Extrait des Mémoires de Jean Henry (1910-2005)
10 juin 1944 : la tragédie d'Oradour-sur-Glane

Jean Henry durant la guerre de 1939-1945
Gilberte Henry et sa fille Michelle
Jean Henry durant la guerre de 1939-1945
( coll. Jean Henry )
Gilberte Henry et sa fille Michelle en 1942
( coll. famille Henry )

Les lignes qui suivent sont extraites des mémoires de Jean Henry, dont il a laissé un exemplaire manuscrit à chacun de ses six enfants. Mme Michèle Henry, l'une de ses cinq filles, nous a ouvert ses archives et a bien voulu nous confier une copie de son exemplaire en nous autorisant à le publier. Nous l'en remercions vivement.

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Gilberte Henry
Michelle Henry, à 2 ans
Gilberte Henry (22 ans) et sa fille Michelle (2 ans) massacrées à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944
( coll. famille Henry )

En mai 1944, à la suite des bombardements intensifs en région parisienne où la famille demeure, Gilberte Henry (22 ans) et leur fille Michelle (2 ans) partent se réfugier comme "évacuées volontaires" à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) chez la mère de Gilberte, Lucie Holot remariée Perette (54 ans), et son beau-père Louis Perette (47 ans). Originaires de Charly (Moselle), rebaptisée Charly-Oradour en mémoire des 44 habitants de cette ville qui périrent à Oradour où ils avaient été évacués, ils habitent dans l'immeuble Monier. Jean Henry accompagne en train sa femme et sa fille et séjourne quelques jours à Oradour. Le 10 juin 1944, il décide de rentrer à Sartrouville et prend le premier tramway du matin pour Limoges, mais tous les trains en partance pour Paris sont supprimés. Décidant de retourner à Oradour, il n'y parvient que le lendemain matin, en prenant le premier train pour Saint-Victurnien, puis parcourt à pied les 8 kilomètres qui le séparent d'Oradour...

 

11 juin 44 - Sans faire une seule rencontre je m'y rends seul et à pied,
me trouvant devant la ville tragiquement muette, gisant
douloureusement et dégageant l'horrible senteur brûlée de
ses ruines encore fumantes et désertes. Seul témoin de
cette désolation je monte à l'Eglise, découvrant au travers
de son portail éventré les innombrables cadavres jonchant
les décombres de ferrailles et de pierres calcinées... Elles sont
toutes là, nos femmes et nos enfants pêle-mêle entassés
ou isolés dans un crispement d'agonie.

Fuyant cette insoutenable vision d'épouvante je découvre au
pied d'une statue de la Vierge noircie par les flammes, la
minuscule tête de l'enfant Jésus tombée seule au sol
dans l'épaisseur des cendres couvrant le sol. Pardon, mille fois
pardon je n'ai pu m'empêcher de la retirer inconsciemment de son linceul
blanchâtre et l'ai pieusement emportée, jurant de la garder
toute ma vie aux yeux de tous comme une relique douloureuse
unique témoin de mon malheur personnel. (C'était sans m'en
rendre compte à ce jour, la sauvegarder de l'opération de mise
en fosse commune des victimes calcinées effectuée le lundi
12 juin par un commando allemand.) Quelques années plus tard
elle me fut volée par des mains inconnues pieuses ou profanes
ne m'en laissant que le souvenir gravé à tout jamais dans
le plus profond de mon âme. A ma mort je la destinais à
rejoindre Oradour ainsi que les deux aquarelles de l'Eglise
encore vivante et demandées à mon beau père, le peintre Louis Perette
après mon mariage et victime lui aussi et sa femme du massacre
de la cité. Puisse-t-elle retrouver un jour sa destination première!
Quittant ces lieux tragiques je me suis alors prudemment
hasardé dans le village désertique et n'y ai seulement rencontré
que Martial Mâchefer le cordonnier, errant et perdu comme moi-même
parmi les ruines amoncelées et les dépouilles humaines calcinées
à jamais.

Rejoignant Limoges j'y retrouve le Capitaine Delloue et sa
femme pour les mettre au courant de la situation et leur
décrire toute l'horreur de la situation présente. A la
préfecture s'organisait déjà les dispositions administratives
d'urgence pour la mise en place d'un service municipal
d'accueil permanent des familles sinistrées d'Oradour
et déléguait Monsieur Moreau comme Maire provisoire.
Ce dernier installe son bureau dans la maison un peu retirée
du bourg, à la sortie même et qui n'avait pas été brûlée par
les Allemands, son propriétaire Monsieur Puygrenier étant
absent pendant le massacre. J'y rejoins Monsieur Moreau et
lui apporte ma collaboration totale jusqu'au 22 juin devant
rejoindre enfin mon poste à Sartrouville avant la fin de l'année scolaire.

23 juin 44 – Ne pouvant à mon retour, ni cacher, ni taire mon désespoir
personnel je fus supposé divulguer par mes trop cruels témoignages
l'infâme barbarie de la Division allemande "Der Führer"
qui opérait en zone Sud et je dus, par prudence, m'expatrier
chez des amis à Uriage (Mr et Mme Picot épiciers) et descendre en
bicyclette jusqu'à Nice dans l'attente prudente de la prochaine
rentrée scolaire et d'enfin la libération!

 

Oradour-sur-Glane - L'église -  Photo Michel BaronOradour-sur-Glane - L'église - Photo Michel BaronOradour-sur-Glane - Les ruines du village - Photo Michel Baron

Photos Michel Baron

 

Site officiel de la Ville d'Oradour-sur-Glane : www.oradour-sur-glane.fr/
Site officiel du Centre de la Mémoire d'Oradour-sur-Glane : www.oradour.org/
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