Marcel Bitsch : Entretien - Presse - Photos - Catalogue
Entretien de Marcel Bistch avec Marie-Rose Clouzot, 1967 à l'occasion de la sortie de l'enregistrement (Club Français du Disque) de L'art de la Fugue de J.-S. Bach
dans la version orchestrale de Marcel Bistch et Claude Pascal (Grand Prix de l'Académie du Disque Français 1967)
et en prélude au concert du samedi 16 décembre 1967 au Théâtre des Champs-Elysées
consacré à La Fugue pour 4 instruments à vent de Marcel Bitsch (commande de l'Etat)
interprétée par Georges Cailleaux (hautbois), Raymond Silvand (basson), Alain Noël (cor) et André Bénes (trompette)
avec une démonstration de la Fugue imaginée par Germaine Arbeau-Bonnefoy
et une transposition chorégraphique d'Irina Grjebina et ses artistes du Ballet Russe
Marcel Bitsch ayant fixé notre rendez-vous à sa classe du Conservatoire, j'ai eu le privilège de l'entendre analyser les fugues de deux de ses élèves qui préparaient leur concours de fin d'année. Frappée par l'extrême attention qu'il apportait à ses corrections et sa sollicitude à l'égard de ses « poulains », j'ai tout naturellement commencé notre entretien en lui parlant de son enseignement.
Moi. — Vous prenez votre métier de professeur avec un tel sérieux qu'il ne doit pas vous laisser beaucoup de temps pour votre autre métier de compositeur...
Lui. — Non, mais c'est tellement passionnant ! Mes élèves sont très attentifs et je les aime beaucoup ; aussi je suis très heureux parmi eux. Par ailleurs, j'enseigne aussi l'harmonie au Lycée La Fontaine, au cours Normal de Formation des futurs professeurs de musique dans les lycées.
Moi. — Mais ne vous sentez-vous pas un peu « brimé » d'avoir si peu de temps pour votre œuvre personnelle ?
Lui. — Pas tellement... je me sens très libre, et je suis heureux comme cela. Et puis, je compose pendant les vacances, dans un petit village de Provence, où je jouis d'une parfaite tranquillité. Vraiment, j'adore enseigner.
Moi. — Cela ne doit pourtant pas être facile, au milieu des courants, disons révolutionnaires, de la musique actuelle ?
Lui. — Voyez-vous, au niveau des classes de Fugue et de Contrepoint, nous ne nous préoccupons pas d'esthétique ; il ne s'agit que de donner aux futurs compositeurs des bases, une armature, qu'ils sont libres d'abandonner quand ils passent en classe de composition. Même Messiaen nous demande d'être très « classique » si je peux dire, et de leur inculquer le maximum de discipline. Quant à ceux qui sont à la fois en classe de Fugue et de composition, eh bien, ils sont pleins de rigueur avec nous... et débridés ailleurs ! Du reste, un « métier » que l'on apprend bien, cela se voit dans l'œuvre future : après tout, on pourrait faire du contrepoint ou une fugue sériels.
Moi. — Beaucoup de vos élèves ont des tendances sérielles ?
Lui. — Certains, oui ; d'autres sont attirés vers des esthétiques plus traditionnelles... ou plus révolutionnaires !
Moi. — Et vous-même, où vous classez-vous ?
Lui. — (Il se met à rire). Oh, moi, je suis un néo-classique, ce qui ne m empêche pas d'aimer à la fois Prokofiev et Messiaen, Stravinsky et Bartok. Je n'aime guère les systèmes posés « a priori ».
Moi. — En tant qu'enseignant, que pensez-vous du rôle éducateur de la radio et du disque ?
Lui. — Je n'ai pas une position très définie : en effet, s'il est indéniable que ce sont de prodigieux moyens de culture qui ont mis à la portée des gens des œuvres qu'ils n'auraient jamais eu la possibilité d'entendre, il y a un envers : l'auditeur de radio, privé de la « cérémonie » du concert, de l'attrait visuel, de la dépense réelle de l'interprète, a tendance à devenir trop passif. Autrefois l'amateur de musique était poussé à apprendre à déchiffrer ou du moins à lire la musique, il était actif.
Moi. — Parlez-moi maintenant de l'œuvre de vous que nous entendons aujourd'hui.
Lui. — II fallait une fugue aussi démonstrative que possible ; aussi, madame Arbeau et moi en avons établi les matériaux ensemble ; nous avons choisi des instruments aux timbres très différenciés, et je leur ai confié une partition où tous les procédés d'écriture en usage dans les Fugues de Bach, par exemple, sont utilisés.
Moi. — Cela m'amène à vous parler de votre dernier ouvrage, l'édition de l'Art de la Fugue de Bach.
Lui. — C'est le résultat de plusieurs années de réflexion. C'est l'essence et la base de tout mon enseignement ; à force de le faire analyser à mes élèves, j'ai été amené à me poser des tas de questions, et par suite à tenter de les résoudre. J'ai consulté les manuscrits de Bach et les éditions anciennes ; il y a deux manuscrits, dont un est à Berlin : ce sont des feuillets séparés, non classés, de formats différents... on ne sait rien, en réalité, ni de l'ordre dans lequel les 23 fugues doivent être jouées, ni même par quels instruments. Alors, j'ai cherché, et dans l'Introduction de mon édition, je donne mes hypothèses.
Moi. — Et l'Orchestration qui vient d'avoir le Grand Prix du Disque ?
Lui. — Je l'ai réalisée en étroite collaboration avec mon ami Claude Pascal. Nous avons surtout essayé de mettre en valeur chaque plan de l'écriture par des changements de plan sonore, grâce à des changements de timbres.
Moi. — Puis-je sortir du domaine strictement musical pour vous demander si vous avez, comme on dit, un « hobby », ou un dada ?
Lui. — J'ai la passion des langues vivantes. J'avais fait pas mal d'allemand pour ma licence de lettres, et m'y suis remis ces dernières années pour pouvoir lire la littérature allemande contemporaine dans le texte. C'est du reste plus facile que le Goethe et le Schiller de mes années d'étude ! Et je lis aussi beaucoup en italien, langue que j'ai commencée quand j'étais à la Villa Médicis. J'aime Buzatti, Moravia, et la poésie italienne d'aujourd'hui. »
Dut en souffrir sa modestie, j'ajouterai seulement : heureux sont les élèves d'un tel maître doublé d'un tel humaniste !!
Marie-Rose Clouzot
in Formation de l'amateur de concerts
décembre 1967, n° 3
Presse
La Nation, novembre 1945 |
Journal CMF, novembre 1957 |
Photos
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Les deux Grand Prix de Rome 1945 : Claude Pascal penché sur Marcel Bistch au piano (in L’Epoque, sept. 1945, coll. J. Bitsch) DR. |
Paris, juin 1952 ( coll. Jacques Bistch ) DR |
Paris, juin 1952 ( coll. Jacques Bistch ) DR |
Paris, 19 novembre 1957 ( coll. Jacques Bistch ) DR |
Paris, années 1960 ( photo Studio G. Marant, Paris, coll. Jacques Bitsch ) DR |
Marcel Bitsch, Savièse (Suisse), juillet 1991 ( photo Edith Lejet ) DR |
Saint-Germain-en-Laye, été 1999 avec Michel Baron (webmestre de Musica et Memoria) ( Photo Céline Fortin ) DR |
Catalogue des oeuvres de Marcel Bitsch
de Marcel Bitsch, publié chez Leduc en 1961 ( coll. DHM ) |
Denis Havard de la Montagne
(novembre 2011)