Denis Regnaud, organiste, claveciniste, professeur,
radiodiffuseur, mécène et pianiste



 

Denis Regnaud
(collection Michelle Quintal) DR.

 

par Michelle Quintal, organiste et auteur

 

 

« C’est à tort, quelquefois, que l’on s’imagine qu’une mort est prématurée.

Certains êtres sont marqués par le destin de telle manière que la vie,

pour brève qu’elle soit, est pourtant complètement achevée. »

(Rainer Maria Rilke)

 

 

Il était une fois un demi-voyant…

 

Son père joue du violon à l’oreille, toute la famille Regnaud fait de la musique. Né le 6 janvier 1945 à Saint-Hyacinthe, au Québec (Canada), Denis Regnaud devient à 6 ans interne à l’Institut Nazareth de Montréal. A 7 ans, il étudie le piano avec Berthe Rhéaume et le violon avec Jules Paiement. Après trois années de piano, il peut enfin commencer l’orgue avec Marcelle Désilets, s.g.m. sur un piano-pédalier. Ensuite, il a l’honneur de s’exercer sur le Casavant, 20 jeux, 3 claviers et pédalier de la chapelle, instrument dont les sons sont entendus dans toute l’institution. « C’était le cœur du lieu » me confiait Nicole Trudeau. A 11 ans, il travaille aussi le contrepoint et l’harmonie avec la compositrice Jeannine Vanier dont on chantait le « Regina caeli » pour 3 voix égales et orgue lors des cérémonies liturgiques. De 12 ans à 18 ans, à l’Institut Louis Braille, il continue l’écriture avec Henri Rhéaume ainsi que le piano avec Georges Lindsay. Cet ancien élève de Louis Vierne « avait une excellente technique « se souvient Denis. « De 1963 à 1965, à la faculté de musique de l’Université de Montréal, études d’orgue, de fugue, d’improvisation avec Françoise Aubut-Pratte, organiste qui jouait Messiaen de mémoire. Cette ancienne élève de Marcel Dupré transposait à vue les Sonates en trio de J.S. Bach et demandait à ses élèves d’en faire autant! De 1965 à 1967, avec l’organiste Bernard Lagacé, il découvre que « l’orgue est un instrument musical organique, en ce sens que comme tous les autres instruments, il a son mode d’expression » commente-t-il. Avec ce professeur, il travaille non seulement J.-S..Bach mais aussi Buxtehude, Clérambault, César Franck, Hindemith et Messiaen. Il bénéficie aussi des cours de Jean Papineau-Couture, de Josette Renshaw, de Massimo Rossi, de Jean Vallerand et de Maryvonne Kendergi. Denis Regnaud se souvient avec bonheur des cours de dictée musicale de Gabriel Cusson. Souvent, ce professeur lui demandait de ne pas répondre quand il posait une question afin de donner aux autres élèves la chance de chercher. Denis reconnaissait plus rapidement que les autres la hauteur et la durée des sons « si vous comprenez l’harmonie, cela ne peut-être que ça » disait Cusson avec son rire sonore. Il ne faut donc pas s’étonner de la facilité avec laquelle Denis Regnaud analysait à l’oreille les harmonies des lieders de Schumann dont je jouais les accompagnements tout en chantant les mélodies. Cette analyse m’aidait à préparer les cours d’écriture que je dispensais alors au Conservatoire de Trois-Rivières.

 

Suite à la recommandation de Clément Morin p.s.s. doyen de la faculté de musique de l’université de Montréal, ce jeune bachelier de 21 ans obtient une bourse de la Société autrichienne de Montréal qui lui permet, en 1967, d’aller étudier à l’Académie de musique de Vienne avec Anton Heiller. S’agit-il de la concrétisation d’un rêve? « Après avoir entendu jouer Anton Heiller lors d’un concert qu’il avait donné à la basilique de l’Oratoire Saint-Joseph dans les années soixante, je flottais, je n’avais qu’un désir, aller étudier avec lui. ». Ce musicien qui lui était inconnu jusqu’alors « m’a permis de réaliser que l’orgue est non seulement un instrument musical organique comme les autres instruments mais qu’un gigantesque musicien nous en fait même oublier les caractéristiques trop spécifiques (église, acoustique) indépendamment de tout, il nous fait pénétrer dans la musique pure. Ce n’est plus l’orgue que j’entendais, c’était une fabuleuse musique qui aurait pu naître d’un violon, d’un quatuor à cordes, le musicien transcendait son instrument ». Et Denis d’ajouter « il y a danger à étudier avec un musicien gigantesque, l’empire musical qu’il exerce sur l’étudiant est tel qu’il l’amène à un haut niveau d’exécution sans pourtant expliquer tous les moyens dont on doit se servir pour y arriver. Cependant quelles découvertes…et quel plaisir ! » Denis a aussi étudié le clavecin avec Ysolde Ahlgrimm. Pourquoi le clavecin ? « Je découvrais les musiques des XVII et XVIIII siècles. Peut-être à tort, croyais-je que le clavecin était complémentaire à l’orgue sur le plan technique et esthétique. Déjà, dans les années soixante, l’école clavecinistique d’Ahlgrimm était dépassée, mais quelle poétesse de la musique était cette dame! » Denis Regnaud a profité de son séjour européen pour aller, une fois par mois à Amsterdam, chez Gustav Leonhardt. Avec lui, à raison de 4 heures de leçon soit 2 heures le vendredi soir, 2 heures le samedi matin, il a travaillé Bach, Byrd, Louis Couperin, Frescobaldi, Froberger. Et Leonhardt ? « Un grand aristocrate de la musique ! Il m’a semblé que l’engagement émotionnel absolu d’Heiller est peut-être remplacé chez Leonhardt par un esthétisme qui paraîtra hautain pour certains mais d’une justesse et d’une efficacité sans pareil. » Au terme de ses études qu’il a pu prolonger jusqu’en 1972 et ce, grâce à des bourses du Ministère de l’Education de la province de Québec et du Conseil des Arts du Canada, Denis revient au pays avec un Diplompruhfung en clavecin (1971) et un Diplompruhfung avec mention excellence en orgue (1972).

 

 

Le Professeur :

 

De 1972 à 1980, à titre de chargé de cours pour la faculté de musique de l’Université de Montréal, il enseigne l’orgue, le clavecin et est responsable de l’atelier de musique baroque. Regnaud a un fort sentiment d’appartenance à cette institution dont il avait connu les débuts alors qu’il n’y avait qu’une vingtaine d’étudiants, en 1972, on en dénombre une centaine. La faculté dispose maintenant d’un orgue Tamburini à traction mécanique de 8 jeux disposés sur 2 claviers et pédalier et d’un orgue Guilbault-Thérien aussi à traction mécanique de 5 jeux, 2 claviers et pédalier. Avec ses collègues, il participe à l’élaboration de programmes spécialisés pour l’enseignement instrumental. Pendant un an, Denis enseigne le clavecin à l’Université d’Ottawa et au Cegep Saint-Laurent. En 1972, il est organiste liturgique à l’église de l’Assomption de Notre-Dame à Saint-Hyacinthe et de 1976 à 1979 à la cathédrale catholique irlandaise Saint-Patrick, à Montréal.

 

Denis Regnaud
(collection Michelle Quintal) DR.

 

Le Radiodiffuseur :

 

En 1980, il devient réalisateur pour les émissions musicales de la Société Radio-Canada à Moncton (Nouveau-Brunswick). Il nous explique cet ajout à son cheminement : « la radio faisait partie de mes intérêts, ayant fait de la radio communautaire à Montréal. L’enthousiasme de Jacques Boucher par rapport à son métier de réalisateur m’a sensibilisé à des aspects de la radio qui nous échappent en tant qu’auditeur, les prenant pour acquis. J’ai adoré les gens des provinces maritimes plus spécialement les Acadiens, étant donné que je travaillais à la radio française. J’ai réalisé des émissions de musique classique, de folklore, de jazz, de variétés et ce dans les 4 provinces de l’Atlantique : Terre-Neuve, Ile du Prince- Edouard, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse ainsi qu’aux Iles-de-la-Madeleine (Québec) ». Parallèlement à ce travail, il trouve le temps et l’énergie d’enseigner l’orgue pendant un an à l’Université de Moncton.

 

De retour à Montréal comme radiodiffuseur pour la Société Radio-Canada, il met sur pied « Tribune de l’orgue » et se promène dans la belle province de 1984 à 1987 pour enregistrer des orgues dans des églises. Il réalise une quinzaine d’événements pour « Les Grands Concerts » dont en 1985 une série consacrée à J.S. Bach : orgue, cordes, cantates. « Je garde un souvenir mémorable de l’interprétation de l’Art de la Fugue par Bernard Lagacé à l’orgue Beckerath de l’Immaculée-Conception, de la performance remarquable de Denis Bédard sur ces mêmes orgues, jouant les transcriptions des concerti de Vivaldi faites par J.S.Bach , en alternance avec les originaux joués par les cordes, d’une « Soirée avec la famille Bach » à l’église Saint-Sacrement dont Jean-Pierre Pinson était l’animateur et le scénariste, d’une soirée au Redpath-Hall consacrée à certaines cantates de Bach chantées par Madeleine Jalbert alto, Geneviève Soly touchant l’orgue ainsi que de Geneviève Soly interprétant au clavecin certains Préludes et Fugues du Clavier bien tempéré alternant avec les transcriptions pour quatuor  à cordes que Mozart a faites de ces œuvres. J’ai aussi coordonné la « Journée Bach » réalisée par la radio le 21 mars 1985 alors que pendant 18 heures, nous avons diffusé des œuvres de Bach interprétées en direct par des musiciens d’ici dans diverses salles et églises de la région de Montréal, concerts produits par Radio-Canada. »  En 1986, il a commandé à Massimo Rossi un concerto de 20 minutes pour positif et orchestre à cordes. Dédiée à Denis Regnaud, cette œuvre a été jouée en concert par Geneviève Soly sur le positif de 8 jeux construit par Rossi et entendue par la suite, à l’émission « Les Grands Concerts » le 27 mars 1987.

 

 « Le métier de réalisateur fut pour moi une expérience fabuleuse. Avec des écouteurs sur les oreilles, on entend tout, on accède à une manière d’écouter différente de celle des auditeurs, on entretient un climat d’intimité avec l’interprète et la musique. Je jouais même un rôle actif, me permettant même quelquefois de suggérer des couleurs, des orientations… »

 

Denis Regnaud tient cependant à exercer le métier de musicien afin d’être en contact avec la musique vivante. De 1986 à 1992, il touche les orgues de la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes à Verdun (Casavant 1935, 3 claviers, 35 jeux, restauration Guilbault-Thérien 1978). Sous la direction d’Antoine Reboulot « un très grand musicien dans tout le sens du mot », il obtient un doctorat en interprétation clavecin de la faculté de musique de l’Université de Montréal, il y a interprété « Les Variations Goldberg » de J.S. Bach.

 

Nouveau défi : en janvier 1987, on lui offre le poste de directeur de la section musique du réseau FM de Radio-Canada. Denis résume ainsi son expérience : « J’ai travaillé avec des gens extraordinaires, j’ai fait ce que j’ai voulu ». En 1992, autre promotion, il est nommé directeur des productions musicales pour la radio de Radio-Canada, poste qu’il quittera en 1997 pour des raisons de santé. Au cours des années, il est demandé comme membre du jury pour le concours Prix d’Europe, pour les examens d’orgue des conservatoires de musique de la province et de la faculté de musique de l’Université McGill. Il fut aussi, de 1989 à 1992, président de la commission musique de la Communauté des radios publiques de langue française. Je me permets d’insérer ici un témoignage de François Page de la Radio Suisse Romande qui a travaillé avec Denis « Je garde de Denis l’image d’un homme d’une grande finesse, d’une force de la nature à sa manière, envers et contre tout, et d’un vrai humaniste, plein d’attention et de bonté, qui n’a eu de cesse de tout mettre en œuvre pour faire partager ses passions parmi lesquelles la musique tenait la première place. » À ce témoignage, s’ajoute celui de Gilles Cantagrel, organiste, écrivain, réalisateur : « Denis savait concilier l’intelligence et les doutes de l’âme sensible, et sans doute, sa cécité assumée, au point de ne rien laisser paraître, dans la plus grande dignité, a-t-elle contribué à l’intériorisation de son expérience. Artiste subtil et inspiré, homme d’une vaste culture et d’une admirable probité intellectuelle, il était dans la foulée des êtres qui comptent dans la vie de ceux qui ont le privilège de le côtoyer. »  De 1992 à 2000, Regnaud siège au comité du Conseil des Arts de la communauté urbaine de Montréal.

 

 

L’Interprète :

 

En tant que claveciniste et organiste, à l’instar de plusieurs de ses collègues, Regnaud a joué pour les différentes sociétés de concert de la province de Québec notamment à Montréal, Québec (intégrale Vierne), Rimouski, Repentigny (Festival de Lanaudière), Saint-Hyacinthe, Trois-Rivières, Iberville, mais aussi au Nouveau-Brunswick à Moncton, Edmundston, Fredericton, Lamèque et en Nouvelle-Ecosse à Wolfville. En Europe, en 1971, il se produit en Autriche dans la série des récitals de l’abbaye de Saint-Florian (orgue de Bruckner, 113 jeux). En Suisse, à Bienne, il participe au Festival international des jeunes organistes et donne 4 récitals d’orgue pour les écoles du Jura. Bernard Heiniger, organiste suisse, initiateur du Festival des Jeunes organistes nous présente ce musicien québécois ainsi : « Denis, qui voyait si mal mais souriait si généreusement… Assis à la console de l’orgue, il arrivait à nous faire oublier le mal qu’il avait eu à mémoriser les pages ardues qu’il restituait avec une musicalité à la hauteur de sa richesse humaine. »    À Florence, en Italie, il touche en décembre 1972, l’orgue du XVIIe siècle de l’église San Jacopo. « Denis Regnaud est un musicien de haut niveau » écrivait Pierre-Michel Bédard, critique au journal Le Nouvelliste après l’audition d’un concert orgue et clavecin donné par Denis le 27 novembre 1977 au Séminaire de Trois-Rivières pour Pro Organo (Mauricie). À mon tour, je garde en mémoire un concert de Denis au Beckerath de la Basilique de l’Oratoire-St-Joseph au cours duquel, il avait osé interpréter les Variations sur un récitatif op. 40 d’Arnold Schoenberg en pièce finale d’un programme consacré à la musique autrichienne. Quelle audace !! Ce musicien a joué fréquemment pour la radio notamment en 1980 sur le premier orgue italien à mécanique suspendue construit par Massimo Rossi. Il y interprétait Frescobaldi, Scarlatti et J.S. Bach en utilisant les 4 jeux de cet instrument.

 

Chez ALPEC, pour la série « Les orgues anciens du Québec » volume V, il a enregistré en 1979, Tallis, Byrd, Stanley, Muffat sur l’orgue Samuel Warren (1854) de l’église anglicane St Stephen’s à Chambly. De Louis Vierne, il a gravé en 1987 pour REM la Symphonie no 4 sur le Casavant de l’église Saint-Jean-Baptiste à Montréal. Du même auteur, il a interprété 24 pièces en style libre (avec Jacques Boucher) pour REM sur l’orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint-Sever (Landes).

 

Et une carrière ? « Je n’ai pas fait de carrière, j’ai joué tout simplement, et en y mettant tout ce que j’étais et tout ce que j’avais, du clavecin et de l’orgue et assez souvent en public. La raison est très simple, je ne disposais pas des moyens nécessaires pour répondre aux exigences de ce que l’on appelle une carrière. Une véritable carrière suppose à tout le moins, une planification, une confiance absolue en ses moyens et une volonté de conquête. Il ne faudrait pas croire que j’éprouve des regrets pour autant. Mes incertitudes ont au contraire nourri une immense curiosité qu’ont toujours éveillé en moi la musique et la façon de la faire, la musique étant pour moi une nourriture. J’ai toujours été convaincu que la musique « sérieuse », celle que l’on étudie dans les écoles, pour avoir un sens doit correspondre à une nécessité vitale tant pour la personne qui l’écoute que pour celle qui la fait. Avec les années, cette exigence m’a amené à me poser sérieusement la question du rapport de la technique instrumentale et de l’expression musicale comme tel. Depuis 2002, je travaille le piano sous la direction de Jean-Pascal Hamelin. J’accède enfin à des réponses aux multiples questions que je me pose depuis si longtemps. Je me contenterai de dire que l’expression « jouer un instrument » prend maintenant son sens, c’est- à –dire, se donner les moyens nécessaires afin que la notion de « Jeu » soit intimement intégrée à l’expression musicale. Ceci élimine l’idée fort répandue au moment de l’apprentissage, chez plusieurs musiciens et musiciennes de ma génération, du « presque combat » qu’il faut mener contre son instrument étant donné les difficultés qu’il nous impose. Les musiciens qui nous font accéder à cette « Nécessité vitale » de la musique dont je parlais plus haut, sont tous libérés des contingences techniques. Même si ma curiosité et l’amour de la musique ne m’avaient amené qu’à expérimenter, ne fût-ce que sous sa forme la plus rudimentaire, cette libération je n’aurai aucune raison d’éprouver le moindre regret, bien au contraire! Dans cette perspective, vous comprendrez que le mot carrière, comme on l’entend généralement, a bien peu de sens pour moi. »

 

En mars 2004, il enregistre sur le piano Fazioli de la chapelle historique du Bon-Pasteur à Montréal des œuvres de J.-S. Bach, J. Brahms, J. Haydn, F. Schubert. « Depuis 30 ans, je rêvais de revenir un jour au piano afin de découvrir le plaisir de « jouer » cet instrument. »

 

 

Le Bénévole :

 

À l’issue de ce reportage, j’ai appris que Denis Regnaud avait été, de 1999 à 2002, directeur de l’Union francophone des aveugles (UFA) et qu’à ce titre, en juin 2001, il a organisé à Casablanca (Maroc) la première assemblée générale où étaient présents des représentants de 21 pays francophones dont 15 pays africains. En collaboration avec l’ACDI, il a aussi mis sur pied à Dakar (Sénégal) en novembre 2001, un séminaire sur l’alphabétisation des aveugles en Afrique ainsi qu’une première rencontre de l’UFA à Montréal en octobre 2002.

 

Denis a collaboré avec enthousiasme à « Petite histoire sonore des Instituts Nazareth et Louis Braille », document audio publié en 2001 à l’occasion du 140e anniversaire de l’institution. Il a nettoyé les bandes originales, a sélectionné les extraits musicaux, a supervisé les techniques de repiquage.  Ce document, réalisé avec 3 autres personnes, illustre les réalisations des 60 dernières années. Il constitue un hommage aux individus qui ont contribué à la mise en place de services aux personnes ayant une déficience visuelle. Avec fierté, Denis m’informe que l’institut Nazareth a été considéré au XIXe siècle, comme le premier conservatoire de Montréal.

 

De 2001 à 2005, Regnaud a été président du conseil d’administration de la Magnétothèque, organisme à but non lucratif qui enregistre des livres en format audio pour des personnes qui ne peuvent lire. À ce titre, il a participé aux négociations pour le transfert des archives à la Bibliothèque et aux Archives Nationales du Québec. Avec Fernand Lindsay, c.s.v., fondateur du Camp musical de Lanaudière, Denis Regnaud a négocié une entente afin que de jeunes aveugles puissent participer à ce camp, entente concrétisée en 2005 et renouvelée en 2006. C’est ainsi que 5 jeunes non-voyants accompagnés par Michel Regnaud, frère de Denis, ont été plongés dans une atmosphère de musique et de plaisir avec d’autres jeunes voyants et ont appris le code de la musique en braille. Il faut dire qu’aujourd’hui les jeunes déficients visuels qui veulent étudier la musique ne bénéficient malheureusement plus de l’encadrement adapté et rigoureux qui a permis aux musiciens des générations précédentes tels Jeannine Vanier, Nicole Trudeau, Carol Bergeron, Denis Regnaud pour ne nommer que ceux-là, d’acquérir des connaissances solides et la maîtrise d’un instrument. En tant que participant aux travaux de la Fondation Cypihot-Ouellette (2001-2005), Denis a obtenu que cette dernière finance le séjour de ces jeunes dans le milieu d’apprentissage musical et culturel qu’est le camp musical du Lac Priscault.

 

 

Le Mécène :

 

A la faculté de musique de l’Université de Montréal, Denis Regnaud a légué son piano Steinway. Au cours d’une soirée-hommage (en collaboration avec Espace musique, la radio musicale de Radio-Canada) tenue le 6 décembre 2006 à la salle Claude Champagne de cette faculté, il y a eu concert de piano avec Jean-Pascal Hamelin, Marc Durand, Paul Stewart, Jimmy Brière, Paul Saulnier, Maneli Pirzadeh. On a profité de cette occasion pour créer le Fonds de bourses Denis Regnaud afin de perpétuer sa mémoire auprès des générations futures d’étudiants en clavier (piano, clavecin, orgue) et aussi d’étudiants ayant un handicap visuel. Ce concert enregistré par Radio-Canada a été diffusé le 08 janvier 2007 à Espace Musique. Jacques Boucher, doyen de la faculté de musique à cette époque et Georges Nicholson, animateur ont été les artisans de cet événement.

 

Depuis 2016, des musiciens, étudiant à la Faculté de musique de l’UdM, peuvent profiter de bourses provenant du Fonds Denis Regnaud, fonds enrichi de la contribution des Fondations Hector-Cypihot et Cypihot-Ouellette.

 

 

CONCLUSION

 

Denis nous a quittés à l’âge de 61 ans, le 14 juin 2006 à Montréal. En tant qu’interprète, professeur, radiodiffuseur, bénévole et mécène, il a servi la société des non-voyants et des voyants. Cet article a été rédigé suite à une entrevue qu’avec générosité, cet être hors de l’ordinaire m’a accordée en décembre 2005. Ses œuvres parlent d’elles-mêmes.

 

 

POINT D’ORGUE

 

En conclusion de ce panorama, je trouve pertinent de citer ce texte de l’organiste, radiodiffuseur Jacques Boucher, titulaire du grand orgue de l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal :

 

« Le professeur a principalement œuvré au sein de la faculté de musique de l’Université de Montréal, à laquelle il est demeuré attaché jusqu’à son décès. Il fut fidèle à ses collègues et à ses étudiants, qui furent au cœur de sa missive pédagogique, tout autant qu’à l’esprit facultaire. Cet héritage intellectuel et artistique reçu et nourri à la Faculté, a aussi été source d’angoisses pour le radiodiffuseur, qui devait adapter ses réflexions et sa pensée artistique au rythme quotidien et intangible de la radiophonie.

 

L’interprète qui s’est principalement exprimé à l’orgue – sa discographie en témoigne – jouait avec un égal raffinement le clavecin et le piano. Sa diction aux claviers de l’un ou de l’autre des instruments dont il fut entouré favorisait la transparence et une suprême distinction. Elle révélait, en fait, l’humain à la recherche d’un absolu artistique mais souvent torturé par les itinéraires empruntés.

 

Denis Regnaud, radiodiffuseur, a voulu d’une antenne qui témoigne avec fidélité de la vie musicale des régions du pays. Son séjour comme réalisateur en Acadie a été source d’émotions riches, de rencontres marquées par cet accent qui chante et sait émouvoir. Il est devenu un fils de l’Acadie et resta attaché et fidèle aux gens qui l’ont accueilli avec affection. À Montréal, ses travaux de réalisateur et de directeur des émissions musicales au sein de la Chaîne culturelle de la radio française de Radio-Canada auront, comme producteur, porté sur la diffusion de l’orgue, ses interprètes et son répertoire. Puis à la direction de l’antenne, dans l’esprit de la programmation déjà en place, Denis a travaillé avec le milieu musical de chez nous. Il a aussi souhaité intensifier la diffusion de concerts en direct dans des lieux excentrés de Montréal et des villes canadiennes où la radio assure une présence constante.

 

En juin 2006, nous avons dit adieu à un être d’exception. »

 

(janvier 2020)

Texte paru précédemment dans Mixtures, n° 26, avril 2007

 

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