CHARLES TOURNEMIRE
(1870 – 1939)

Repères biographiques



Charles Tournemire, vers 1903
Charles Tournemire, vers 1903
(cliché Otto, in Musica) DR.

Fichier MP3 Charles Tournemire, Sortie, op. 3 (Paris, A. Leduc, 1894) fichier audio par Max Méreaux (DR.)


C'est un grand musicien qu'une élite place parmi les maîtres, mais que sa réserve trop discrète, et peut-être sa nonchalance ont empêché de forcer l'attention du plus vaste public. Il s'est préoccupé d'édifier une œuvre, et a négligé de faire une carrière. Il n'a demandé qu'à sa force créatrice les satisfactions que d'autres sollicitent du succès et de la vanité. Il est un de ceux qui n'ameutent pas les foules de leur vivant, mais qui s'imposeront au souvenir et à l'admiration de la postérité.

André Delacour

Qui ne serait sensible à cette flamme romantique, à cette ironie tendre, à cette chaleur, à ce naïf et magnifique élan vers la chimère? Le style de Tournemire ne tient aucun compte des préjugés de la mode, harmonique ou instrumentale, d'aujourd'hui. Ce compositeur écrit et orchestre avec souplesse, opulence et plénitude...

Emile Vuillermoz

*

1870 :

* le 22 janvier à 16h00 au domicile de ses parents, 61 rue Paulin à Bordeaux, naissance de Charles Arnould Tournemire. Fils de Dominique Tournemire, employé de commerce, alors âgé de 28 ans, et de Marguerite Renard, 24 ans, il est issu d'une famille de commerçants installés à Bordeaux depuis plusieurs générations. Son grand-père, Jean-Pierre Tournemire (né en 1796) exerce la profession de chapelier. Sa sœur, Berthe Tournemire, née en 1877 à Narbonne, habitera longtemps à Arcachon, avenue Victor-Hugo, dans une maison baptisée « Villa Nittetis ».

1881 :

* à l'âge de 11 ans obtient un premier prix de piano (cours élémentaire) au Conservatoire de Bordeaux et est titulaire de l'orgue d'accompagnement de l'église Saint-Pierre de cette ville, là-même où Joseph Ermend Bonnal sera suppléant quelques années plus tard (1895-1897).

1884 :

* à 14 ans est nommé organiste-accompagnateur de l'église Saint-Seurin de Bordeaux, en même temps que son professeur de piano supérieur au Conservatoire de Bordeaux, Camille Doney, nommé lui titulaire du grand-orgue.

1885 :

* 1er prix de piano au Conservatoire de Bordeaux.

1886 :

* quitte sa ville natale pour s'installer à Paris. Prend des leçons particulières de piano auprès d'Henri Fissot.

1887 : au mois de novembre est admis dans la classe de piano supérieur de Charles de Bériot et fréquente aussi plus tard (1890) la classe d'harmonie d'Antoine Taudou.

1889 :

* entre dans la classe d'orgue et d'improvisation de César Franck, pour lequel il aura une très grande estime, le considérant comme son Maître, bien qu'il ne l'ait eu comme professeur que durant une année. En 1894, à propos d'un article paru dans la Gironde concernant le carnet de César Franck dans lequel il notait un grand nombre de thèmes qu'il considérait comme ses meilleures inspirations, Tournemire adressait cette lettre à son auteur :

Monsieur le Rédacteur,

Je viens de lire, dans « la Gironde » du 5 novembre, sous le titre Reliques, quelques lignes réclamant un trésor artistique, le petit carnet sur lequel César Franck écrivait à la hâte des embryons de composition musicale qui devenaient sous les doigts du maître, spontanément, de gigantesques conceptions musicales.

Je ne puis résister au désir de faire éprouver une joie vive à ceux qui s'intéressent réellement à lui qui est un des plus grands musiciens du siècle. Ce fameux carnet est en la possession de tous ceux qui suivirent son cours d'orgue et d'improvisation au Conservatoire de Paris, et, comme j'ai eu l'honneur de compter parmi ses élèves d'orgue, j'ai dans ma bibliothèque musicale ce petit recueil extrêmement curieux.

Que de spontanéité dans ces admirables thèmes mélodiques concentrés en quelques pages ! Franck ne les cherchait pas. Pendant une conversation avec des personnes amies, chez lui quelquefois, le plus souvent à sa tribune de Sainte-Clotilde, il s'interrompait, se recueillait, la tête toujours légèrement inclinée à droite, puis il écrivait quelques notes sur le petit carnet. Il sortait de cette méditation transformé, gigantesque, et il était alors incapable de reprendre la conversation ; il lui fallait son clavier. C'est alors qu'il était vraiment beau, et ceux qui, comme moi, ont assisté à ces manifestations du génie, n'oublieront pas les jouissances artistiques éprouvées dans,ces moments..

Et voilà quel était l'homme qui, toute sa vie, a été considéré comme un fuguiste extrêmement sec, incapable de créer une mélodie !

[in L'Ouest-artiste, revue hebdomadaire, n° 301-7 du 17 novembre 1894]

1890 :

* obtient un 1er accessit d'orgue, derrière Marie Prestat 1er Prix (pas de second Prix).

* mort de Franck le 8 novembre qui lui avait obtenu une place d'organiste à l'église Saint-Médard de la rue Mouffetard qu'il occupe jusqu'à la fin de 1891, laissant alors les claviers à Maurice Blazy.

1891 :

* 1er Prix d'orgue dans la classe de Widor (successeur de Franck) aux côtés de Georges Berger (1er accessit), Vierne et Jules Bouval (2e accessit), pas de second Prix. Le jury est composé de : Ambroise Thomas, Ernest Guiraud, Théodore Dubois, Henri Fissot, Henri Dallier, Gabriel Pierné, Raoul Pugno et Théodore Salomé.

* cette même année obtient aussi un 2e accessit d'harmonie et est le uppléant de Widor à Saint-Sulpice.

* à l'époque de ses études musicales, fréquente la Société Baudelaire située alors rue de la Chaussée-d'Antin dans le 9e arrondissement. Société savante, elle regroupe depuis sa fondation en 1876 bon nombre d'artistes et d'écrivains les plus en vu. Reçu plus tard officiellement en 1921, Tournemire sera l'un des contributeurs au Dictionnaire des mots, des idées et des hommes, connu sous le nom de Dictionnaire de la Société Baudelaire.

1891-1892 :

* service militaire du 10 novembre 1891 au 19 septembre 1892 à Bordeaux (classe 1890, matricule de recrutement 165) , dans le 144e Régiment d'Infanterie.

1892 :

* à son retour à Paris, est nommé organiste et professeur de piano au Collège des Jésuites. Situé 16 rue de Madrid, les bâtiments de cette école seront acquis par l'Etat en 1905, puis transformés en 1911 pour y installer le Conservatoire de musique et de déclamation, auparavant situé dans l'Hôtel des Menus-Plaisirs de la rue Bergère. Plus tard, Tournemire retournera dans ces locaux, cette fois comme professeur de musique de chambre.

1893 :

* le 12 avril au Palais d'hiver du Jardin d'Acclimatation, Festival Widor au cours duquel Tournemire tient l'orgue Cavaillé-Coll dans l'adagio de la 2ème Symphonie.

1894 :

* du 27 août au 23 septembre période d'exercice dans le 6e Régiment d'infanterie.

1895 :

* en janvier, sous le patronage de Widor, création d'une Société de musique de chambre par un groupe de jeunes compositeurs, parmi lesquels figurent Tournemire, Vierne, Libert et Eymieu, avec des séances le 5 de chaque mois à la Salle Erard. Les premières séances sont consacrées aux œuvres de Benjamin Godard, Widor, Lefebvre, Saint-Saëns, Hillemacher, Leborne, Eymieu, Tournemire (une Sonate), Vierne...

* novembre, Sonate pour violoncelle et piano, op. 5 (Janin, 1912), dédicacée aux violoncellistes André Hekking et Charles van Isterdaël, créée à Paris, salle Erard le 8 janvier 1896 par Francis Thibaud (violoncelle) et l'auteur au piano.

* habite à cette époque 126 Grande-rue de la République à Saint-Mandé (Val-de-Marne)

1896 :

* en mars, au concert de la Société des compositeurs « on y a surtout applaudi une fort intéressante Sonate pour piano et violon de M. Charles Tournemire, fort bien exécutée par l'auteur et M. Delaurens. » A cette même audition on peut également entendre notamment des compositions de Büsser (Le Sommeil de l'enfant, pour violon, harpe et orgue) et de Max d'Ollone (fragments d'un Requiem).

* en octobre, la Schola Cantorum ouvre ses portes avec Vincent d'Indy pour professeur de composition : Tourmemire ira parachever sa formation de compositeur.

1897 :

* en octobre concourt à la succession de Boëllmann au grand-orgue de l'église Saint-Vincent-de-Paul aux côtés de 12 autres candidats parmi lesquels on relève les noms de Vierne, Alexandre Georges, Guilmant, Charles Quef et Henri Büsser, mais c'est Albert Mahaut qui est retenu.

* en décembre, il est nommé à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où il est suppléé par Joseph Ermend Bonnal, mais ne reste que 6 mois à cette tribune.

* en décembre déménage pour résider 19 rue de Naples à Paris 8e.

C.E. Curinier, dans son Dictionnaire national des contemporains (5 vol., 1899-1918, Paris, Office général d'édition), volume III, p. 11, mentionne dans la notice consacrée à Tournemire qu'il a été successivement organiste à St-Médard, St-Nicolas-du-Chardonnet et St-Pierre-de-Montmarte avant Ste-Cloltide en 1898. Si, concernant les deux premières églises et la dernière, ces renseignements s'avèrent être exacts, pour ce qui est de St-Pierre-de-Montmartre cela n'a pu être vérifié à ce jour. Néanmoins, il n'est pas impossible que Tournemire ait été quelque temps organiste (suppléant ou accompagnateur) de cette paroisse vers 1895, avant St-Nicolas-du-Chardonnet, à l'époque où il était aussi l'organiste du collège des Jésuites de la rue de Madrid.

1898 :

* le jeudi 3 mars à Saint-Nicolas du Chardonnet : audition d'orgue avec le concours de MM. Eugène Lubet, premier ténor solo de Saint-Augustin, André Dulaurens, premier violon des Concerts Lamoureux et William Gousseau, maître de chapelle de la paroisse.

* le 23 avril, en compagnie de Victor Sieg, titulaire du grand-orgue, et Lemaître, l'organiste du choeur, réceptionne l'orgue de tribune de l'église Notre-Dame de Clignancourt (Paris 18e) restauré entièrement par J. Merklin et Cie : « M. Tournemire, a joué d'une manière vraiment remarquable plusieurs morceaux des grands maîtres et a fait apprécier avec talent les qualités de cet orgue important et beau. »

* au mois de mai, en concurrence avec 29 autres candidats, emporte le concours pour succéder à Gabriel Pierné, démissionnaire, au grand-orgue de l'église Sainte-Clotilde, poste qu'il va occuper durant 41 ans, jusqu'à son décès. Ne voulant jouer que les messes, il aura au fil des années de nombreux suppléants assurant le casuel : Joseph Ermend Bonnal (qui lui succède en tant que titulaire en décembre 1941), Roger Stiegler, Maurice Duruflé, André Fleury, Daniel Lesur, Henriette Puig-Roget, Antoine Reboulot, Bernard Piché et Bernard Schulé.

« Tous ceux qui fréquentent dans cette église admirent la poésie à la fois puissante et fraîche, savante et naïve, que leur dépense sans compter ce merveilleux poète de l'orgue, à qui il suffit de se laisser aller à son inspiration pour enchanter tout un auditoire et lui rappeler que la musique c'est la voix de Dieu qui emploie des moyens terrestres pour se manifester à l'homme. » (A. Delacour)

1899 :

* Officier d'Académie (J.O. du 27 février 1899, p. 1371).

1900 :

* en juin quitte la rue de Naples pour habiter non loin, 91 rue de Rome (Paris 17e).

* 1ère Symphonie « Romantique » en la majeur, op. 18 (Eschig), exécutée à la Société Nationale et à Marseille le 10 mars 1901.

* se produit à l'un des concerts officiels du Trocadéro lors de l'Exposition Universelle.

1902 :

* début de la composition de la 2ème Symphonie « Ouessant » en si majeur, op. 36, achevée en 1908, créée le 3 avril 1909 salle Gaveau à Paris, au sixième concert de la Société symphonique Hasselmans et éditée la même année par Eschig. Cette œuvre, ainsi que plusieurs autres à venir, a été écrite à l'île d'Ouessant (Finistère) où il avait acquis cette année une maison baptisée « Tristan », située au bout d' l'île, au lieu-dit Lann-Arbir et dans laquelle il passait ses étés.

1903 :

* remporte le Grand Prix de la Ville de Paris (10.000 francs) avec Le Sang de la sirène (op. 27, Lemoine), légende musicale pour solistes, choeur et orchestre, en 4 parties sur un poème de Marcel Brennure d'après Anatole Le Braz : 1. Prélude : vers Ouessant – 2. Symphonie : Le Sabbat des sirènes – 3. Un dimanche à Ouessant – 4. Symphonie : « Le Proella » de Jean Morvarc'h. Partition achevée fin septembre 1903 à Fumechon-Tôtes (Seine-Maritime), en concurrence avec 30 autres, parmi lesquelles Les Sirènes d'Emile Ratez, Le Christ d'Edouard Destenay, La Croisade des enfants de Gabriel Pierné, Saskia d'Emile Trépard, çanta de Pierre Kunc, L'Ange et la Spinge d'Adolphe Diétrich, La Bhagavad Gità d'Edouard Trémisot et Le Coeur du moulin de Déodat de Séverac. Dans son rapport présenté au nom du jury composé de 18 membres, dont Albert Carré, Théodore Dubois, Gabriel Fauré, Vincent d'Indy, Xavier Leroux, André Messager et Widor qui s'était réuni le 11 janvier 1904 à l'Hôtel de Ville, le rapporteur Samuel Rousseau écrit  :

« […] Tableau plus que fable, le Sang de la Sirène évoque la mélancolique Bretagne et ses superstitieuses traditions. L'action est simple, M. Marcel Brennure la voulut corroborer de la simplicité du terme : la pensée est nette, la phrase concise, toutes qualités que M. Tournemire sut mettre à profit. [...] M. Tournemire, encore ignoré du grand public, est fort estimé de ses confrères pour la noblesse et la probité de son art. Des mélodies, des pièces instrumentales, un volume d'orgue et une symphonie, représentent son bagage musical dont chaque note témoigne d'ardents efforts vers la Beauté. Improvisateur inventif, il est, à l'orgue de Sainte-Clotilde, le successeur.de César Franck, qui fut son maître. Voici aujourd'hui M. Tournemire un des brillants lauréats de la ville de Paris, avec une oeuvre d'une couleur extraordinairement séduisante. Le Sang de la Sirène commente, de fort heureux développements, trois thèmes bretons qui forment l'ossature de la partition. Brodées de fines arabesques, ravivées de timbres ingénieux, les naïves cantilènes participent à tous les incidents symphoniques en y ajoutant la grâce de leur prenant archaïsme et la saveur de leur étrange modalité. Et c'est le grand mérite du compositeur d'avoir su créer ainsi l'ambiance de légende, l'atmosphère mythique si curieusement adéquate au sujet qu'il traita. On savait M. Tournemire habile au maniement des voix et des instruments, le Sang de la Sirène révèle qu'il-possède par surcroît, et à un très haut degré, les plus précieuses qualités des maîtres symphonistes : la sensibilité émotive, l'originalité des moyens et l'intensité de la couleur... »

* le 5 novembre à Paris mariage avec Alice Georgina Taylor, professeur de musique, née le 26 septembre 1870 à Lisbonne (Portugal), veuve en premières noces d'Edmond Juhel-Renoy, médecin à l'hôpital Cochin (1855-1894) et en secondes noces de Fernand Pierre Juhel-Renoy, avocat (1851-1900), cousin germain d'Edmond. Fille de James Taylor et d'Emilie Klingelhoefer, sa sœur Christiane Taylor, née le 23 mars 1864 à Rio de Janeiro (Brésil) avait épousé en 1901 à Nîmes Joséphin Peladan (1858-1918). Celui-ci, dit le Sâr Merodack Péladan, avait fondé en 1888 l'Ordre kabbalistique de la Rose Croix, puis avec Stanislas de Guaita en 1891 l'Ordre de la Rose Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal. Il est fort probable que ce mystique eut quelques influences sur son beau-frère Charles Tournemire.

* à cette époque, enseigne l’harmonium à l’Institut Libre de Musique et de Déclamation, alors située 4 rue des Petits-Champs à Paris 1er. Fondée quelques années auparavant par Emile Boussagol, de l'Opéra, qui y enseignait la harpe, cette école de musique située au début 13 Galerie Vivienne (Paris 2e), était dirigée par M. Brun-Drees, avec un comité de patronage présidée par Massenet et un comité des études composé d'une vingtaine de musiciens de renom. Parmi les professeurs aux côtés de Tournemire figuraient, entre autres, Paul Vidal (harmonie, contrepoint), Louis Aubert (piano supérieur), Mme Drees-Brun (chant) et Adolphe Hennebains (flûte).

1904 :

* en juillet quitte la rue de Rome pour habiter au numéro 4 de la rue Milnes-Edwards, toujours dans le 17e arrondissement. C'est dans cet appartement qu'il fera installer un orgue Mutin de 9 jeux et un piano à queue Erard.

* en novembre, au Théâtre de la Gaité, puis au Conservatoire (le dimanche 20) création du Sang de la Sirène, avec Geneviève Vix, Mme Georges Marty, MM. Gaston Dubois, R. Plamondon et F. Delpouget, l'orchestre et les choeurs de la Société des Concerts du Conservatoire placés sous la direction de Georges Marty.

* Rhapsodie sur un thème populaire normand pour piano, qui sera orchestrée en 1907, op. 29 (Gallet/Combre).

1905 :

* le 9 novembre, participe à l'inauguration de l'orgue de choeur de l'église Saint-Louis à Saint-Pierre-lès-Elbeuf (Seine-Maritime) avec la Toccata et Fugue en ré mineur de J.S. Bach.

1907 :

* récitals à Berlin.

* membre des jurys du Conservatoire (solfège instrumentistes, orgue). Cette année-là Marcel Dupré et Paul Fauchet obtiennent le 1er Prix d'orgue.

* termine Nittetis, tragédie lyrique en trois actes et sept tableaux, op. 30, sur un livret de l'auteur d'après Métastasio.

1908 :

* 2ème Symphonie « Ouessant », en si majeur, op. 36 (Eschig). Elle porte pour commentaire de l'auteur : « Cette œuvre a été inspirée par le fantastique d'Ouessant. Elle tend à la glorification de l'Eternel. » Création à Paris le 3 avril 1909.

* Tournée en Hollande.

1909 :

* le 21 août, à Veules-les-Roses (Seine-Maritime), achève le Psaume LVII, pour chœur, grand orchestre et orgue, op. 37 (Delrieu), commencé l'année précédente et dédié « au Maître et ami Daniel de Lange et à son admirable Société chorale de Leyde » qui le crée le 1er avril 1910 à La Haye sous la direction de l'auteur. 1ère audition en France, le 3 mars 1912, à la Société des Concerts du Conservatoire avec Joseph Bonnet à l'orgue et André Messager à la tête de l'orchestre

1910 :

* le 23 octobre, salle Gaveau à Paris, exécution du Poème pour orgue et orchestre, op. 38 (Eschig, réédition 1989) aux Concerts Lamoureux, sous la direction de Camille Chevillard et l'auteur à l'orgue.

1911 :

* reçoit le prix Chartier pour la musique de chambre, d'une valeur de 500 francs, décerné par l'Académie des Beaux-Arts. Auteur en 1910 de Pour une épigramme de Théocrite, sextuor pour 3 flûtes, 2 clarinettes et harpe, op. 40 (Delrieu), il avait déjà écrit en 1897-98 (op. 15) un Quatuor pour piano et 3 cordes, en ré mineur, et en 1901 (op. 22) un Trio pour piano, violon et violoncelle, en sol mineur, tous deux publiés aux Editions Pierre Noël.

* en mars, figure parmi les candidats, avec notamment Vierne, Gigout et Joseph Bonnet, à la succession de Guilmant à la classe d'orgue du Conservatoire. C'est Gigout qui l'emporte.

* à la fin de cette année, tournée de concerts en Russie qui lui inspire la 3ème Symphonie « Moscou », en ré majeur, op. 43 (Eschig). Commencée en 1912, elle est achevée l'année suivante et créée à Amsterdam le 19 octobre 1913 par le chef hollandais Evert Cornelis.

1911-1912 :

* Les Dieux sont morts (Chryséis), drame lyrique antique en 2 actes, d'après un poème d'Eugène Berteaux, op. 12. Sera donné en partie (importants fragments) en décembre 1919 à Paris, aux Concerts Lamoureux, ainsi que le 30 mai 1923 (2ème acte), puis créé le 19 mars 1924 à l'Opéra de Paris par Marisa Ferrer (Chryséis), Edouard Rouard (le dieu Pan), Germaine Cossini (la mère de Chryséis), Edmond Rambaud (Egoras) et Peyre (Zeus), l'orchestre étant conduit par François Ruhlmann, et monté la même année au Théâtre municipal de Strasbourg.

1912 :

* le 3 mars au Conservatoire de Paris, 1ère audition en France du Psaume LVII avec Joseph Bonnet à l'orgue et André Messager à la tête de l'orchestre. Nouvelle audition au Conservatoire, le 10 mars.

* le 3 mars : a l'Assemblée générale de la Société des compositeurs de musique, est élu l'un des 4 vice-présidents (avec Caussade, Mouquet, Letocart).

1912-1913 :

* 4ème Symphonie « Pages symphoniques », op. 44 (Eschig). Elle sera créée plus tard, à Paris, le 12 mars 1916.

1913 :

* en août commence sa 5ème Symphonie « de la Montagne », en fa mineur, op. 47 (Eschig) qui est achevée l'année suivante, le 31 juillet, à Thônes (Haute-Savoie), Créée après la guerre, le 10 mars 1920 à la Haye, sous la direction d'Evert Cornelis, puis, en France à Paris, le 7 janvier 1923 aux Concerts Colonne par Gabriel Pierné et donnée à nouveau à Paris en janvier 1928 par la Société des Concerts du Conservatoire.

* Psaume XLVI, pour orchestre, solo et chœurs, op. 45, dédié à Alice Taylor, sa première épouse et créé le 22 janviers 1915 à la Groote Doele-Zaal de Rotterdam, sous la direction de Verhey.

1915 :

* mobilisé le 7 mars 1915 au 137e Régiment territorial, il passe le 16 août 1915 à la 22ème section de C.O.A. (Commis et Ouvriers d'Administration), puis est classé dans le service auxiliaire le 26 avril 1916 sur proposition de la 5e Cour spéciale de réforme de la Seine pour « gastro-entérite chronique » et renvoyé dans ses foyers le 8 mai 1916. Il aura été notamment affecté à la surveillance des voies de chemin de fer dans la région de Longjumeau, en région parisienne.

1915 :

* projette une 6ème Symphonie en mi majeur, pour grand orchestre, choeurs, récit et grand orgue, op. 48 (Eschig), mais ne peut s'atteler réellement à son écriture qu'à partir de 1917 pour être achevée le 20 août 1918. Cette œuvre majeur, en deux parties, la plus vaste de ses symphonies, ne sera exécutée que près de 80 ans plus tard, en 1995 au Conservatoire royal de musique de Liège, lors de son enregistrement (Valois Auvidis V4757) par Pierre Bartholomée à la tête du Choeur symphonique de Namur et de la Communauté française, du Choeur Polyphonia de Bruxelles et de l'Orchestre philharmonique de Liège et de la Communauté française, avec Daniel Galvez-Vallero (ténor).

1918 :

* début composition de la 7ème Symphonie « Les Danses de la vie », op. 49, achevée en avril 1922 (Eschig). Cette immense partition (5 mouvements d'un quart d'heure chacun) n'a été interprétée pour la première fois que 74 années plus tard, en 1992 à Liège.

1919 :

* le 19 juillet décès de Madame Charles Tournemire née Alice Taylor.

* le 22 octobre, arrêté du Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts le nommant professeur titulaire de la classe d'ensemble instrumental au Conservatoire national de musique et de déclamation, en remplacement de Charles Lefebvre, décédé.

1920-1921 :

* 8ème Symphonie « Le Triomphe de la Mort », en deux mouvements, op. 51 (Eschig), composée à la suite de la mort de sa première femme. Créée, là encore, que bien plus tard, à Anvers en mai 1992, grâce à Paul Beusen, fervent admirateur du compositeur et défenseur de son oeuvre.

Sur les 8 Symphonies de Tournemire, le poète et romancier André Delacour, déjà cité supra, en a donné en 1931 cette brève analyse remarquablement juste : « Dans ces œuvres puissantes et généreuses la phrase mélodique court d'un bout à l'autre comme un large fleuve. La liberté de modulation, les rapports imprévus des tonalités, les inventions de détail, qu'elles soient rythmiques, harmoniques, ou orchestrales, la hardiesse de l'écriture classent ces symphonies parmi les œuvres, les plus modernes, mais aussi les plus hautes, et bientôt sans doute les plus classiques de ce temps. »

1921 :

* élevé au rang de chevalier de la Légion d'honneur par décret du 1er février ; décoration remise le 18 février par Georges Barrier, administrateur général de l'Hôtel Continental, rue de Castiglione à Paris.

* le 26 mai « Concert Tournemire » salle Pleyel à Paris.

* Mlle Alice Espir, future Mme Tournemire (en 1934), obtient un 1er prix de violon dans la classe de Lefort au Conservatoire de Paris et fréquente la classe d'ensemble instrumental de Tournemire.

1921-1929 :

* Trilogie : Faust (texte de l'auteur d'après Marlowe), Don Quichotte (texte de l'auteur d'après Cervantès), Saint-François d'Assise (texte de l'auteur), pour choeurs et orchestre, op. 52 (inédit). Seul Don Quichotte semble avoir été joué en première audition en public, à Paris, le 17 janvier 1924 aux Grands Concerts modernes, sous la direction d'Albert Wolff, après avoir été donné en partie l'année précédente (voir infra). Le manuscrit de Faust est daté « Ile d'Ouessant (Ile de l'Epouvante) 29 juillet 1929 ». Les premières esquisses de la Trilogie furent réalisées en août 1921, après son retour du Couvent de la Grande Chartreuse où il s'était retiré durant plusieurs mois à la suite du décès de son épouse, et les dernières mesures apposées le 26 juillet 1929.

1923 :

* le 5 mai à Bordeaux, à l'occasion d'une tournée en France le « Quatuor de La Haye », composé de Swaap, Poth, Dever et Van Isterdael, interprète le Quatuor pour piano et cordes, en ré mineur, op. 15 de Tournemire (1897-1898, Noël), avec au piano Joseph Ermend Bonnal, alors directeur de l'Ecole de musique de cette ville.

* le 30 mai à Paris, salle Gaveau, concert d’œuvres de Tournemire : 5ème Symphonie, Prélude aux Combats de l'idéal (extrait de Don Quichotte), 2ème acte des Dieux sont morts, 3ème Symphonie.

1925 : fait construire une maison en bois au lieu-dit « L'Herbe », au Cap Ferret, près d'Arcachon et située non loin de sa sœur Berthe, qu'il baptise « Villa Iseut ». Il y passera ses vacances d'été.

1925-1926 :

* La Légende de Tristan, pour solistes, choeurs et orchestre, en 3 actes et 8 tableaux, livret d'Albert Pauphilet, op. 53, achevée le 30 novembre 1926 « Pour elle, pour l'Art, pour mon Pays », inédit.

1926 :

* en janvier candidate à la succession de Guilmant dans la classe d'orgue du Conservatoire de Paris, mais c'est Marcel Dupré qui est retenu.

* avril : au Conservatoire de Paris, membre du jury du concours de la classe de direction d'orchestre de Vincent d'Indy (1er Prix décerné à Vandewalle et 1er accessit à Henri Tomasi).

* juin : membre du jury du concours des classes de fugue (1er Prix à Messiaen, classe de Caussade).

1927 :

* le 2 juin, église Sainte-Clotilde, audition d'orgue pour les « Amis de l'orgue », association tout nouvellement fondée par Bérenger de Miramon Fitz-James. « M. Ch. Tournemire a exécuté, avec un sens incomparable de la majesté et de la poésie inhérentes à ce noble instrument, un choix d’œuvres capitales, réalisant la quintessence de la littérature organistique. Frescobaldi, Buxtehude, J.-S. Bach, César Franck et le triple choral dédié par M. Ch. Tournemire à la mémoire de son illustre maître, composèrent un programme de la plus haute tenue. Une improvisation symphonique, paraphrasant un texte sacré, dans laquelle la spontanéité, le culte du grand et du profond qui sont l'apanage de M. Tournemire se sont donné libre carrière, a clos ce concert inaugural. Puisse ce don exceptionnel d'un noble et généreux artiste être un présage d'heureuse destinée pour les Amis de l'orgue, et les aider à atteindre le but apostolique qu'ils se sont assigné. » [Le Ménestrel, 10 juin 1927]

* à cette époque est déjà membre depuis quelques années de l'Union des Maîtres de Chapelle et Organistes (U.M.C.O.) présidée depuis 1922 par Widor. Association professionnelle, fondée en octobre 1912 par Henri Van Lysebeth, avec Max Georges, Emile Grillot de Givry, Henri Bertran de Balanda, Albert Serre, Jules Meunier et Raoul Grigi, pour l'aide et la défense des organistes et maîtres de chapelle, elle perdura jusqu'en 1972, époque où elle était présidée par Henri Büsser, avec Félix Raugel et Elisabeth Brasseur pour vice-présidents, François Tricot et Joachim Havard de la Montagne pour secrétaires et Louis-Pierre Lefresne pour trésorier. Tournemire restera membre de l'UMCO jusqu'à son décès.

1927-1932 :

* L'Orgue mystique « 51 Offices de l'année liturgique inspirés du chant grégorien et librement paraphrasés pour grand orgue » divisés en 3 cycles (Noël, Pâques, après la Pentecôte), soit 253 pièces, op. 55, 56 et 57 (Heugel). En janvier 1929, Joseph Bonnet écrit : « Les premières livraisons de l'oeuvre viennent de paraître, c'est un véritable enchantement, une prodigieuse évocation de l'architecture de nos cathédrales, des riches couleurs de nos vitraux, de la beauté et de la vérité liturgiques telles qu'elles nous sont révélées à Solesmes, telles que nous devrions les retrouver dans toutes les Eglises du monde catholique. Notre langue musicale actuelle possède des aptitudes surprenantes à paraphraser les mélodies grégoriennes éternellement jeunes. C'est ainsi que, sans rien sacrifier de sa riche imagination ni de sa puissante originalité, Charles Tournemire a réussi à créer pour les mélodies liturgiques le cadre mystique qu'elles demandent. » La même année, au mois de décembre Joan Ma Thomas écrivait dans une revue catalane : « ...osons dire que dans l’œuvre de Tournemire il y a plus de foi que dans beaucoup de musique religieuse d'hier, d'aujourd'hui, et, peut-être, de demain. »

1928 :

* le 22 mars à Paris, aux Concerts Straram : Prélude aux Combats de l'idéal (extrait de Don Quichotte).

* le 20 avril à Paris, concert des « Amis de l'orgue » par Maurice Duruflé qui interprète, entre autres œuvres, « deux compositions inédites de M. Tournemire : un Adagio quelque peu mystique, mais d'une délicatesse séduisante et un Epilogue empreint d'une réelle grandeur. »

* le 19 juin à Paris, récital d'orgue par André Marchal, au cours duquel il joue une Toccata de Tournemire « œuvre finement ciselée et débordante de musique. »

* en juin, à Brest assiste à la représentation du Sang de la Sirène par 130 exécutants dirigés par M. Guillermit.

* en novembre, à Lyon donne un récital à l'orgue de l'église Saint-Nizier au cours duquel il interprète 4 pièces sur des thèmes grégoriens extraites de son Orgue mystique.

1929 :

* le 3 février à l'Institut de France, concert spirituel organisé par l'UMCO (5e Réunion-audition) au cours duquel Joseph Bonnet interprète, entre autres œuvres, le Postlude pour la Fête de l'Immaculée Conception (extrait de l'Orgue mystique).

* en juin, récital de Renée Nizan, âgée de 16 ans, à la cathédrale de La Rochelle (Charente-Maritime) avec des oeuvres de Bach, Vierne, Dallier ainsi que deux pièces pour la Fête de l'Assomption extraites de l'Orgue mystique de Tournemire.

* en octobre, nommé par le Ministre membre du Conseil supérieur du Conservatoire.

* en novembre, article « La musique modale à l'orgue », in La Tribune de Saint-Gervais (nov. 1929).

* en décembre, écrit un long article sur « Philippe Gaubert » et son œuvre qu'il termine en ces termes et au travers desquels on perçoit le poète et le mystique qu'était l'auteur : « Nul doute qu'il [Ph. Gaubert] ne s'emploie à porter de plus en plus haut ses pensées de poète, de musicien, vers les sommets peu exploités où tout est Paix et Lumière éternelles. » [in Le Ménestrel du 13 décembre]. Tel un miroir, ces quelques mots reflètent magnifiquement à eux seuls toute la philosophie de son auteur.

* en décembre, autre article sur « De l'utilité des manifestations organistiques ailleurs qu'à l'église », in Le Monde musical (31 déc. 1929).


CNSMP, classe d'Ensemble instrumental de Tournemire, 1929-1930
Conservatoire de Paris, classe d’Ensemble instrumental de Tournemire, année scolaire 1929-1930
(photo L. Roosen, Paris, BNF/Gallica)

1930 :

* en février la Société des Grands Concerts de Lyon, dirigée par le chef d'orchestre Witkowski, donne en première audition : La queste du Saint-Graal, fresque pour chœur féminin et orchestre de Tournemire, op. 54 (1926-1927), inspirée de l’œuvre d'Albert Pauphilet.

* en mars : récital d'orgue à la cathédrale de Rouen au cours duquel il joue des pièces de Grigny, Frescobaldi, Titelouze ainsi que des extraits de son Orgue mystique.

* en avril, articles sur « L'Orgue » en deux parties, in La Petite Maîtrise, n° 203 (avril) et 204 (mai), et sur « La classe d'orgue du conservatoire de Paris », in Le Monde musical (30 avril 1930).

* en juin : Légende pour piano et trombone de Tournemire, morceau imposé aux Concours du Conservatoire, classe de trombone.

* 12 juin : récital d'Alexandre Cellier à son orgue du temple de l'Etoile (Paris), avec, entre autres œuvres, une Communion pour le dimanche « Laetare » et une Toccata sur un choral du dimanche de « Quasimodo », deux pages encore inédites extraites de l’Orgue mystique.

* juillet : donne un récital d'orgue à l'église Saint-Mathieu de Morlaix (Finistère) avec d'importants extraits de son Orgue mystique, « la grandiose œuvre en cours de publication. »

* juillet, tournée en Espagne : Saint-Sébastien, Bilbao, Barcelone, Malorca... qu'il termine par un récital à l'abbaye de Montserrat où il donne au R. P. Abbé une audition de l'Orgue mystique sur l'orgue du cloître.

* septembre : récital d'orgue par Daniel Lesur à l'église paroissiale de Tencin (Isère), petit village de 600 habitants, avec des œuvres de Bach et des extraits de l'Orgue mystique.

1930-1931 :

* enregistre pour Polydor une série de 9 disques 78 tours, 25 cm ou 30 cm, d'oeuvres de César Franck ainsi que deux mouvements de son Orgue mystique et des improvisations à l'orgue Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde. Reçoit en mai 1931 le Grand Prix du Disque pour le 3ème Choral de Franck (2 disques Polydor 566057 et 58). Ses 5 improvisations (sur le Te Deum, Petite Rapsodie, Cantilène, Choral sur Victimae Paschali, Fantaisie sur Ave Maris Stella, disques 561048, 561050, 566058, 566060, 566061) seront ultérieurement reconstituées par Maurice Duruflé d'après les enregistrements, et éditées en 1958 (Durand).

Charles Tournemire, à l'orgue électronique Coupleux-Givelet, église de Villemomble (1931)
7 décembre 1931, Charles Tournemire à l’orgue électronique Coupleux-Givelet,
église de Villemomble
(photo A. Boukelion, Tourcoing, BNF/Gallica)

1931 :

* le 6 décembre, inaugure l'orgue électronique Coupleux-Givelet de l'église Saint-Louis à Villemomble (Seine-Saint-Denis). Léonce de Saint-Martin, futur successeur de Vierne à Notre-Dame de Paris, qui était présent à cette inauguration, écrit dans La Petite Maîtrise (n° 225) :

« La démonstration faite le 6 décembre dernier en l'église de Villemomble, qui vient d'être dotée d'un orgue électronique, conclut à l'affirmative. La cérémonie était présidée par le Cardinal Verdier, archevêque de Paris, et du haut de la chaire Son Éminence a excellemment dit ce qu'on avait le droit d'en attendre dans le domaine du culte catholique. En même temps, un maître incontesté de l'orgue, Charles Tournemire en montrait les possibilités techniques au cours d'un récital de la plus haute tenue artistique. L'éminent organiste a pu dérouler impeccablement tout un récital de littérature de grand orgue, ancienne et moderne, sans que l'instrument ait manifesté la moindre défaillance, et le choix très judicieux des morceaux a parfaitement permis à un auditeur averti de juger de ses très intéressantes particularités : Finesse de sonorité dans la Toccata de Frescobaldi, facilité extraordinaire d'émission et de répétition tant dans la Fugue modale de Buxtehude que dans celle en sol mineur de Bach, délicatesse de timbre dans Prélude, fugue et variation de C. Franck, impressions orchestrales dans les œuvres ou improvisations de l'auteur de L'Orgue Mystique — Mais pas un instant, on n'a pu songer à faire la comparaison avec son admirable instrument de Ste-Clotilde ; c'est tout autre chose, mais cet autre chose est parfaitement acceptable, parfaitement digne de chanter les louanges de Dieu et d'accompagner une maîtrise — Nous serions presque tenté de lui donner dans ce rôle la préférence sur son grand aîné l'orgue à tuyaux, car sa docilité d'expression et le fondu de sa sonorité s'allient admirablement aux voix humaines. »

* parution à Paris, chez l'éditeur Delagrave, de l'ouvrage de Tournemire sur son maître : César Franck, in-8, 75 p., dans la collection « Les grands musiciens par les maîtres d'aujourd'hui » dirigée par Henri Collet, n° 5. Réédition en 1987 par les Editions du Levain.

* article « De l'orgue et de la découverte de MM. Coupleux et Givelet », in Le Courrier musical, 15 décembre 1930.

* le 17 décembre au Grand Théâtre de Brest, concert organisé par « les Amis de Colonne » : dirige lui-même sa 3ème Symphonie.

1931-1932 :

* Douze Préludes-Poèmes pour le piano, op. 58 (Heugel, réédition en 1970).

1932 :

* le 25 avril à Paris, « sept exécutants, qui comptent parmi les plus jeunes et les meilleurs de nos organistes actuels, se succédèrent aux claviers de l'orgue de Sainte-Clotilde pour y faire entendre chacun deux pièces extraites de l'Orgue mystique » : Daniel Lesur (suppléant de Tournemire), Gaston Litaize (Notre-Dame-de-la-Croix), Jean Langlais (suppléant de Marchal à Saint-Germain-des-Près et professeur à l'INJA), Olivier Messiaen (La Trinité), Noélie Pierront (Saint-Pierre-du-Gros-Caillou), Maurice Duruflé (Saint-Etienne-du-Mont) et André Fleury (Saint-Augustin).

* en juin, à San Francisco (Etats-Unis), l'organiste Struart Smith joue une série de pièces extraites de L'Orgue mystique.

1933 :

* février, à Bâle (Suisse), concert d'orgue par Fritz Morel au cours duquel sont jouées les Supplications et fugue modale, extraites de L'Orgue mystique.

* 30 juin : inauguration du grand orgue Cavaillé-Coll de la basilique Sainte-Clotilde « nouvellement restauré et judicieusement augmenté » par Beuchet-Debierre et comptant à présent 56 jeux, au cours de laquelle il interprète ses Poèmes pour orgue, la Toccata en fa de Buxtehude, le Tiento VII de Cabanilles et le 3ème Choral de Franck.

Tournemire: affiche concert spirituel du 5 décembre 1935
Affiche concert spirituel du 5 décembre 1935
(archives UMCO, coll. DHM) DR.

* Musique orante, pour quatuor à cordes (2 violons, alto, violoncelles), op. 61 (Heugel, réédition en 1970).

1934 :

* le 7 juin à Sainte-Clotilde, récital par l'auteur avec sa Fantaisie symphonique (op. 64, 1933-1934) qu'il fait entendre pour la première fois, des Chorals de Buxtehude et de Bach, le Choral en si mineur de Franck et, pour terminer, son Triple choral « œuvre magnifique qui est un des monuments marquants de la littérature contemporaine d'orgue. »

* à Paris, le 18 juillet mariage avec Alice Espir, née le 5 décembre 1901 à Colombes (Hauts-de-Seine), violoniste et son ancienne élève dans sa classe d’ensemble instrumental au Conservatoire de Paris. Elle était fille de Lucien Espir (1867-1926), administrateur délégué de la Général Electric de France et de la Société générale d'électrométrie, et d' Ada Enthoven (1871-1944).

1935 :

* avec son épouse, entrent dans le Tiers Ordre de Saint-François d'Assise, association pieuse laïque pour des personnes mariées voulant vivre à l'exemple des Frères Franciscains.

* Sept Chorals-Poèmes d'orgue pour les Sept Paroles du Xrist, op. 67 (Eschig), données en première audition par l'auteur le 6 juillet 1935 à Sainte-Clotilde.

* Sonate-Poème pour piano et violon, op. 65 (Heugel, réédition en 1970).

* 15 décembre, concert spirituel à l'Institut de France, organisé par l'UMCO (18e Réunion-audition), auquel il prête son concours et interprète notamment 3 de ses œuvres : Poème-Choral n° 2 « Hodie mecum eris in paradis » (extrait des Sept Paroles du Christ), Communion « Dominica infra Octavam Ascensionis » (extraite de l'Orgue mystique) et Offertoire « Assumptione B. M. V. » (extrait des Petites fleurs musicales).

1936 :

* publie chez Eschig un Précis d'exécution, de registration et d’improvisation à l'orgue.

* termine l'Apocalypse de Saint-Jean, trilogie sacrée pour orchestre, grand orgue, choeurs et récit, op. 63, partition projetée dès mai1932.

* en février, récital d'orgue à St Alban's Holborn (Angleterre) pour la Société Organ Music.

* en mars, à Sainte-Clotilde donne en première audition (retransmise à la radio) sa Symphonie-chorale, op. 69 (1935, Schott) et sa Symphonie sacrée pour orgue, op. 71 (1936, Schola cantorum).

* le 15 mars à l'Institut de France, concert spirituel organisé par l'UMCO (19e Réunion-audition) au cours duquel Gaston Litaize, alors organiste de Saint-Cloud, joue une Fioretta de Tournemire (sans doute la 3ème qui lui est dédiée, extraite des Sei Fioretti pour orgue, op. 60, 1932, Heugel). C'est Tournemire lui-même qui écrit le compte-rendu de cette manifestation dans le Bulletin trimestriel de l'UMCO (avril 1936) :

« L'Union des Maîtres de chapelle et organistes donnait, le dimanche 15 mars, à l'Institut, sa 19e audition. Cette manifestation, fort réussie, témoigne de la culture artistique des membres de cette corporation, qui fait la réputation de nos maîtrises parisiennes. Un public nombreux et réceptif se pressait dans l'élégante « Salle Decaen », pour fêter principalement l'excellent professeur de composition au Conservatoire : Henri Büsser.

« Et ce fut sous la forme d'une audition musicale de quelques-unes de ses charmantes œuvres. Citons : un Prélude et Fugue sur un thème de Massenet, exécuté à l'orgue par un jeune organiste : M. Grunenwald ; une série importante d’œuvres vocales, aux lignes ondoyantes et souples, dans la manière chère à Gounod, ce qui n'est point une critique, bien au contraire. Le sommeil de l'Enfant Jésus, exécuté au violon par Mlle Chanudet, jeune lauréate du Conservatoire ; un O Salutaris, d'un mysticisme adouci, chanté par Mlle Guillamat ; trois motets pour voix de femmes ; le célèbre Notre Père et la Salutation angélique, toujours du même auteur, excellemment interprétés par Mme Blin. « En matière de couronnement, quant aux œuvres d'H. Biisser entendues à cette audition, soulignons un Andante pour violoncelle et orgue, exprimé fort bien par Mlle R. Gauthier et M. Grunenwald ; enfin, une Pièce de Concert pour harpe et orgue, jouée prestigieusement par la célèbre harpiste française : Mlle H. Renié, accompagnée à l'orgue par M. Grunenwald. « Il serait injuste enfin de ne pas mentionner le jeune organiste M. G. Litaize qui, dans des œuvres de Widor, Vierne, Dupré, Tournemire, et de sa propre composition, se fit applaudir chaleureusement. On entendit aussi une œuvre vocale : un Kyrie, d'une jeune élève du Conservatoire : Mlle Reix, œuvre qui fut remarquée, et qui le méritait. « Cette séance fut présidée avec beaucoup de bonne grâce par Mgr Courbe qui sut, par une allocution charmante, rendre justice à tous et particulièrement aux artistes entendus et à MM. Jacob et Vivet, les organisateurs de cette remarquable audition. »
Lettre autographe signée de Tournemire à Joseph Meugé, secrétaire général de l’UMCO
27 juin 1939, lettre autographe signée de Tournemire à Joseph Meugé,
secrétaire général de l’UMCO:
“Cher Monsieur Meugé, / Je regrette beaucoup de ne pouvoir me rendre libre le 9 / juillet pour assister au concours / de m. de chapelle, à St. Nicolas- du / Chardonnet, où j’ai été, il y a 42 ans / organiste... / Dites-vous que j’ai mes vêpres à Ste. / Clotilde, à 17 H... / Mille regrets. / Croyez toujours, cher Monsieur / Meugé, à toute ma sympathie.”
(archives UMCO, coll. DHM) DR.

1937 :

* à l'Exposition Internationale de Paris un Congrès international de Musique sacrée est organisé par l'UMCO au Pavillon pontifical, avec notamment au programme : le lundi 19 juillet, salle de Caen au Palais de l'Institut, conférence par Tournemire sur « L'orgue à travers les siècles » et le jeudi 22 juillet à Sainte-Clotilde, audition d'orgue par Flor Peeters, Georges Jacob et Tournemire qui interprète sa Symphonie-chorale et le Choral n° 3 de César Franck.

* achève l'oratorio La Douloureuse Passion du Xrist, pour choeurs, récits, grand orgue et orchestre, op. 72, sur un texte du compositeur d'après Anne-Catherine Emmerich, commencé en octobre 1916. Partition inédite à ce jour.

* 1er octobre, retraite du Conservatoire avec une pension de 10.316 fr. (JO. du 13 mars 1938, p. 3034).

Villa Nittetis, à Arcachon
Photo de la villa « Nittetis » à Arcachon (14 rue Victor Hugo) appartenant autrefois à la sœur de Tournemire et où il séjournait lors de sa mort en 1939.
(photo DHM, juin 2018) DR.

1939 :

* Il Povello di Assisi (Le petit pauvre d'Assise), cinq épisode lyriques en sept tableaux, op. 73, sur un texte du compositeur d'après l’œuvre de son beau-frère Joseph Péladan, partition commencée en 1937.

* en juin, est sollicité par l'UMCO pour faire partie du jury du concours pour la nomination d'un Maître de chapelle à Saint-Nicolas du Chardonnet, à la suite du départ de William Gousseau, mais, dans son courrier du 27 juin regrette de ne pouvoir se rendre libre le dimanche concerné : « Dites-vous que j'ai vêpres à Ste Clotilde à 17h. » Le 9 juillet à 17h., le jury, formé de : Mme Dreuilhe-Wittmann, MM. Gallon, Jacob, Raugel, Decaux, Gastoué, Mignan, Pillard, Barbier, Coédes-Mongin, Duruflé, Fleury, Litaize, meunier, Nibelle, Prats, Simon et Péchenart, après examen des épreuves (réalisation d'un office désigné par le jury, pièce d'orgue au choix du candidat) désigne Claude Prigent (1915-2010).

* le 4 novembre à Arcachon, découverte du corps de Charles Tournemire noyé dans un parc à huîtres, au lieu-dit « Tessillat ». Après examen par un médecin, il est établi que la mort remonte à 24 heures environ, mais l'on ne sait s'il s'agit d'un suicide ou d'un accident. Néanmoins, disparu de la maison de sa sœur Berthe (où lui et sa femme s'étaient réfugiés lors de la guerre) depuis 4 jours lors d'une promenade, et souffrant à cette époque d'amnésie, il est probable que ce soit en réalité un accident survenu à la suite une désorientation totale en cette période au climat hivernal.

* il laisse de nombreux élèves et disciples, parmi lesquels Claude Arrieu, Joseph Bonnet, Daniel Lesur, Jean Doyen, Maurice Duruflé, Joseph Ermend-Bonnal, André Fleury, Jean Langlais, Gaston Litaize, Douglas Stuart Moore, Pierre Moreau, Ludovic Panel, Henriette Puig-Roget, Pierre Sancan...

1949 : publication posthume chez Eschig d'une Petite méthode d'orgue (72 p.).

1996 : le 5 décembre à Paris, décès de sa seconde épouse Alice Espir qui lui a survécu 57 ans.

Denis Havard de la Montagne
(décembre 2016)

Pour en savoir davantage : Joël-Marie Fauquet, Catalogue de l'oeuvre de Charles Tournemire (Genève, Minkoff, 1979, 132 p.) – Charles Tournemire, numéro spécial des « Cahiers et Mémoires » de la revue L'Orgue, n° 41, 1989-I, 124 p. – Pascal Ianco, Charles Tournemire ou le mythe de Tristan (Genève, Editions Papillon, collection Mélophiles, 2001, 111 p.) – Marie-Louise Langlais, Charles Tournemire, éclats de mémoires (http://ml-langlais.com/Tournemire.html, 2014).


18 juin 1938, allocution du chanoine Verdrie, Curé de Sainte-Clotilde,
à la Messe-Anniversaire de Quarantaine de Charles Tournemire.


La messe qui se célèbre en ce moment et à laquelle vous assistez, est une Messe d'Actions de grâces.

L'âme profondément religieuse du Maître Tournemire veut dire aujourd'hui merci à Dieu, auteur de tous dons.

Nous faisons notre ce sentiment et aussi tous les autres qui remplissent son cœur, en particulier celui de la joie qu'il éprouve d'être depuis 40 ans aux claviers du grand orgue de Sainte Clotilde.

C'est, en effet, en avril 1898 que, à la suite d'un concours, le jeune musicien Charles Tournemire fut choisi comme titulaire de cet orgue, longtemps tenu et rendu illustre par le grand César Franck. Le nouvel organiste entra en fonctions le jour de Pâques de cette année 1898.

Depuis cette date, il n'a fait que s'attacher de plus en plus à ce bel instrument, à qui il a donné son âme d'artiste. Nous l'avons bien vu lorsqu'il y a quelques années, nous avons procédé à la réfection et au développement de notre orgue : la sollicitude du Maître, pour le bon succès de ces travaux, ressemblait à celle d'un père, sinon d'une mère. Comment ne l'aimerait-il pas cette orgue qui, depuis quarante ans, docile à ses doigts prodigieusement habiles, traduit toutes ses pensées, toutes ses ferveurs d'artiste ? Il faut avoir vu le Maître Tournemire à son poste d'exécutant — spectacle dont plusieurs sont friands — pour comprendre et admirer l'étonnante domination, pleine d'amour, qu'il exerce sur cette immensité sonore.

Je me hâte de l'ajouter, Monsieur Tournemire n'est pas seul à se féliciter de ces quarante années qu'il a passées parmi nous. Le Clergé et les Paroissiens de Sainte Clotilde s'en félicitent eux-mêmes : tel est le sens de ma présence à l'autel et dans cette chaire. Bien mieux que moi, Monseigneur, Votre Excellence eût dit ce qu'il convenait de dire en pareille circonstance, et bien volontiers je vous eusse cédé la place; mais c'est au bénéficiaire qu'il appartient de reconnaître le bienfait et d'en exprimer des remerciements. Bénéficiaires, nous le sommes, paroissiens de Sainte Clotilde, nous devons au service de qui, depuis 40 ans, Maître Tournemire prodigue son talent : à lui, nous devons une grande partie de la solennité de nos fêtes liturgiques ; soit qu'il remplisse ce vaisseau d'accords puissants et triomphants, soit qu'il exprime par des accents plus discrets les suavités de l'amour divin, le Maître apporte une contribution exceptionnellement efficace à la beauté, à la splendeur du culte.

Qu'il soit donc permis à celui qui, en tant que Curé, représente la paroisse entière, de l'en louer et de l'en remercier.

On ne m'en voudra pas, sans doute, de faire valoir un autre titre que j'ai à me faire aujourd'hui l'interprète de tous : c'est qu'en 1898 j'étais là modeste vicaire, j'ai entendu dans cette Basilique, les premiers accents du nouvel organiste.

Il a été, je dois le dire, plus fidèle que moi à ces voûtes, puisque je m'en suis éloigné pendant dix ans, tandis que, lui, n'a jamais quitté son orgue. Mais, tout de même, je suis revenu, et voici vingt cinq ans bientôt que je jouis, comme curé, de la collaboration artistique de Maître Tournemire. Mon incompétence musicale m'empêche de la caractériser autrement que par les termes généraux que j'ai employés tout à l'heure, mais je veux ajouter que, outre sa haute valeur d'ordre professionnel, cette collaboration a toujours été marquée au coin de la plus parfaite bonne grâce, déférence et amitié ; c'est un genre d'harmonies et d'accord qui ont aussi leur grand prix.

Naturellement, la carrière du Maître, pendant ces quarante années, ne s'est pas écoulée uniquement à cette tribune et aux claviers de Sainte Clotilde. Elle a eu d'autres théâtres, et en particulier le Conservatoire, où Monsieur Tournemire fut nommé professeur en 1919. Son enseignement y fut très apprécié et fécond. On ne saurait nommer tous les élèves qui, formés par lui en si grand nombre, font honneur à leur Maître, et sont titulaires de grandes orgues, soit à Paris, soit en province ; les noms du moins de Joseph Bonnet, de Maurice Duruflé sont sur nos lèvres à tous.

La renommée de l'organiste de Sainte Clotilde s'est répandue, d'ailleurs, hors de Paris, hors de La France. Il n'est pas de pays d'Europe où il n'ait été appelé à donner des concerts d'orgue.

Il resterait à louer en lui le compositeur ; son œuvre écrite est, en effet, considérable, mais pour le faire il faudrait une voix plus autorisée que n'est la mienne. Je puis, du moins féliciter Maître Tournemire de l'inspiration religieuse qui anime ses œuvres d'église, en particulier celle, très importante, qu'il a intitulée l'Orgue mystique, où le compositeur s'est appliqué à prendre pour texte les motifs grégoriens de l'Office liturgique, au cours de l'année. Puisse son exemple être suivi et éloigner à jamais de nos grandes orgues les thèmes de musique profane ou théâtrale.

D'autres œuvres religieuses pour le concert méritent d'être retenues : l'Apocalypse, la Douloureuse Passion de N. S. J. C., une trilogie : FaustDon QuichotteSaint-François d'Assise. C'est dans une esprit religieux aussi que Maître Tournemire a écrit pour le Théâtre : on n'a pas oublié Les Dieux sont morts, œuvre représentée à l'Opéra de Paris. On notera aussi 8 symphonies pour orchestre.

Rendons hommage à ce grand labeur et félicitons, une fois de plus, celui qui a si bien cultivé en lui lés talents confiés. Félicitons-le aussi de vouloir remercier Dieu, aujourd'hui, de la fécondité d'une carrière déjà longue.

Bien entendu, l'action de grâces, pour être le principal motif de cette messe, n'en est pas le seul.

Après quarante années, on n'aperçoit aucun déclin dans le talent de notre organiste. Son cœur, est toujours jeune et vibrant, ses doigts toujours déliés : il apparaît toujours à ses claviers comme un lutteur que rien ne fatigue et qui règle à son gré et maître le déchaînement des sons.

Cela est d'un bon augure : quarante ans est une belle durée, mais qui manque un peu de plénitude; la plénitude exige, les cinquante ans au moins. Combien est-elle désirable et désirée ! En 1948, pourquoi Maître Tournemire ne serait-il pas encore à son poste ? Il n'y a qu'à suivre pour cela plusieurs illustres exemples, celui du Maître Widor en particulier. Nous lui en exprimons en tous cas le souhait très vif et ce sera aussi l'objet de notre prière au cours de la messe qui sa se poursuivre.

Revue Sainte-Cécile, juillet 1938
coll. et transcription DHM


Charles TOURNEMIRE
Organiste de la Basilique Sainte-Clotilde

Membre du Comité Artistique de l'U.M.C.O.


Il y a un peu plus d'un an, dans ces tablettes [en 1938], nous lisions le discours élogieux prononcé par M. le Chanoine Verdrie, à la messe de quarantaine du Maître Charles Tournemire. Nous applaudissions aux vœux de Monsieur le Curé souhaitant que le talent de son organiste illustrât, longtemps encore, les prières du clergé et des paroissiens de la Basilique.

La destinée en a décidé autrement et c'est avec une grande émotion que nous avons appris la brusque disparition du Maître, en novembre dernier.

Tournemire était né à Bordeaux, le 22 janvier 1870, avait commencé ses études musicales sous la direction d'un organiste de la ville : Camille Doney, artiste sérieux et cultivé. Il vint à Paris où il entra dans la classe d'orgue de César Franck, obtint la suprême récompense en 1892, alors que Ch. M. Widor occupait la chaire réputée du Conservatoire.

La même année il fut agréé comme organiste de Saint-Médard, fit un court séjour à Saint-Nicolas du Chardonnet. En 1898, succédant à Gabriel Pierné, il prenait possession des claviers de son Maître, César Franck, à Sainte Clotilde. Il fut nommé professeur au Conservatoire en 1919.

L'œuvre du compositeur, empreinte de sincérité, reste importante. S'éloignant de la musique religieuse, Charles Tournemire entreprend avec succès de nombreuses incursions dans les divers domaines : Sa pensée est attirée par la Symphonie, l'Oratorio, le Théâtre.

Toutefois, le Cavaillé-Coll qui entretient en lui la flamme inspiratrice, le hante. Il y revient sans cesse, et chaque composition nouvelle, écrite pour son instrument, voit son architecture modifiée, évoluée.

C'est avec un sentiment profond que je rappelle, dans l'ordre de parution, les pièces d'orgue de notre distingué musicien : Adagio, Scherzetto, Toccata, Interludes, Pastorale, Communion, Triple Choral, l'Orgue mystique (51 offices où les thèmes liturgiques sont paraphrasés), Trois poèmes, Sei Fioretti (2 cahiers). Il faut également citer la révision des œuvres de Dietrich Buxtehude.

Ces compositions ont été divulguées par les récitals, les leçons de nos organistes français : Joseph Bonnet, Àbel Decaux, Maurice Duruflé et bien d'autres encore.

Le Maître, lui-même, n'a-t-il pas convié à Sainte Clotilde ses confrères et les initiés pour leur faire partager son émotion !

Les musiciens d'Eglise, en particulier, n'oublieront pas les improvisations si décoratives que ce subtil artiste a laissé envoler de sa tribune bien-aimée. Charles Tournemire appartient à l'élite qui ne fait aucune concession à l'Art. Il sert la Musique, ne faiblit jamais dans sa noble tâche.

Dans le Temple de Dieu, il prie, fortifie sa pensée et maintient hautement la célébrité des Franck, des Pierné.

Nous espérons en des temps meilleurs pour permettre, sans tarder, le réveil du beau Cavaillé qui, comme beaucoup d'instruments Parisiens, sommeille en ce moment pour de multiples raisons, dont certaines sont étrangères aux contingences de l'heure.

La Providence veillera au choix de celui qui perpétuera cette lignée d'artistes incomparables. C'était le vœu très cher du disparu. Il me confiait, en septembre dernier (le canon tonnait déjà à notre frontière) : « Que -va devenir mon orgue si la tourmente s'aggrave ?... »

L'U. M. C. O. se joint aux nombreux amis et admirateurs du Maître, pour présenter à Madame Charles Tournemire ses condoléances émues.

André PRATS
Organiste de Saint-Roch

Bulletin UMCO, oct. 1939
- coll. et transcription DHM -



La réception de « L'Orgue mystique »

 

 

Ce cycle de pièces pour orgue qui suit l'année liturgique a été composé par Charles Tournemire (1870-1939) entre 1927 et 1932. Chaque office comporte cinq pièces qui correspondent dans l'esprit et la durée à un prélude à l'introït, un offertoire, une élévation, une communion et une sortie et reprend en filigrane les mélodies grégoriennes du propre. Les temps de l'Avent et du Carême en sont exclus en raison du mutisme de l'orgue durant ces temps de pénitence. Voyons au travers d'articles de presse et de commentaires la manière dont cette œuvre monumentale a été reçue par les organistes et les mélomanes.

 

     « L'orgue mystique. La place de la musique est marquée au-dessus des perceptions matérielles, elle a affaire à l'âme par les idées qu'elle communique. » C'est ainsi que s'exprime W. de Lenz, l'illustre commentateur de Beethoven, Et voici qu'un maître contemporain aussi simple que profond, Charles Tournemire s'élève au-dessus de la « perception matérielle » il laisse parler son âme à travers une production monumentale, unique au point de vue spiritualité. Charles Tournemire a su merveilleusement dégager d'une source inépuisable, du plain-chant, ce qui est l'essence même d'une musique dominée par l'esprit de la foi. L'Orque mystique, tel est le titré de ce travail énorme et qui constitue la collection de l'année liturgique, en groupant en trois grands cycles Noël, Pâques et cycle après la Pentecôte.

     Depuis Bach, qui légua à l'humanité les magnifiques chorals que nous connaissons, c'est la première fois qu'un musicien se livre avec ferveur à un travail opiniâtre pour doter notre art d'un tel édifice sonore. Si la production de Charles Tournemire, conçue dans le recueillement et dans la méditation, est destinée à servir dans le cadre des cérémonies liturgiques, ces pièces d'orgue peuvent prendre aussi bien leur place aux programmes de nos grands concerts symphoniques et elles doivent figurer à côté des œuvres religieuses ou inspirées du sentiment religieux, sans que rien n'altère leur beauté intrinsèque.

     La langue musicale actuelle, affirme l'éminent organiste Joseph Bonnet, possède des aptitudes surprenantes à paraphraser les mélodies grégoriennes, éternellement jeunes. Et, justement, Charles Tournemire a pris le parti qui convenait le mieux au recueillement de son âme mystique et a l'envergure de son sujet pour « associer aux guirlandes médiévales, comme il dit, les ressources multiples de la polyphonie, dépouillée d'accents qui pourraient altérer la sérénité de la musique des cathédrales ». Chaque pièce de son Orgue mystique (Interlude, Fantaisie, Chorals ou Paraphrases) se trouve enclavée dans des formes claires, faciles à reconnaître par la construction modale, où rien n'est laissé au hasard et qui garde toujours dignement la gravité du sujet. En ne citant, par exemple, que la Fantaisie chorale du recueil In Festo Pentecostes, d'un équilibre merveilleux et d'une technique instrumentale dont l'intérêt grandit au fur et à mesure qu'on avance à travers ce thème qui se lève par « augmentation », comme les vastes voûtes d'un édifice grandiose puis cette noble autre pièce In Assomptione M. V., qui, dans son Prélude, débute si lumineusement et parcourt une série de tonalités qui, en apparence, semblent étrangères au mode tonal pour conclure par un appel céleste d'un accord en ré majeur imprévu.

     Les chercheurs d'harmonies pourront prendre une belle leçon dans les exemples hardis de cette pièce, qui reste, malgré tout, logique et d'une création personnelle. On voudrait citer chaque page de cette œuvre magnifique, où la nouveauté contrapointique, les agrégations harmoniques sont serties avec un savoir et une vision particulière adéquate à la mélodie grégorienne.

     Charles Tournemire a trouvé à l'Abbaye solesmienne de précieux encouragements, toujours indispensables à tout artiste créateur. Soyons aussi reconnaissants à ceux qui ont contribué à mettre en lumière un tel ouvrage, car L'Orgue mystique marquera une date dans les annales de l'édition française. »

(Le Figaro, 20 mai 1929, p. 5)

 

     « Si à Sainte-Clotilde, à l'heure de l'office, vous poussez une porte basse et gravissez un rude escalier, vous vous trouvez soudain comme dans un monde enchanté. Dans la pénombre luisent les reflets métalliques d'innombrables tuyaux d'où semblent émaner comme des voix des éléments— plainte des vents, mugissement des vagues, murmures d'eaux courantes, bruissement des feuillages dans les forêts profondes... Si d'un peu plus loin vous écoutez cette émouvante symphonie, vous percevez qu'elle est soumise au chant et à la prière d'une âme fervente... Ainsi depuis plus de trente ans, chaque dimanche, Charles Tournemire improvise. Par ailleurs, il accumula de très nombreuses œuvres orchestrales et chorales, des symphonies (au moins huit, Je crois), des opéras, etc., dont il faudra bien qu'un jour Soit mieux connu l'ensemble. Mais toujours il revenait déverser dans ses improvisations dominicales le meilleur de son cœur et de son imagination.

     D'autre part, une musique d'orgue correspondant véritablement à la liturgie catholique n'existait pas encore dans toute notre littérature musicale. Les organistes, ou improvisent, ou jouent des morceaux parfois fort beaux, mais non spécialement adaptés aux offices. Je crois que notre grand organiste Joseph Bonnet n'est pas complètement étranger à la détermination que prit Tournemire de se mettre à élever cet énorme monument que représente une musique d'orgue parfaitement adéquate aux 51 offices de l'année liturgique. Pour ce faire, l'auteur aurait pu se fier uniquement à sa féconde invention ; mais il a préféré prendre comme base cette source de musique infinie, éternellement jeune, qu'est le chant grégorien. Il s'est donc servi pour chaque office de quelques mélodies parmi celles que lui proposait le plain-chant du jour. L'on peut dire que Tournemire est, à notre époque où les « écoles », les « équipes », le travail en commun jouent un si grand rôle, l'un des rares esprits vraiment solitaires qui soient. On pourrait l'apparenter à un S Ernest Hello ou plus près de nous à un Suarès. Pour chercher la solitude nécessaire à son œuvre, il alla d'abord à la Grande Chartreuse. Mais il fut attiré, puis même sollicité directement, je crois bien, par les moines de Solesmes, et vint fréquenter non plus un cloître délaissé, mais un cloître spirituellement vivant.

     Il y aurait naturellement toute une étude à faire sur le rayonnement artistique et spirituel de l'abbaye de Solesmes qui est, on le sait, un des centres importants de vie morale de l’époque, que hantent, pour ne parler que de musiciens, et de vivants, des esprits aussi parfaitement dissemblables que Roland-Manuel et Charles Tournemire. A Solesmes, ce dernier compléta son initiation à l'extraordinaire beauté linéaire des libres cantilènes médiévales, et s'en imprégna si bien qu'elles firent corps désormais avec sa propre pensée musicale. Certes, le moyen âge a toujours attiré Tournemire. Il fut de tout temps épris du mystère des voûtes élancées et des vitraux multicolores. Mais je ne vois vraiment aucune incompatibilité entre le fait de s'inspirer du passé, et celui d'être « moderne ». Il est fort probable même qu'aucun pas en avant ne se fait sans s'appuyer sur une renaissance, une palingénésie (dans un domaine diamétralement opposé à celui qui nous occupe, je pense par exemple à Pulcinella). Et bien souvent la marche de l'évolution n'est nullement continue.

     Bien des étapes nouvelles prennent leur point de départ, non pas dans celle qui les précède immédiatement, mais à un passé un peu antérieur. Or, le conglomérat de segments mélodiques médiévaux et d'harmonies modernes que présente L'Orgue mystique me paraît non seulement extrêmement intéressant, mais même très nouveau. Il va de soi que le simple revêtement du plain-chant par l'harmonie traditionnelle à base cadentielle est actuellement indéfendable. Si l'on veut trouver des antécédents à Tournemire, c'est parmi les prédécesseurs de l'impérialisme tonal qu'il faudrait les chercher. Il serait intéressant de comparer sa manière à, par exemple, celle d'un Frescobaldi : Mais à mettre en contact le plain-chant et l'harmonie du XXème siècle, Tournemire a été conduit à des trouvailles véritablement personnelles. Peut-être certaines de ses œuvres antérieures les laissaient-elles prévoir, par exemple son Triple choral pour orgue.

     Pourtant il semble que l'Orgue mystique apporte comme une libération définitive. Non seulement le jeu des notes de passages, retards, appoggiatures, etc., y est passionnant à suivre, mais encore l'auteur semble amené parfois à renoncer à la langue harmonique issue de l'accord parfait. Certaines agrégations par quartes sont à la fois fort hardies et admirablement nécessitées (ainsi l'accord terminal de la Communion de l'office de la Toussaint, qui semble comme un étrange élargissement du merveilleux accord naturel de la guitare). Des cadences aussi, du 3e degré sur la tonique, sont d'une rare préciosité. L'Offertoire de l'Assomption est tout à fait étonnant, faisant entendre mystérieusement en un seul bloc simultané tous les degrés de la gamme de ré. L'on pourrait continuer presque à l'infini de signaler des réussites, des nouveautés harmoniques de premier ordre. Parfois (ainsi dans l'offertoire cité plus haut) des recherches polyphoniques extrêmement poussées alternent avec l'exposé d'un texte laissé dans sa nudité primitive. Et le voisinage s'avère extrêmement heureux, le contraste se produit sans aucun heurt. Des fins monodiques donnent parfois l'impression de se perdre dans l'infini (IV de Pâques, V de l'Immaculée Conception, I du T. S. Sacrement, IV de l'Assomption, etc.). Il m'arrive de goûter moins que d'autres pages les pièces terminales de certains offices, où l'éloquence se fait parfois un peu visible. Pourtant, comment ne pas signaler l'extraordinaire impression du finale de l'Office de la Pentecôte, restant pour ainsi dire en suspens, après des modulations des plus curieuses, sur l'accord de 7è basé surfa dièse, sans que pour cela soit suggérée un instant la tonalité de si. Il y a là une des meilleures trouvailles harmoniques que j'ai rencontrées depuis longtemps.

     Du reste toute la structure modalotonale de ce Choral-Fantaisie serait des plus intéressantes à étudier. Si j'insiste et me plais à rendre hommage dans le détail à l'écriture de cette œuvre considérable, c'est en toute liberté d'esprit, et peut-être justement parce qu'elle est assez loin de mon idéal. J'ai certes prôné bien souvent la nécessité de s'appuyer sur le passé pour renouveler notre langue actuelle, mais ce n'est pas dans la confrontation de monodies avec notre harmonie que je voyais l'école la plus profitable, mais bien plutôt dans l'étude de toute cette admirable école de l'aube de notre polyphonie, de Perotin à Dufay, et j'aurais plus volontiers fait mon livre de chevet du Cancionero espagnol ou des œuvres de Machault que de l'Année liturgique de Dom Guéranger.

     Pourtant, devant une réussite aussi parfaite en son genre que l'Orgue mystique, c'est sans aucune réticence que je viens m'incliner. De même, mon propre idéal religieux est fort loin de la foi catholique, mais comment ne pas admirer du fond du cœur le sentiment qui anime la très grande majorité de ces pages, et qui est, très spécifiquement, la ferveur. D'autres compositeurs religieux ont pu exalter une foi triomphante, ou exprimer soit leur crainte, soit leur admiration de la majesté divine. Ici on sent à chaque pas un élan merveilleux, à la fois humble et confiant, vers un Dieu très proche du cœur. Chaque note de l'Orgue mystique correspond, sinon à un véritable état d'oraison, du moins à une ardente prière, à un élan d'amour. J'aurais voulu dire mieux à la fois la diversité et l'unité de cette œuvre. Il sera peut-être utile d'y revenir lorsqu'elle sera entièrement achevée.

     D'après les offices déjà parus, qui comprennent les principales fêtes de l'année, Pâques, la Pentecôte, Noël, Ascension, etc., l'on peut se rendre compte de la coloration spirituelle différente de chaque étape de cette traduction musicale de cet énorme cycle évolutif qu'est l'année liturgique. Quoi de plus différent, par exemple, que la fraîcheur quasi virginale de l'Élévation de la fête de l'Immaculée Conception, et le mystère troublant de certaines harmonies de Noël, ou encore la claire luminosité du Carillon final de l'Assomption ? D'un autre point de vue, certains éléments reparaissent plusieurs fois pour assurer l’unité ; ainsi une même montée par accords parfaits se retrouve au début de l'Office de Pâques et à la fin de celui de la Pentecôte. J'aurais voulu dire encore la diversité absolue des procédés employés tour à tour pour paraphraser le plain-chant, allant depuis la simple énonciation du texte jusqu'aux plus complexes variations. Cette diversité évoque parfois celle de Bach, traitant le choral protestant ! Ainsi, il y aurait, mutatis mutandis, de bien utiles comparaisons à faire entre l'Orgue mystique et les Choralvorspiele !... En lisant Tournemire, j'ai pensé plus d'une fois à la parole de la Kundry de Wagner : Dienen ! Dienen ! Eussé-je fait simplement comprendre à quel point l'Orgue mystique est une œuvre qui veut servir, servir son idéal, son Dieu ; aussi, plus simplement, mais non moins noblement, servir l'auguste cérémonie à laquelle elle veut participer. Et contrairement à certaines tendances esthétiques d'aujourd'hui prêchant l'« inutilité », je crois bien que « servir » est le but suprême de tout art. Raymond PETIT. »

(Le Ménestrel, 21 juin 1929, p. 281-282)

 

     « Les projets de M. Charles Tournemire. L'éminent professeur au Conservatoire s'adonne entièrement à une œuvre d'orgue considérable, —L'Orgue mystique —qui ne représentera pas moins de 250 pièces, basées sur le chant grégorien, mais de manière libre. Cinq cents pages sont déjà réalisées, et ce sera, depuis Bach, le plus important ouvrage qui n’ait jamais été conçu pour « le roi des instruments »

(Comoedia, 29 août 1929, p. 4)

 

     « Rouen. — Parmi les plus remarquables des concerts qui eurent lieu récemment en notre ville, il convient d'accorder une mention spéciale au récital que donna sur l'orgue de la cathédrale M. Ch. Tournemire, l'éminent organiste de la basilique Sainte-Clotilde à Paris. Après avoir exécuté avec une réelle maîtrise trois pièces d'auteurs anciens, Nicolas de Grigny, Frescobaldi et Titelouze, M. Tournemire fit entendre toute une suite de compositions dont il est l'auteur et qui sont extraites de l'Orgue mystique, œuvre monumentale actuellement en cours de publication. D'une conception toute nouvelle qui rompt délibérément avec la routine, d'une écriture personnelle et originale, d'une réalisation pittoresque des plus poétiques, toutes ces pages, magnifiquement appropriées au style de l'orgue, sont inspirées du chant grégorien auquel elles empruntent leurs modalités. A les entendre, on éprouve au premier abord un sentiment de surprise, puis on est séduit et, finalement, entièrement captivé par l'admirable souplesse de la ligne mélodique, par la variété et la richesse de l'harmonie, par la noblesse et la beauté du langage. Aussi l'Orgue mystique a-t-il produit une impression profonde sur tous ceux qui ont eu le bonheur d'assister à cette audition. J. DE C. »

(Le Ménestrel, 4 avril 1930, p. 161)

 

     « Récital Charles Tournemire (15juin). — Ainsi que l'année dernière, l'éminent organiste a donné, en l'église Sainte-Clotilde, une audition de pièces extraites de l'Orgue mystique. Mais, cette fois, les pages que nous fit entendre M. Tournemire étaient empruntées à des compositions encore inédites ou en cours de publication. Nous avons retrouvé dans ces pages la même noblesse d'inspiration, le même sentiment religieux et la même richesse d'écriture dont nous avons eu l'occasion d'entretenir déjà, à différentes reprises, les lecteurs du Ménestrel. L’intérêt très vif qu'un public choisi témoigna à ces pièces d’orgue est une sûre garantie de succès pour les œuvres qui nous furent présentées. M. P » (Le Ménestrel, 26 juin 1931, p. 285)

 

     « Une œuvre grandiose qu'édifie Ch. Tournemire sous le nom de l'Orgue mystique en est une preuve éclatante. Cette œuvre est la collection de cinquante et un offices de l'année liturgique. Pour chacun de ces offices, l'auteur s'est proposé d'écrire cinq pièces : Prélude à l'introït, offertoire, élévation, communion, pièce terminale où il paraphrase un thème grégorien. « Son accomplissement, écrit Joseph Bonnet, réclamait un maître possédant à fond la technique de l'orgue et de la composition, pénétré de l'esprit de foi, de l'incomparable beauté des cérémonies liturgiques et des mélodies grégoriennes, vivant dans l'intimité de J.-S. Bach et des vieux maîtres latins, ses précurseurs, qui créèrent pour les thèmes grégoriens les diverses formes que le grand « Cantor» reprit ensuite et appliqua aux mélodies des chorals; un maître travaillant dans la retraite et le recueillement indispensable à tout artiste créateur.

     « Notre langue musicale actuelle possède des aptitudes surprenantes à paraphraser les mélodies grégoriennes éternellement jeunes. » Cette réaction portera ses fruits et, suivant un exemple tombant de si haut, la jeune école comprendra que si l'orgue de concert et l'orgue profane permettent d'écrire et d'exécuter des chefs-d'œuvre tout autant que l'orgue d'église, celui-ci cependant peut continuer à en inspirer dans l'avenir comme il l'a fait dans le passé, tout en gardant son caractère noble et religieux, le seul qui autorise sa présence dans le temple et dont le rôle est d'aider la liturgie sacrée à élever les âmes des fidèles vers Dieu. »

(Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, Rouen, 1932, p. 159-160)

 

     « En passant de l'orgue de Notre-Dame à celui de Sainte-Clotilde, en vous conviant à entendre, de Charles Tournemire, une Fantaisie qui vit le jour... pendant la nuit — car elle fut enregistrée à deux heures du matin— je vous invite à écouter un artiste, producteur de grandes œuvres et nombreuses, et qui est en train d'y ajouter, par son Orgue Mystique, inspiré d'un sentiment personnel si profond, une nouveauté bien remarquable dans l'histoire de l'instrument. C'est une sorte de liturgie analogue, par son objet, à la collection des Cantates de J.-S. Bach pour tous les dimanches de l'année. L'analogie réside dans ce fait que des pièces, purement instrumentales, il est vrai, y sont construites sur des thèmes empruntés aux chants propres à chaque dimanche et développés avec une richesse dont vous allez être juges. La Fantaisie qui va vous parvenir vous donnera une idée de la façon dont Ch. Tournemire compose ; car avant d'écrire l'Orgue Mystique, il s'est complu, aux claviers de Sainte-Clotilde, à en ébaucher bien des pages. »

(Le Ménestrel, 12 février 1932, p. 66)

 

     « M. Charles Tournemire, le prodigieux compositeur d'une suite de pages sans équivalent dans la littérature de l'orgue et que l'auteur a réunies sous le titre général de l'Orgue Mystique, est le digne successeur de César Franck à la console illustre de l'Eglise de Sainte-Clotilde. Par cette mystérieuse loi d'équilibre, contre quoi les hommes ne peuvent rien, se trouve réalisée l'une des plus harmonieuses transmissions de pouvoirs que l'on ait pu constater au cours d'un demi-siècle. Ici tout concorde, le lieu et l'esprit. Non seulement VI. Charles Tournemire nous donne une suite logique aux Trois Chorals, dans ce même esprit de hardiesse qui fut celui de Franck, mais aussi il a hérité du maître ce don exceptionnel de l'improvisation qui jadis impressionna si fort Franz Liszt. »

(Le Mercure de France, 1er mars 1932, p. 463-464)

 

     « L'Orgue mystique (Eglise Sainte-Clotilde, 25 avril). —Ce qui fit l'originalité de cette audition, c'est que sept exécutants, qui comptent parmi les plus jeunes et les meilleurs de nos organistes actuels, se succédèrent aux claviers de l'orgue de Sainte-Clotilde pour y faire entendre chacun deux pièces extraites de l'Orgue mystique de Charles Tournemire. Dans l'ordre où ils prirent part à l'exécution, ces sept organistes sont : MM. Daniel Lesur, suppléant à l'orgue de Sainte-Clotilde ; Gaston Litaize, organiste de Notre Dame-de-la-Croix ; Jean Langlais, professeur à l'Institution Nationale des Jeunes Aveugles ; Olivier Messiaen, organiste de la Trinité ; Mlle Noélie Pierront, organiste de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou; MM. Maurice Duruflé, organiste de Saint-Elienne-du-Mont,et André Fleury, organiste de Saint-Augustin. Tous se montrèrent des interprètes parfaits, virtuoses impeccables, musiciens sensibles et compréhensifs, imprégnés profondément de la musique qu'ils jouèrent.

     A maintes reprises, le Ménestrel a parlé de l'œuvre grandiose qu'est l'Orgue mystique, et c'est pourquoi il nous paraît aujourd'hui superflu, considérant cette œuvre au point de vue musical et liturgique, d'en vanter à nouveau la valeur artistique, le charme, la noblesse et la beauté. Mais ce qu'il convient de remarquer plus particulièrement à l'occasion de ce concert, c'est l'attrait et l'influence qu'exerce l'Orgue mystique sur les jeunes générations d'organistes, ce par quoi il est permis de présager pour le monumental ouvrage de Charles Tournemire un avenir assuré d'un solide et durable succès. M. P. »

(Le Ménestrel, 6 mai 1932, p. 202)

 

     « L’Orgue mystique de Charles Tournemire a su [...] moderniser le plain-chant, adapter les harmonies debussystes et la polytonalité aux arabesques jubilantes des alléluias, dans un rythme souple, d'une étonnante actualité. Une telle œuvre est vraiment catholique, liturgique, vivante. C’est peut-être, à l'heure actuelle, le chef-d’œuvre de l'art sacré. »

(Olivier Messiaen, Technique de mon langage musical, Paris, Alphonse Leduc, 1944)

 

« La vision que nous donne Ch Tournemire (mort en 1937 [sic]) est assez saisissante dans ses improvisations pour orgue, certaines pages de L'Orgue Mystique ou des Sept Chorals sur les sept paroles du Christ. »

(La Maison-Dieu, n° 182, Paris, Cerf, avril 1990, p. 125)

 

articles collectés par Olivier Geoffroy

(octobre 2019)


 

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