Léon Vasseur, vers 1909 ( photo Henri Manuel ) |
Curieuse destinée que celle de Léon Vasseur, qui d’austère organiste d’église passa à la tête de l’orchestre des Folies-Bergère et dont la carrière repose, comme nous le verrons, sur un malentendu !
Né le 28 août 1844 à Bapaume, au cœur de l’Artois, son père Augustin, professeur de musique et organiste de l’église du village, tenait également un commerce de quincaillerie où travaillait également sa mère, Flore Carpentier. Quant à l’aïeul paternel, Jean-Baptiste Vasseur, il exerçait le noble métier de maréchal ferrant dans la commune de Favreuil, à quelques kilomètres à peine de Bapaume. Nous étions encore bien loin de l’agitation des soirées enivrées des Folies-Bergère !
C’est son père qui donna les premières leçons de musique à Léon et qui l’envoya plus tard en 1856, peu avant de mourir, se perfectionner dans la toute nouvelle Ecole de musique classique et religieuse, que Louis Nierdemeyer venait d’ouvrir dernièrement à Paris. Cet établissement était plus spécialement destiné à enseigner la musique sacrée et a étudier les chefs d’œuvre classiques des grands maîtres des XV°, XVI° et XVII° siècles. D’excellents professeurs y dispensaient des cours de qualité. C’est ainsi que durant six années il fut l’élève de Louis Dietsch (harmonie), Georg Schmitt (orgue et improvisation), Louis Niedermeyer (composition et solfège) et reçut des conseils de Camille Saint-Saëns, alors professeur de piano dans cette école. Ses études terminées Léon Vasseur quitta l’Ecole Niedermeyer en juin 1862, après avoir remporté un premier prix de piano et un premier prix d’orgue. Là, sur les bancs de l’école, il avait croisé Eugène Gigout, Gabriel Fauré, Albert Périlhou et Edmond Audran...
Tout juste âgé de 18 ans, il obtenait la place de maître de chapelle et organiste de l’église Saint-Symphorien de Versailles. Il pouvait ainsi mettre rapidement en pratique les savants préceptes liturgiques que lui avait inculqués ses professeurs. Huit ans plus tard, en 1870, il succédait à Marie-Louise Leroi-Godefroy aux claviers du grand orgue de l’église Notre-Dame de Versailles. Mais il ne resta guère dans cette tribune puisque dès 1872 il laissait sa place à Emile Renaud. Celui-ci sera par la suite le dernier organiste de la chapelle royale de Versailles, au moment de sa fermeture au culte en 1906.
Notre musicien s’adonnait très tôt à la composition de musique sacrée. C’est ainsi qu’il livra notamment une Méthode d’orgue ou harmonium (1867), 20 motets des grands maîtres, L’Office divin pour orgue (recueil de messes, offertoires, antiennes...) Le 25 novembre 1877, il faisait également exécuter à la cathédrale de Versailles un Hymne à Sainte-Cécile pour soprano solo, orchestre et orgue, qui reçut d’ailleurs un excellent accueil du public et de la critique.
Mais, la fibre religieuse s’étiolait rapidement au profit du démon du théâtre, et alors qu’il touchait l’orgue de Notre-Dame de Versailles lui vint l’idée de composer une opérette intitulée Un fi, deux fi, trois figurants. Représentée au café-théâtre de l’Alcazar, elle n’obtenait pas, c’est le moins que l’on puisse dire, un franc succès. Le musicologue Pougin, en 1880, dans son supplément à la Biographie universelle des musiciens de Fétis, souligne même " l’ineptie du livret " ! Mais il en fallait bien davantage pour décourager notre musicien, qui persévéra dans cette voie en composant ensuite une trentaine d’opérettes au genre léger et même parfois grivois ! C’est ainsi qu’on pouvait aller l’applaudir, en cette fin du XIX° siècle à Paris : aux Bouffes-Parisiens, au Théâtre Taitbout, au Théâtre de la Renaissance, aux Folies-Dramatiques, aux Fantaisies-Parisiennes, et même à Bruxelles, où eut lieu la création du Roi d’Yvetot, en 1873.
Fragment de la Timbale d'argent, opérette de Jules Vasseur, créée aux Bouffes-Parisiens le 9 avril 1872
( La musique pour tous, n° 43, vers 1909, coll. D.H.M. )La Timbale d’argent en 3 actes, donnée en première représentation le 9 avril 1872 aux Bouffes-Parisiens, au moment où la reine de l’opérette Judic débutait sa carrière, fut le premier véritable succès de l’auteur. Le voyage de Suzette en 3 actes et 11 tableaux, créé à la Gaîté-Lyrique le 20 janvier 1890, obtint également un joli succès, grâce notamment à une mise en scène fastueuse (fêtes persanes, défilés de cirque, cavalcades, exhibitions d’animaux savants...) Parmi ses autres productions, il ne faut pas oublier La Petite reine, le Grelot, la Famille Trouillat, la Blanchisseuse de Berg-op-Zoom, la Cruche cassée, le Droit du seigneur, le Billet de logement, la Souris blanche, Mam’zelle Crémon... Mais le succès de ces opérettes n’atteindra pas celui de la Timbale d’argent, car l’auteur, bien que talentueux, trop rapidement grisé par le succès, eut le tort de privilégier la quantité au dépend de la qualité !
En 1879 Léon Vasseur, nouveau directeur du Théâtre Taitbout, inauguré cinq ans auparavant avec une salle de spectacles richement décorée, rebaptisa cet endroit " Nouveau-Lyrique ". Il fit jouer le 14 novembre Hymnis, une comédie lyrique en un acte de Théodore de Banville, musique de Jules Cressonnois. Le public, habitué à des œuvres plus légères, ne fut pas au rendez-vous ! L’année suivante le Théâtre fermait ses portes, puis une compagnie d’assurances s’installait dans les locaux. A la même époque (1879) Vasseur succédait à Olivier Métra à la tête de l’orchestre des Folies-Bergère. Ouvert en 1871 par Léon Sari, qui venait des Délassements-Comiques, cet établissement était alors très en vogue. Le public nombreux venait se divertir et assistait à des spectacles complets : orchestre, ballets, exhibitions de toute nature. Le succès était tel que l’on raconte même que Sari voulut un jour transformer ses Folies-Bergère en " Concert de Paris ", sous le patronage de Gounod, Saint-Saëns, Massenet et Delibes, mais il dut renoncer au bout d’un mois (avril 1881) pour revenir à ses spectacles précédents tant la pression du public était forte ! C’est dans cette salle que se produisit en France en 1890 la première troupe des girls, les " Sisters Barrisson ". On était alors bien loin de la maréchalerie du petit village de Favreuil, des locaux feutrés de l’Ecole Niedermeyer et des odeurs d’encens de l’église Saint-Symphorien !...
Mais curieusement toute cette singulière carrière n’eut peut-être pu exister si une banale erreur n’avait pas été commise par un scribe de l’Administration générale des cultes au Ministère de l’instruction publique et des cultes ! En juin 1856, le baron d’Herlincourt, député de la 6e circonscription du Pas-de-Calais depuis les débuts du Second Empire, intervenait auprès du ministre Hippolyte Fortoul, pour que soit accordé à Léon Vasseur une bourse afin de rentrer à l’Ecole de musique classique et religieuse, car le père de Léon ne pouvait subvenir seul aux frais de scolarité. Un employé du ministère, sans doute distrait ou myope ?, confondit la signature du baron d’Herlincourt avec celle du marquis d’Havrincourt. Celui-ci, également député du Pas-de-Calais, était parent par sa mère de Joséphine Tascher de la Pagerie, la propre épouse de Napoléon Ier et la tante de l’Empereur Napoléon III. Bien entendu une suite favorable à la requête fut donnée sans délai ! C’est ainsi que Léon Vasseur bénéficia de cette aide financière qui lui permit de recevoir un enseignement musical de premier ordre, l’autorisant par la suite à briller aussi bien dans la musique sacrée que dans l’opérette !
Sans cette erreur notre artiste n’aurait sans doute pu mener l’étrange carrière qui a fait de lui un musicien atypique, à l’aise dans tous les genres, fréquentant les églises le jour et hantant les salles de bals la nuit ! Cependant cela ne l’aurait nullement empêché d’être un homme profondément bon, comme il l’a toujours été au cours de sa vie. Son ami, F. Rémy, librettiste de plusieurs de ses opérettes, rapporte cette anecdote toute à l’honneur du compositeur :
" Puis survint la guerre [de1870]. Léon Vasseur est dans la mobile; fait prisonnier à Tôtes - entre Rouen et Dieppe - il est amené à Rouen pour être interrogé par le général prussien Von Goeben ; celui-ci assigne comme prison temporaire une chambre de l'Hôtel de Ville. On entraîne le prisonnier qui invoque vis-à-vis de la sentinelle de garde un besoin pressant... Vasseur reste un instant seul... une fenêtre est ouverte sur l'extérieur et à la porte un marchand de bois achève de décharger sa voiture ; Vasseur saute dans la rue, se glisse dans la voiture maintenant vide. Le marchand de bois, - un nommé Rivière - le ramène dans sa famille, à Saint-Sever; là il brûle son uniforme de moblot et lui donne des vêtements civils. Notre musicien regagne à petites journées Versailles, sans être inquiété.
En 1874, deux gros succès, La Timbale d’argent et Le Droit du Seigneur.
Le soir de la première de La Timbale d'argent, Vasseur a fait ses dernières recommandations à Mme Judic Peschard, il est entré dans la loge de Mme Judic, quand Pinglin le concierge vient le chercher et lui dire qu'on le demande en bas et qu'il a cru comprendre que lui, Vasseur, a les plus grandes obligations à la personne qui le réclame.
- AIlons voir !
Il descend et se trouve en présence de son marchand de bois, accompagné de sa femme, de son frère, de ses enfants et de sa belle-mère, en tout huit ; ils ont appris les succès de Vasseur et trouvent tout naturel, les braves gens, de demander une loge pour sa première !
Comment les placer ? Heureusement survinrent Jules Noriac et Charles Comte, directeurs du théâtre à cette époque, qui mirent leur avant-scène à la disposition des sauveurs de leur musicien : ils ne furent pas, comme vous pensez, les derniers à applaudir. "
Cet artiste éclectique est décédé à Asnières (Hauts-de-Seine) le 25 juillet 1917. Il avait épousé, en premières noces, Caroline Chaiselat, avant de se remarier à Ernestine Cavier. Jules Vasseur, son frère puîné, né le 2 novembre 1857 à Bapaume et mort le 11 janvier 1900 à Versailles, toucha durant une vingtaine d’années le grand orgue de l’église Notre-Dame de Versailles. Fondateur en 1878 et directeur de la Société internationale des organistes et maîtres de chapelle, qui se réunissait dans les locaux de l’Ecole Niedermeyer (Paris), il est également l’auteur de pièces pour piano éditées chez Lissarrague. Un descendant de Jules, sans doute Henry Vasseur, est l’auteur de la cantate Dezoji pour soli, chœur et orchestre, dont la première eut lieu le 28 février 1936 à la Société des concerts d’Amiens.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Léon Vasseur, Chant d’oiseaux, mélodie arrangée pour le piano, op. 5, dédiée “à Mademoiselle Joséphine Martin” (à Paris, chez Léon Grus, éditeur, 31 boulevard de Bonne-Nouvelle) fichier audio par Max Méreaux (DR.)