César Franck, musicien religieux
César Franck à l'âge de 60 ans
( cliché Pierre Petit )César Franck est né le 10 décembre 1822 à Liège. Après être passé par le Conservatoire de sa ville natale, il étudia à Paris où sa famille avait déménagé. Il obtint les premiers prix de piano et de contrepoint ainsi qu’un second prix d’orgue (1841) dans la classe de Benoist au Conservatoire national. Grâce à l’abbé Dorcel, il devint organiste à Notre-Dame-de-Lorette en 1845 puis en 1851 de Saint-Jean-Saint-François avant de recevoir en 1858 la tribune de Sainte-Clotilde à Paris. Nommé professeur d’orgue au Conservatoire de Paris, succédant à son maître Benoist, il forma une pléiade de musiciens. Le manuscrit des trois Chorals pour orgue se trouvait encore sur son lit de mort le 8 novembre 1890.
César Franck, musicien religieux dans son rôle d’organiste liturgique, tout d’abord, où l’improvisation était reine : il se laissait aller à sa fantaisie et à son inspiration musicale sans pour autant jouer exclusivement sur le registre grave et austère que l’on aurait pu imaginer. Des thèmes profanes étaient, en effet, parfois la source de compositions fugaces de grande qualité :
" Franck n’aimait pas se laisser proposer un thème par un confrère. Mais il avait toujours dans ses poches des carnets, y notant des thèmes qui lui plaisaient et qui venaient, à la sortie des offices de Sainte-Clotilde, provoquer son imagination.
Louis Vierne m’a raconté qu’âgé de huit ans et se préparant à devenir l’élève de Franck à la classe d’orgue du Conservatoire, il était allé l’entendre à Sainte-Clotilde et que, ce jour-là, le maître avait improvisé durant plus d’un quart d’heure sur le thème de l’Hymne à la joie Beethovenien :
" Je n’en crus pas mes oreilles : sauf le thème fameux, il n’y eut pas une seule note, une seule harmonie, une seule modulation, dont le " Père Franck " fût redevable à l’auteur de la IXè Symphonie.
J’eus l’impression très nette, non du talent, mais du génie. Chaque fois que j’ai entendu Franck improviser, j’ai éprouvé le même sentiment. "
[GAVOTY (Bernard), Les Grands Mystère de la musique, Paris, Trévise, 1975, p. 180-183.]
L’instrument de Cavaillé-Coll, avec ses timbres orchestraux, lui procurait toute l’inspiration souhaitable. Cependant, en dépit des apparences, les improvisations relevaient d’une architecture sonore que la pratique et le génie avaient hissée sur les plus haut sommets de l’art. On se rappellera qu’au Conservatoire, il se montrait sévère quant au traitement de la fugue improvisée. Pour lui-même, il s’échappait des règles de la fugue d’école en soumettant la forme à son langage teinté de chromatismes :
" Ainsi les contemporains comme les classiques reviennent-ils avec prédilection à cette forme des formes, la fugue, dont ils cherchent à étendre, à diversifier le moule, sans en méconnaître les lois.
Tout en la faisant profiter des conquêtes harmoniques du langage moderne, ils lui donnent pour exorde une page plus libre, - le prélude, - oeuvre de pure imagination où déborde parfois la fantaisie du compositeur.
Le cœur parle, ici, alors que dans la fugue c’est plus souvent l’esprit qui mène le jeu. "
[DUFOURCQ (Norbert), Du Prélude et fugue au thème libre... La musique d’orgue et ses cadres, Paris, Floury, 1944, p. 24.]
On peut difficilement imaginer ce que Franck aurait produit s’il avait connu le bouillonnement musical accompagnant le Renouveau grégorien et l’implication des organistes dans la composition d’un répertoire construit autour du plain-chant et de la modalité.
On peut citer en exemple les réflexions de Léonce de Saint-Martin (1886-1954), successeur de Vierne à Notre-Dame de Paris, qui avait défini une méthode pour choisir en connaissance de cause les pièces les plus adaptées à la liturgie :
" Jouer de l’orgue pendant une messe basse ne consiste pas à venir faire parade de son talent... C’est allier l’art à la prière, c’est commenter la liturgie du haut de la tribune tout comme un prédicateur le ferait du haut de sa chaire. [...]
Pour atteindre ce but, il faut avoir compulsé les textes liturgiques d’une part, les textes musicaux de l’autre, avoir subordonné ceux-ci à ceux-là, les avoir sélectionnés, puis associés sous forme de discours, travail qui nécessite de patientes recherches et de longs efforts. [...]
Vous ferez avec la musique la mentalité d’une paroisse. Si vous donnez à vos auditeurs une musique de bourgeoisie romantique ou de démagogie révolutionnaire ou de sentimentalité pleurnicharde, vous leur ferez une âme de bourgeois, de démagogues ou de pleurards... Il faut au contraire leur donner une musique d’église authentique, celle où l’Eglise nous dit : " Ecoutez, voilà comment je sens la présence de Dieu... comment je me livre à son service ". [...]
Dimanche après dimanche, nous aurons vécu toute la vie de l’Eglise, compati à ses souffrances et pris part à ses joies... Parallèlement vous aurez servi l’art et la technique... C’est la musique souveraine qui nous fait entrevoir les vraies dimensions de l’homme. Vous, vous l’aurez mise dans vos prières musicales du dimanche et vous aurez laissé entrevoir les vraies dimensions de Dieu. "
[GUERARD (JEAN), Léonce de Saint-Martin à Notre-Dame de Paris, 1886-1954, Paris, Les Editions de l’Officine, 2005, p. 141-43.]
Panis Angelicus, extrait de la Messe solennelle, pour voix de ténor ou soprano, avec accompagnement d'orgue, de harpe et violoncelle ou violon ou cor en fa (en La, ton original), page de couverture, détail de la page de couverture montrant les diverses adaptations disponibles, et premières mesures
( Paris, Ed. Bornemann, O.B.3767, fin XIXe s., coll. D.H.M )Franck, musicien religieux dans ses compositions : en plus d’un répertoire pour orgue de type symphonique, on relève des oeuvres de jeunesse pour harmonium explicitement liturgiques (Trois Antiennes, Pièces pour harmonium ou orgue à pédale pour l’office ordinaire) ainsi que les 59 pièces de L’Organiste. De nombreux motets (O Salutaris, Sub tuum, O Gloriosa, Gratia super gratiam, Ave Maria, Tantum ergo, Quae est ista, Domine non secundum, Veni Creator...), une Messe à trois voix, son beau Psaume CL écrit à l’occasion de l’inauguration de l’orgue de l’Institution Nationale des Jeunes Aveugles de Paris, l’oratorio Rédemption, Rébecca, ainsi, bien entendu que les célèbres Béatitudes pour soli, chœurs et orchestre, complètent le riche catalogue d’une production en grande partie tournée vers la musique sacrée. On sait que sa Bible restait ouverte à la page du Sermon sur la montagne (Mt, 5) et qu’il compte parmi les musiciens les plus pieux.
6 Pièces pour orgue : Fantaisie, Grande pièce symphonique, Prélude, fugue et variation, Pastorale, Prière, Finale, pour piano et orgue-harmonium, arrangé par l'Auteur, couverture et premières mesures de la Fantaisie (Paris, A. Durand & Fils, mars 1912, coll. J.H.M.) - Exemplaire ayant appartenu à Louis Morand (1893-1956), ancien élève d'Albert Roussel, Vincent d'Indy et Abel Decaux à la Schola Cantorum, organiste et maître de chapelle à Paris (signature autographe en haut) puis à Joachim Havard de la Montagne. ( coll. D.H.M ) |
Franck, musicien religieux par sa postérité. Parmi ses nombreux élèves citons plus particulièrement d'Indy et Mahaut. Vincent d’Indy (1851-1931) fonda, en 1896, avec A. Guilmant et C. Bordes de la Schola Cantorum, où il voulait perpétuer l’enseignement de son maître qu’il considérait un peu comme le " grand-père " de l’Institution. En plus de quelques cantiques populaires grégoriens, ses Vêpres du commun des martyrs, pour orgue, constituent un lien filial avec le " Pater séraphicus ". Joseph-Guy Ropartz (1864-1955), compositeur des Versets du commun des saints pour orgue, d’un Psaume 129 et auteur du recueil Au pied de l’Autel, ensemble de pièces pour harmonium, lointaine référence à L’Organiste de son ancien professeur. Albert Mahaut (1867-1943) fut un des premiers aveugles à obtenir en 1889 un premier prix d’orgue dans la classe de César Franck, dont il fut un des derniers élèves au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Organiste des églises Saint-Pierre-de-Montrouge puis Saint-Vincent-de-Paul de Paris durant quelques années, il a passé le reste de sa vie à militer en faveur des musiciens non voyants en les aidant à accéder aux études supérieures et à de hautes fonctions. Il enseignait également l’harmonie à l’Institution Nationale des Jeunes Aveugles où Franck fut longtemps membre du jury des examens d’orgue. Jean Langlais rapporte la manière particulière qu’avait Mahaut d’enseigner cette discipline :
" Monsieur Mahaut avait une façon d’enseigner bien à lui : il nous expliquait une chose une fois, puis il demandait si quelqu’un n’avait pas compris. Si c’était le cas, il réexpliquait. Ensuite, il n’abordait plus jamais ce problème.
Il fallait donc suivre ses explications avec beaucoup d’attention. Il est évident qu’à un tel régime, nous avions beaucoup de technique, un peu comme les pianistes qui font tous les jours des gammes.
A la fin de notre cycle de trois ans, alors que nous avions une heure pour réaliser nos devoirs d’harmonie, nous ne mettions pas plus de dix minutes pour les faire. "
[JAQUET-LANGLAIS (Marie-Louise), Ombre et lumière, Jean Langlais (1907-1991), Paris, Combre, 1995, p. 36]
Signalons qu’en 1905, Albert Mahaut vint jouer l’intégrale des pièces pour orgue de César Franck à l’église Saint-Léon IX de Nancy :
" M. Albert Mahaut, 1er prix de 1889, organiste de Saint-Vincent-de-Paul et professeur à l’Ecole nationale des Jeunes Aveugles de Paris (aveugle lui-même), a eu la filiale pensée de révéler au grand public cette incomparable oeuvre d’orgue. [...]
M. Albert Mahaut vient dans notre ville interpréter l’œuvre magistrale de Franck sur le bel orgue de Saint-Léon (Le grand orgue de Saint-Léon de Nancy, construit en 1889 par la maison Cavaillé-Coll, se compose de 40 registres, 38 jeux, 15 pédales de combinaison et 2280 tuyaux, distribués sur 3 claviers et un pédalier complet).
Le récital du vendredi 24 mars sera consacré aux six pièces du premier recueil. Le lundi 27 mars seront données les trois pièces du recueil de 1878 et les trois Chorals. "
[" Une Audition musicale dans l’église Saint-Léon les vendredi 24 et lundi 27 mars, à 4h. ½ ", La Semaine religieuse de Nancy, 1905, p. 251-52]
Evoquons enfin Charles Tournemire (1870-1939), nommé titulaire de l’orgue de Sainte-Clotilde en 1898, qui composa en 1910 son Triple Choral, hommage dans le titre et dans la dédicace " à la mémoire de mon maître vénéré César Franck ". Et comment ne pas citer L’Orgue mystique, composé de 51 offices, mis en chantier à partir de 1927 et qui commentent chaque Propre des différents dimanches et fêtes de l’année liturgique ?
Ainsi, César Franck a laissé l’empreinte de sa personnalité à tous les niveaux de ses fonctions. Sa vie de foi, sa sensibilité, sa ferveur, son existence tournée vers le Beau entraînèrent dans leur sillage de nombreux musiciens épris d’absolu (cf. Alfred Colling, César Franck ou le concert spirituel, Paris, Julliard, 1951). On peut encore en entendre l’écho longtemps après sa mort.
Olivier Geoffroy
César Franck, 3ème Choral en la mineur (extrait), Elisabeth Havard de la Montagne, 19 juin 1973, basilique Saint-Denis d'Argenteuil, inauguration grand orgue Danion-Gonzalez (coll. D.H.M.)
Liens: notice obituaire de Georges Danion. Article sur Georges Danion.
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En souscription jusqu'au 30 juin : César Franck, entre raison et passion par F. Bésingrand. |