Nos lecteurs connaissent bien le Père Vincent-Marie, s.j.m., titulaire des orgues de l’abbaye Notre-Dame d’Ourscamp (Oise) depuis 1985. Nous avons plusieurs fois eu l’occasion de parler ici même des concerts proposés par l’Association du Grand Orgue de l’abbaye d’Ourscamp qui milite activement pour la sauvegarde de cet instrument.
Rappelons que cet orgue est sorti des ateliers Roethinger, de Strasbourg, ou il fut construit en 1947/1948. L’année suivante il était inauguré par Jean-Jacques Grünenwald, alors titulaire de l’église anglicane de Neuilly-sur-Seine. C’est le Frère Jean-Baptiste Stahl, qui participa d’ailleurs vivement à la construction de cet instrument, qui en devint le premier titulaire. En 1991, l’orgue étant devenu défectueux, une restauration fut entreprise part le facteur alsacien Christian Guerrier. Elle consistait en : traitement du bois, nettoyage complet de l’orgue et de ses 1916 tuyaux, rénovation et simplification du câblage et de la transmission électropneumatique, installation d’une nouvelle console dotée d’un combinateur électronique permettant la mémorisation de soixante-quatre combinaisons de jeux.
Pour les passionnés d’orgue, voici la composition actuelle de l’instrument de l’abbaye d’Ourscamp :
28 jeux répartis sur 3 claviers manuels de 61 notes ; un pédalier de 32 notes ; 64 combinaisons électroniques ; 2 boîtes expressives pour les claviers II et III ; pédale de crescendo
électronique permettant l’enclavement successif des registres de l’orgue par mouvement du pied.
1er clavier |
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2e clavier |
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3e clavier |
GRAND ORGUE |
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POSITIF |
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RÉCIT |
( 61 notes ) |
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( 61 notes ) |
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( 61 notes ) |
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Bourdon | 16 |
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Cor de Nuit | 8 |
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Diapason | 8 |
Montre | 8 |
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Flûte douce | 4 |
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Flûte creuse | 8 |
Flûte harmonique | 8 |
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Flageolet | 2 |
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Viole de gambe | 8 |
Prestant | 4 |
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Nazard | 2 2/3 |
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Voix céleste | 8 |
Doublette | 2 |
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Tierce | 1 3/5 |
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Flûte octaviante | 4 |
Cornet | 5 rangs |
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Cromorne | 8 |
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Octavin | 2 |
Fourniture | 5 rangs |
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Mixture | 4 rangs |
Bourdon | 8 |
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Basson | 16 |
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Trompette | 8 |
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Clairon | 4 |
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Trémolo |
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PÉDALE |
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Tirasses I-II-III |
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Accouplements P/GO - R/P - R/GO |
Soubasse | 16 |
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Octaves aiguës III / I |
Flûte basse | 16 |
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Un combinateur électronique |
Basse | 8 et 4 |
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Deux boîtes expressives |
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Une pédale crescendo |
Le Père Vincent-Marie, Serviteur de Jésus et de Marie, titulaire de l'orgue de l'abbaye ND d'Ourscamp, a eu la bonne idée de nous adresser un exemplaire de son CD1. C’est avec intérêt que nous le présentons ici, d’autant plus que nous avons pris beaucoup de plaisir à écouter cet enregistrement de qualité.
Dans un répertoire essentiellement spirituel, le Père Vincent-Marie nous fait voyager à travers les époques avec des oeuvres de Louis Marchand, Jean-Sébastien Bach, Olivier Messiaen et une improvisation de l’interprète.
Louis Marchand2 , on le sait, enfant prodige, génial improvisateur, virtuose du clavecin et de l’orgue qui attirait les foules dans les églises avait un esprit indépendant. Sa vie agitée l’a même mené en exil quelque temps en Allemagne, où il rencontra Bach. Comme bien des musiciens de cette trempe, il était admiré par Rameau, Daquin et Du Mage, il ne prit jamais la peine de noter ses véritables chefs-d’œuvre, ses improvisations. Cependant, il nous reste une cantate, des airs, un opéra, deux Livres de clavecin et des Pièces choisies pour l’orgue, ainsi que 4 autres livres en manuscrit qui seront édités deux siècles plus tard. Le Te Deum interprété ici fait partie du deuxième livre d’orgue. Selon l’usage de l’époque un verset était chanté entre les couplets d’orgue. Ainsi l’hymne compte 31 versets, dont 16 confiés à l’instrument. Hymne de louange par excellence, le Te Deum est chanté dans l’Eglise depuis le Moyen-Age, le jour des solennités. On reconnaît tout de suite l’écriture mélodique, les rythmes vifs et capricieux de l’auteur. L’oeuvre débute par un grand-jeu, pour se terminer par un surprenant plein-jeu, après être passée par toute une série d’autres jeux qui aussi bien sont en parfaite concordance avec le texte que parfois en contradiction ! (récit sur le cornet, trio, récit de cromorne, jeux doux...)
Avec Jean-Sébastien Bach, dont l’œuvre universelle est incontestée, nous arrivons là à l’alpha et l’oméga de l’histoire de la musique. Ce musicien génial essentiellement tourné vers la polyphonie est à la fois la synthèse et l’aboutissement de plusieurs siècles de contrepoint et de diverses tendances musicales, mais également le point de départ d’une nouvelle culture prodigieuse. Comme le souligne si habilement le texte de présentation de la plaquette accompagnant le CD, non signé mais probablement dû à la plume du Père Vincent-Marie, l’œuvre de Jean-Sébastien Bach forme la clef de voûte de l’histoire musicale européenne.
Dans le but de mieux illustrer ce génie polyphonique, dont nous venons de faire état, l’interprète a habillement choisi dix courtes pièces. Mais laissons lui la parole, car il parvient mieux que quiconque à exprimer et décrire admirablement cette musique divine hors du temps :
Comme exemple du génie polyphonique, nous vous proposons tout d’abord la fugue en si mineur BWV 579. Maître en cet art, Bach n’en composa pas moins de 200 fugues toutes aussi séduisantes les unes que les autres...
En écoutant celle-ci, laissez-vous conduire par la grande simplicité du thème, très facile à mémoriser, d’abord seul à l’alto puis accompagné au ténor par un second thème appelé contre-sujet. Progressivement, vous entrerez dans la souplesse mélodique et l’élégance des variations tonales et rythmiques, lesquelles s’enchaînent dans une parfaite pureté jusqu’au point d’orgue de l’accord final, conclusion d’une nouvelle page écrite.
Simples préludes aux cantiques ou vastes méditations très développées, les nombreux chorals pour orgue de Jean-Sébastien Bach sont d’une extrême diversité. Ils sont traités de quatre façons : soit dans leur forme simple à quatre voix, soit dans un style " fantaisie " ou par " imitation " ou encore ornementés de diverses façons.
Trois grands recueils revêtent une importance musicale et théologique particulière : l’Orgelbüchlein, la messe luthérienne et les dix-huit chorals de Leipzig. Avec ceux-ci, nous avons le résumé du langage musical de toute l’œuvre du maître, pour qui l’essentiel est d’harmoniser étroitement la musique avec le texte. Elle se veut à son service pour le décrire et même évoquer par divers procédés symboliques la réalité du mystère qu’il énonce. Le symbolisme des chorals, comme celui de toutes ses oeuvres, est si riche qu’il est un inépuisable sujet d’exégèse.
C’est ainsi que nous pouvons entendre la Fugue en si mineur, sur un thème de Corelli (BWV 579), le Prélude et Fugue en ré majeur (BWV 532), ainsi que plusieurs versions de trois chorals, qui sont des méditations des différents mystères de Dieu célébrées dans la liturgie et destinées à celle-ci :
1) Liebster Jesu, wir sind hier. : " Bien aimé Jésus, nous sommes ici pour entendre ta parole. Dirige nos pensées et nos désirs vers les doux enseignements du ciel afin que nos coeurs soient uniquement attirés de la terre vers Toi ". Quatre versions : BWV 633 et 634, BWV 730 et 7313.
2) Wer nur den Lieben Gott lässt walten. : " Celui qui se laisse guider par le Bon Dieu et met toujours en Lui son espoir trouvera un soutien merveilleux en Lui dans la misère et la détresse. Celui qui a confiance en Dieu, le Très-Haut, n’a pas bâti sur le sable. " Ce Choral est une paraphrase d’un verset du psaume 55. Deux versions : BWV 690 et 691, extraites des chorals divers composés entre 1705 et 1725.
3) Wir glauben all’an einen Gott. : " Nous croyons tous en un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre, qui s’est fait notre Père afin que nous soyons ses enfants.... " Deux versions : BWV 680 et 681 extraites des vingt-et-un chorals pour orgue appelés " Chorals du Dogme " (édités en 1739).
Après Bach, c’est Olivier Messiaen qui nous est proposé. Il est vrai que sa musique est encore mal connue, ou du moins n’est peut-être pas encore comprise dans toute sa spécificité qui lui est propre. Les oeuvres de ce musicien contemporain (1908-1992) ont toutes un caractère commun : la couleur. En effet Messiaen a toujours cru à la correspondance son-couleur et cela se ressent dans son écriture. C’est également un musicien théologien qui réussit à " dépasser le cadre proprement matériel d’une église ", pour transformer une salle de concerts " en un lieu de louange et de prière ". C’est ainsi qu’il déclarait en 1983, lors de la création de son opéra Saint François d’Assise : " Le drame de ma vie, c’est que j’ai écrit de la musique religieuse pour un public qui n’a pas la foi. "
Le Banquet céleste, (composée en 1928), l’Apparition de l’Eglise éternelle (1932) et la méditation Dieu parmi nous extraite de La Nativité du Seigneur (1935)4, interprétées ici, prouvent parfaitement le souci de Messiaen : conduire l’humanité déchristianisée, en perte de fois et des valeurs religieuses et bibliques, vers les mystères essentiels. Ces oeuvres de jeunesse montrent la personnalité du compositeur avec leur caractère sonore si particulier. Un climat contemplatif dû à un tempo extrêmement lent, avec une couleur harmonique originale font que Le Banquet céleste est une pièce " très charmante, tendre, douce et printanière " selon les propres mots du compositeur. La construction de L’Apparition de l’Eglise éternelle (grand crescendo faisant appel à toutes les ressources de l’orgue, suivi d’un decrescendo, le tout dans un mouvement lent, avec des paliers harmoniques) colle parfaitement avec la vision de l’auteur : " musique solide et compacte comme un bloc de pierre " pour évoquer l’apparition et la disparition de l’Eglise éternelle dans une puissante vision cosmique. Dieu parmi nous est une des 9 méditations pour orgue de La Nativité du Seigneur. C’est le premier grand chef-d’œuvre pour orgue de Messiaen. Cette neuvième et dernière méditation chante la gloire du Christ. On y perçoit des rythmes hindous, qui pour l’époque apportait un grand changement dans la musique d’orgue. Trois thèmes successifs sont évoqués : la chute glorieuse et ineffable de la seconde personne de la Sainte Trinité dans une nature humaine (l’Incarnation) ; la communion (thème d’amour) ; et l’allégresse (le Magnificat) traitée comme un chant d’oiseau.
Enfin, cet enregistrement se termine avec une improvisation de l’interprète sur l’Ave Maris stella, qui est la prolongation et la conclusion en Amen final du choix des pièces qui n’ont d’autre but " que d’offrir de la prière pour conduire à la prière ". On voit ici que le Père Vincent-Marie est non seulement un interprète de grand niveau, mais également un improvisateur inspiré qui assimile parfaitement le thème choisi en utilisant une registration correspondant parfaitement au sujet proposé.
Nous ne pouvons qu’inciter nos lecteurs à faire l’acquisition de ce coffret, monument de prières et de recueillement au service d’une belle liturgie devenue bien trop rare de nos jours.
DHM (1997)