cantorum)
           * De profundis à la mémoire de Vincent d'Indy, op. 56 (Fribourg, Macheret). Enregistré par les Madrigalistes de Bohême, direction Stanislas Stipl (CD Gallo 1095)

1932 : * Sonate pour violon et piano, op. 63 (France, Delatour). Enregistrée en 2007 par Alexis Galpérine et Gérard Fallour (CD Gallo 1111)
           * Jubilate Deo, motet, op. 64 (Prague, Praporec, 1950). Enregistré par Les Madrigalistes de Bohême, sous la direction de Stanislas Stipl (CD Gallo 1095)

1933 : * Concertino pour deux violons et orchestre, op. 73
           * Orayson à Nostre-Dame pour soli, choeur et orgue, op. 82. Enregistrée en 1934 par Edouard Souberbielle à l'orgue et l'auteur dirigeant les choeurs (disque 78 tours Columbia, réédité en 2012 par Gallo, CD-1095)

1934 : * Ave Maria, op. 87 (Macheret)
           * deux Tantum ergo, op. 88 (Macheret)
           * La paix soit avec vous..., pour choeur à 4 voix mixtes et orgue, op. 94 (Lausanne, Foetisch frères)
           * Tantum ergo sacramentum, op. 96 (Henn)

1935 : * O quam suavis est, motet, op. 104 (G. Lapaire). Enregistré par Les Madrigalistes de Bohême, sous la direction de Stanislas Stipl (CD Gallo 1095)
           * Benedicite gentes..., pour ténor, choeur et orgue, op. 107

1936 : * Nous nous réfugions sous votre protection..., pour choeur et orgue, op. 108 (Prague, Venice Pane)

1939 : * Trois cantiques spirituels, op. 123 (Prague, Pelkrimov)
           * Trois pièces pour orgue, op. 131

1940 : * 52 Chansons pour enfant, op. 132 (Prague, Bohuslav Rupp)

1944 : * Missa festiva in honorem Sancti Alberti Magni, op. 140

1946 : * Préludes pour orgue, op. 145 (Prague, Vysehard)

1947 : * Sonate pour orgue, op. 151. Enregistrée pat Thomas Cech (CD Gallo 1089)
           * Missa in honorem Sancti Adalberti, op. 152

1948 : * Fichier MP3 Airs Moraves, Suite pour orchestre à cordes, op. 159. Enregistrés en 1958 par l'Orchestre de chambre de Lausanne, sous la direction de Victor Desarzens (réédition 2012 : CD Gallo 1095)

1949 : * Quintette à vent en la, op. 163
           * Quatre miniatures pour quintette à vent. Enregistrées en 2007 par l'Ensemble Stanislas (CD Gallo 1111)

1950-1951 : * Missa Pastoralis in honorem Jesu Infantis in Praga, pour choeur, orchestre et orgue, op. 166 . Enregistrée par les Chanteurs de Prague, choeur et orchestre dirigés par Stanislav Mistr, avec Thomas Flégr (orgue). CD Gallo 1089

1952 : * Chants de Noël, op. 171
           * Divertimento pour trio à cordes, op. 180

1956 : * Grave pour piano, hommage à Véronique Bloy, op. 186
           * Sonate pour piano, op. 188

1959 : * Partita n° 2 pour orgue, op. 195

1962 : * Quatuorino sur des chansons populaires moraves, op. 216
           * Sonatine pour violoncelle et piano, op. 219
           * Missa de Quadragesime, op. 222

1965 : * Quatuor à cordes, op. 255. Enregistré par le Quatuor du Conservatoire de Prague (CD Gallo 1095)

1966 : * Esquisses, deux pièces pour piano « à Natacha » et pour violon et piano « Fichier MP3 à Alexis » (Delatour). Cette dernière en 2 mouvements (Andante amoroso et Allegro) enregistrée par Alexis Galpérine et Gérard Fallour (CD Gallo 1095)

1969 : * Gloria in excelcis Deo, cantate de Noël, paroles de Frantisck Rejl, op. 289

1971 : * Au Pays Tchèque, cantate nationale, op. 298

1972 : * Suite orchestrale de la cantate Au Pays Tchèque, op. 312

1973 : * Fichier MP3 Partita n° 3, « Petite Suite pour grand orgue », op. 305. Enregistrée par Miroslav Psenicka (CD Gallo 1095).

Alexis Galpérine


Les lecteurs intéressés peuvent se reporter utilement au catalogue complet publié dans l'ouvrage d'Alexis Galpérine Le dernier cantor de Moravie, Otto Albert Tichy (1890-1973) paru en 2011 chez Delatour-France (DLT1956)


 


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