Qui ne se souvient pas de ces deux excellents films de Gérard Oury qui ont amusé tant de spectateurs : le Corniaud (1965) avec Bourvil et de Funès; et le Cerveau (1970) avec Belmondo et Bourvil? Georges Delerue en avait écrit les musiques, comme il le fit pour bien d'autres films à succès d'ailleurs. Ce musicien complet est décédé le 21 mars 1992 dans sa maison de Burbank, près de Los Angeles, où il s'était installé voilà quelques années. C'était un musicien bien connu du public français mais également des américains pour qui il avait travaillé à Hollywood.
Né le 12 mars 1925 à Roubaix, il débuta ses études musicales dans sa ville natale pour les poursuivre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où notamment il fut l'élève de composition d'Henri Büsser puis de Darius Milhaud, tout en étudiant la clarinette et le piano.
En 1949 il obtient à la fois le 1er Prix de composition et le Second Grand Prix de Rome. Darius Milhaud avait le premier perçu le goût de son élève pour le spectacle et l'envoya en 1948 diriger à sa place les musiques de scène lors des débuts de Jean Vilar en Avignon. Georges Delerue dira plus tard à propos de son professeur que c'était bien lui qui avait décidé de sa vocation. Ses premières œuvres datent de cette époque : Quatuor pour cordes et piano (1947) et Quatuor pour cordes n° 1 (1948).
Rapidement il obtenait un vif succès en Avignon avec notamment la musique de La Mort de Danton de Büchner que Jean Vilar voulait monter. Il est alors nommé, dès 1948, directeur musical du Festival d’Avignon. C'est ainsi que sa carrière débuta par le théâtre avec, entre autres, les musiques des grandes pièces dramatiques telles Andromaque, Antigone ou encore Macbeth qui seront diffusées à la télévision. C’est un peu plus tard qu’il arrivera au cinéma. Il sera également durant quelque temps chef d'orchestre du Club d'essai de la Radiodiffusion française de1951 à 1957.
Ses nombreuses compositions plaisent toujours au public, car, comme il le déclarait lui-même : " Je me sens de plus en plus romantique ! La musique, c’est, d’abord le plaisir, la beauté du son même dramatique et violent. Mes maîtres sont Brahms et Roussel ! Alors comprenez que les " bidouillages " des fans d’électroacoustique me laissent froid... Je ne peux tout de même pas me forcer! " 1 C'était peut-être tout simplement là le secret de sa réussite. Repoussant toute technique pré-établie, il se rattachait à la tradition, même si parfois il la dépassait quelque peu. Ce refus du " bidouillage " électroacoustique devrait faire réfléchir plus d'un de nos actuels compositeurs qui se sentent sublimer par ce style de "musique" ! Le public, lui, l'a bien compris depuis longtemps.
Musicien complet, il a contribué à donner à la musique de film ses lettres de noblesse. Rappelons tout de même que la voie avait été déjà ouverte par de grands musiciens classiques qui s'étaient également attaqués à ce genre musical : Georges Auric, Benjamin Britten Dimitri Chostakovitch, Henri Dutilleux, Jean Françaix, Georges Gershwin, Jean-Jacques Grünenwald, Arthur Honegger, Jacques Ibert, Aram Khatchatourian, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Serge Prokofiev, Henri Sauguet et même Camille Saint-Saëns qui composa, en 1908, une musique d'accompagnement pour le plus fameux des films d'art L'assassinat du Duc de Guise (Calmettes) ! Dans les années soixante les plus grands noms du cinéma firent appel à lui : Henri Verneuil, François Truffaut, Gérard Oury, Alain Resnais, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Philippe de Broca...
Ses musiques de film telles Les Rois maudits de Druon (1974), Hiroshima mon amour de Resnais (1958), Jules et Jim de Truffaut (1961), Le vieil homme et l'enfant de Claude Berri (1968), Police Python 357 d’Alain Corneau (1976), ou encore Le dernier métro de Truffaut (1980) et Platoon d’Olivier Stone (1986)... ont marqué les cinéphiles. En 25 ans de carrière dans ce domaine Georges Delerue a signé plus de 200 musiques de film !
Mais ce docteur Jekyll et Mr Hyde de la musique, comme aiment à écrire certains journalistes 2, excellait aussi dans le genre plus classique et savait faire la part entre la musique de film et la musique dite classique, bien que parfois bien malin celui qui pourra en déterminer les frontières exactes!
C'est ainsi qu'il laisse plusieurs opéras: Ariane (1954), le Chevalier de neige (1956) écrit avec Boris Vian et créé à Nancy en 1956, Medis et Alyssio, représenté au théâtre de Strasbourg en 1974; des musiques de ballet : L'Emprise (1957), Conte cruel (1959), la Leçon (1963); Trois mélodies sur des poèmes d'Eluard (1950) et de la musique instrumentale: Poème fantastique (1953) pour cor et piano, Mouvement (1952) pour percussion et piano, des quatuors à cordes, Concertino pour piano et orchestre à cordes (1955), Symphonie concertante (1957) pour piano et orchestre, Concerto pour cor et orchestre à cordes (1980) etc...
Ce musicien productif, méticuleux et exigeant n'évitait en réalité qu'une seule musique: la mauvaise musique, la musique médiocre! N'est-ce point là la marque de l'artiste complet à l'aise dans tous les genres?
Dernier message sans doute, l’ultime partition de ce compositeur pour le film Diên-Biên-Phu, de Pierre Schoendorffer, sur les écrans au moment de sa mort, s’appelait Concerto de l'Adieu!! Le cinéaste déclara par la suite : " ...J'ai songé à lui pour Diên-Biên-Phu, parce que je voulais un vrai musicien, qui fasse de la musique l'âme même du film. Il a composé son concerto d'après le scénario, et l'orchestre d'Hanoï l'a si bien apprécié qu'il a décidé de l'inscrire à son répertoire... " 3
Laissons pour terminer la parole à Pierre Vavasseur qui a parfaitement su décrire en quelques mots les particularités de l’écriture musicale de Georges Delerue utilisée dans ses films : " Ses envoûtements symphoniques, ses velours d’arpèges, ses escadrons d’instruments à vent, ses arrière-bans de violons [sont] capables de briser l’écorce des âmes les plus dures. " 4 C’est certainement là l’un des secrets de Georges Delerue qui a contribué à sa célébrité et à le faire tant aimer du public.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
1) Le Figaro, 23 mars 1992. [ Retour ]
2) Jacques Doucelin, in Le Figaro op. cité. [ Retour ]
3) Propos rapportés par Marie-Noëlle Tranchant, in Le Figaro, op. cité. [ Retour ]
4) Le Parisien, 23 mars 1992. [ Retour ]
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