Quelques glanes sur
Adolphe Marty, Albert Mahaut et Augustin Barié

trois anciens élèves de l'Institut National des Jeunes Aveugles de Paris (INJA)
et 1er Prix d'orgue du Conservatoire de Paris

 

 

 

Premiers organistes aveugles de la classe de César Franck et à obtenir un premier prix d'orgue au Conservatoire de Paris (1886 pour le premier, 1888 pour le second), Adolphe Marty et Albert Mahaut furent de fervents militants de la cause des non-voyants. Voici quelques éléments glanés sur ces deux pédagogues, compositeurs et virtuoses, notamment dans les périodiques de l'Association Valentin Haüy.

 

Adolphe Marty

Adolphe Marty, Communion, extrait des 10 Pièces en style libre pour grand-orgue, 1er livre, pièce n° 3
(Paris, A. Noël, éditeur, 1900/coll. Sibley Music Library, University of Rochester) DR.
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Adolphe Marty
(photo de presse, 1930) DR.


ADOLPHE MARTY
(Albi, 29 septembre 1865 - Valence-d'Albigeois, 28 octobre 1942). Premier prix d'orgue du CNSM (1886), prix du legs Nicodami (500 francs), officier d'Académie (1903), il est l'auteur de nombreuses inaugurations d'orgues : cathédrale d'Albi (1904, après les travaux de Puget), église Saint-Benoît de Castres (1922, orgue Puget, 33 jeux, 3 claviers) entre autres, et d'auditions : Institution des Jeunes Aveugles de Paris, Notre-Dame du Rosaire de Paris, Saint-François-Xavier de Paris (où il fut nommé titulaire en 1891 après un passage à Saint-Paul d'Orléans). Il fut également membre du jury de la classe d'orgue du Conservatoire de Paris à de nombreuses reprises et professeur d'orgue et d'harmonie à l'INJA (1888-1930). Compositeur, on lui doit des motets, pièces vocales religieuses, série de pièces pour orgue, pour harmonium, une Scène bretonne pour choeur et orchestre et une méthode de pédale pour l'orgue.

 

« Revue de presse » sur son action :

 

« — M. Adolphe Marty, 1er prix d'orgue du Conservatoire, professeur d'orgue et de composition à l'Institution Nationale, organiste du grand orgue de Saint-François-Xavier, vient de publier chez l'éditeur Félix Mackar : L'Art de la Pédale du grand orgue. Cet ouvrage unique en son genre, dédié à César Franck, a eu l'approbation dei plusieurs grands organistes de Paris. Il est imprimé en Braille à l'Institution Nationale. »

(Le Valentin Haüy, n° 6, juin 1891, p. 76) 

 

« De son côté, un autre aveugle, M. Adolphe Marty, professeur d'orgue et de composition à l'Institution nationale, organiste du grand orgue de Saint-François-Xavier à Paris, également 1er prix d'orgue au Conservatoire, a, dans le même but que M. Mahaut, son collègue et son ami, donné à Toulouse, Castres, Albi, etc., plusieurs auditions d'orgue qui ont eu un grand retentissement. Ces deux jeunes artistes, dont le répertoire est extrêmement varié, exécutent avec une aisance remarquable les œuvres les plus difficiles des Bach, Lemmens, Guilmant, Widor, Chauvet, etc. L'air varié pour pédale seule, de Louis Lebel, l'éminent et regretté organiste aveugle de Saint-Etienne-du-Mont, a fait partout l'admiration des dilettanti et du public qui entendait pour la première fois exécuter un morceau d'orgue rien qu'avec les pieds, l'organiste ayant les bras croisés. Cette vaillante campagne fait le plus grand honneur au talent et au dévouement de MM. Mahaut et Marty à qui tous les typhlophiles doivent dire merci. »

(Le Valentin Haüy, n° 10, octobre 1891, p. 122)

 

« C'est en 1876 que Victor Ballu avait songé à rendre pratique la lecture au doigt pour les chanteurs. Sa méthode ne fut généralisée à l'Institution Nationale que vers 1900. Adolphe Marty, en 1913, adapta le système au chant grégorien. C'est lui qui par son grand succès au concours d’orgue du Conservatoire de Paris en 1886, donna aux organistes le signal du déchiffrement du plain-chant. C'est en 1904 que M. Barrué, professeur à l'Institution Nationale comme Ballu, Person, Adolphe Marty, commença à faire déchiffrer ses élèves pour les instruments de cuivre à pistons. »

(Le Valentin Haüy, n° 2, juin 1922, p. 28)

 


Albert Mahaut

 

ALBERT MAHAUT (Saint-Léger-des-Vignes, 13 février 1867 – Rennes, mars 1943). Organiste de l'église Saint-Vincent-de-Paul à Paris, donnent de Nombreux concerts et conférences à travers toute la France et l'Europe : Alsace, Paris, Le Havre, Nancy, Rouen, Saint-Nazaire, Cologne, Liège, Genève... Rédacteur de nombreux articles relatifs au placement des musiciens aveugles. Auteur d'un livre de spiritualité Le chrétien, homme d'action (Paris, Perrin, 1920). Collaborateur dans la réalisation d'un système perfectionné de notation musicale à l'usage des aveugles. Membre du conseil d'administration de l'Association Valentin Haüy.

 

Albert Mahaut à l'orgue de l'INJA
(coll. Musée Valentin Haüy) DR.

« Revue de presse » sur son action :

 

« — M. Albert Mahaut, aveugle, premier prix d'orgue au Conservatoire de Paris, professeur d'harmonie à l'Institution nationale, a entrepris cette année une œuvre éminemment utile. Il a consacré ses vacances à un voyage de propagande ayant pour but de faire connaître les organistes aveugles, organisant partout où cela lui était possible de grandes auditions d'orgue pour lesquelles il faisait appel, lorsque les circonstances s'y prêtaient, au bienveillant concours de solistes aveugles de la ville ou des environs. Partout M. Mahaut a obtenu beaucoup de succès ; mais on peut signaler tout spécialement l'audition donnée à la Cathédrale de Moulins sur un magnifique orgue de Merklin et celle donnée à l'Eglise Saint-Louis de Grenoble à laquelle plus de deux mille personnes ont assisté. M. l'abbé Carat, curé de Saint-Louis, avait secondé la généreuse entreprise de M. Mahaut avec le plus bienveillant empressement, et, montant en chaire, il a, en termes excellents, montré à ses paroissiens que grâce aux progrès faits dans l'éducation des aveugles ceux-ci peuvent, lorsque la Providence les a doués pour la musique, devenir de véritables artistes et contribuer par leur talent à rehausser l'éclat des cérémonies religieuses. M. l'abbé Carat est un vrai typhlophile, il l'a prouvé dans cette circonstance et mérite ainsi que M. Mahaut la gratitude de tous les aveugles. »

(Le Valentin Haüy, n° 10, octobre 1891, p. 122)

 

« — La Société nationale d'Encouragement au progrès a décerné une médaille de vermeil à M. Albert Mahaut pour les services rendus par lui à la cause des aveugles, et des médailles d'argent à M. Balquet, chef de l'imprimerie à l'Institution nationale, et à M. Ravel, éditeur du Globe à Marseille, pour leurs perfectionnements dans l'outillage intellectuel des aveugles. »

(Le Valentin Haüy, n° 10, octobre 1910, p. 80)

 

« UN ARTISTE AVEUGLE BIENFAITEUR DES AVEUGLES

M. Albert Mahaut, aveugle presque de naissance, qui vient d'être décoré de la Légion d'honneur, pour services rendus à la cause des aveugles, a eu, jusqu'ici, et a, chaque jour, une vie si remarquablement active et féconde qu'il a paru utile de la retracer en quelques pages. C'est pour ses confrères, auxquels il se dévoue entièrement, un exemple d'énergie et d'intelligente ténacité. Cet exemple augmentera chez les typhlophiles la confiance en l'aptitude des aveugles à faire œuvre vraiment utile, là avoir une vie pleine et féconde. Il montre une fois de plus que la cécité, tout en étant une sérieuse entrave, n'est pas cependant un obstacle insurmontable dans bien des ordres d'activité pour une intelligence ouverte et une volonté forte.

 

M. Albert Mahaut, né à St-Léger-des-Vignes (Nièvre), en 1867, fut aveugle presque en naissant et n'eut jamais la perception complète de la lumière. Dès l'âge de cinq ans, ses parents lui firent apprendre le Braille ; à cet effet, une institutrice particulière s'enquit à Lyon des méthodes spéciales et initia son petit élève qui, avide d'apprendre, ne tarda pas à lire couramment. Il dévora tout ce qu'on put lui mettre sous les doigts, et dut se contenter d'ouvrages quelque peu sérieux pour son âge : les Fables de La Fontaine, l'Evangile de St Mathieu, l'Histoire de France de Guadet, sorte de chronologie très sèche. L'Histoire naturelle, surtout, retint son attention. A dix ans, il entrait à l'Institution nationale. De complexion délicate, il souffrit beaucoup de la rigueur de l'internat : le lever à 5 h. 1/2, le travail presque incessant pendant toute une journée, le dortoir où il eut froid, le réfectoire où on le forçait à manger, les récréations au milieu d'enfants bruyants et un peu rudes, tout cela lui fut douloureux. Là, le travail, la musique surtout, le captiva. Très heureusement doué : intelligence précoce, mémoire merveilleuse, aptitudes musicales au dessus de la moyenne, il fut un très brillant élève, remporta tous les prix de ses classes et termina ses études intellectuelles par l'obtention du brevet élémentaire à 16 ans. Parvenu à la classe d'orgue, il fut remarqué par César Franck qui présidait les concours de musique en fin d'année et qui l'admit à la classe du Conservatoire, où, dès la première année, il remporta le premier prix d'orgue (1889).

 

Albert Mahaut fut bientôt chargé des cours d'harmonie à l'Institution nationale, et successivement organiste de l'église de Meudon, puis de St-Pierre-de-Montrouge, enfin de St-Vincent-de-Paul à Paris. Mais ces fonctions fixes, déterminées, s'exerçant dans un cadre rigoureusement délimité, ne suffisaient pas à son activité et à son besoin d'initiative. Homme de cœur autant qu'artiste éminent, il voulait s'employer à faciliter davantage aux élèves sortant de l'Institution nationale l'utilisation de leur savoir. Pour cela, il conçoit le projet d'une vaste propagande qu'il rêve d'étendre à toute la France. De 1892 à 1897, il se fait connaître par une série d’auditions dans différentes villes, et s'efforce de donner plus d'ampleur à chaque nouvelle séance, les premières complètement gratuites et les autres au bénéfice de la Société de Placement et de Secours des anciens élèves de l'Institution nationale. Il est nommé membre du Comité de cette Société en 1890. Par ces auditions, il procura à l'Œuvre d'importantes recettes qui lui permirent d'augmenter son action ; on ne saurait oublier celle qu'il donna à la chapelle du Château de Versailles avec le concours des Chœurs de l'Institution nationale dont le succès fut très remarqué. En souvenir de son maître, César Franck, dont il possédait à fond l'œuvre d'orgue, il eut l'idée de vulgariser cette œuvre et donna, à cet effet, une série de concerts au Trocadéro. « Pendant près de quatre mois, dit-il, l'organisation de ces concerts me passionna. Il y eut un effort de publicité considérable. J'eus, en avril 1898, mon plus grand succès, ma plus grande joie d'interprète devant le public. Toute la presse s'y intéressa, et il m'est impossible de dire combien cette journée m'a été utile dans l'œuvre que j'avais entreprise ».

 

Ce beau talent d'organiste, il le consacra donc exclusivement à la propagande. S'il avait appliqué ses facultés si remarquables à se faire une carrière personnelle, M. Mahaut eut certainement pu avoir une brillante situation, mais il a placé plus haut son ambition. Quelques années après, il était nommé délégué du Comité de la Société de Placement et de Secours jadis créée par un autre aveugle, Jules Siou, qui fut, en son temps, également bienfaiteur des aveugles dans le même sens. Jamais fonction ne répondit mieux à son titre : M. Mahaut est devenu pour tout ce qui regarde le patronage actif l'âme de cette œuvre, et lui a donné un nouvel et puissant élan. Actuellement, plus de 160 élèves de l'Institution nationale lancés par ses soins vivent de leur art : l'élite gagne plus de 5.000 francs par an, tandis que la moyenne arrive à gagner de 1.500 à 3.000 fr. Pour atteindre à ce résultat, est-il besoin de dire qu'il donne le meilleur de sa vie ? Tous les loisirs que lui laissent ses cours, il les emploie à voyager, le plus souvent seul, dans toutes les directions, faisant plusieurs milliers de kilomètres de chemin de fer par an. Il organise, combine, enchevêtre dans le même voyage ; concerts, séances de propagande, visites d'écoles, voyages d'études de patronage, démarches de placement, etc. ; et non seulement son beau talent d'organiste lui ses merveilleusement pour donner confiance, mais encore, il se fait conférencier, et après avoir fait parler l'orgue, par une chaude allocution dont il a le secret, il achève la conquête. Muni d'adresses, de recommandations, qu'il excelle à se procurer, il se rend dans telle petite ville, sonde le terrain et doucement, prudemment, fait entrevoir l'utilité pour le pays d'avoir un professeur, un accordeur, ou bien il apprend le décès d'un organiste : aussitôt il accourt, voit le curé et les personnes influentes de la paroisse avant que l'on ait encore songé à remplacer le titulaire décédé. Sa parole, comme celle des convaincus, est persuasive : on l'écoute, on l'admire et l'on promet de s’intéresser aux jeunes musiciens ; ici, on procure une élève, là, des accords, ailleurs, on s'offre pour chercher une pension, un gîte pour le jeune débutant auquel il assure un appui moral si nécessaire à ceux qui entrent dans la vie.

RÉCITAL ALBERT MAHAUT

(in Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, édition du vendredi 26 mai 1922)

 

 

Il est quelques génies dont on ne saurait jamais parler dignement ; tout jugement sur eux qui n'est pas le jugement de leurs pairs parait sacrilège ; toute louange, même, est si ridiculement disproportionnée ! Il n’est, pour s’approcher d'eux, que le silence de la vénération, et l’humble soumission de l’amour. Franck est du nombre de ces génies, aussi ne tenterons-nous point de parler de sa musique, des sublimes compositions pour orgue qu’un de ses meilleurs élèves, répondant à l’appel de Mlle J.-F. Février[1], est venu dimanche nous révéler. Ceux qui les ont entendues n’ont pas besoin qu’on en ravive le souvenir émouvant ; et comment en donner une idée à ceux qui n’étaient pas là ? Mais ce que nous voudrions au moins essayer de dire, c’est la reconnaissance que nous devons à M. Mahaut pour les quelques moments inoubliables qu’il nous a fait vivre.

 

Lorsqu'on lit la musique de Franck, on rêve de l’entendre bien exécuter, telle que le maître l’a conçue ; mais, souvent, les meilleurs organistes reculent devant la difficulté de quelques-unes de ses œuvres, et c'est ainsi que, généralement, on ne jouit que par imagination de la Prière en ut dièse mineur, ou du Choral en mi. Grâce à M. Mahaut, nous les avons entendus dans toute leur ardente beauté ; et comment exprimer l’émotion presque trop vive, à peine supportable, que nous en avons ressentie ? C’était trop beau, trop surhumain... Et que dire du talent immense de M. Mahaut, de sa compréhension de l’œuvre de Franck, si parfaite qu’elle est une vraie communion, une identification totale de son âme avec l’âme de son maître bien-aimé ? De même que la surdité préserve Beethoven de bien des conversations vaines et ne laissa chanter pour lui que le songe intérieur, on pourrait croire que la cécité n’a fait que tendre un voile entre M. Mahaut el les futiles apparences de la vie de tous les jours ; elle ne gêne en rien la course agile et puissante de ses mains sur le clavier, et, grâce à elle, rien ne vient le distraire du colloque intérieur qu’il poursuit avec son maître, loin de nous. Violaine aveugle se réjouit parce que Dieu, désormais, ne lui est pas plus invisible que tout le reste ; et l’on sent que M. Mahaut, dans la sécurité et l’ardeur de sa foi, fait sienne la parole de la petite sainte de Claudel.

 

Le programme du concert de dimanche était entièrement composé d’œuvres de Franck, comme il convenait en l’année de son centenaire, ès la première pièce (Fantaisie en ut), nous avons reconnu en M. Mahaut un maître de l’orgue ; et cette impression n’a fait que croître à mesure que les grandes phrases sereines ou passionnées se déroulaient, amples, savamment ponctuées de très légers arrêts marquant toutes les étapes de la pensée musicale. Peut-être ce phrasé si logique, et en même temps libre et hardi comme un phrasé de violon, épousant avec une ardente souplesse tous les concours de l’idée, est-il une des principales caractéristiques du jeu de M. Mahaut, et un de ses grands charmes. En écoutant jouer ainsi la Prière en ut dièse mineur, on songe aux prières rythmées de Saint-Thomas d’Aquin, si brûlantes et, en même temps, d’une dialectique si serrée — oui, plus exactement, on y songe après. Sur le moment, on n’a plus le loisir de songer à rien et l’âme bouleversée ne peut que s’unir humblement, de loin, à l’admirable imploration.

 

Et quelle joie d’entendre résonner sous les voutes de notre vieille église, la fraîche et lumineuse Pastorale et le sublime Choral en mi ! Ce Choral est un des sommets de la musique d’orgue, et même de toute la musique, une des « dernières paroles » du Maître qui en acheva les annotations sur son lit de mort. « Pendant tonte la pièce, le Choral se fait », disait, Franck ; et en effet, la phrase sur laquelle l’œuvre entière repose n’est d’abord présentée que comme une conclusion à d’autres phrases mélodiques, comme une réponse tremblante et confiante à la fois ; c’est cependant elle qui, peu à peu, se fait jour, et éclate à la fin comme un grand cri de désir et de foi triomphante. Comment M. Mahaut arrive-t-il à faire sonner si nettement — en pleine force et sur une harmonie échangée — chacune des notes de l’arpège qui couronne l'œuvre ? C’est là le secret d’une registration fouillée jusque dans les plus petits détails et qui fait de l’orgue un instrument vraiment, expressif, et l’instrument de toutes les prières, de la plus confiante à la plus douloureuse

 

La Schola Cantorum dont la vitalité croît avec les années — phénomène bien rare chez les associations musicales — a contribué à l’éclat de ce splendide récital en interprétant quelques-uns des chœurs de Franche : l'Ange-gardien, la Vierge à la Crèche, le chœur final de Rébecca et le chœur des Anges, de Rédemption. Tout le monde ici connaît la Schola, tout le monde sait que lorsqu’il y a une belle œuvre à aider, un grand musicien à honorer, elle est là au premier rang, prête à donner généreusement le concours de ses voix à la fois si belles et si docilement fondues : une fois de plus n’a pu jouir de cet harmonieux ensemble à la fois puissant et délicat, et applaudir intérieurement ce style magnifique de l’interprétation donnée par la phalange de Mlle J.-F. Ferrier aux chœurs de Franche.

 

Le Salut qui a suivi le concert nous a permis d’entendre une fort, belle œuvre. Beata Mater (dialogue de voix et d’instruments à cordes, avec accompagnement d'orgues), de Mlle J.-F. Ferrier. Nous ne savons ce qu’il faut le plus admirer dans ce délicieux chef-d'œuvre de grâce et d’émotion ; la science profonde de la tessiture des voix et des instruments, la ligne si expressive de la mélodie, l’élégante simplicité des moyens qui arrivent, à un résultat si impressionnant, la meilleure louange que nous puissions donner à cette œuvre c’est qu’elle nous a paru belle même venant après les écrasants chefs-d’œuvre de Franche. Mais tout ce que nous pouvons en dire ne vaudra certainement pas pour Mlle Ferrier, les quelques mots d’admiration émue et spontanée que nous lui avons entendu adresser par Al. Mahaut lui-même.

 

Disons encore que la Schola a été fort bien secondée par des musiciens d’une grand talent et d’une charmante simplicité : Mlle Chévret[2], Mlle et M. Gérard[3], M. André Létang[4]. Ils ont droit à une part de la reconnaissance infinie que nous venons à ceux qui nous ont donné, dimanche, la plus pure, la plus profonde des joies.

 

Et cette joie n’était pas égoïste : de frêles âmes en recevront le rayonnement au dévouement du président de l’œuvre Catholique, des vacances à la campagne au zèle infatigable de M. Charles Lyonnet, le grand organiste pour les courts instants unissait son art et ainsi n’est-il pas profondément émouvant de penser que de la nuit sans aube du virtuose naissait la lumière pour les petits enfants de notre noire cité ?

 

(Transcription et numérisation DHM)

mai 2022



[1] Jeanne-France Ferrier (1881-1924), fondatrice et directrice de la Schola Saint-François d’Assise à Saint-Etienne (La présente note et les suivantes sont de la rédaction de Musica et Memoria).

[2] Louise Chevret, violon.

[3] Andrée Gérard, violoncelle, et N…Gérard, piano.

[4] André Létang, ancien élève de l’Ecole de musique Niedermeyer, professeur au Conservatoire de Saint-Etienne et organiste de la Grand’Eglise, où il avait succédé en 1907 à son père Désiré Létang qui avait également fait ses études musicales chez Niedermeyer.

 

Très habile dactylographe, il fait lui-même la majeure partie de son immense correspondance avec les clairvoyants et écrit, de ce chef, au moins deux mille lettres par an, sans parler de son énorme correspondance en Braille. Il reçoit, en moyenne, 15 lettres par jour, non compris les dépêches dont il fait un usage fréquent dans le but d'atteindre plus vite le poste vacant ou le candidat à y envoyer. Ce n'est pas tout que de pourvoir un aveugle d'une situation, mais faut-il encore l'aider à s'y maintenir. On peut bien dire que M. Mahaut a le doigté, le tact, presque le génie de cette mission délicate. Tel jeune homme manque de tenue, fréquente dans un milieu qui le fait déprécier, néglige son jeu à l'orgue ou se montre exigeant pour les hôtes chez qui il prend pension, que sais-je ? M. Mahaut écrit d 'abord, puis, pressentant une sorte de malentendu entre le musicien et la clientèle, accourt, voit par lui-même les causes du conflit et très souvent les fait disparaître. Si cela lui semble nécessaire, il déplace son protégé ; un autre milieu lui conviendra mieux ; c'est encore un enfant, il lui faut une situation où il n'aura pas d'initiative à prendre. Prévoir, pressentir et conjurer les fautes d'inexpérience ou de maladresse, telle est la raison ou une des raisons de son incroyable succès.

 

Est-il besoin d'ajouter que M. Mahaut exerce sur tous ses pupilles une influence morale des plus efficace, qui est pour beaucoup dans leur réussite. Il va sans dire que la Société de Placement et de Secours fournit les ressources nécessaires sans lesquels beaucoup de placements ne pourraient s'effectuer. Il a, depuis quelque temps, augmenté son champ d'action et pourvu de situations des élèves sortis d'autres écoles. Dans ce cas, l'Association Valentin Haüy fournit les subsides nécessaires. Pour cela, il a visité les écoles de province, s'est fait présenter les musiciens et accordeurs ayant fini leurs études afin de juger de leurs aptitudes et de les placer à bon escient. La vie de M. Mahaut est donc une vie de dévouement à une cause des plus attachantes : mettre l'aveugle à même de se suffire, et par un effort incessant, lui aplanir les difficultés inhérentes à sa situation. Pour réaliser un pareil labeur, il faut donner une somme de travail considérable qui semble dépasser les forces humaines. Obligé de faire ses nombreux voyages le plus rapidement possible, son temps étant toujours limité, il s'en suit un redoublement de fatigue et de difficultés. Mais M. Mahaut a l'inappréciable talent de faire rendre à une heure de labeur tout ce qu'elle peut donner. Il sait utiliser les circonstances, faire naître les occasions ; homme d'une idée, il a le don de tout subordonner à cette idée et de faire converger les faits les plus insignifiants aux besoins de la cause. En 1905, il organisait en Suisse et en Alsace une vaste campagne dont le succès artistique fait honneur à la cause des aveugles en France. C'est au nom de cette cause qu'il a fait, comme dernier élève de Franck, cette brillante série d'auditions d'orgue, et qu'il a écrit cette si chaude étude sur le Maître qu'on ne peut oublier quand on l'a lue. »

(Le Valentin Haüy, n° 10, octobre 1913, p. 73-76)

 

« les récitals d'orgue de M. Mahaut

La première audition à Alger, de M. Albert Mahaut, dans les oeuvres de César Franck, s'est produite chez M. Weddel, grand admirateur du maître, qui, déjà, en 1915, organisait, au profit, des oeuvres de guerre, un « Concert des Cent » dont le succès fut retentissant. Cette réunion dans la « chapelle » de M. Weddel, pleine à déborder, n'était sans doute qu'une prise de contact entre le merveilleux organiste que ses émules placent au niveau même de M. Widor, c'est-à-dire tout, à fait au sommet de l'art organistique, et le public d'Alger, si sensible aux choses de la musique, si épris de technique parfaite dans l'exécution musicale. Après Viardot, après Reuschel — j'en passe des plus notoires — voici Mahaut, artiste exceptionnel, élève de prédilection de César Franck, celui-là même qui reçut les dernières leçons et les confidences suprêmes du maître et qui, plus qu'aucun autre, apparaît apte à les exprimer dans l'oeuvre dont il s'est fait le scrupuleux interprète.

Cette façon de répétition générale a eu une première, dans un cadre digne de l'oeuvre et de l'exécutant : Saint-Charles de l'Agha, haute et profonde maison de prière. Une nombreuse assistance s'y pressait qui comptait le Tout-Alger artistique, industriel, commercial et mondain dans la bonne acceptation du mot. Spectacle réconfortant d'où il fut, permis d'augurer que la pensée de commisération et, de charité qui présida à l'organisation des auditions de M. Mahaut, « au profit des oeuvres des aveugles », sortirait de cette église, comblée des dons qui soulagent et accompagnée des dévouements et des affections qui consolent.

Il serait oiseux d'esquisser ici un commentaire de lui. Pareil tout à l'heure à, une, face de pierre, son visage, maintenant, s'anime d'une soudaine frénésie. Ses mains descendent sur les touches, ses mains aux doigts longs comme des tentacules aptes à, saisir les sons et qui sur la table d'harmonie poursuivent les combinaisons de rythmes et de cadences. Ses pieds entrent en action à leur tour. Tout son être vibre ; il semble qu'il soit devenu le prolongement intelligent de cette forêt sonore de fûts ou comme l'indispensable et mystérieux organe, enregistreur de sons et d'harmonie, qui manquait à, l'orgue pour exhaler ses cantiques et qui le met en action par son contact.

Quelle somme d'énergie, d'études et de facultés présuppose une technique aussi parfaite servie par une mémoire musicale qui rappelle la nuance, l'amplitude, le timbre e, tyrannise les aides de l'exécutant pour une admission de sons que seul le contrôle de la vue sur l'oreille, par la lecture du texte, semblerait, pouvoir évaluer à sa juste quantité.

On imagine, avec un tel interprète, la splendeur qui se dégage d'une fresque orchestrale, comme la « Grande Pièce symphonique en fa dièse » ; de « Prélude, fugue et variations » où, dans un cadre volontairement conventionnel et classique, évolue une inimité de rythmes d'une couleur si pittoresque, d'une allure tour à tour fougueuse et apaisée ; du « Final en si bémol », à travers lequel grondent et se déchaînent jusqu'au paroxysme, les ouragans de la symphonie ; de ce « Troisième Choral » en la, qui fut la dernière pensée de César Franck, laquelle y apparaît, portée sur les ailes l'oeuvre de Franck. Personne ne le discute ; il n'a plus que des admirateurs. Le maître liégeois aima son art passionnément. Le secret de son triomphe posthume, — car il fut, à peu près ignoré de son vivant — en ce qu'il eut respect de cet art, à un degré tel qu'au milieu de l'indifférence ou de l'hostilité, il garda la foi et le courage d'écrire pour lui-même, et pour la joie de quelques initiés, des oeuvres peu nombreuses, il est vrai, mais dont chacune est d'une perfection inégalée. Sa gloire est pure. Elle ne fut pas vénale, au rebours de tant d'autres. Aussi leur survivra-t-elle.

Devant l'interprète, le rôle du chroniqueur est moins malaisé.

M. Mahaut est aveugle de naissance. C'est le même homme hésitant qu'un enfant guide dans la rue et qui sans doute, comme tous ceux que cette infirmité en ferme dans une nuit tragique, tremble de tout ce que le hasard dresse d'imprévu devant ses pas. Mais le voilà devant l'instrument perfectionné et mystérieux dont il s'est approché en hésitant. Il caresse le clavier ; il s'assied ; il reconnaît les pédales, il catalogue les registres. Alors il semble qu'un Dieu descende en une émouvante poésie jusqu'aux cimes les plus élevées de l'art.

Exécutant prestigieux, M. Mahaut fut aussi, — le mérite n'est pas mince — accompagnateur discret, exact et précis. Cela permit à l'auditoire d'apprécier pleinement l'émission dramatique et la belle qualité de son du riche organe de Mlle Cuvelier, hier encore de l'Opéra d'Alger, dans un « Air de Noémie », de Ruth, et surtout dans cette prestigieuse « Procession » qui évoque, dans les vergers d'amandiers fleuris, par un matin lumineux de Rogations, une sortie de Dieu à travers les champs.

Il n'est que justice de placer Mlle Ruiz, soliste de la chorale Saint-Louis, tout à fait à côté de Mlle Cuvelier. L'autorité, la science du chant, Une voix de soprano fraîche, souple et étendue : tels furent les moyens que Mlle Ruiz utilisa au mieux dans l'exécution du « Panis Angelicus » le plus angélique qui ait été écrit clans une musique humaine.

Avec la collaboration intelligente et nuancée de la Chorale de Saint-Louis de l'Agha, dirigée magistralement par son chef, M. Siacci, la partie chorale présenta un intérêt tout aussi vif. Le Psaume 150, triomphal et magnifique ; le motet « Quae est ista » (soliste intelligent et sûr : M. Abadie) évoquèrent ces exécutions prestigieuses que la Schola Cantorum peut se permettre, avec un personnel certes plus nombreux mais qui n'est ni plus souple ni plus compréhensif.

Il fallait à cette magnifique séance d'art, une illustration par la parole. C'est à Mgr Pons, prédicateur éloquent, qu'il fut fait appel. Il sut trouver pour peindre la condition des aveugles, privés de la lumière qui, suivant l'a parole de Bossuet, est « la plus belle des créatures de Dieu » des accents émouvants qui touchèrent les coeurs et délièrent les bourses. De quelle générosité n'est en effet pas capable un auditoire conquis par le génie, exalté par la charité et sollicité en faveur des créatures humaines les plus dignes de pitié !

Il serait injuste d'oublier dans les remerciements qui sont dus, au nom des aveugles, à tous ceux qui ont pris part à l'organisation de cette réunion, M. Warot, procuré de l'Agha et ses collaborateurs immédiats, parmi lesquels M. Fourcaut, le talentueux organiste de Saint-Charles, qui fut d'une aide si précieuse à M. Mahaut, auquel il apporta un concours extrêmement efficace et qui se tint dans un effacement qui lui fait le plus grand honneur.           

Il ne nous reste qu'à souhaiter à M. Mahaut, réussite égale dans chacune des stations de la tournée qu'il compte entreprendre en Algérie, au profit des oeuvres des aveugles. »

Hubert Labadie-Lagrave [1874-1933]

(L'Afrique du Nord illustrée, n° 46, 17 avril 1920, p. 5-6)

 

« ALBERT MAHAUT

Il y a eu dix ans, le 19 mars, à six heures du matin, que l'âme d'Albert Mahaut a quitté la terre pour un monde meilleur. La veille, il avait reçu les derniers sacrements. Ayant, quelques mois avant, subi à Bourges une opération grave, il avait espéré retrouver la santé dans le calme et le repos d'une convalescence en cette capitale de la Bretagne qu'il aimait. Mais la guerre battait son plein et Rennes était alors toute en alertes et bombardements. Au lieu de remonter la pente, il la descendait un peu chaque jour ; ses forces déclinaient. Jusqu'à la fin, pourtant, il s'occupa des aveugles et correspondit avec son service de l'Association Valentin Haüy.

 

L'avant-veille de sa mort il écrivait son rapport annuel sur le placement des musiciens. Mais son poinçon lui tomba des mains avant qu'il ne l'ait achevé. Sa dernière parole fut : « Donnez-moi ma tablette ; il faut que j'écrive. » Il avait 66 ans. Plus de cinquante années de sa vie avaient été consacrées aux aveugles, aux musiciens particulièrement. Combien de générations d'élèves de l'Institution Nationale, puis de toutes les écoles d'aveugles, lui durent leur place ; leur gagne-pain et souvent une carrière artistique !

 

Il ne redoutait aucune peine, aucune fatigue ; il prenait le train et, tout seul, à ses frais, parcourait la France. Il combinait ses récitals d'orgue, ses visites aux aveugles, ses relations avec ses amis voyants, les uns servaient aux autres. Son cerveau et son cœur les contenaient tous. Il n'oubliait personne et chacun avait l'impression de le posséder pour soi. Extrêmement clairvoyant, il avait le don de lire dans les âmes. Il voyait clair en lui-même, il voyait clair dans les autres. Son indulgence très grande ne lui cachait pas les insuffisances et les défauts auxquels il s'efforçait de remédier. Cette perspicacité lui permettait de réussir dans ses placements, mieux que personne : mettre chacun à la place qui lui convenait. Et cela n'allait pas tout seul !

 

Souvent, il lui fallait revenir, réparer, redresser, opérer des changements. Maurice de la Sizeranne qui s'y connaissait en hommes, avait fondé de grands espoirs sur Albert Mahaut. Alors qu'il n'était qu'un très jeune professeur de l'Institution Nationale, il l'envoya pour la première fois en mission : « Il y a une place d'organiste à C... Il faut y aller voir. » Albert Mahaut partit, traversa la France et arriva trop tard, la place était prise ! Mais il fit la connaissance du Curé, de l'Evêque, de bien d'autres, se fit entendre à l'orgue, força l'admiration, la sympathie et, ce qu'il avait semé, il le récolta dans la suite. Il devint, à travers le monde, une aide et une force. Activité ordonnée et féconde. Il travaillait tard, presque jusqu'à minuit. Sa correspondance était considérable. Il faisait ses plans, combinait ses voyages longtemps à l'avance, rien n'était laissé au hasard, encore moins au caprice.

 

Il avait établi sa vie sur une base solide, sur un roc immuable et c'était la raison de tant de sérénité : Sérénité dans les événements, sérénité dans les succès et aussi dans les échecs. Il put souffrir de certains mouvements qui se dessinaient chez des aveugles. Il n'était pas fait pour des luttes politiques ni pour l'atmosphère de réunions publiques. Mais aucune attaque ne l'abattit jamais ni ne le découragea. Il dit une fois : « Quand même je serais seul, il me semble qu'appuyé sur l'Eternel, je pourrais encore tenir debout et faire du bien. » Il était vraiment l'ami et le père des musiciens ; il devint celui de tous les aveugles en se vouant à la création des Groupes de province de l'Association Valentin Haüy. - En vérité, Albert Mahaut a Vécu complètement son livre Le Chrétien Homme d'Action. Comme l'a écrit son préfacier : « L'action n'est pas un moyen divertissant et turbulent de vivre sa vie. Elle suppose certains détachements ; elle réclame des mortifications, des amputations, des sacrifices, et ceux qui pratiquent la vie d'action comme une sorte de jeu, méconnaissent qu'à la racine de toute action féconde il y a indispensablement un effort d'ascétisme... Avoir le sentiment de la divine présence tellement que vous en viviez l'efficacité et que vous vous sentiez vraiment en parfait équilibre, en harmonie avec vous-même et avec l'univers. C'est votre secret. »

 

L'action d'Albert Mahaut a été considérable. Les innombrables aveugles qu'il a guidés, soutenus, placés, et les amis voyants voués à sa grande Œuvre, ont senti profondément le vide que sa mort a causé. Au bout de dix années écoulées, il semble que ce vide se mesure davantage. Dans les difficultés actuelles, son souvenir au lieu de s'effacer devient de plus en plus radieux. Nous en avons des témoignages chaque jour. Puissent les continuateurs de son œuvre trouver dans son exemple la lumière et la force, et les aveugles sentir encore sa protection, en s'efforçant de rester dignes de lui. Qu'ils ne cessent d'entendre cette voix prenante qui dit jadis aux jeunes hommes de demain : « La cécité est une épreuve que nous devons bénir, en nous obligeant à décupler l'effort, elle nous aide à élever nos âmes. Si vous n'êtes des caractères fortement trempés, mes amis, si vous ne prenez la vie très au sérieux, préparés à déployer les forces vives de votre être, vous ne serez pas les dignes fils de cette Ecole. Travaillez donc à devenir virils. Ecoutez ce que je vais dire de vos devanciers, vous appliquant à ressembler aux meilleurs d'entre eux. Et quand, plus tard, j'aurai à rendre compte de vos efforts, à vous, donnez-moi la satisfaction de pouvoir dire : Ce sont des hommes, ils ont vaincu par leur labeur, par leur indomptable énergie.

E. DE GEYER.

(Le Louis Braille, n° 35, 1953, p. 1-2)

 

« FORMATION PROFESSIONNELLE ET TRAVAIL

Dans le livre qu'ils ont consacré en 1925 à l'Association Valentin Haüy et à son extension en province, Albert Mahaut et Elisabeth de Geyer, deux de nos collègues au Conseil d'Administration ont écrit : « Le travail, c'est la lumière de l'aveugle. Le faire vivre par son labeur le plus complètement possible, assurer ainsi son indépendance et sa dignité, c'est l'ambition de notre œuvre. Elle ne la réalisera qu'au moyen d'amis très nombreux, très zélés et très compétents. »

(Le Louis Braille, n° 64, 1958, p. 3)

 

« ACTION SOCIALE

Notre action dans ce domaine est exercée par un nombre important de collaborateurs bénévoles et de sympathisants dont les activités sont coordonnées avec celles du Service Social. Des Comités prolongent l'action du siège social dans 54 départements. Maurice de la Sizeranne et Albert Mahaut, les promoteurs de cette expansion en province, ont voulu que l'Association soit à même d'apporter aux aveugles, non seulement une aide matérielle efficace, mais aussi le concours, le soutien d'une présence amie, prête à se manifester au premier appel, capable de contribuer au reclassement professionnel et social des non-voyants. »

(Le Louis Braille, n° 88, 1962, p. 2)

 

« Vingtième Anniversaire

C'est le 19 mars 1943 que parvenait à l'Association Valentin Haüy la nouvelle du décès d'Albert MAHAUT. Ses obsèques avaient lieu le 23 mars, à Rennes ou il s'était réfugié en juin 1940, pensant pouvoir exercer avec plus d'efficacité, en zone libre, le service de patronage dont il avait la charge ; mais hélas ! l'invasion devait toucher son refuge quelques jours après son installation. Depuis un certain temps, sa disparition était redoutée ; pourtant la réalité de sa mort n'en fut pas moins cruellement ressentie, car chacun avait bien conscience que le monde des aveugles venait d'être amputé d'un membre irremplaçable. Pour nombre d'entre nous, le nom d'Albert MAHAUT évoque une personnalité d'exception à laquelle nous demeurons toujours très fidèlement attachés, mais il est à peine connu des plus jeunes, et ce serait trahir sa mémoire que de ne pas évoquer à leur intention les grands traits de ce caractère magnifique en donnant un aperçu du bien immense qu'il a apporté à la cause des aveugles.

 

Né le 13 février 1867, à Saint-Léger-des-Vignes dans la Nièvre, il eut le bonheur d'avoir des parents qui s'inquiétèrent très tôt de son initiation au braille et de son instruction. Quand il entra à l'Institution Nationale en octobre 1876, il était très bien préparé à sa scolarité. Il fut un élève très brillant, réussissant aussi bien dans les classes d'enseignement général que dans celles de musique. Ses dons étaient exceptionnels, et bien qu'il n'ait pas poursuivi ses études intellectuelles au-delà du brevet élémentaire, c'était un fin lettré. En 1919, l'Académie Française couronnait un de ses ouvrages « Le chrétien homme d'action », qui fut traduit dans plusieurs langues. En 1889, il avait obtenu le premier prix d'orgue au Conservatoire National, dans la classe de César FRANCK. Il voua à son maître une vénération inlassable, publiant une analyse de son œuvre qu'il s'appliqua à faire connaître à l'occasion des nombreux concerts qu'il donna. En 1887, A. MAHAUT était nommé aspirant professeur à l'Institution Nationale, puis professeur en 1892.

 

Chargé tout d'abord d'une classe de piano, il fut désigné très tôt pour enseigner l'harmonie. Il s'occupait aussi de la division supérieure de solfège, et dans chacun de ces enseignements, il se montra très remarquable. En pédagogue averti, il avait admirablement compris de quelle manière les choses devaient être adaptées aux besoins des aveugles, et, si ses méthodes n'étaient pas strictement traditionnelles, elles étaient efficaces au maximum : elles permettaient à chaque élève de donner toute sa mesure. Outre les devoirs préparés en dehors de la classe, chacun devait réaliser spontanément de petites formules qui créaient des automatismes éminemment profitables au niveau des classes d'orgue, dans l'étude de l'improvisation. L'ambiance des cours était très agréable, car A. MAHAUT alliait à la distinction la plus raffinée une aimable autorité à laquelle on avait plaisir à se plier. Combien de professeurs méritent-ils à ce point la reconnaissance affectueuse de leurs élèves ? Maurice de la SIZERANNE avait découvert très vite les éminentes qualités du jeune maître de l'Institution Nationale, et -il l'engagea à s'occuper du placement des aveugles. Le grand cœur d'A. MAHAUT, sa remarquable intelligence et son talent- de premier ordre servirent alors de la manière la plus éclatante la réussite de sa nouvelle tâche.

 

Dans une lettre à « des aveugles sur l'aide mutuelle qu'ils peuvent se donner », publiée en 1891, toutes les idées du jeune animateur sont en germe. Il rêve de créer une grande famille où les forts épauleront les faibles, où les débutants seront suivis et conseillés, où tout sera mis en œuvre pour faciliter l'existence de ceux qui partagent la même infortune. Par la correspondance et par ses visites, il veut établir un lien solide avec ses patronnés et se trouver toujours auprès d'eux pour les secourir dans le malheur comme pour les encourager dans le succès. Pendant un demi-siècle, il devait parcourir inlassablement la France entière et même l'Afrique du Nord pour se tenir parole. Son courrier annuel se chiffrait par des milliers de lettres, tant en braille que dactylographiées, et il pouvait se flatter de ne rien ignorer de la vie de l'immense majorité des aveugles. Entré au Conseil d'Administration de la Société de Placement et de Secours en faveur des élèves de l'Institution Nationale, il y prit très vite une place prépondérante, et la quasi-totalité de ceux-ci lui devaient leur situation. Très tôt, d'ailleurs, il s'occupa également des élèves des écoles de, province et étendit sa sollicitude aux accordeurs comme aux ouvriers ; il devint vraiment la cheville ouvrière du placement de toutes les catégories de travailleurs. Doué d'un jugement très sûr, il appréciait les qualités ou les faiblesses des jeunes dont il s'occupait et s'efforçait de leur trouver le milieu qui avait le plus de chances de leur convenir. Tout le monde reconnaissait son autorité bienveillante, et ses propositions n'étaient pas discutées, car on ne pouvait douter qu'il ait étudié chaque cas dans les plus petits détails. Si malgré tout il constatait que la réalité démentait ses prévisions, il l'admettait loyalement et cherchait autre chose. Même si quelques aveugles considèrent qu'ils ne doivent leur situation qu'à eux-mêmes ; ils ne peuvent se refuser à admettre que l'intense propagande menée par A. MAHAUT a profité à tous, directement ou indirectement. Dès le début de son apostolat, il visita les curés, les évêques, les directeurs de pensionnats. Dans un nombre considérable de villes, il noua des relations avec la meilleure société. Animateur exceptionnel, il ne s'en tenait pas à des rapports prometteurs, il mobilisait tout le monde pour la cause qu'il défendait. Doué d'une grande facilité de parole, il savait convaincre ceux qui pouvaient douter des possibilités des aveugles, et réussissait même à leur communiquer son enthousiasme. Il entreprenait sans cesse de nouveaux voyages pour se rendre compte de l'évolution des situations déjà acquises, mais aussi pour entretenir l'ardeur des typhlophiles. Nous avons dit qu'A. MAHAUT avait obtenu, en 1889, un premier prix d'orgue au Conservatoire. Ce brillant succès lui ouvrait sans aucun doute une belle carrière de concertiste. En 1898, il donnait au Trocadéro l'audition intégrale de l'œuvre de son maître vénéré, et la presse lui accordait les louanges les plus flatteuses. Généreusement, il mit son talent au service de la propagande en faveur des musiciens aveugles et il fit entendre pendant toute sa vie l'œuvre de César FRANCK.

 

Son talent lui valut de nombreux amis qui devinrent des auxiliaires précieux pour la Société de Placement. Chaque fois qu'un débutant s'installait quelque part, on organisait un concert où, au milieu d'artistes aveugles, on lui réservait une participation au programme ; c'était très souvent, pour A. MAHAUT, l'occasion d'une conférence. Avec autant de conviction que de clarté, il défendait les aptitudes professionnelles de son protégé qui se trouvait ainsi distingué de la plus heureuse manière en prenant son poste. A cette époque, les lois sociales n'apportaient aucune aide aux travailleurs aveugles et les œuvres seules devaient soutenir pécuniairement leurs adhérents. L'activité déployée pour recueillir les fonds nécessaires devait être considérable, et chaque année des ventes de charité ou des concerts étaient organisés au bénéfice de la Société de Placement. Là encore, A. MAHAUT se dépensait sans compter car il connaissait mieux que personne l'importance des secours à apporter.  

 

En 1924, il faisait valoir ses droits à la retraite et il put alors se consacrer entièrement à l'Association Valentin Haüy dont il devint vice-président. Il réalisa enfin les filiales de notre œuvre, idée qui préoccupait depuis longtemps M. de la Sizeranne. Dès 1935, il pouvait dire : « En regardant la carte de France, nous constatons que les groupes de province couvrent maintenant plus de la moitié du territoire. » Le cadre limité de cet article ne permet pas d'évoquer tous les aspects de l'heureuse activité de ce grand bienfaiteur dont la disparition marque encore le monde des aveugles. Les musiciens surtout se sont peut-être sentis moins soutenus, et un doute, d'ailleurs injustifié, les assaille parfois quant à la rentabilité actuelle de leur profession. Au-delà de la tombe, l'exemple d'A. MAHAUT sert encore la cause des aveugles. Il a trouvé de dévoués et actifs continuateurs. Il est vrai que la tâche devient de plus en plus complexe et déborde parfois leurs possibilités. En ce sens, il serait souhaitable, ainsi que cela existe dans plusieurs pays étrangers, qu'un organisme chargé du placement des aveugles, et officiellement reconnu, vienne épauler leurs efforts. Les temps ont changé, et il faut certes s'adapter à de nouvelles conditions de vie ainsi qu'à une certaine évolution des individus. Par son travail immense, par ses dons et par son grand cœur, A. MAHAUT a animé pendant un demi-siècle les travailleurs aveugles. Il a sûrement rencontré des difficultés, mais il en a triomphé. Le zèle de ses continuateurs saura aussi vaincre les obstacles, et l'œuvre si généreusement commencée ne cessera de se développer.

G. RÉGULIER

(Le Louis Braille, n° 95, 1963, p. 1-4)

 

« Albert Mahaut voit le jour sous le Second Empire. Aveugle dès l'enfance, il entre à l'Institut national des jeunes aveugles en 1876. Treize ans plus tard (1889), il obtient un premier prix d'orgue au Conservatoire de Paris, dans la classe de Çésar Franck. En 1898, il sera le premier à donner en concert sur l'instrument du Trocadéro, l'intégralité de l'œuvre de son maître. On pouvait entendre régulièrement Albert Mahaut sur l'orgue de l'église Saint-Vincent de Paul à Paris. Professeur à l'Institut national des jeunes aveugles de 1887 à 1924, cet homme de cœur se dégage prématurément de ses obligations professionnelles pour se consacrer entièrement à la cause des musiciens et des accordeurs de pianos aveugles. Responsable de l'emploi à la Société de placement et de secours de l'Institut national des jeunes aveugles, avec la complicité de Maurice de la Sizeranne, dans les premières années de ce siècle, il installe son bureau rue Duroc. Ainsi peut-il prendre en compte, non seulement les anciens élèves du boulevard des Invalides, mais l'ensemble des sujets formés dans nos écoles spéciales publiques ou privées. Albert Mahaut met son talent et sa vaste culture au service des aveugles.

 

Grâce à des conférences au cours desquelles il invite le grand public à faire confiance aux travailleurs aveugles et à des récitals de propagande, il place les meilleurs sujets jusque dans les recoins les plus éloignés de l'hexagone. En 1924, il prend la direction des groupes de province de l'Association Valentin Haüy. Il crée de nouvelles antennes. On en dénombre un total de 40 en 1935. M. de la Sizeranne tenait son ancien condisciple en très haute estime. Il le fit entrer au conseil d'administration de l'Association Valentin Haüy en 1898. A partir de 1929, notre musicien participa aux réunions du bureau en qualité de vice-président. Albert Mahaut affirme sa foi dans un ouvrage intitulé "Le chrétien, homme d'action", ouvrage couronné par l'Académie Française. Homme d'action, assurément, l'auteur de ce livre le fut. Pour s'en convaincre, il eût suffi d'en appeler au témoignage des nombreux aveugles placés par ses soins dans la première moitié de ce siècle. »

(Le Valentin Haüy, n° 31, 1993, p. 5)

 

« Le bureau de placement,

Valentin Haüy a mis les aveugles au travail et ce n'est pas son moindre mérite. Ses successeurs ont eu la même ambition. Pour être plus efficaces et plus performants, ils ont fondé en 1849 la Société de Placement et de Secours des anciens élèves de l'Institut National des Jeunes Aveugles. Pourtant, il faudra attendre les toutes dernières années du XIXe siècle pour voir naître un véritable service de placement sous l'impulsion d'un aveugle, Albert Mahaut, organiste renommé, lauréat du Conservatoire de Paris dans la classe de César Franck, professeur à l'Institut National des Jeunes Aveugles avant de devenir administrateur, puis vice-président de l'Association Valentin Haüy. Encouragé et soutenu par Maurice de la Sizeranne qui le portait en haute estime, ce pionnier prend en main pendant près d'un demi-siècle le sort non seulement des anciens élèves de l'Institut National des Jeunes Aveugles, dans le cadre de la Société de Placement, mais, cette fois au nom de l'Association Valentin Haüy, de tous ceux qui sortent des écoles de province ou d'ailleurs. Cette étroite collaboration avec une organisation amie répond pleinement à l'esprit de nos statuts. On retrouve ici l'influence de notre fondateur qui a précisément créé son œuvre pour servir tous les aveugles sans distinction et pas seulement ceux qui fréquentent le boulevard des Invalides. Albert Mahaut place essentiellement des musiciens, des accordeurs de pianos et des travailleurs manuels.

 

En 1924 il prend prématurément sa retraite pour se consacrer entièrement à sa noble tâche. Il réussit à rassembler autour de lui une grande famille où les forts épaulent les faibles, où les débutants sont suivis et conseillés, où celui qui se retire est immédiatement remplacé, où tout est mis enfin en œuvre pour faciliter et améliorer les conditions d'existence de ceux qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Il prend contact avec les curés de paroisse, les directeurs et directrices d'établissements d'enseignement privé. Dans un grand nombre de villes, il donne des concerts de propagande et noue des relations avec la meilleure société. Ainsi peut-il offrir des situations confortables aux plus brillants, réservant aux moins doués des harmoniums dans des églises de campagne ou des places dans des pensionnats. Les filles, à cette époque généralement vouées au célibat, passent souvent leur existence dans ces pensionnats où elles partagent la vie de leurs élèves en dortoir et en réfectoire.

 

On a critiqué Albert Mahaut sur ce point. En fait, il épousait les idées de son temps sur la femme aveugle et, en toute logique, il proposait des solutions en harmonie avec ces idées. Pour asseoir son action sur des bases solides, Albert Mahaut multiplie les antennes provinciales du Siège, et, à ce titre, on peut le considérer comme le véritable père de nos groupes locaux ou régionaux. Certes, certains de ces groupes, et non des moindres, existaient depuis le début du siècle leur nombre néanmoins était restreint et leurs relations avec le Siège attendaient d'être institutionnalisée. Reconnaissons à Albert Mahaut le mérite de cette institutionnalisation. Après sa mort, on réorganise le service de placement. »

(Le Valentin Haüy, n° 50, 1998, p. 29).

 

Augustin Barié

 

AUGUSTIN BARIÉ (Paris, 15 septembre 1883 - Antony, 22 août 1915). Organiste aveugle, il a obtenu son premier prix d'orgue dans la classe d'Alexandre Guilmant en 1906, la même année que René Vierne et Joseph Bonnet. Auparavant, il avait commencé l'étude de l'orgue auprès d'Adolphe Marty, à l'Institution Nationale des Jeunes Aveugles. En 1906, il est nommé titulaire de l'orgue de l'église Saint-Germain-des-Prés de Paris. Il gardera ce poste jusqu'à sa mort prématurée en 1915. C'est André Marchal qui lui succédera. Durant sa courte carrière, Augustin Barié a composé quelques pièces pour orgue de grande valeur. Voici ce qu'en disaient les critiques musicaux de l'époque.

La classe d'orgue de Guilmant en 1905 - © collection Michel Boulnois
La classe d'orgue du Conservatoire de Paris en 1905 photographiée chez leur professeur à Meudon.
Assis : Alexandre Guilmant; au premier rang, de gauche à droite : Alexandre Cellier, Joseph Boulnois, Achille Philipp, Joseph Bonnet et Paul Fauchet; au deuxième rang: Augustin Barrié, Ermend Bonnal et Edouard Mignan.

( © collection Michel Boulnois )

 

Augustin Barié, Elégie pour orgue ou harmonium
(in Joseph Joubert, Les Maîtres contemporains de l'orgue, Paris, Sénart, 1912, vol. 1/coll. Max Méreaux) DR.
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Une Elégie en la mineur fait partie du premier volume des Maîtres contemporains de l'orgue de l'abbé Joubert, publié en 1912. L'année précédente, une série de Trois pièces dédiées à Marcel Dupré, Alexandre Guilmant et Joseph Bonnet paraissait :

 

« De M. Augustin Barié, trois pièces pour orgue : Marche, Lamento et Toccata »

(« Nouveautés musicales » in : Revue Musicale de Lyon, 15 juin 1911, p. 887).

 

Au sujet de ces trois pièces, voici un premier avis de critique dont on peut dire qu'il est pour le moins original et caustique :

 

« Le moins indigné ne dut pas être [...] M. Augustin Barié, auteur des trois pièces d'orgue dont il s'agit aujourd'hui. C'est en manière de protestation, sans aucun doute, qu'il entreprit de les écrire. Foin des galipettes éhontées ! Honneur à la pure, à l'immaculée réalisation quadruplement échelonnée sur la confortable assise du pédalier continu ! La Marche produit, soyez-en convaincus, un effet superbe. Les fidèles, pourvus de la messe, doivent, aux premières mesures de cette sortie, se sentir des fourmis dans les jambes ! La jeune mariée à laquelle au contraire la même composition aura été prodiguée en qualité d'entrée pressera le bras de son père en allongeant son pas gainé de virginal satin. Derrière elle, les privilégiés de la noce ayant bombé le torse, raidiront le jarret. En vérité, je vous le répète, l'effet sera des plus majestueux. La Marche emplira d'une sonorité allègre et triomphale les voûtes de la Basilique en fête. Et l'ombre de Mendelssohn, auteur – il me semble – d'une marche nocturnement estivale, concevra quelque fierté de ce que M. Augustin Barié n'ait point omis de commencer sa Marche – sa Marche à lui – sur l'harmonie de septième diminuée qu'on sait !

 

Pour ce qui est de Lamento, la seconde des Trois Pièces de M. Augustin Barié, la gambe et la voix céleste, la flûte harmonique et le bourdon de huit, vous assureront, dès les premières mesures, qu'il est d'un travail harmonique extrêmement parfait ! Vous aurez comme une prescience que l'organiste, sous une semelle paisible, presse l'une de ces vieilles basses des familles dont il convient de louer la logique et la belle santé. La Toccata, où les mains, tout à coup, lâchent sans façon les deux pieds tout penauds, n'est pas très éloignée – comme conception, s'entend – de celle du bon maître Widor. Elle sonne brillamment et je ne songe point à vous céder que c'est « de la belle ouvrage ! » Et voilà pour M. Augustin Barié, musicien savant et virtuose, sans doute, de la demi-douzaine de claviers superposés. »

(Louis Vuillemin, « Les publications musicales » in : Comoedia, 15 juin 1911, p. 2).

 

D'Augustin Barié, on retiendra également sa Symphonie pour orgue en si bémol mineur, écrite en 1907, publiée en 1911 et dédiée à son ami Louis Vierne. Voici ce qu'en disait le même critique :

 

« Composition tout à fait intéressante. Les différentes parties en sont :

Un Prélude. Après l'exposition faite par « la pédale » le manuale travaille assidûment. Pour finir, ritenuto, sur pédale, pardieu !

Une Fugue. Le thème, tiré de l'exposition précédente et rythmiquement transformé, subit, sans se plaindre, les obligations de rigueur en pareil cas.

Un Adagio. Expressif et joliment écrit, il semble, en outre, bien « instrumenté ». Son développement est savoureux.

Un Intermezzo. Gracieux comme il sied. Brillant également.

Un Finale. Sonore et d'un effet certain.

La Symphonie pour orgue de M. Augustin Barié mérite l'estime des virtuoses du pédalier et même celle des musiciens moins ingambes. »

(Louis Vuillemin, « Les publications musicales » in : Comoedia, 16 novembre 1911, p. 3).

 

A propos de cette belle symphonie, voici un autre commentaire plus tardif, extrait du Ménestrel :

 

« L'illustre maître Alexandre Guilmant avait, coutume de dire aux élèves et auditeurs de sa classe d'orgue et d’improvisation : « Allez écouter Barié à Saint-Germain-des-Prés. Vous verrez ce qu'est un organiste improvisateur. » Augustin Barié, élève de l'Institution nationale des Jeunes Aveugles, puis premier prix d'orgue du Conservatoire, est mort en 1915, à peine âgé de trente-deux ans. Il laissait, avec le souvenir de ses remarquables improvisations, quelques pièces d'orgue d'une rare qualité et une symphonie en cinq parties qui, par la beauté des idées, la solidité de la construction, la richesse tout orchestrale de l'écriture, la noblesse et la fantaisie de l'inspiration, rend plus cruelle à ceux qui l'ont connu et admiré sa disparition prématurée. Comme lui, grand improvisateur et grand virtuose, doué comme lui d'une vision supérieure, dans le domaine de l'expression et de l'émotion musicales, André Marchal, son successeur à Saint-Germain-des-Prés, exécutera le mardi 20 janvier, sur l'orgue Cavaillé-Coll de la salle Gaveau, la symphonie d'Augustin Barié.

B. M.

(Le Ménestrel, 16 janvier 1925, 87ème année, n° 3, p. 33).

 

Plusieurs organistes ont entrepris l'enregistrement de l'œuvre pour orgue d'Augustin Barié (notamment Marie-Thérèse Jehan et Véronique Le Guen).

 

Olivier Geoffroy

(déc. 2017, mise à jour avril 2021)

 

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