Pierrette Germain


 

(fragment photo J.A. Joubert, Soumensac, juillet 2017)

 

Pierrette Germain fut une des grandes voix de la radio française, une présence familière sur les ondes, pendant près de trente ans, pour les mélomanes des pays francophones. Depuis la RTF, devenue ORTF en 1964, puis Radio-France en 1974, ses émissions et autres présentations de concerts ou d’évènements divers furent des moments attendus, témoignant d’un âge glorieux de la radio où l’appétit de découverte, chez les auditeurs, était à son comble. Que ce soit dans le domaine de la création, en un temps où toutes les audaces étaient bienvenues, ou dans le champ encore insuffisamment défriché des musiques anciennes, et plus généralement des musiques à découvrir ou redécouvrir, elle accompagnait le mouvement, et souvent l’anticipait, avec une ferveur contagieuse et un désir insatiable de faire connaitre. Ces deux mots (de même que le « faire entendre ») reviennent sans cesse dans sa bouche dès qu’on évoque sa vocation militante au micro et hors micro, dont l’origine, à l’évidence, renvoie à sa mission première d’enseignante, quand elle associait naturellement l’amour de la musique et la passion pédagogique.

 

Pierrette Germain fut, en effet, professeur de l’Education Nationale aux lycées Hélène Boucher et Lamartine, et certains élèves, encore aujourd’hui, lui expriment leur reconnaissance pour avoir éveillé en eux l’intérêt pour la chose musicale. Ils se souviennent aussi qu’elle s’était investie totalement, notamment après 1968, dans des actions en faveur de l’éducation artistique, encore trop peu mise en avant, à ses yeux, au sein du cursus des études secondaires. C’est ainsi qu’elle suivit de près le projet des fameux « horaires aménagés », en particulier comme membre de la commission Edgar Faure qui préluda à leur création en 1969. Les travaux de ce comité eurent une influence certaine, contribuant à créer un meilleur équilibre, notamment pour les jeunes musiciens appelés à un avenir professionnel, dans le partage toujours délicat entre la pratique quotidienne de leur art et les impératifs d’une bonne formation générale.

 

Ses propres études l’avaient préparée à comprendre l’importance de telles initiatives des pouvoirs publics dans le chantier éducatif et à en mesurer les enjeux. Ses parents l’avaient sensibilisée très tôt à la nécessité de l’apprentissage artistique et n’avaient pas peu fait pour encourager sa curiosité (son père, pédagogue né, par ailleurs grand résistant et bon violoniste amateur, avait commencé sa carrière comme instituteur et fut par la suite attaché au cabinet de plusieurs ministres de l’Education Nationale, en même temps que Secrétaire général de l’Opéra de Paris). De fait, Pierrette Germain suivit une formation complète mais diversifiée : Histoire de l’Art avec André Chastel et Histoire de la Musique avec Jacques Chailley à la Sorbonne, puis avec Norbert Dufourcq au Conservatoire de Paris (premier prix en 1961), doctorat de 3ème cycle à l’Université Paris IV, sans préjudice d’une pratique du piano auprès de Lucette Descaves, de cours d’harmonie avec Henri Challan, et même de cours de chant (avec Jean Planel) et de théâtre au cours Simon, ces dernières activités préparant au mieux sa future carrière radiophonique. Parmi ses postes d’enseignante, qui couronnent ce parcours, mentionnons des cours d’Histoire de la Musique, en préparation de l’agrégation, à l’Université Paris X.

 

C’est toujours le même besoin de faire découvrir qui unit les deux branches de ses activités présentes et à venir, car les portes de la radio ne vont pas tarder à s’ouvrir, de même que des engagements pour des conférences. C’est à la suite d’un drame personnel (la mort de son mari, le grand baryton Pierre Germain, dans un accident de voiture) que ces nouvelles voies se sont imposées, selon ses dires, comme un complément nécessaire.

 

Au milieu des années 1960, Charles Chaynes et Marius Constant, directeurs de la chaine France-Musique (née du Club d’Essai animé par Jean Tardieu et France-Yvonne Bril) lui confient plusieurs émissions, certaines avec des thématiques illustrées par des disques, d’autres avec des artistes intervenants (« Au concert avec… »). Elle anime aussi « Carte blanche à la Critique », invitant Maurice Fleuret, Antoine Goléa, René Dumesnil, Marc Pincherle, Georges Léon, Jean Mistler… Enfin, ce fut « Musique à découvrir », certainement la réalisation à laquelle elle tient le plus : des concerts publics placés sous l’égide du service de la musique de chambre de l’ORTF (dirigé alors par Pierre Hasquenoph). Le mélange d’œuvres du passé, lointain ou proche, donna peu à peu une plus grande place aux compositeurs contemporains (Darius Milhaud, André Jolivet, Daniel-Lesur, Gilbert Amy, Alain Bancquart, Adrienne Clostre, Patrick Butin, André Bon, Betsy Jolas, François-Bernard Mâche, Michèle Reverdy, Nguyen Thien Dao, Roger Tessier, Philippe Hersant, Yoshihisa Taïra, Allain Gaussin…) Impossible de recenser tous les interprètes ayant prêté leur concours à l’émission-évènement ; citons tout de même les pianistes Noël Lee, Jay Gottlieb, Frédéric Aguessy, Danielle Bellick, Louis-Claude Thirion, Geneviève Ibanez, Martine Joste, les clavecinistes Elisabeth Chojnacka, Olivier Beaumont, les violonistes Annie Jodry, Antoine Goulard, Jacques Dejean, Devy Erlih (et aussi l’auteur de ces lignes)… et puis Marie-Claire Jamet, Denise Mégevand, Fabrice Pierre, Colette Lequien, Michel Arrignon, Christian Lardé, Roger Bourdin, ainsi que les ensembles « Fa », « Arpeggione », « Athenaeum »…

 

Il convient également de dire un mot sur certaines « opérations spéciales » pour France-Musique, des « directs » en provenance de différents lieux et diffusés pour la première fois en stéréophonie (on se souvient d’une participation à l’exercice de l’Orchestre Jean-François Paillard). Citons aussi « France-Musique reçoit… » (ouverture au public des studios et salles de concert de la radio) et enfin d’une mémorable série, s’étalant sur une semaine entière, consacrée à la Schola Cantorum.

 

Pour France-Culture, Guy Erismann lui commanda des reportages sur la pédagogie et la vie musicale de certains pays, comme la Hongrie (la méthode Kodaly), la Roumanie (rencontre avec Georges Manoliu, disciple d’Enesco et directeur du Conservatoire de Bucarest), le Danemark… A Amiens, en 1967, elle prit part à la mise en place d’un colloque sur la musique dans le système éducatif, avec le recteur Robert Mallet, le professeur Sivadon et la maitrise de Radio-France. Elle fera un excellent reportage sur l’évènement qui s’accordait si bien à ses attentes et à ses espoirs. Enfin, elle évoque toujours avec émotion trois heures d’entretiens avec Henri Dutilleux à l’occasion de ses 60 ans.

 

Plusieurs ouvrages ont vu le jour, comme Un demi-siècle de musique française, nourri par le souvenir de concerts à la radio, ou des essais biographiques, sur Jean-Jacques Werner et Adrienne Clostre (dont elle fut proche), Pierre Wissmer, Elsa Barraine, Louise Bertin et tout récemment Marguerite Canal. Ces dernières musiciennes rappellent que Pierrette Germain fut membre-fondatrice de « L’Association Femmes et Musique » créée en 1992 et qui publia chez Delatour-France plusieurs livres sur les compositrices françaises.

 

L’heure de la retraite a amplifié, comme il se doit, le travail et le goût de l’écriture, qui dépassent largement l’analyse musicologique. Ainsi Pierrette Germain a écrit des textes de mélodies et de livrets pour le compositeur André David, qu’elle avait épousé en 1975. Citons Le Chêne de Lumière qui fit l’objet d’un enregistrement sur CD (REM). Elle a écrit également Trame d’opéra (CD Marcal) avec le concours de Roger Boutry et d’Isabelle Aboulker, et un conte musical, La Bonne Voie, en collaboration avec Alain Weber. Mentionnons encore une interprétation, en tant que récitante, de Naufrage d’Antoine Tisné (REM), une manière de marier texte et musique qu’elle avait déjà mise en œuvre à la radio (par exemple dans la cantate L’Enfant et la Mer de Darius Milhaud, exécutée sur le mode d’un discours rythmé et étroitement associé au jeu des instrumentistes). Enfin, le pur plaisir d’écrire, avec ou sans support musical, a donné naissance à plusieurs nouvelles (Lena, ed. Zürfluh), des poèmes (Jeu de pommes, ed. Delatour), des essais (L’Opéra et la République, ed. Delatour) et des souvenirs sur ses proches qui toujours se rattachent à la musique et à la place du chant intérieur dans notre monde.

 

Alexis Galpérine

(mars 2023)

 

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