Jean Fournier ( photo Harcourt, Paris, aimablement communiquée par l'intéressé ) |
Musicien de grande classe, concertiste talentueux et éminent pédagogue, le violoniste Jean Fournier marque depuis plus d’un demi siècle l’école française de violon. Ses nombreux disciples ne se comptent plus; ils ont essaimé son enseignement aussi bien en France que sur les cinq continents, soit comme instrumentistes au sein de bon nombre d’orchestres, bien souvent en tant que solistes ou 1er violon, soit comme professeurs dans des conservatoires. Un journaliste espagnol a un jour écrit " Il faut souligner que la technique n’est pas chez Jean Fournier une fin, mais seulement un moyen subordonné à l’émotion et à la beauté. " C’est bien pour cela que Jean Fournier est un musicien un peu à part, un grand artiste à la technique parfaite mise au service du cœur.
Jean Fournier
( cliché Studio Garanchet, Sartrouville, coll. Jean Fournier )Fils du général de division Gaston Fournier, c’est de sa mère, née Gabrielle Morice, bonne musicienne ayant étudié le chant et le piano, qu’il reçoit ce goût pour la musique. Son frère aîné Pierre (1906-1986) fera également une prestigieuse carrière musicale : violoncelliste international, élève de Paul Bazelaire et André Hekking, on lui est redevable de la création des Concertos de Roussel, Frank Martin, Bohuslav Martinu et Jean Martinon. Il faut dire que l’art sous toutes ses formes était vénéré dans cette famille : le grand-père maternel, Léopold Morice (1846-1920), sculpteur renommé, est l’auteur de la statue monumentale de La République (1879) qui trône sur la place de ce nom à Paris, accompagnée des 3 grandes statues représentant la Liberté, l'Egalité et la Fraternité, des Angelots du pont Alexandre III (1896), de La Douleur au cimetière Montparnasse (œuvre classée) à Paris, et de la statue de Montcalm à Québec (1911).
Jean Fournier, né à Paris le 3 juillet 1911, effectue ses études musicales au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, d’où il sort en 1931 muni d’un brillant 1er Prix de violon obtenu dans la classe d’Alfred Brun, ancien violon de l’Orchestre de l’Opéra et violon solo de la Société des Concerts. Il travaille également avec Georges Enesco et Boris Kamensky et ses entretiens amicaux avec son collègue Ivan Galamian (avant son départ définitif pour les Etats-Unis en 1939) aboutiront plus tard à l'élaboration de cette technique de l'archet tant admirée chez Jean Fournier dont la caractéristique est la beauté du son et la précision des attaques. Sa rencontre avec Jacques Thibaud est déterminante lorsque celui-ci lui demande en 1941 de prendre la direction de sa classe à l’Ecole Marguerite Long – Jacques Thibaud, poste qu’il occupera durant une dizaine d’années. Simultanément il débute une carrière de soliste avec de nombreuses tournées en France. Après la fin des hostilités, il se produit dans le monde entier et sa renommée internationale lui vaut des engagements partout en Europe, mais également en Afrique du Nord, en Afrique du Sud, en Egypte, en Inde et en Extrême-Orient (Japon, Formose, Bornéo, Hong-Kong)...
Jean Fournier et son épouse la pianiste Ginette Doyen
en concert à Tokyo
( coll. Jean Fournier )Soliste de la Société des Concerts du Conservatoire, des Concerts Lamoureux, Colonne, Pasdeloup, de l’Orchestre National, de l’Orchestre philharmonique de l’ORTF ainsi que de nombreuses autres formations françaises et étrangères, Jean Fournier a joué sous la direction des plus grands chefs d’orchestre, tels que Charles Munch, André Cluytens, Eugène Bigot, Jean Martinon, Edwin Fischer, Jean Fournet, Mario Rossi, Sixten Eckerberg, Hermann Scherchen, Rudolf Schwartz et bien d’autres encore. Avec son épouse, la pianiste Ginette Doyen (1921-2002), il fonde un duo qui recueille partout dans le monde des témoignages d’admiration pour la perfection, la beauté et l’unité de leur style. De nombreux disques témoignent d’ailleurs de l’impact causé par leurs enregistrements, entre autres, l’intégrale des 10 Sonates de Beethoven, de celles de Haendel, Mozart, Debussy, Florent Schmitt, des deux Sonates de Fauré… pour Westminster à New-York, Pathé-Marconi et Vega à Paris, E.M.I. (His Master’s Voice) à Londres, Nipon Westminster à Tokyo. Jean Fournier a également gravé les Concertos en sol et la de Mozart, et en trio avec Paul Badura-Skoda (piano) et Antonio Janigro (violoncelle) l’intégrale des Trios de Mozart et de Beethoven, les deux Trios de Schubert, et ceux de Haydn, Brahms, Dvorak. Il avoue lui-même avoir beaucoup aimé la musique de chambre, et plus particulièrement cette période où il se produisait avec ses deux partenaires. Son répertoire est vaste ; s’il interprète Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Saint-Saëns, Franck, Fauré, Debussy, Ravel…, et plus près de nous Strawinsky, Messiaen, Loucheur, Bloch, Berg et Bartok, il n’hésite pas également à nous faire découvrir, avec toute l’habilité qu’on lui connaît, des œuvres nouvelles françaises et étrangères.
Jean Fournier
( cliché Studio Garanchet, Sartrouville, coll. Jean Fournier )Entre 1966 et 1979 Jean Fournier enseigne son art au Conservatoire national supérieur de musique de Paris et pendant 33 ans est invité chaque été à la célèbre Akademie du Mozarteum de Salzburg pour donner des cours à de jeunes et talentueux violonistes venus de tous les horizons. On le voit également dispenser des cours d’interprétation à Dublin, au Conservatoire de Varsovie, aux Séminaires internationaux de Lancut (Pologne), au Conservatoire d’Istanbul..., et participer souvent à de nombreux jurys internationaux : Jacques Thibaud-Marguerite Long (Paris), Wienianski (Poznan), Kreisler (Vienne), Paganini (Gênes), Sibélius (Helsinski), Vieutemps (Verviers), à Naples, Munich, Lisbonne, Amsterdam, Anvers, Bruxelles...
Tout au cours de sa longue carrière, Jean Fournier a été salué par la critique française et internationale qui a rapidement reconnu en lui l’un des plus grands violonistes français. Doté d’une technique impeccable, il a toujours su captiver et émouvoir son public. Un critique musical de l’Abeiderbladet d’Oslo a écrit un jour : " La sonorité de Jean Fournier possède une clarté et une plénitude soutenues de la plus haute qualité. Sa technique est imprégnée de netteté et se souplesse. Son interprétation est virile et révèle une grande intelligence musicale. " Quant à Clarendon, il a su habilement définir en quelques mots la personnalité musicale de Jean Fournier : " un grand violoniste, et, ce qui est mieux, un musicien parfait. "
Jean Fournier est décédé le 9 juillet 2003, à Caen (Calvados), quelques jours après son 92e anniversaire. Ses obsèques religieuses ont été célébrées le 12 juillet en l'église de Torteval, suivies de son inhumation dans le cimetière de cette commune où repose déjà sa chère épouse, la pianiste Ginette Doyen.
Les nombreux enregistrements 78 tours et 33 tours de Jean Fournier sont hélas épuisés depuis bien longtemps. Seul a été réédité en 2001, sous le label Accord 461 759-2, l’enregistrement en 1959, avec son épouse Ginette Doyen, de la Sonate libre en deux parties enchaînées, op. 68, de Florent Schmitt, pour violon et piano. A découvrir absolument.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Ouest-France, édition de Caen, mercredi 16 juillet 2003. |