I n   m e m o r i a m :
Jean Villetard ( 1911 - 2000 )

Jean Villetard au grand orgue de l'église de la Madeleine, à Paris VIIIe, en 1967

( avec l'aimable autorisation de Mme Simone Villetard )

 

Agé de près de 89 ans, Jean Villetard nous a quittés le 26 septembre 2000, à la Ferté-Macé (Orne). Plusieurs de nos lecteurs se souviennent qu'il fut organiste de chœur de l'église de la Madeleine durant quarante-cinq années, c'est à dire de 1944 à septembre 1989, date à laquelle il prit sa retraite.

Ainsi pendant vingt-deux ans, nous avons collaboré dans une ambiance toute amicale puisque, en qualité de maître de chapelle, je le rejoignis dans cette église en 1967, demeurant à ce poste encore sept années après son départ. Oui, ce fut entre lui et moi une longue amitié : j'avais connu Jean Villetard déjà à l'Ecole César Franck; j'avais alors moins de vingt ans, puis l'avais souvent rencontré, notamment au cours de réunions que j'organisais pour l'Union des Maîtres de Chapelle et Organistes dont j'étais devenu le Secrétaire Général.

Jean Villetard lors de ses noces d'or en 1992
( coll. Simone Villetard )
Je ne peux oublier ses qualités de musicien et de travailleur acharné, sa conscience professionnelle, sa culture, sa fidélité, sa modestie, son amabilité toujours égale, son plaisir à se retrouver parmi nous et les Chœurs de la Madeleine, son attachement immense à notre église qu'il exprima avec tant d'émotion dans le discours d'adieu qu'il prononça la veille de son départ, au cours de la fête organisée en son honneur. Evoquant le souvenir de Jeanne Demessieux et d'Elisabeth Havard de la Montagne il ajoutait aussi; "Ce n'est pas sans émotion que j’évoque aujourd'hui ces deux destinées marquées par une lutte constante contre une certaine incompréhension... Par leur témoignage, elles ont recueilli toutes deux la gloire d'avoir servi la musique et l'orgue avec persévérance et succès." Et il poursuivait, parlant des Chœurs de la Madeleine : "On trouve dans cette chorale un magnifique exemple non seulement d'amour de la musique mais encore un esprit de camaraderie vraiment exceptionnel; j'en ai été constamment le témoin et j'en ai personnellement éprouvé les bienfaits."

Malgré la séparation, après 1989 j’eus plusieurs occasions de revoir Jean Villetard; il venait parfois nous écouter à la Madeleine, nous nous téléphonions, nous nous écrivions... Durant les toutes dernières années de sa longue existence, il supporta avec courage les atteintes de la maladie; la musique lui donna ce courage, cette patience, mais aussi, pour une grande part, la présence, les soins attentifs et l'affection de son épouse. Je connais Madame Villetard depuis tant d'années : qu'elle trouve ici, ainsi que ses trois fils, l’expression de ma fidèle et sincère amitié comme celle de notre Association Elisabeth Havard de la Montagne, dont Jean Villetard fut un fidèle adhérent dès la première heure.

Joachim Havard de la Montagne,
Maître de chapelle honoraire de l’église de la Madeleine


 

Jean VILLETARD :
chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand

 

Le 14 janvier 1985, en l'Eglise de la Madeleine à Paris, M. Jean Villetard a été fait Chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand, distinction accordée par le Saint Père qui lui a été remise par le Chanoine Thorel, curé de la Madeleine, pour ses 40 ans de service comme organiste de chœur. Rappelons que cet ordre pontifical fut créé par Grégoire XVI en 1831, pour récompenser les citoyens fidèles et les troupes autrichiennes qui défendirent le Saint-Siège. Réorganisé en 1905, il comporte deux divisions (civile et militaire), chacune de trois classes (grand-croix, commandeur et chevalier).

Programme d'un concert spirituel le dimanche 18 mai 1941 à la Chapelle du Nord, avec chœur et orchestre placés sous la direction de Jean Villetard
L'Information musicale, 16 mai 1941, coll. D.H.M. )
Né en 1912, Jean Villetard fut tout d’abord élève de Paul Baumgarten (piano 1er degré) puis de Paul Braud (piano supérieur) et de Joseph Civil pour l’orgue à la Schola Cantorum. Il rejoignit ensuite Guy de Lioncourt à l'Ecole César-Franck lors de la formation de cet établissement d’enseignement supérieur en 1935. Son premier poste d’organiste en 1936 fut celui de la Chapelle du Nord (actuellement temple de la rencontre), située rue des Petits-Hôtels, dans le dixième arrondissement parisien. L’instrument de deux claviers qu’il touchait alors, un Gutschenritter de 1932, est à présent installé à Saint-Louis-en-l’Ile (depuis 1965). En Juillet 1944, il succédait à André Simon, dont la vue était gravement atteinte et qui ne pouvait plus lire la musique au pupitre l’orgue à l’orgue de chœur de l’église de la Madeleine. A cette époque le curé était le chanoine Raffin qui avait été installé là le 14 février 1933. M. Villetard travaillera par la suite sous la direction du chanoine Popot, ancien aumônier de la prison de Fresnes et curé de cette paroisse du 14 juin 1964 au 28 février 1971, puis du chanoine Thorel, successeur de ce dernier.

Lors de son installation à la Madeleine l'organiste du grand orgue était Edouard Mignan (1935 à 1962) et le maître de chapelle, Jean de Valois (1938 à 1965). Celui-ci, élève d’orgue de Jules Walter, enseignait également le chant grégorien à l'Ecole César-Franck. La Maîtrise, alors composée d'une dizaine de chanteurs professionnels distribués en trois voix : soprani, ténors et basses était limitée considérablement dans son répertoire. Ce n'est qu’en 1965, au départ de M. de Valois, qu'enfin les quatre voix traditionnelles furent installées avec Guy Pernoo. Mais ce maître de chapelle ne resta que quelques mois en fonction pour laisser la place dès 1967 à Joachim Havard de la Montagne.

Jeanne Demessieux, "cette extraordinaire organiste", fut nommée aux grandes orgues de la Madeleine en 1962, arrivant de l’église du Saint-Esprit où elle avait été nommée à l’âge de 12 ans ! Elle occupera ce poste jusqu'à son décès, arrivé le 11 novembre 1968. Celle-ci et Jean Villetard s'entendaient à merveille car ils avaient tous deux les mêmes idées sur l'orgue, la musique et la liturgie. Puis ce fut Odile Pierre (1969 à 1979) qui enseignait alors l’orgue au Conservatoire de Rouen et enfin, en 1979 l'actuel titulaire: François Henri Houbart.

Ainsi, au cours de ces quarante dernières années, M. Villetard a connu bien des périodes musicales différentes dues à la personnalité de chacun des prêtres et des musiciens qui ont défilé dans cette église. Cependant, il a su à chaque fois s'adapter parfaitement car c’est un fin et complet musicien, doté d’une profonde sensibilité artistique. Souhaitons lui encore de nombreuses années à la Madeleine, tout en lui adressant toutes nos félicitations.

N’oublions pas enfin de signaler, même si sa modestie naturelle risque d’en souffrir, que Jean Villetard est un excellent professeur de musique. Il a enseigné notamment l’harmonie à l’Institut de Musique Liturgique de la rue d’Assas.

Denis Havard de la Montagne (1985)

 

 

Quelques souvenirs sur la Madeleine...

Fichier MP3 Jean-Baptiste Lully, Marche royale, trompes de chasse et orgue, église de La Madeleine, Paris 8°,
concert de la série "Une heure de musique" de Joachim Havard de la Montagne, 25 octobre 1983,
avec Le Rallye Dampierre et Jean Villetard à l'orgue de chœur
(© enregistrement : Denis Havard de la Montagne)


Jean Villetard à son orgue de chœur de l'église de la Madeleine qu'il toucha durant 45 ans, 25 octobre 1983
( avec l'aimable autorisation de Mme Simone Villetard )

Mon prédécesseur à la Madeleine était André Simon. Quel brave homme! Sa vue étant gravement atteinte, il ne pouvait plus lire la musique au pupitre. Il faisait encore les petits convois qu'il pouvait accompagner par cœur, mais c'est Joseph Civil qui assurait la grand’Messe au petit orgue. Celui-ci, qui avait été mon premier professeur d'orgue, était alors organiste de chœur à St François-Xavier, et les heures des offices le permettant, il avait accepté de remplacer provisoirement Simon en attendant de trouver un organiste définitif. Jean de Valois était alors maître de chapelle. Lui aussi avait été mon professeur de chant grégorien, d'accompagnement du grégorien et d'analyse rythmique. C'était un érudit de la plus haute valeur en musicologie et je lui dois beaucoup. Il me proposa de poser ma candidature auprès du chanoine Raffin qui l'accepta, et c'est ainsi que je quittais la petite église protestante (la Chapelle du Nord) où j'étais organiste depuis environ sept ou huit ans, pour entrer à la Madeleine sans l'avoir voulu ! C'était vers juillet I944.

A cette époque, c'était Edouard Mignan qui était au grand orgue et avec lequel j'eus toujours d'excellentes relations. La maîtrise se composait de neuf ou dix chanteurs, tous professionnels, mais distribués en trois voix : soprani, ténors et basses. Musicalement c'était absurde et cela limitait considérablement le répertoire; mais les habitudes ont la vie dure et c'était comme cela depuis longtemps.

Quand Edouard Mignan prit sa retraite, Jeanne Demessieux lui succéda. Jusque là, je ne connaissais que de nom cette extraordinaire organiste. Quant à elle, elle ne me connaissait pas du tout, car nous arrivions de deux horizons différents. Mais d'emblée, nous nous entendîmes à merveille, car nous avions sur l'orgue, la musique et la liturgie les mêmes idées. Ce fut alors une collaboration dans une ambiance parfaitement musicale dont je garde toujours un souvenir émouvant, et qui me fut personnellement très précieuse.

Quand Jean de Valois fut contraint pour raisons de santé de quitter la Madeleine, c'est Guy Pernoo qui prit la direction de la maîtrise. Dès lors, avec l'aide du Père Martin qui fournit des chanteurs, la chorale s'étoffa avec enfin les quatre voix traditionnelles. Ce fut un changement radical dans le comportement de la maîtrise. Mais peu de temps après Guy Pernoo ayant dû résilier ses fonctions, le Père Popot qui était à ce moment curé appela pour le remplacer notre actuel et sympathique maître de chapelle Joachim Havard de la Montagne. C'était une vieille connaissance. Et étant de la même Ecole, nous ne pouvions que nous entendre parfaitement. J'avais connu sa femme, la regrettée Elisabeth, à la classe de contrepoint et fugue. Sous cette nouvelle et efficace direction j'ai assisté à la création des " Chœurs de la Madeleine " qui apporta à la maîtrise de l'église un souffle puissant. Ce qui est remarquable dans cette valeureuse phalange c’est la merveilleuse entente qui règne entre tous ses membres, qu'ils soient professionnels ou amateurs; et cela est vraiment l’œuvre de Joachim Havard de la Montagne.

En 1968, hélas, Jeanne Demessieux nous quittait, et j'en éprouvais un choc profond. Son successeur, Odile Pierre, n'avait pas malheureusement les mêmes qualités humaines, et je n'ai guère pu sympathiser avec elle. Puis encore un deuil. Elisabeth Havard de la Montagne disparaissait brusquement, laissant notre maître de chapelle dans une peine profonde. Il subit cette grande épreuve avec un courage digne d'admiration, et son activité lui permit de la surmonter.

Entre temps, Odile Pierre avait quitté la Madeleine, et l’arrivée de François-Henri Houbart apportait enfin une impression d'agréable fraîcheur. Sa parfaite courtoisie, son extrême gentillesse, son non moins grand talent furent accueillis par tous avec soulagement et sympathie. En ce qui me concerne, mes rapports avec lui sont ceux d'une sincère amitié et d'une parfaite collaboration.

Voilà l’aboutissement de mes quarante années passées au service du Seigneur et de notre patronne Ste Marie-Madeleine, avec certes, toutes mes imperfections, toutes mes fausses notes; mais il me reste la satisfaction d'avoir fait ce que j'ai pu et d’avoir assuré le service du petit orgue, et parfois du grand, avec régularité et bonne volonté et cela crée des liens, une sorte de seconde nature; j'ai l’impression de faire corps avec l'édifice ! Comme dit ma femme en simulant une pointe de jalousie : "La Madeleine, c'est ta maîtresse!" A quoi je lui réponds qu'une telle maîtresse est sans danger !

Jean Villetard (sept. 1984)      

Signature autographe de Jean Villetard
( coll. D.H.M. )

 


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