Le Panthéon des musiciens
De janvier 2007 à juin 2007
Beverly SILLS - Régine CRESPIN - Teresa STICH-RANDALL - Louis MOYSE - Luciano PAVAROTTI - Trajan POPESCO - Petr EBEN - Karlheinz STOCKHAUSEN
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"The art of Beverly Sills" ( CD DGG )
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Le 2 juillet 2007 à New York est décédée la soprano colorature Beverly SILLS à l’âge de 78 ans. Enfant précoce dont la carrière avait commencé à l’âge de 3 ans, autrefois membre de la troupe du Met, elle dirigea à partir de 1979, avec beaucoup d’intelligence et d’efficacité, le New York City Opera auquel elle avait appartenu dès les années cinquante. Ce sera ensuite (2002) la prestigieuse présidence du Met. Spécialiste des grands rôles du bel canto, si elle possédait une voix prodigieuse, son chant restait néanmoins très humain et intense. N’hésitant pas à se mettre à la portée de tous les publics en se produisant également dans des émissions populaires à la télévision (notamment dans le célèbre "Muppet show") et à la radio, Berverly Sills était très connue aux Etats-Unis, mais peu en France. Il faut dire qu’elle ne s’était montrée que très rarement dans notre pays depuis sa première apparition parisienne en janvier 1971 dans le cadre des concerts "Prestige de la musique". Soulignons cependant qu’à cette occasion elle remportait un triomphal succès, tant son interprétation était toute emprunte de "passion et de beauté vocale", ciselant chaque phrase "avec un charme inouï" et faisant preuve d’une "intense musicalité" (aria de Zaïde de Mozart : Ruhe Sanft, air Ah Tardai troppo o luce di quest’anima, extrait de Linda de Chamonix de Donizetti et celui de la Folie de Lucia di Lammermoor du même compositeur, Air de Louise de Charpentier …) Acclamée pour ses rôles de Frasquita (Carmen), Cleopatra (Giulio Cesare), Donna Anna (Don Giovanni), Reine Elisabeth (Roberto Devereux), Reine Marie (Maria Stuarda), Anna Bolena (Lucia di Lammermoor), Elvira (Les Puritains), Norma, Traviata, Manon…, elle ne délaissait pas pour autant le répertoire lyrique contemporain et chantait notamment The Balade of Baby Doe de Douglas Moore, Intolleranza de Luigi Nono et La loca de Gian Carlo Menotti.
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Berverly Sills dans son bureau new-yorkais, novembre 2004 ( © C.-P. Perna )
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C’est à Brooklyn, quartier de New York, que naît le 25 mai 1929 Belle Miriam Silverman qui fera carrière sous le pseudonyme de Beverly SILLS. Ses parents ont émigré de Roumanie (Bucarest) et d"Ukraine (Odessa) et c’est sa mère, quelque peu musicienne et surtout grande admiratrice du répertoire lyrique, qui l’initie au chant. Enfant précoce, dès l’âge de 3 ans elle chante et remporte un prix de "Miss beautiful Baby", avant de débuter à la radio l’année suivante sous le surnom de « Bubbles », puis, à 7 ans, de tourner dans un film. Elle entreprend ensuite de réelles études vocales auprès de la soprano Estelle Liebling (1880-1956), tout en étudiant le piano avec Paolo Gallico (1868-1955), père de l’écrivain Paul Gallico. L’opérette et les comédies musicales l’attirent en premier lieu, ce qui ne l’empêche pas de s’essayer à l’opéra : rôle de Frasquita (Carmen) au Civic Opera de Philadelphie (1947). Quelques années plus tard, après avoir effectué plusieurs tournées dans son pays et au Canada, et s’être produite à l’Opéra de San Francisco (1953), elle est engagée au New York City Opera où elle fait ses débuts (1955) dans le rôle de Rosalinde de La Chauve-souris de John Strauss. Le succès est rapide et on la voit chanter dans les plus grands rôles des opéras italiens, ce qui lui vaut des invitations par les Opéras de Buenos Aires, Vienne, Londres, Milan, Naples, Venise, Berlin… En 1975, c’est le Met de New York qui la réclame, et le 7 avril le public new-yorkais l’applaudit longuement pour sa première apparition dans ce temple de l’art vocal (rôle de Pamire dans Le Siège de Corinthe de Rossini), suivie de nombreuses autres, notamment dans La Travatia, Thaïs, Don Pasquale, Lucia di Lammermoor… En 1979, nommée directrice générale de l’Opéra de la ville de New York, elle fait ses adieux à la scène l’année suivante. Dans ce nouveau rôle administratif elle fait preuve, la encore, de beaucoup de talent et de virtuosité en renouvelant et en élargissant le répertoire avec une gestion financière des plus saines. A son départ, en 1989, elle laisse une situation positive, largement saluée par l’ensemble des dirigeants artistiques new-yorkais. Cinq années plus tard c’est la présidence du Lincoln Center qui lui est proposée, avant de recueillir (2002) celle du Met qu’elle assure jusqu’en janvier 2005. Dans ces deux postes prestigieux et très influents, Beverly Sills montre, une fois encore, ses grandes qualités humaines, son érudition et son intelligence… Ces dernières années, elle produisait des émissions et spectacles de télévision à caractère lyrique (opéras, récitals de chant)… Il y a quelques mois, elle eut la douleur de perdre son mari (septembre 2006), le journaliste Peter Greenough (de Cleveland), deux mois avant la célébration de leurs noces d’or, qui lui avait donné deux enfants : Meredith et Peter jr. Souffrant toux deux d’handicapes, leur mère redoubla d’affection et de soins envers eux, ce qui influa sans aucun doute sur le déroulement de sa carrière restée plutôt cantonnée aux Etats-Unis : en dehors de quelques tournées européennes au début des années 1970, elle évita en effet de s’éloigner trop loin de ses enfants.
Beverly Sills a enregistré de nombreux opéras, notamment de Bellini (Capuletti ed i Montecchi, Les Puritains, La Norma), Verdi (Aïda, La Traviata, Rigoletto), Rossini (Le Siège de Corinthe, Le Barbier de Séville), Donizetti (Don Pasquale, Anna Bolena, Maria Stuarda, Lucia di Lammermoor, Roberto Devereux), Massenet (Thaïs, Manon), Gustave Charpentier (Louise), Haendel (Giulio Cesare), Offenbach (Les Contes d'Hoffmann), Moore (The Balade of Baby Doe)... Parmi ceux actuellement disponibles sur le marché du disque, notons plus particulièrement l'intégrale de Manon, aux côtés de Nicolaï Gedda, Gérard Souzay, Gabriel Bacquier et le New Philharmonia Orchestra conduit par Julius Rudel, ressorti en 2004 chez Deutsche Grammophon, Don Pasquale avec Donald Gramm, Alfredo Kraus, Henry Newman, l'Ambrosian Opera Chorus et le London Symphony Orchestra dirigés par Sarah Caldwell (2006, Emi Classics), sans oublier un "The very Best of Beverly Sills" (2005, Emis Classics) qui permet de se faire une idée juste sur cette grande dame du chant que l'on peut aisément ranger dans la lignée des Maria Callas et Joan Sutherland. Signalons enfin l'existence de plusieurs enregistrements vidéos de ses prestations, notamment un intéressant "Berverly Sills, made in America" (DGG 00440 07304299), sorti en avril 2007, dans lequel on la voit chantant à l'âge de 10 ans un air de Rigoletto et plus, tard dans des extraits de La Traviata (1955), Mignon (1956), Roberto Devereux (1975), Manon (1977) ... On lui doit également deux livres de souvenirs : A Self-portrait (New York, Macmillan Pub Co, 1976), réédité en 1981 sous le titre de Bubbles : An Encore (Grosset & Dunlap) et Beverly : An Autobiography (New York, Bantam Books, 1987).
D.H.M.
La "Lionne française", ainsi surnommée à Bayreuth, Régine CRESPIN s’est éteinte le 5 juillet 2007 dans un hôpital parisien, dans sa quatre-vingt unième année. Soprano dramatique, elle a été l’une des rares françaises à chanter à Bayreuth. La Kundry de Parsifal que lui confie Wieland Wagner en 1958, l’un de ses plus grands rôles, la lancera sur la scène internationale. Si les opéras wagnériens sont incontestablement sa spécialité (Elsa dans Lohengrin, Sieglinde dans La Walkyrie, Elisabeth dans Tannhäuser, Brünnhilde dans Le Crépuscule des dieux) elle triomphe également dans Othello (Desdémone), Le Chevalier à la rose (la Maréchale), Le Bal masqué (Amélia), La Dame de Pique (la Comtesse), Faust (Marguerite), Antigone (Ismène), Oberon (Rezia), Boris Godounov (Marina), La Tosca, Carmen, ainsi que dans le répertoire contemporain : Pénélope (Fauré), L’Etranger (d’Indy), Le Dialogue des Carmélites (Poulenc), Le Médium (Menoti). Sa voix souple avec un "aigu flamboyant", sa noblesse et sa "force tragique" étaient très appréciées par le public. Mais, suivant ses propres paroles, "la voix c’est seulement 50%, si belle soit-elle. En plus, il faut la tête et le cœur, l’assiduité du travail quotidien et aussi l’humilité" ; qualités qui l’habitèrent toute sa vie durant. Sa carrière au récital lui vaut également de grands succès. Cet art, qu’elle appréciait particulièrement lui faisait dire qu’ "il est à la base du chant." Il est vrai que dans ce face-à-face intimiste avec le public, il est difficile de tricher ! Ses interprétations des Lieder de Marie Stuart de Schumann, des Lieder d’Hugo Wolf, des Histoires naturelles de Ravel, des Chansons de Bilitis de Debussy, des Nuits d’été de Berlioz ou encore des Poèmes juifs de Milhaud ont fait sa renommée. Au moment de son décès, le Président de la République française a rendu hommage à cette grande dame du chant et "ses interprétations impérissables", en déclarant notamment que "par sa voix, son talent, mais aussi son humour et sa générosité, Régine Crespin a été une grande ambassadrice de la culture française."
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Régine Crespin, au début des années 1970 ( photo X... ) DR
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C’est à Marseille que voit le jour Régine Crespin, le 23 février 1927, d’un père français et d’une mère italienne qui lui fit prendre, à Nîmes où elle grandit, des leçons de piano et de chant dans sa jeunesse. Admiratrice des chansons de Trenet, mais également de Lohengrin, le premier opéra auquel elle assiste à l’âge de 12 ans, elle se présente un jour à un concours de chant organisé en 1946 dans sa ville d’adoption par le journal Opéra. Avec un extrait de Sigurd, elle remporte le 1er prix et dès lors, décide d’entreprendre de sérieuses études musicales, abandonnant son projet d'études de pharmacie, profession à laquelle ses parents la destinaient. Entrée au Conservatoire de Paris elle fréquente les classes de la soprano Suzanne Cesbron-Viseur (1879-1967), une ancienne vedette de l’Opéra-Comique et du ténor Georges Jouatte (1892-1969), récemment retraité de la scène et connu pour sa diction parfaite. Elle en ressort en 1950, nantie de trois premiers prix : opéra, opéra-comique et chant, qui lui sont décernés à l’issue des épreuves au cours desquelles elle chante des extraits d’Aida, La Tosca et Tannhäuser. Cette même année, bien qu’elle s’était déjà produite sur scène, notamment en 1948 à Reims dans le rôle de Charlotte (Werther), elle débute réellement à Mulhouse avec Elsa de Lohengrin, et c’est encore avec ce rôle qu’elle fait sa première apparition à l’Opéra de Paris le 10 août 1951, sous la direction d’André Cluytens. Entre temps, l’Opéra-Comique l’a accueillie (27 juin) dans La Tosca puis dans Cavalleria rusticana (Santuzza). Elle devient rapidement l’une des vedettes de la R.T.L.N. et le public des salles Favart et Garnier l’applaudit dans bon nombre d’opéras wagnériens, mais également dans ceux de Gounod, Verdi, Puccini, Weber, Richard Strauss, Berlioz, Mozart… En 1958 Wieland Wagner fait appel à elle pour être la Kundry de Parsifal, sous la direction de Knapperbush et ses débuts au Festival de Bayreuth rencontrent un immense succès. Elle se produit durant quatre saisons consécutives dans ce temple wagnérien, la dernière fois en 1961 avec Sieglinde (La Walkyrie). Ce sera ensuite la Scala de Milan, le Covent-Garden de Londres, le Metropolitan Opera de New York, le Staatsoper de Vienne, les Opéras de Buenos-Aires, Miami, Chicago, San Francisco, Berlin, le Festival de Pâques de Salzbourg, le Festival de Glyndebourne avec à chaque fois un triomphe à la clé. En France, elle fut quelque temps injustement boudée par le public parisien qui eut la stupide idée de la siffler, un soir qu’elle remplaçait au pied levé Léonie Rysanek ! Mais, la province garda ses faveurs et c’est ainsi qu’à Lyon, Toulouse, Bordeaux, Marseille, Nantes, Nice, Angers et dans bien d’autres villes encore, Régine Crespin se produisit à de nombreuses reprises. C’est à Bordeaux qu’elle crée le Sampiero Corso de Tomasi, à Toulouse (avril 1979) qu’elle chante La Grande duchesse de Gerolstein d’Offenbach aux côtés de Rémy Corazza, Michel Roux et Michel Trempont, au moment où elle abandonnait le registre de soprano pour celui de mezzo, ou encore à Marseille (octobre 1978) qu’elle chante Debussy et Fauré, accompagnée par Christian Ivaldi, à l’ouverture du XIIe Festival de l’abbaye Saint-Victor… En 1989 Régine Crespin effectue une tournée mondiale d’adieux, puis, en 1992 prend sa retraite du Conservatoire de Paris où elle enseignait depuis 1976. Elle avait succédé à Renée Gilly dans sa classe de chant en déclarant : "J’ai tant travaillé, tant cherché, que je sens à présent le besoin de transmettre à d’autres mon expérience." A ses élèves, elle s’efforça de leur faire travailler le souffle, de leur donner de sérieuses bases vocales "car le chant est à la fois très simple et très compliqué, et l’on a parfois tendance à en oublier les plus élémentaires" et de leur faire découvrir un vaste répertoire, estimant que "on ne peut se cantonner à un seul genre, mélodie ou opéra par exemple, il faut être capable de tout chanter."
Commandeur de la Légion d’honneur et des Arts et des Lettres, mariée un temps à son professeur d’allemand Lou Brouder qu’elle avait connu à Bayreuth, Régine Crespin nous laisse une discographie bien fourni tant dans l’opéra que dans la mélodie. Pour ses 80 ans fêtés en février 2007 EMI Classics a édité un coffret de quatre CDs "L’Album du 80ème anniversaire" (répertoire français, allemand et italien) et Decca un coffret de deux CDs (collection "The Originals") "Régine Crespin : prima donna in Paris" avec l'Orchestre de la Suisse romande dirigé par Lombard et le Vienna Volksoper Orchestra conduit par Sébastian. En 2005 EMI Classis avait déjà sorti un "The very best of Régine Crespin" (2 CDs) qui comporte bon nombre des meilleures interprétations de "la Lionne française". On lui doit également deux livres de souvenirs : La vie et l'amour d'une femme (Fayard, 1982) et A la scène, à la ville (Actes Sud, 1999).
D.H.M.
Après les disparitions de Beverly Sills et de Régine Crespin, le monde lyrique est à nouveau durement touché avec la mort, arrivée le 17 juillet 2007 à Vienne (Autriche), de la soprano américaine Teresa STICH-RANDALL à l’âge de 79 ans. Chantant dans toutes les langues (elle en parlait couramment cinq), son répertoire était vaste, passant par le baroque et le lied. Considérée comme l’une des meilleures interprètes du répertoire mozartien, on a écrit que son "art dépouillé de tout artifice atteint […] la perfection." C’est au Festival d’Aix-en-Provence, auquel elle participa dès 1953, que le public français la découvrit dans des rôles de Mozart qui lui ouvrirent les scènes internationales. Fiordiligi dans Cosi fan tutte fut l’une de ses plus grandes réussites. C’est d’ailleurs avec ce rôle qu’elle fit ses débuts au Met de New York en 1961. Ses apparitions dans la musique religieuse du même compositeur (motets, messes), ainsi d’ailleurs que dans des œuvres du Cantor, ne passaient jamais inaperçues. On se souvient notamment (Paris, Société des concerts du Conservatoire, janvier 1961) de son éclatante prestation dans la cantate 51 de Bach (pour soprano solo et orchestre), plus particulièrement dans l’air d’entrée au cours duquel elle chantait accompagnée de la trompette solo de Louis Mainardi : "les ritournelles de la voix et de l’instrument s’entrelaçaient comme des guirlandes en pleine lumière ; […] il y avait des moments où l’on ne savait qui, de celle-là ou de celui-ci, venait d’attaquer ; entre les traits ajourés de la trompette, contenue, maîtrisée par l’instrumentiste, et l’émission percutante de la voix dans l’aigu du registre, il y avait de quoi tromper l’oreille." [Clarendon, in Le Figaro, 16 janvier 1961]. Cantatrice lyrique, elle se fit également entendre à travers toute l’Europe et aux Etats-Unis dans Aïda (la Prêtresse), Falstaff (Nanette), La Traviata (Violetta), Rigoletto (Gilda), Obéron (Rezia). Le Palais Garnier l’accueillit en 1960 dans Don Juan (Anna) puis dans La Traviata et Rigoletto (1962).
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Teresa Stich-Randall ( Accord 476 8633 )
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Née le 24 décembre 1927 à West Hartford (Connecticut, U.S.A.), Teresa Stich-Randall commence à étudier le piano dès l’âge de 3 ans, avant d’entrer à 11 ans à l’école de musique de sa ville natale. Fréquentant la chorale de sa paroisse, c’est là qu’elle fait ses premières armes de soliste et découvre la beauté du répertoire sacré qu’elle ne cessera de chanter toute sa vie. En 1943, elle est admise à la Colombia University School de New York et c’est à cette époque qu’elle aborde l’opéra avec la première de The Mother of us all de Virgil Thomson et Macbeth de Boch. Toscanini, qui l’engage pour ses concerts à la Radio NBC notamment pour chanter la Grande Prêtresse d’Aïda et Nanette dans Falstaff, affirme qu’elle est "la plus belle voix du siècle" et sur ses conseils elle part s’installer en Europe. Lauréate du Concours de chant de Lausanne et de celui de Genève en 1951, elle se produit à l’Opéra de Bâle avant d’être engagée, l’année suivante, à celui de Vienne. Mais ce sont ses apparitions au Festival d’Aix-en-Provence, où elle est demandée par Gabriel Dussurget à partir de 1953, aux côtés du chef allemand Hans Rosbaud, qui la font connaître du grand public et lui assurent le triomphe. Les portes des plus grands théâtre lyriques internationaux s’ouvrent alors à elle : Paris, Florence, Milan, Turin, Chicago, New York, Buenos-Aires. On la voit également au Mai musical de Versailles en 1979. A Aix, elle se produit régulièrement jusqu’en 1971, principalement dans des opéras de Mozart : Cosi fan tutte, Don Giovanni, Les Noces de Figaro, La Flûte enchantée, L’Enlèvement au sérail, Idomenée. En 1962, elle reçoit le titre de Kammersängerin de l’Opéra de Vienne, pour la première fois décernée à une Américaine.
Certes, Teresa Stich-Randall est considérée à juste titre comme une grande spécialiste des opéras mozartiens, mais n’oublions pas qu’elle remporta également d’importants succès, grâce à son timbre de voix "d’une homogénéité parfaite" et à une grande virtuosité, dans d’autres opéras de styles aussi différents qu’Obéron de Weber, Turandot de Puccini, Ivan Soussanine de Glinka, Orfeo ed Euridice de Gluck, Rodelinda et Hercules d’Haendel, le Chevalier à la rose et Ariane à Naxos de Richard Strauss…, dans l’opérette viennoise (La Veuve joyeuse de Franz Lehar notamment) et dans les lieder de Schubert et de Mozart. N’omettons pas aussi un autre domaine, qu’elle affectionnait particulièrement, la musique sacrée dans laquelle "elle atteint les plus hauts sommets". Son Christe eleison et surtout l’Et incarnatus est de la Messe en ut mineur de Mozart, ainsi que l’Alleluia final de la cantate BWV 51 (Jauchzet Gott in allen Landen) de Bach (enregistré chez Accord, avec Maurice André à la trompette, sous la direction de Karl Ristenpart), l’air d’ouverture de la cantate BWV 151 (Süsser Trost, mein Jesus kömmt) du même Bach (Nonesuch), l’Ode à Sainte Cécile d’Haendel (Accord) ou encore son interprétation de l’Ange dans l’Oratorio de Noël SWV 435 de Schütz dans la version conduite par Hans Swarowsky (Festival classique), qualifiée de "la plus sublime de toute la discographie", sont des monuments de l’art vocal. Dans ce même domaine, citons encore la Passion selon Saint Matthieu BWV 244 de Bach, le Stabat Mater de Pergolèse, la cantate Machet die Toche Weit de Telemann, le Laudate pueri Dominum RV 601 de Vivaldi, la Messe solennelle de Beethoven, le Requiem allemand de Brahms, la Messe du couronnement de Mozart et les Messes de Haendel.
Retirée de la scène au tout début des années 1980, après une carrière brillante mais relativement courte, Teresa Stich-Randall vécut à Vienne, ville qui l'avait adoptée dès le début de sa carrière en 1952 et offert un engagement à son Opéra auquel elle resta attachée durant plus de 20 ans... La plupart des enregistrements de Teresa Stich Randall sont épuisés de nos jours. Voilà quelques années l'INA en a réédité certains, notamment un admirable Cosi fan tutte de 1957 au Festival d'Aix, sous la direction d'Hans Rosbaud, que nous recommandons vivement, et plus récemment un Don Govianni de 1956 aux côtés de Suzanne Danco et Anna Moffo. On peut également se faire une juste idée de "L'art de Teresa Stich-Randall" avec un coffret de 4 CDs (Accord 476 8633), sorti en 2006, qui comporte de larges extraits du répertoire sacré (Haendel, Bach, Mozart), de la mélodie (Schubert, Richard Strauss) et de l'opéra (Mozart, Puccini, Richard Strauss, Gustave Charpentier). Parmi les oeuvres présentées notons plus particulièrement la cantate BWV 51 de Bach et l'Ode pour la fête de Sainte Cécile de Haendel magnifiquement chantées par une Teresa Stich-Randall à la voix séraphique.
D.H.M.
Le 30 juillet 2007 à Montpelier (Vermont, U.S.A.), s’est éteint dans sa 95ème année le flûtiste français naturalisé américain Louis MOYSE. Fils d’un illustre flûtiste qui exerça à son époque une grande influence auprès des jeunes générations, on lui doit, en sa compagnie et celles de Rudolf Serkin, Adolf Busch et Hermann Busch, la fondation du Festival et de l’Ecole de musique de Marlboro à Brattelboro (Vermont, U.S.A.), devenu l’un des plus grands centres de musique de chambre et où il enseigna son instrument durant un quart de siècle. Plus tard, il sera nommé professeur de flûte et de musique de chambre à l’Université de Toronto ainsi qu’à celle de Boston. Ses master classes étaient très prisées, notamment aux U.S.A., au Japon et à Saint-Amour (Jura), en France, le berceau familiale où il séjournait régulièrement voila encore quelques années. Egalement pianiste, c’est en cette qualité qu’il se produisit longtemps au sein du "Trio Moyse" avec lequel il parcourut le monde. On lui doit de nombreuses compositions et des arrangements pour flûte et divers ensembles instrumentaux.
Louis Moyse est né le 14 août 1912 à Scheveningen (Pays-Bas), lors d’une tournée de son père dans ce pays et que sa mère, Céline Gautreau, accompagnait. Celui-ci, Marcel Moyse (17 mai 1889, Saint-Amour – 1er novembre 1984, Brattelboro ,Vermont, U.S.A.), ancien élève de flûte de Paul Taffanel au Conservatoire de Paris (1er prix en 1906), était premier flûtiste aux Concerts Lamoureux, Pasdeloup et Colonne et plus tard (1932) succédera à Philippe Gaubert dans sa classe de flûte du Conservatoire de Paris. C'est ainsi que Louis Moyse reçoit de son père ses premières leçons de flûte à l’âge de 6 ans puis entre, en 1930, au Conservatoire de Paris où il se perfectionne auprès de Gaubert et obtient un 1er prix deux années plus tard. Parallèlement, il étudie la composition avec Eugène Bigot. Il apprend également le piano avec Isidore Philipp, un ancien élève de Saint-Saëns dont il avait hérité la technique, ainsi qu’avec Joseph Benvenuti. En 1932, Louis Moyse devient l’assistant de son père dans sa classe de flûte, qui, à la même époque, le choisit comme pianiste pour former le "Trio Moyse " avec la violoniste Blanche Violette Honegger que Louis Moyse épousera quelques années plus tard en 1939. Née en 1909 à Genève (Suisse), ancienne élève d’Adolf Busch, puis 1er prix de violon du Conservatoire de Genève à l’âge de 16 ans, elle avait débuté à l’Orchestre de la Suisse Romande et, en ce début des années trente, poursuivait ses études musicales à Paris, auprès de Georges Enesco et Wanda Landowska. Plus tard, devenue chef d'orchestre elle deviendra une grande spécialiste de Bach. Le succès de cette formation, considérée en son temps comme l’une des meilleures du genre, atteint rapidement une notoriété mondiale qui lui vaut plusieurs récompenses dont un Grand Prix du Disque ; elle avait commencé à enregistrer dès 1938 avec la Sonate pour flûte, violon et piano écrite à leur intention par Bohuslav Martinu (Voix de son Maître, L 1047-1048). L’année suivante le "Trio Moyse" effectue une première tournée aux Etats-Unis. Simultanément, durant cette décennie Louis Moyse est flûtiste à l’orchestre de l’Opéra-Comique et à celui des Concerts Colonne, ainsi qu’au sein d’autres phalanges accompagnant la projection de films muets dans des salles de cinéma parisiennes. Il se produit aussi dans quelques salles de spectacles en compagnie de vedettes de jazz, parmi lesquelles Duke Ellington avec qui il joue au piano en duo et a l’occasion de rencontrer à Paris Poulenc, Reynaldo Hahn et Stravinsky.
Après une interruption d’activités au cours de la guerre durant laquelle il est mobilisé, Louis Moyse, avec son épouse et son père, tentent de s’établir en Argentine pour y créer une école de musique, mais le projet échoue. Peu après, en 1949, ils s’installent dans le Vermont, sur invitation des frères Busch et du gendre d’Adolf Busch, Rudolf Serkin, déjà implantés aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années. Ensemble, ils fondent en 1951 l’Ecole de musique et le Festival de Marlboro, dont la notoriété deviendra considérable avec Pablo Casals. Dans cet établissement jusqu’en 1975, puis à l’Université de Toronto il enseigne la flûte, le piano et la musique de chambre, ainsi qu’à l’Université de Boston où il est professeur invité. En 1952, avec son épouse Blanche Honegger-Moyse, il crée le Centre musical de Brattleboro, qui à partir de 1969 accueille le New England Bach Festival. C’est en 1959 que Louis Moyse choisit la nationalité américaine, à l’époque où il a déjà composé une Suite pour 2 flûtes et alto (1957) et 4 Danses pour flûte et violon (1958), bientôt suivies au cours des années 1960 d’un Quintette à vent, de 4 Pièces pour 3 flûtes et piano et d’un Marlborian Concerto pour flûte, cor anglais et orchestre ; puis, la décennie suivante, d’une Ballad for Vermont pour récitant, solistes, chœur et orchestre, d’une 1ère Sonate pour flûte et piano et d’une Sérénade pour piccolo, 4 flûtes, flûte alto, flûte basse et piano. Plus tard, il nous livrera une pièce importante : Introduction, thème and variations (1982), d’après le "Trockne Blumen" D 802 de Schubert, et une 2ème Sonate pour flûte et piano (1998). Ces deux dernières œuvres et la 1ère Sonate ont été enregistrées en 2000 par Karen Kevra et Paul Orgel (CD NWCR888). Mais son catalogue comporte de nombreuses autres compositions, dont une bonne partie éditée chez G.Schirmer et plusieurs ouvrages pédagogiques de pièces pour flûte, entre autres : Solos for flute players, The Flutist's Primer, 30 Esay Duets for flutes, 65 Little Pieces in progress order for beginner flutists... La plupart est parue dans la collection "Louis Moyse Flute Collection" de chez Schirmer, qui est de nos jours très prisée par les écoles de musiques américaines. On lui doit encore des arrangements d'œuvres de Telemann, Bach, Haendel, Mozart, Beethoven.
Il existe peu d'enregistrements de Louis Moyse comme interprète actuellement disponibles sur le marché français. Parmi ces raretés signalons un CD intitulé "The recorded legacy of Marcel Moyse" importé des Etats-Unis en 2001 (Dutton Laboratoires), dans lequel on peut l'entendre au piano, aux côtés de son père à la flûte, dans des oeuvres de Couperin, Telemann, Dvorak, Tchaïkovski, Benjamin Drigo et Albert-Franz Doppler.
Depuis 1998, Louis Moyse vivait à Montpelier, petite ville du Vermont, avec sa seconde épouse Janet White, tout en continuant de composer et d'enseigner. Une semaine avant sa mort, le 21 juillet à l’Unitarian Church de Montpelier, il dirigeait encore un orchestre de chambre composé de 14 flûtes, un basson, un violoncelle et un piano dans un arrangement de son crû (transcription, adaptation et édition) du Barbier de Séville de Rossini, concert qui clôturait une master class animée par ses soins. L'une de ses dernières compositions (op. 69), une Suite en 5 mouvements pour 4 voix mixtes (SATB) a cappella intitulée Solfège à la Française, fut spécialement écrite à l'intention d'un chœur de chanteurs professionnels admiratifs du contrepoint tel qu'il était enseigné autrefois en France (2006, E. Henry David Music Publishers/ Theodore Presser Company). Le journal Burlington Free Press, rapporte que quelques années (juin 2003) avant sa disparition, il s'était un jour mis à son piano Steinway pour jouer une Sonate de Beethoven ; son grand âge ne l'empêchait nullement de faire preuve de beaucoup de grâce, de dynamisme et de subtilité, avec un rythme très précis. A la fin du morceau, il s'était levé, les yeux remplis de larmes, lâchant ses seuls mots avec beaucoup d'émotion : "C'est beau!" Voilà qui résume admirablement cet amour de la musique qui habita Louis Moyse toute sa vie durant, se plaisant à dire qu'une fée s'était penchée sur son berceau.
D.H.M.
Avec la mort du ténor Luciano PAVAROTTI à l’âge de 71 ans, survenue le 6 septembre 2007 dans sa villa de Modène (Italie), disparaît une véritable idole qui, incontestablement, a fait progresser la popularité de l’art lyrique au sein de tous les publics. Si parfois l'on abuse à son égard d’épithètes élogieux, voire dithyrambiques, il n’en demeure pas moins que Pavarotti a été un remarquable chanteur pourvu de capacités hors du commun. Le Figaro du 27 novembre 1979, sous la plume de Clarendon, résume fort bien en quelques lignes sa personnalité artistique : "Nous n’étions pas là pour nous émouvoir de telle ou telle musique plus ou moins savante, mais pour admirer un phénomène de la nature, pour explorer de fabuleuses amygdales à la faveur d’un contre-sol déchirant ; pour recueillir dévotement des notes rares, tonitruantes ou à peine murmurées par un larynx béni des dieux ; pour souhaiter que ce chant s’éternise. Peu importait que nous passions de Giordani à Gluck, de Rossini à Liszt et que nous descendions de Donizetti jusqu’à Paolo Tosti. Tout convient à Pavarotti, en ce que, de tout, il extrait la perle fine, la pierre précieuse." Il est vrai que le timbre de sa voix particulièrement clair et pur, chaud avec des aigus ardents conquérait n’importe quel public, en outre le personnage dégageait lui-même un certain charisme.
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"La Voix du siècle" ( compilation, Warner Music France, novembre 2007 )
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Né à Modène (Italie) le 12 octobre 1935, Luciano Pavarotti est initié à l’art vocal par son père Fernand. Boulanger de profession et ténor dans la chorale de l’église de sa paroisse, il lui apprend à déchiffrer la musique et le fait entrer dans sa chorale, ainsi que dans le chœur du Théâtre communale. Bien que doté d’une belle voix et visiblement doué pour le chant, Luciano Pavarotti se destine dans un premier temps à l’enseignement et entreprend des études d’instituteur. Il n’abandonne pas pour autant le chant qu'il étudie plus sérieusement, à partir de 1954, auprès d’Arrigo Pola à Modène. Il lui fait travailler plus particulièrement la technique, puis, en 1960, il se rend à Mantoue pour se perfectionner avec Ettore Campogalliani (1903-1992), qui compte parmi ses nombreux autres élèves bon nombre de vedettes de l'art lyrique : Renata Tebaldi, Renata Scotto, Mirella Freni et Ruggero Raimondi. Tout d'abord enseignant dans une école élémentaire, Pavarotti abandonne rapidement son métier d’instituteur au début des années soixante après avoir remporté en 1961 le Concours international de chant à Reggio Emilia avec Rodolfo de La Bohème et obtenu l’année suivante son premier engagement au Théâtre Massimo de Parlerme. Le succès est rapidement au rendez-vous et, dès 1962, il est accueilli par les scènes étrangères : Opéra de Dublin (Rigoletto), Opéra d’Amsterdam (Lucia di Lammermoor, 18 janvier 1963), Opéra de Vienne (La Bohème, 23 février 1963), Covent Garden de Londres (La Bohème, 21 septembre 1963), Opéra de Barcelone (1963), Opéra de Miami (Lucia di Lammermoor, aux côtés de Joan Sutherland, 15 février 1965), Scala de Milan (La Bohème, aux côtés de sa sœur de lait Mirella Freni et sous la direction de Karajan, 28 avril 1965), Festival de Glyndebourne (Idomenée, 1965), Opéra de Melbourne (L’Elixir d’amour, 1965)… C’est à cette époque que l’on surnomme Pavarotti "le roi du contre-ut" à la suite de ses neuf contre-ut successifs poussés avec une apparente facilité déconcertante dans l’air Pour mon âme de La Fille du régiment (Covent-Garden, 1er juin 1966). A Paris, il se produit pour la première fois en 1965 à la Salle Pleyel, mais c’est à partir de 1974 qu’il est invité à l’Opéra de Paris où il débute dans son rôle-fétiche Rodolfo de La Bohème. Le public parisien l’applaudira à nouveau plus tard dans La Tosca (1984) et dans Un bal masqué (1993). En 1968, c’est le Metropolitan de New York qui lui ouvre ses portes (23 novembre) avec à nouveau Rodolfo, après que l’Opéra de San Francisco l’ait accueilli l’année précédente (11 novembre) également dans La Bohème. Il restera longtemps l’une des vedettes de ces deux théâtres et au fil des années, sa voix évoluant, il élargira son répertoire avec des rôles tels que Calaf (Turandot, 1977), Radamès (Aïda, 1981), Otello (1991), Don Carlo (1992), Canio (Paillasse, 1994), Andréa Chénier (1996).
Se disant lui-même "chanteur populaire", soucieux d’apporter un très large public à l’opéra et plus généralement à faire découvrir l’art vocal aux jeunes générations, et à l’évidence doté d’un grand sens du show-business, Luciano Pavarotti délaisse quelque peu la scène lyrique au profit de récitals donnés dans des stades, palais des sports et autres grandes salles de spectacles où le micro permet de se faire entendre par des dizaines de milliers de spectateurs. On le voit également se produire aux côtés de vedettes de la chanson et du monde du spectacle, entre autres avec Frank Sinatra et Liza Minelli. En 1990, le groupe des "Trois ténors", qu’il forme avec Placido Domingo et José Carreras et dont l’idée revient au producteur italien Mario Dradi, obtient un triomphe immense qui lui vaut des records de vente de disques et de nombreux engagements à des manifestations populaires : Coupe du monde au Dodger Stadium de Los Angeles (1994), Champs-de-Mars à Paris (1998), Palais omnisports de Bercy (2001), Yokohama au Japon (2002) pour ne citer que les plus importantes. Si l’on a pu reprocher à Pavarotti son mercantilisme, il n’en demeure pas moins qu’il a grandement participé à faire découvrir l’opéra à des publics plutôt adeptes de la chansons et de la variété que du classique et a mis son art au service de causes plus nobles. C’est ce qu’il fait avec la création en 1992 à Modène, sa ville natale, de séries de concerts de bienfaisance, intitulées "Pavarotti and Friends", au profit des enfants victimes de guerres et du Haut Commissariat aux réfugiés de l’O.N.U. On le voit se produire en compagnie de vedettes telles que Elton John, Céline Dion, Florent Pagny, Joe Cocker, Bon Jovi, Zucchero et même avec les Spice Girls. Certains critiques musicaux et autres admirateurs reprochent au "roi du contre-ut" d’avoir ainsi un peu trop frayé avec le monde du show-business. Mais ils oublient ainsi que Pavarotti, comme l’a si bien dit Roberto Alagna [Le Figaro, 17 septembre 2007] pensait "qu’il ne faut pas mettre de barrières sociales entre l’art et les gens, et qu’on ne doit jamais perdre une occasion d’amener son prochain vers la musique "… quel que soit le chemin emprunté, jugeons-nous utile d’ajouter !
Avec un "timbre exquis de clarté, reconnaissable entre tous, [un] médium bien posé, [des] aigus éclatants qui jamais n’ont l’air de performance, [un] phrasé d’une élégance exemplaire : ces qualités [faisant] de ses apparitions à la scène et au disque autant d’évènements lyriques" (Claude Nanquette, 1979), Luciano Pavarotti a beaucoup enregistré, principalement chez Decca, sa maison de disques officielle : Les Puritains de Bellini, Maria Suarda et l’Elixir d’amour de Donizetti, La Bohème, Madame Butterfly et Turandot de Puccini, Un bal masqué, Luisa Miller, Rigoletto et Le Trouvère de Verdi, Guillaume Tell de Rossini, Paillasse de Leoncavallo, Andréa Chénier de Giordano… La plupart de ces enregistrements est rééditée au fil des années et disponible actuellement. Decca a également publié un nombre considérable de compilations, dont beaucoup de récitals, genre dans lequel Pavarotti était plus à l'aise que sur une scène lyrique. Les amateurs de vidéos peuvent également trouver leur bonheur avec des DVD de tous les concerts de "Pavarotti and Friends" entre 1992 et 2000 et de bien d’autres concerts filmés au cours de sa carrière (Decca). Parmi ceux-ci, mentionnons un remarquable Requiem de Verdi avec Léontine Price, Fiorenza Cossotto et Nicolaï Ghiaurov, les chœurs et l’orchestre de la Scala de Milan, sous la direction de Karajan, filmé en 1967 par Henri-Georges Clouzot et dans lequel Pavarotti nous subjugue avec le Libera me (Deutsche Grammophon, réédité en 2005).
En mai 2004, Luciano Pavarotti avait entamé une importante tournée d’adieux à travers le monde entier avec une cinquantaine de concerts, mais il devait l'interrompre en 2006 pour de sérieux ennuis de santé (cancer du pancréas). Depuis il n’était plus apparu en public et au début du mois d’août 2007 son état de santé subitement aggravé, il fut hospitalisé à Modène durant une quinzaine de jours, avant de regagner sa villa. Douze jours plus tard, son plus grand désir se réalisait : "rejoindre ses parents et trouver enfin la paix", ainsi que l’avait déclaré quelque temps auparavant au magazine Diva et Donna l’une de ses quatre filles, Giuliana.
D.H.M.
Le chef d’orchestre français d’origine roumaine Trajan POPESCO est décédé le 22 septembre 2007 à Vichy (Allier), âgé de 80 ans. Sa grande réussite avec les Concerts spirituels de Saint-Germain-des-Près (association fondée par ses soins en 1955), qu’il a dirigés durant de nombreuses années avec un répertoire principalement axé sur la musique chorale, l’a parfois fait classer comme chef de chœurs, mais c’était avant tout un chef d’orchestre, un "chef actif, sûr et expérimenté, qui avec une grande économie de gestes sait galvaniser l’orchestre." Fondateur de l’Orchestre de chambre de Nantes (1959), de l’Orchestre Pro Musica de Paris, de l’Orchestre philharmonique de Versailles (1977), il dirigea également comme chef invité l’Orchestre des Concerts Colonne, l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion française à Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, Toulouse, l’Orchestre national de Monte-Carlo, l’Orchestre de la Radiodiffusion de Bruxelles et celui de Bucarest, le London Symphony Orchestra, l’Orchestre da la Fondation Gulbenkian (Lisbonne)… Le Figaro écrivit un jour "Plus qu’un chef, il est l’apôtre d’une foi. La musique, il la prend […] à bras-le-cœur et il la fait aimer." Sa modestie naturelle a fait qu'il n'a jamais recherché les honneurs, ni couru après quelque notoriété médiatique! Comme compositeur, Trajan Popesco a écrit des chœurs a capella inspirés du folklore roumain, des œuvres religieuses, notamment une Liturgie de St Jean Chrisostome pour chœur mixte (Paris, Salabert, 1968) et un Beatus vir (Psaume n° 1) pour soli, chœurs et orchestre, qui fut donné en 1ère audition, sous sa direction, le 26 février 1971 à Paris, et des pages instrumentales, parmi lesquelles une remarquable Suite pour orchestre à cordes (inédit) et un Divertissement symphonique et chorégraphique.
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Trajan Popesco ( Photo X... ) DR
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C’est en Roumanie, le 1er août 1920 à Florica (département de Buzau) que voit le jour Trajan Popesco. Destiné par ses parents à rentrer dans les ordres, âgé d’une dizaine d’années il entre au Séminaire de Buzau et en raison de ses prédispositions naturelles pour la musique il est choisi comme chantre, avant que lui soit confié plus tard la direction de la chorale. A 16 ans il se retrouve ainsi à la tête d’un ensemble composé d’une centaine de choristes, avec lequel il acquiert une parfaite connaissance de la musique byzantine. Ses études secondaires terminées et son baccalauréat obtenu, il se rend à Bucarest pour y poursuivre ses études théologiques et entreprendre de sérieuses études musicales à l’Académie royale de musique. Dans cet établissement, il a notamment pour professeur de classe chorale et de composition Stefan Popesco, un ancien élève de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum qui venait de fonder en 1924 l’Ecole des Hautes Etudes Musicales de Bucarest. Sa licence de théologie et ses diplômes de musique en poche, au lendemain de la Seconde Guerre (1946), il vient en France comme maître de chapelle de l’Eglise roumaine (culte orthodoxe) de la rue Jean de Beauvais à Paris 9e. D’autres grands musiciens roumains l’avaient précédé dans ce poste, parmi lesquels : Kiriac, Stefan Popesco (son professeur au Conservatoire de Bucarest) et Kiresco. L’année suivante, au moment du triomphe du parti communiste en Roumanie qui amena l'abdication du roi Michel Ier (30 décembre 1947) et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, il décide de rester en France, dont il adoptera la nationalité en 1958, et choisit définitivement la musique. Il perfectionne ses études musicales au Conservatoire de Paris où il travaille avec Noël Gallon (contrepoint et fugue), Henri Challan (harmonie), Tony Aubin (composition) et la direction d’orchestre avec Eugène Bigot, dans sa classe "Section spéciale étrangers" toute nouvellement créée par Claude Delvincourt, puis dans celle de Louis Fourestier où il décroche un 1er prix en 1956. Parallèlement il participe à des stages internationaux de jeunes chefs, notamment en Hollande, en Italie et en Allemagne, où il travaille avec Paul Van Kampe. En septembre 1955 à Besançon il remporte un prix au 5° Concours international de jeunes chefs d’orchestre, dans la catégorie "professionnels". Durant ses études au Conservatoire, avec les meilleurs éléments de cet établissement il fonde un orchestre et une chorale qui porte son nom et qui seront plus tard ouverts également aux musiciens professionnels venus d’autres horizons. Réputées, ces formations se produisent en concerts, notamment aux Concerts spirituels de la Sainte-Chapelle pendant le Festival de Paris et à la Radio. Peu après, venant d’être nommé (1955) maître de chapelle de l’église Saint-Germain des Prés, Trajan Popesco crée les séries de "Concerts spirituels à Saint-Germain-des-Prés" (6 à 8 concerts par an). De grandes œuvres sont données, au cours desquelles, en tant que chef d’orchestre, il montre une grande précision technique et "une haute intelligence musicale". Parmi celles-ci, notons les plus significatives : de nombreuses œuvres de Bach, Missa Solemnis de Marc-Antoine Charpentier, Messie de Haendel, Dies irae de Jean-Chrétien Bach, Requiem de Brahms, Te Deum de Bruckner, 9e Symphonie de Beethoven, Requiem de Fauré, sans omettre des incursions dans le répertoire contemporain comme le Te Deum d’Henri Barraud, La Quête de Saint Graal (oratorio pour alto et basse solo, chœurs et orchestre) de Philippe Sagnier, La Voix du Christ (cantate pour ténor solo, chœur et orchestre) d’Armande Freson (création de ces deux dernières oeuvres le 26 février 1971). Parmi les très nombreuses manifestations données par l’Association des Concerts de Saint-Germain des Prés, devenue plus tard l’Association des Concerts Pro Musica de Paris, dirigées par Trajan Popesco et qui firent la joie des mélomanes parisiens durant 36 ans, citons ceux des 30 novembre et 4 décembre 1972 à l’église de la Trinité et à celle de la Madeleine (Messe en si mineur de Bach et des œuvres de Mozart), avec les Chœurs de la Trinité, le Tübingen Kantaten Chor, l’Orchestre de l’Association des Concerts de Saint-Germain des Prés, Elisabeth Havard de la Montagne au clavecin et le concours à l’orgue d’Olivier Messiaen. Avec son Orchestre Symphonique "Pro Musica", il accueillit souvent de grands interprètes, notamment Reine Gianoli, le 29 mai 1973 à la Salle Pleyel (Ouverture du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, Concerto pour piano de Schumann et 7e Symphonie de Beethoven).
En 1956, Trajan Popesco est nommé professeur d’orchestre et ensemble vocal à l’Ecole Nationale de Musique de Nantes (futur CNR), alors dirigé par René Audoui. Il y enseignera durant près de vingt ans. En 1959, il fonde l’Orchestre de chambre de Nantes, dont il assure la direction pendant plusieurs années, tout en continuant de diriger à Paris les Chœurs et l’orchestre "Pro Musica", avec lesquels il se produit en concerts très souvent jusqu’ à la fin des années 1980. L’Orchestre philharmonique de Versailles, qu’il fonde plus tard, en 1977, et qu’il dirige jusqu’en 1997 lui apporte également de grandes satisfactions professionnelles et rapidement, cette phalange va être considérée comme l’une des meilleures formations symphoniques de la région ouest de Paris, couvrant un vaste répertoire de Mozart à Gerswin, en passant par Berlioz et Ravel. Ses rapports avec les musiciens seront toujours excellents, son premier soucis étant de les mettre à l’aise, considérant qu’"il est beaucoup plus difficile de s’imposer humainement que musicalement" et que l’"on ne s’impose pas par la force [car] il faut capter toutes les personnalités de l’orchestre pour en faire un instrument." C’est sans doute grâce à cet état d’esprit que Trajan Popesco se fit toujours accepter et aimer des nombreux musiciens des orchestres qu’il eut l’occasion de diriger tout au long de sa carrière. Parallèlement à celle-ci, il n’abandonna jamais la musique religieuse, démontrant ainsi son vaste horizon musical, étendu et varié. En effet, après avoir exercé à l’Eglise roumaine de Paris puis à Saint-Germain des Prés, en 1970 il sera nommé maître de chapelle de l’église de la Sainte-Trinité à Paris 9e, poste qu’il occupe durant une quinzaine d’années jusqu’en 1987. C’était l’époque où Olivier Messiaen tenait le grand-orgue et Léon Souberbielle l’orgue du chœur.
Trajan Popesco a peu enregistré. On lui doit néanmoins d’avoir gravé, en 1963 chez Charlin (AMS 36), la Messe à 8 voix et 8 instruments (H.3) de Marc-Antoine Charpentier avec son ensemble vocal et celui de Bernard Baron, l’Orchestre de chambre de l’ORTF et Michel Chapuis à l’orgue. Notons également plusieurs disques parus chez le Studio S.M., parmi lesquels : "La Liturgie de Saint Jean Chrysostome" (S.M. 33-52) qui fit dire à René Dumesnil dans Le Monde : "Ces chœurs sont d’une pureté remarquable et d’un intérêt très grand, aussi bien au point de vue de leur valeur musicale que du point de vue documentaire." -enregistré à la fin des années cinquante, le Studio S.M. a réédité ce disque sous forme de CD voilà une dizaine d’années- ; "Folklore Roumain" (S.M. 33-56) pour lequel Yves Froment-Coste, dans Radio-Cinéma écrivait : "Voici l’un des plus admirables disques de folklore qu’il m’ait été donné d’entendre. La chorale Trajan Popesco, aux voix merveilleusement fondues, est tour à tour tendre, alerte, naïve, mélancolique, vibrante et infiniment douce. Cette remarquable interprétation est servie par une réalisation technique impeccable… " ; "Vendredi Saint à Saint Julien le Pauvre : Office de l’Epitaphios" (S.M. 33-59), ainsi que des "Chants des églises orientales" (rites maronite, arménien, chaldéen, syrien, byzantin grec, byzantin roumain et byzantin russe) parus quant à eux chez Harmonia Mundi (HMO 30528).
Retiré avec son épouse à Vichy depuis 2002, c’est là que Trajan Popesco est décédé. A l’issu de la messe de funérailles célébrée le 28 septembre en l’église Notre-Dame de Versailles, il a été inhumé dans le caveau familial du cimetière des Loges-en-Josas (Yvelines) auprès de son fils Christian Popesco, violoniste, mort à l’âge de 30 ans en 1991. Il laisse 3 autres enfants, dont Marie-Monique Popesco, harpiste, chef d’orchestre et professeur au CRR de Limoges (1er prix de harpe et de musique de chambre au CNSMP). Antoine Goléa avait un jour dit de Trajan Popesco : "Il a bu aux sources de notre culture avec une ferveur que je souhaite à beaucoup, mais qui n’est donnée qu’aux meilleurs…"
Concert-hommage à Versailles
D.H.M.
Le compositeur tchèque Petr EBEN s’est éteint le 24 octobre 2007 à Prague, à l’âge de 78 ans. Pianiste et organiste, il laisse une œuvre importante et variée : des pages pour la scène, de la musique symphonique, des chants, des mélodies, de la musique de chambre, des compositions pour piano, de la musique sacrée et surtout des pièces pour orgue, instrument qu’il affectionnait plus particulièrement. Homme de foi, il puisait ses forces dans la religion considérant que "notre siècle manque profondément de reconnaissance : à ceux qui nous entourent au monde, à la vie elle-même et surtout à son Créateur." C’est en déportation, à Buchenwald, qu’il avait découvert la foi qui ne le quittera plus jusqu’à son dernier soupir. Chargé de cours à l’Université Charles de Prague (1955), il enseigna également la composition à partir de 1990 à l’Académie de musique de cette ville et fut nommé la même année président du célèbre "Printemps de Prague". Ses improvisations au piano, instrument dont il jouait remarquablement, et ses récitals à l’orgue étaient courus des mélomanes. Peu connu en France, ce musicien est pourtant considéré comme l’un des plus grands compositeurs tchèques de la seconde moitié du XXe siècle, dans la lignée des Dvorak, Martinu et Janacek.
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Petr Eben ( Photo X... ) DR
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Né le 22 janvier 1929 à Zamberk (Bohême), Petr Eben débute à Cesky Krumlov (Bohême du sud) l’apprentissage du piano à l’âge de 6 ans, avant d’entamer quelques années plus tard celui de l’orgue et du violoncelle. L’annexion de la Bohême au Troisième Reich en 1938, suivie la guerre, interrompt ses études. Il est expulsé de son lycée en 1943, puis interné au camp de concentration allemand de Buchenwald à l’âge de 15 ans. Après la libération de ce camp par les Américains en avril 1945, Eben regagne son pays natal et reprend ses études musicales au Conservatoire de Ceske Budejovice (Bohême méridionale), avant d’entrer en 1948 à l’Académie de musique de Prague. Dans cet établissement, il suit les classes de piano de Frantisek Rauch (1948 à 1952), remarquable interprète de Beethoven, Chopin et Liszt qui a également formé Zuzana Ruzickova et Ivan Klansky, et de composition de Pavel Borkovec (1950 à 1954), un ancien élève de Josef Suk. En 1955, il entre à l’Université Charles de Prague comme chargé de cours au département d’Histoire de la musique, puis en 1990 il est nommé à l’Académie de musique de cette même ville. Entre temps, il enseigne la composition au Royal Northen College of Music de Manchester (1978-1979).
Durant sa longue carrière, Petr Eben n’a cessé de composer. Sa musique, ainsi que le souligne l’organiste de Saint-Louis des Invalides à Paris, Susan Landale, (rapporté par Georges Guillard in le Guide de la Musique d’orgue, Fayard, 1991) est d’abord "un élan mélodique. Chez Eben, la mélodie chante sans complexe, ni inhibition. […] L’écriture est limpide, le contrepoint aisé, tel le courant de quelque ruisseau joyeux. La générosité de sa nature se reflète dans l’architecture à grandes voûtes de ses premières œuvres, puis évoluant rapidement vers une expression concise." C’est ainsi qu’il utilise notamment les formes anciennes de la musique d’Europe centrale auxquelles il ajoute habilement et avec beaucoup de goût les techniques modernes. Son catalogue est important, couvrant plusieurs domaines : symphonies, concertos (pour orgue, pour piano), musique de chambre, pages pour piano et pour orgue, musique de scène, mélodies, chants, musique sacrée, cantates, oratorios… Organiste (il avait été un temps maître de chapelle et organiste suppléant à la cathédrale de Cesky Krumlov), l’orgue a toujours été son instrument de prédilection, même s’il était également un pianiste virtuose. Reconnaissant lui-même que cet instrument était pour lui le seul capable d’exprimer sa profonde spiritualité, c’est pour cette raison qu'il occupe une place particulière au sein de son oeuvre avec des pièces liturgiques (Due Versetti, Petite partita de choral sur "O Jesus, all mein Leben", Dix Préludes), de grandes pages de concert (Faust, Laudes, A Festival voluntary, Hommage à Dietrich Buxtehude) et des oeuvres pour voix et orgue (Missa adventus et quadragesimae, Missa cum populo, cantate La Terre amère, Le chant de Ruth) ou pour musique d’ensemble (Okna pour trompette et orgue, Fantaisie pour alto et orgue, Paysages de Patmos pour percussion et orgue, Trois jubilations pour orgue et cuivres).
En 1990, son cycle pour orgue Job qui "met l’accent sur la force de la foi qui aide l’homme à accepter la souffrance et qui montre combien Dieu soutient les affligés", est distingué par le gouvernement tchèque. L’année suivante c’est la France qui l’honore en lui remettant les insignes de chevalier de l’Ordre des Arts et des lettres, avant que la Künstlergilde allemande ne lui délivre le prix Stamitz (1994). Docteur honoris causa de l’Université Charles de Prague, Petr Eben a partagé sa vie entre son piano, son orgue, la composition et l’enseignement. En dehors de quelques autres oeuvres, notamment son Concerto pour piano et orchestre, des mélodies, des pages de musique religieuse pour la voix et des chœurs profanes, c'est principalement sa musique pour orgue qui est gravée au disque, notamment une intégrale des œuvres pour orgue en plusieurs CDs (Hypérion) par Halger Schiager à l’orgue de l’église Hedvig Eleonara de Stockholm. Notons également la sortie récente (2007) de sa "Musique pour harpe" par Katerina Englichova (label Nibiru).
Marié, Petr Eben laisse trois fils : David Eben, né le 6 janvier 1965, fondateur (1987) et directeur de l'ensemble de musique ancienne Schola Gregoriana Pragensis, qui a étudié la direction de la musique du Moyen-Âge au Conservatoire de Paris ; Marek Eben, né le 18 décembre 1957, comédien et animateur, et Krystof Eben, mathématicien.
D.H.M.
Le compositeur allemand Karlheinz STOCKHAUSEN, figure de la musique électro-acoustique et pionnier de la musique aléatoire, est décédé le 5 décembre 2007 à Kürten (Allemagne), à l’âge de 79 ans. Considéré par les uns comme une "clé de voûte" de la musique contemporaine auteur d’une œuvre grandiose, par les autres comme un démagogue à l’origine de "nombreux principes trompeurs pour le contingent croissant de ses apôtres, disciples et acolytes", il est certain que ses théories et son œuvre sont pour le moins difficilement compréhensibles. Elles ne sont pas sans faire penser à ce mot de Camille Mauclair : "La nouveauté, même absurde, est un mérite distinct de la valeur." Si son Gesang der Jünglinge in Feuerofen ("musique électronique , sur un texte composé de projections de particules verbales, tirées du Livre de Daniel, qui traite de l’ordalie de trois jeunes hébreux monothéistes dans la fournaise babylonienne, écrit pour 5 groupes de hauts-parleurs entourant le public") avec lequel il ouvrit en 1956 la voie de la musique électro-acoustique, donné au TNP à Paris (janvier 1961), a été qualifié de "chef d’œuvre de la musique électronique" par quelques aficionados, ce ne fut pas l’avis de tous les critiques musicaux avertis. On a pu en effet lire à l’époque, notamment dans Le Figaro du 11 janvier 1961, ce commentaire résumant habilement les interrogations légitimes suscitées par cette œuvre : "construire une pièce à partir de fragments empruntés à une mélodie chantée par une voix d’enfant, fragments que l’on transforme, inverse, ralentit, accélère et malaxe dans un laboratoire de musique concrète, cela revient à écrire un poème avec une vingtaine de mots qu’on écrit tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers. On voit bien l’industrie, mais où est le sens de l’œuvre ?" Cela rejoint ce qu’avait dit un jour Chostakovitch : "Le dogmatisme étroit du système dodécaphonique, né artificiellement, enferme l’imagination créatrice des compositeurs et les dépersonnalise." On doit à Stockhausen 370 compositions dont il dit qu’elles ne forment en réalité qu’un seul ensemble. Parmi celles-ci notons plus particulièrement l’une des dernières : Licht (Lumière), qui est un "cycle projeté de 7 opéras, un pour chaque jour de la semaine", écrite entre 1977 et 2003. Cette œuvre monumentale, d’une durée de 29 heures environ, jamais jouée dans son intégralité, aux dires de certains, peut être considérée comme l’équivalent contemporain du Ring de Wagner. Si la personnalité de cet intellectuel idéaliste est parfois ardue à cerner, elle est pour le moins déroutante, notamment en raison de ses prises de positions et autres déclarations provocatrices : il avait un jour déclaré publiquement admirer la beauté esthétique des attentats new-yorkais du 11 septembre !
Né le 22 août 1928 à Mödrath (près de Cologne), d’un père professeur d’école et d’une mère pianiste amateur, Karlheinz Stockhausen passe son enfance à Altenberg où il débute l’apprentissage du piano auprès de l’organiste de la cathédrale de cette ville avant d’étudier également le violon et le hautbois dans l’orchestre de son collège. Il perd ses parents au cours de la Seconde Guerre mondiale et, tout en travaillant pour subvenir à ses besoins, il entre en 1947 à la Staatliche Hochschule für Musik de Cologne. Dans cet établissement il suit notamment la classe de piano de Hans-Otto Schmidt-Neuhaus, puis, à partir de 1950, celle de composition de Franck Martin. Il entreprend parallèlement des études de musicologie, de philosophie et de philologie à l’Université de Cologne et, sous la direction de Hermann Schroeder, passe une licence d’éducation musicale (1951). C’est à cette époque qu’il découvre la seconde Ecole de Vienne (Schönberg, Berg Webern) et au cours de l’été 1951 participe au cours de Darmstadt. Impressionné par l’œuvre de Messiaen qu’il découvre, ainsi que par la personnalité de Boulez, il se rend l’année suivante à Paris où il fait ses premières expériences de musique concrète avec le Groupe de la R.T.F. dirigé par Pierre Schaeffer. La même année, il entre au Conservatoire de musique et de déclamation pour y suivre les cours d’esthétique musicale de Messiaen, mais échoue curieusement à l’examen d’entrée (solfège) dans la classe de composition de Darius Milhaud. On raconte qu’il ne put reconnaître et écrire les accords joués au piano qu’il fallait coucher sur le papier ! (Souvenirs de Thérèse Brenet). L’année suivante, il participe à la fondation du Studio de musique électronique de Cologne qu’il dirigera plus tard entre 1963 et 1977, et est nommé maître de conférences aux cours d’été de Darmstadt (jusqu’en 1974). Plus tard, en 1963, il fonde les Kurse für Neue Musik (Cours de musique nouvelle) de Cologne, dont il assure la direction durant 6 années, et enseigne la composition au Conservatoire de cette même ville (1971 à 1977). En 1998, il fonde les Stockhausen Courses and Concerts Kürten qui se déroulent l’été et rassemblent des interprètes, chefs d’orchestre, musicologues et auditeurs du monde entier (140 participants à la dernière et 10ème cession qui s’est déroulée du 7 au 15 juillet 2007)…
L’œuvre de Stockhausen, délicate à appréhender dans son ensemble tant elle est complexe, trouble parfois l’esprit de ceux qui tentent de la suivre, tant elle évolue perpétuellement au gré de la volonté de son auteur sans cesse à l’affût des découvertes de la recherche contemporaine, de nouveaux systèmes de notation musicale et d’expériences acoustiques en tous genres. Tout comme Boulez qui avait déclaré un jour que la "génération actuelle peut prendre congé de ses prédécesseurs, pour la plupart analphabètes militants" !, Stockhausen affirmait au lendemain de la guerre que sa génération avait la chance de pouvoir "recommencer par le commencement, sans tenir compte de ruines ni de témoins restés debout d’une époque sans goût" ! Ce refus de l’héritage de ses pairs explique sans doute sa démarche intellectuelle et artistique axée sur le principe que "tout est possible" et que la création peut s’affranchir de toutes règles. Klang (Sound), sous-titrée "The 24 hours of the day", sa dernière œuvre commencée en 2004, est écrite pour divers instruments et musique électronique. Cycle de 24 pièces, une pour chaque heure, il n’a pu être achevé par son créateur, disparu après la 21ème heure.
Les personnes intéressées peuvent utilement consulter le site officiel de la Fondation Stockhausen qui propose notamment un catalogue des œuvres dont l’intégralité (une centaine de CD’s à ce jour) est en cours d’enregistrement et de publication depuis 1991 (www.stockhausen.org).
Michel Villedieu