Dominique BLOT

(1912 – 1947)


 

 

 

Les membres de l'ensemble Ars Rediviva lors de sa création en 1935. De gauche à droite : Edmée Ortmans-Bach, violoniste (assise), Suzanne Meynieu, altiste (derrière), Claude Crussard, pianiste, claveciniste (debout), Dominique Blot, violoniste (assise), Jean Godard, violoniste (derrière), Yvonne Thibout, violoncelliste (assise) DR.
(Concert-Magazine, décembre 1935) DR.

Dominique Blot est née le 18 novembre 1912, à Crosne dans l’Essonne, 37 rue Masset (actuellement 37 avenue Jean Jaurès) à « La Ferme » dite de la Seigneurie ou Ferme de Seignelay, fille de l’artiste peintre, dessinateur et illustrateur Jacques Blot (1885-1960) et d’Yvonne Dusargues de Colombier (1891-1865). Son grand-père paternel, Eugène Blot (1857-1938), fabricant de bronzes d’art (entre autres ceux de Camille Claudel), éditeur d’art, collectionneur, marchand de tableaux, possédait une célèbre galerie située dans le très chic quartier de la Madeleine à Paris 8e (5 boulevard de la Madeleine). La vente de sa collection de tableaux qui s’était tenue le 10 mai 1906 à l’Hôtel Drouot comportait des œuvres de Cézanne, Corot, Degas, Gauguin, Manet, Monet, Renoir, Toulouse-Lautrec, Van Gogh, pour ne citer que les plus prestigieux.

 

La musique était déjà vénérée au sein de la famille Blot : les deux tantes de Dominique avaient entrepris des études musicales avec le pianiste et compositeur César Geloso (1867-1960, fils du peintre Francisco Geloso), membre du célèbre « Quatuor Geloso » et futur directeur du Conservatoire de Versailles : Claire Blot (1883-1966), pianiste puis harpiste (élève de Mme Tassu-Spencer au Conservatoire de Paris), femme de lettres, mariée en 1906 à Louis Thémalys (1874-1943), homme de lettres ; Denise Blot (1886-1962), pianiste, mariée en 1912 à Marc Semenoff (1884-1968), également homme de lettres, parents du chef d’orchestre et compositeur Ivan Semenoff (1917-1972). Ce sont assurément elles qui ont fait découvrir la musique à leur nièce. Celle-ci entra tout d’abord à la Schola cantorum à l’époque où elle était dirigée par Vincent d’Indy, puis rejoignit le Conservatoire national supérieur de musique pour y intégrer en 1930 la classe de violon d’André Tourret. Elle en ressortit en 1935 un 1er prix en poche.

Dominique Blot « au jeu intelligent et sûr », à peine sortie du Conservatoire fut engagée par Claude Crussard au sein de sa formation pour la musique ancienne Ars Rediviva. Ce groupement donnait ses premiers concerts en décembre 1935, avec des œuvres de Monterverdi, Cavalli, Schmelzer, Francoeur, Marini, Legrenzi, Cesti, Krieger, Scarlatti et Bach. Elle se produisait alors aux côtés d’Edmée Ormans-Bach (violon), Jean Godard (violon), Suzanne Meynieu (alto), Yvonne Thibout (violoncelle), Claude Crussard (piano) et pour l’occasion la cantatrice Maria Castellazzi-Bovy. La presse relevait dès le départ « l’art nuancé fait à la fois de brio et de demi-teintes de Mlle Dominique Blot dans une œuvre de Marini [Romance, Gaillarde et Courante pour violon solo, cordes et continuo] qu’elle a détaillée avec un charme infini » et « [son] interprétation parfaite techniquement et d’une grande noblesse d’accents d’une Sonate en ré mineur pour violon [de Bach] ». Un peu plus tard, en 1939, Michel-Léon Hirsch dans une critique d’un concert d’Ars Rediviva le 30 janvier, mettait en avant « la fine et sensible violoniste Mlle Dominique Blot, dont le rare talent se dépensa sans compter, pendant toute la soirée. » En 1941, c’est Arthur Honegger qui soulignait à son tour le jeu de « Mme Dominique Blot, violoniste au style pur, à la large et chaude sonorité. »

 

Dès cette époque, c’est principalement avec Ars Rediviva que Dominique Blot fait carrière, ainsi que le relate Bernard Gavoty en 1951, l’un des co-auteurs de l’ouvrage « Ars Rediviva… (1935-1947) » (Paris, La Boîte à musique) :

 

« […] Claude Crussard apprécia tout de suite cette musicienne douée d’un jugement libre et averti, d’un instinct sûr, d’une belle technique. Elle en fit sa grande collaboratrice, et pour connaître la carrière musicale de Dominique Blot nous n'avons qu'à suivre pas à pas le développement d’Ars Rediviva dont aucun concert ne se fit sans elle, tant en France qu’à l'étranger. Cette vie d’Ars Rediviva était devenue sa principale activité : elle était aimée de ses camarades et elle les aimait, leur sachant gré de l’ardeur et du soin qu’elles apportaient à l’accompagnement des œuvres qu’elle interprétait. Les répétitions avec elle, les concerts, les tournées, ce travail intense, ce mouvement l’enchantaient, ainsi que toutes les sympathies qui dans chaque pays naissaient sous ses pas, spécialement en Suisse, « sa seconde patrie ». Elle y donna, avec Clara Haskil, des séances de sonates (Bach, Mozart, Beethoven, Schumann, Fauré), comme à Paris, dans l'intimité, avec Claude Crussard, travaillant à fond avec elle, non seulement les œuvres destinées aux concerts d’Ars Rediviva, mais aussi les grands romantiques allemands et les contemporains, de Mozart à Brahms, Fauré et Prokofiev.

 

« Mais bientôt, avec le succès grandissant d’Ars Rediviva, Dominique Blot se consacra presque exclusivement aux œuvres dont Claude Crussard lui confiait les parties de soliste. Elle était fière d’être la seule à jouer et à posséder ces manuscrits qu’elle avait elle-même, après Claude Crussard, médités, éprouvés, annotés. Elle comptait à son répertoire plus de quarante œuvres : concertos ou sonates, toutes inédites, jamais entendues auparavant, où tout était à retrouver : nuances, coups d’archet, doigtés, sans aucun apport du passé pour guider l’exécutant.

 

« Sentant de plus en plus le besoin d’une technique poussée, pour mettre en valeur cette musique qu’elle aimait, elle alla travailler à plusieurs reprises avec Carl Flesch, puis avec le maître Kamensky. Elle acquit ainsi une technique d’archet remarquable qui la fit une de nos premières interprètes de musique ancienne, dont la simplicité et le dépouillement réclament une exécution d’autant plus parfaite. Elle entraîna avec elle chez Kamensky Edmée Ortmans-Bach.

 

Le Quintette d'Ars Rediviva au début des années 1940 : Claude Crussard (pianiste, claveciniste), Dominique Blot (violoniste), Edmée Ortmans-Bach (violoniste), Jacqueline Alliaume-Pariot (violoncelliste), Fernand Caratgé (flûtiste).
(France Soir, 4 février 1947) DR.

« C’est à cette perfection unie à la science vivante, au génie recréateur de Claude Crussard, que nous devons les heures inoubliables des concerts d’Ars Rediviva et ce qui nous reste d’Elles : cette belle collection de disques. […] Dominique Blot alliait une foi élevée à l’amour de la vie. Pour ceux qui eurent comme nous le privilège de sa chaude amitié, qui en reçurent les bienfaits, il semble maintenant que toute sa vie fut une préparation à cette fin prématurée : la recherche constante de la Vérité sous toutes ses formes, qui rejaillissait dans son art, si pur, simple et dépouillé d’artifice. Sa haute silhouette, couronnée de sa chevelure blonde, sa démarche rapide et légère, son regard riant et grave, son accueil simple et chaleureux nous resteront toujours présents. Et elle laisse derrière elle un sillage de souvenirs comme chacun, arrivé au terme de sa vie, en désirerait laisser. »

 

C’est avec ses collègues et amis musiciens de l’ensemble Ars Rediviva que Dominique Blot périt tragiquement  à l’âge de 34 ans dans l'accident d'avion Paris-Lisbonne, arrivé le 1er février 1947 au dessus de Sintra (Portugal, à l'époque: Cintra) et qui fit 14 autres victimes, dont 8 membres d’Ars Rediviva : Claude Crussard (née en 1893), pianiste, claveciniste et chef d'orchestre, musicologue, pionnière du renouveau baroque en France ; Bernard Coqueret (né en 1921), violoniste (ancien élève de Claude Touche au Conservatoire de Paris), chef d'orchestre, compositeur ; Monique Coqueret, née Brothier, violoniste, sœur de Jean-Jacques Brothier (1927-1979), conférencier aux JMF, metteur en scène, musicologue, nièce de la cantatrice Yvonne Brothier ; Edmée Ortmans-Bach, violoniste ; Sonia Lovis-Lhuissier, violoniste ; Jacqueline Alliaume-Pariot, violoncelliste et également membre du "Quintette Chailley-Richez" ; Monique Fournery-Deshays, flûtiste ; Claire Crussard, cousine de Claude Crussard et secrétaire de l'Ensemble.

 

Sa sœur cadette, Michèle Blot (1924-2005), violoniste, ancienne élève de Line Talluel au Conservatoire Musica (Prix d’honneur 1938), puis au Conservatoire national supérieur de musique 1er Prix de violon en 1941 dans la classe de Jules Boucherit, première lauréate du Concours Marguerite Long-Jacques Thibaud en 1943, qui fit carrière sous le nom de Michèle Auclair (patronyme de leur grand-mère maternelle), perpétua longtemps le souvenir de sa sœur. Elle fut mariée au compositeur Antoine Duhamel (1925-2014), puis au musicologue et producteur radio Armand Panigel (1920-1995).

 

Pour terminer cette esquisse biographique reproduisons ici ces quelques lignes retrouvées dans les notes de Dominique Blot, qui « constituent un programme qu’elle a merveilleusement accompli », rapportées par Bernard Gavoty (op. cit.)

 

« Ce soir comme bien des soirs, je sens d’une façon intense que seul tout ce qui mène à la vérité, à la pureté, à la lumière, mérite la réflexion, l’effort humain, la force de réalisation. Je ne veux vivre que dans cette voie. Je ne veux plus de ce laisser-aller facile qui mène à la décomposition de l’esprit, à la dissolution de mon vouloir.

 

Je veux que seul mon esprit dans un désir continu de construction, de perfectionnement, dirige tout mon être vers la Sagesse avec foi, courage et ferveur.

 

Qu’y a-t-il de plus certain que ce travail sur soi-même et pourquoi vivre, sans cela ?

 

Cette impression d’inutilité, de gaspillage est insupportable ; elle est due à la mollesse, au manque de persévérance. Que cette dernière vertu me soit donnée ! Que je puisse approcher la mort avec la certitude d’avoir grandi et élevé mon esprit, d’avoir apporté autour de moi de la joie et de la lumière...

 

Travailler — réfléchir — aimer — progresser en toutes choses... »

Denis Havard de la Montagne

avec la collaboration de Michèle Péaud-Lenoël

(janvier 2022)

L'accident, sur Aviation Safety Network


 

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