Roger-Ducasse
(1873-1954)
Roger-Ducasse, vers 1923, âgé d'une cinquantaine d'années
( collection privée ) DR
Une classe de Roger-Ducasse au CNSMP en 1929-1930.
Roger-Ducasse ?
Ce nom, malheureusement, ne dit plus grand chose au "grand public", et même à ceux qui écoutent régulièrement de la musique classique ! Seuls quelques musicologues connaissent celui qui a été l’élève chéri de Gabriel Fauré, un excellent pianiste et un compositeur savant, rigoureux, dont les oeuvres n’occupent pas dans les concerts la place qu’il faudrait leur réserver.
Ajoutons que Roger-Ducasse a laissé au Conservatoire national le souvenir d’un enseignant remarquable et que, par ailleurs, l’homme, éminemment cultivé, s’est révélé un épistolier de premier plan : ses lettres à Jacques Durand, son éditeur, à Jacques Rouché, le directeur de l’Opéra, à Nadia Boulanger, à Marguerite Long, ou à son ami André Lambinet, pour ne citer que les plus connus, peuvent être comparées aux plus littéraires des correspondances de son époque.
Le compositeur
Roger-Ducasse est né à Bordeaux, le 18 avril 1873. Son véritable patronyme est Ducasse et ses prénoms, au nombre de quatre : Jean, Jules, Amable et Roger. Ce dernier prénom étant utilisé par sa famille et ses amis, le compositeur a adopté, dès ses débuts, l’appellation de Roger-Ducasse, peut-être pour se distinguer des autres "Ducasse" très fréquents dans la région bordelaise.
Il vient au monde dans une famille de bourgeoisie aisée, dont il est le troisième enfant : deux sœurs plus âgées que lui, Jeanne1 et Marguerite. Après lui, un frère, Daniel, et une autre sœur, Yvonne. Si les rapports avec son frère semblent avoir été assez espacés, par contre il faut noter que deux des sœurs, Marguerite et Yvonne, restées célibataires, seront étroitement intégrées à sa vie. Qu’il soit à Paris ou à Pichebouc, la propriété familiale, sise au Taillan-Médoc, tout de près de Bordeaux, on retrouvera toujours le compositeur encadré par ses deux sœurs.
Très studieux, il fait des études secondaires brillantes, particulièrement en littérature française, en latin et en grec. Il pratiquera toute sa vie ces langues "mortes" et la culture gréco-latine marquera sa pensée d’une façon indélébile. Beaucoup de ses oeuvres prendront leur inspiration de les textes antiques..
Il se révèle aussi, dès son plus jeune âge, très doué pour la musique, alors que personne autour de lui ne semblait intéressé par cet art. Remarqué très vite par Mme Rinck-Bertini, qui dirigeait à Bordeaux un cours de très bon niveau, le jeune garçon sera rapidement orienté vers Paris, malgré une certaine réticence de la famille, afin de postuler pour l’entrée au Conservatoire. Malheureusement, la disparition brutale du père, en 1889, laisse la famille dans une situation difficile et ajourne provisoirement la carrière du futur compositeur. Ce n’est qu’en 1891, c’est-à-dire seulement à l’âge de 18 ans, qu’il pourra se présenter au concours d’entrée du Conservatoire et être admis à suivre la classe préparatoire pour le piano.
Il se révèle tout de suite très doué : facilités extraordinaires de mécanisme pianistique, une mémoire incroyable, et une aisance innée pour l’harmonie ou le contrepoint. Il suit donc le cursus classique, élève successivement de Charles de Bériot (piano), d’Emile Pessard (harmonie) et d’André Gedalge (fugue et contrepoint). Comme il montre de grandes facilités pour la composition, il sera dirigé en 1895 vers la classe de Gabriel Fauré.
Roger-Ducasse avec son ami Florent Schmitt (à gauche), Pichebouc, 21 août 1952 ( coll. privée ) DR |
On sait le prestige de cette classe où se sont formés Maurice Ravel, Florent Schmitt, Charles Koechlin, George Enesco, Alfred Cortot et Nadia Boulanger, pour ne citer que les noms les plus marquants.
Tout de suite se crée entre le maître et le jeune élève un attrait intellectuel, une véritable amitié, malgré la différence d’âge, qui durera jusqu’à la mort de Fauré. Roger-Ducasse a voué à son maître une vénération, non exempte parfois de jugements sévères, qui a duré toute sa vie.
En 1900, le jeune compositeur, sur les conseils de son maître, va tenter le Prix de Rome, étape quasi obligatoire à l’époque pour une carrière digne de ce nom. Il n’obtient aucune récompense pour cette première tentative. L’année suivante, il franchit la première épreuve, mais sa cantate, Sémiramis, ne lui rapporte pas le succès espéré. En 1902, par contre, avec Alcyone, il obtient le premier Second Grand Prix, récompense très honorable certes, mais qui ne conduit pas à Rome... C’est une première déception ! L’année suivante, il paraît donc très bien placé pour le Grand Prix. Malheureusement, il n’obtiendra rien du tout, comme Maurice Ravel du reste, qui en était à son quatrième concours...
Après une tentative infructueuse pour le Prix Crescent, avec une grande oeuvre pour chœur et orchestre, Au jardin de Marguerite, il devra se contenter d’un Prix de la Ville de Paris. Dégoûté de ce genre de compétitions, il se consacrera alors uniquement à la composition des oeuvres qu’il couve depuis longtemps.
En 1909, grâce à l’appui de son maître Fauré et de ses amis Cruppi2, il est nommé "inspecteur divisionnaire de l’enseignement du chant dans les écoles de la ville de Paris". Outre un traitement fixe qui lui permet de vivre mieux, avec ses charges de famille, cette nouvelle situation lui permet de mettre en place des formations d’enfants et de professeurs, qui vont assurer un renouveau du chant choral en France, assez négligé à l’époque.
Cela aura pour conséquence aussi de l’inciter à composer beaucoup pour le chant choral, soit a cappella, soit avec grand orchestre, ce qui correspondait très bien à son génie musical. Les concerts qu’il organise alors commencent à le mettre en lumière et des chefs d’orchestre réputés comme Walter Damroch, de New York, sir Henry Wood, de Londres, Arturo Toscanini de Milan et Alexandre Ziloti de Saint-Pétersbourg, vont s’intéresser à sa production et faire connaître ses oeuvres dans le monde entier.
C’est du reste ce dernier qui lui commande sa première oeuvre lyrique sur le thème d’Orphée. Le compositeur, débordé de travail en ce début du XXème siècle, ne sera malheureusement prêt qu’aux abords de l’année 1914... Hélas ! les événements l’obligeront à renoncer à cette création, qui devait avoir lieu à Saint-Petersbourg et ce ne sera qu’en 1926 qu’Orphée verra le jour à l’Opéra.
Mobilisé en octobre 1914, il est atteint par une pneumonie très grave qui le fera errer d’hôpitaux en hôpitaux pendant des mois. Il sera finalement versé dans le service auxiliaire, puis remobilisé quelques mois au cours de la période la plus critique de la guerre et enfin réformé définitif quelques mois avant la fin du conflit.
L’Entre-deux-guerres sera pour Roger-Ducasse une période faste où il pourra enfin réaliser les grandes oeuvres qu’il avait en attente. Outre la création d’Orphée en 1926, dont nous avons parlé, il met en train, en 1923, un opéra-comique en 4 actes, Cantegril, qui sera créé avec un immense succès en février 1931.
C’est alors que peut s’épanouir sa vocation d’enseignant. En octobre 1929 il entre officiellement au Conservatoire à la tête d’une classe d’ensemble qu’il mènera avec enthousiasme jusqu’à l’année 1935. La disparition de Paul Dukas, titulaire de la classe de composition, lui permet d’accéder bientôt à cette fonction. Le contact des jeunes devient pour lui une des raisons de vivre3. C’est un maître rigoureux, sévère, exigeant, mais toujours prêt à promouvoir ses élèves.
Au moment où se déclenche la deuxième Guerre internationale, Roger-Ducasse arrive juste à l’âge de la retraite. C’est pour lui un crève-cœur de se voir privé du contact avec les jeunes. Mais la pénurie de professeurs, due à la mobilisation, va lui permettre de continuer jusqu’à 1945 son rôle d’enseignant.
Après cette époque, il va se retirer totalement du monde musical, terré dans son Pichebouc chéri dont il ne sortira que très peu, coupant toutes relations avec le milieu parisien, refusant systématiquement tout ce qu’on lui propose d’honorifique. Son échec à l’Institut, en 1945, où Reynaldo Hahn passera à sa place, sera très mal vécu. Cruellement atteint par un asthme chronique, séquelle lointaine des incidents pulmonaires de 1914, il terminera ses jours au sein de sa famille et mourra le 18 juillet 1954.
Château de Compiègne, 5 au 11 mai 1900, les 11 candidats au concours d’essai du Prix de Rome. De g. à dr. : Roger-Ducasse (assis sur le garde-corps), César-Abel Estyle (derrière), Edouard Trémisot, Léon Moreau, Maurice Ravel, Gabriel Dupont, Angelin Biancheri, Albert Bertelin, Florent Schmitt (lit le journal), Aymé Kunc (assis sur la 2e marche) et Louis Brisset (assis sur le garde-corps) (Musica, 1913, coll. DHM) DR. |
L’oeuvre
La production de Roger-Ducasse ne dépasse guère les soixante-dix opus, car il mettait un point d’honneur à ne laisser publier que les oeuvres qu’il jugeait dignes de figurer dans son catalogue4. On ne peut analyser en détail ici toutes les oeuvres du compositeur. Nous nous contenterons de citer les principales.
Pour des raisons de clarté, nous avons cru bon de reprendre le plan adopté dans notre thèse5:
I - Oeuvres pour la voix :
Mélodies :
Contrairement à son maître Fauré, Roger-Ducasse n’a pas montré un don spécial pour ce genre musical. Il a laissé une dizaine de mélodies dont la plupart sont très loin du talent de Gabriel Fauré, de Reynaldo Hahn ou d’Henri Duparc. Nous mentionnerons seulement les Deux Rondels, écrits sur des poèmes de François Villon, composés en 1897 et édités chez Durand et Cie en 1907. Ces deux oeuvres vocales ont eu un succès certain dans les salons musicaux de l’époque.
Choeurs :
Les grands ensembles choraux sont sûrement plus dans l’esprit du compositeur qui peut y déployer à loisir ses talents de contrapuntiste.
Citons d’abord pour mémoire les Chansons populaires de France, sept chants folkloriques a cappella, fruits des recherches du compositeur lorsqu’il travaillait sur son opéra-comique, Cantegril.
Plus intéressantes sont les oeuvres chorales avec orchestre :
Le Jardin de Marguerite
première oeuvre magistrale de Roger-Ducasse, composée entre 1901 et 1905. C’est une grande fresque inspirée par le Faust de Goethe, d’une durée de 73 minutes, sur un livret écrit par le compositeur lui-même, avec le concours de son ami André Lambinet. Refusée par le jury du Prix Crescent, elle sera pourtant créée le 18 avril 1913, à la Société Nationale, sous la direction de Rhené-Baton. L’effet semble avoir beaucoup impressionné l’assistance, mais hélas ! il n’existe aucun enregistrement de l’œuvre entière. Seuls l’Interlude et quelques extraits symphoniques ont été gravés (Leif Segerstam, Naxos, 8.550639)
Deux chœurs pour voix d’enfants et orchestre
sur des vers de Roger-Ducasse qui avait la Muse assez facile. Aux premières clartés de l’aube et Le Joli jeu de furet, créés aux concerts Lamoureux, le 20 mars 1910, sous la direction de Camille Chevillard. Aucun enregistrement n’est accessible, sauf le Scherzo pour orchestre, que le compositeur a écrit sur le thème du Joli jeu de furet (cf. Leif Segerstam, Naxos, 8.550639).
Sur quelques vers de Virgile
chœur pour 300 voix de femmes, avec orchestre, créé au Trocadero, le 29 mai 1910, sous la direction de l’auteur. Aucun enregistrement à notre connaissance.
Sarabande
oeuvre composée en 1910, sous l’émotion de la mort du jeune Paul Cruppi, son élève. Cette grande déploration funèbre pour chœurs mixtes (soprani, contralti, ténors) et orchestre, a été créée aux concerts Colonne du 22 janvier 1911, sous la direction de Gabriel Pierné. L’œuvre a eu un immense succès, au point que le célèbre Arturo Toscanini l’a fait entendre à New York, puis à Milan. Il existe un disque gravé en 1937, sous la direction de Piero Coppola, pratiquement introuvable dans le commerce, mais conservé à l’INA.
Ulysse et les Sirènes
C’est la dernière grande oeuvre chorale du compositeur, inspirée de l’épisode célèbre de l’Odyssée. Ecrite pour chœurs mixtes et orchestre, elle ne dure que 18 minutes, mais sa complexité harmonique et rythmique en rend l’exécution particulièrement difficile. Elle a vu le jour aux concerts Lamoureux, le 21 février 1938, sous la direction d’Eugène Bigot. Le succès semble avoir très mitigé, ce qui a beaucoup peiné Roger-Ducasse, car il avait mis là toute sa passion pour la Grèce antique. Aucun enregistrement connu.
Enfin, il faut signaler les Trois motets, pour soprano solo et chœurs mixtes à quatre voix, avec accompagnement d’orgue, publiés par Durand et Cie en 1901-1905, donnés en première audition à la Société de Musique Indépendante, le 12 février 1912, avec Hélène Baudot, les choeurs Engel-Bathori, sous la direction de Louis Aubert. Le seul enregistrement actuel est américain, un CD Viva Voce, Musique sacrée française du XXèmesiècle (studio SM D2641 SM 62, 1997, avec des oeuvres de Fauré, Poulenc, Duruflé et Jean-Louis Petit).
II - Oeuvres pour le théâtre :
Elles sont au nombre de deux :
Orphée
dont nous avons déjà parlé, commandé au compositeur par le chef russe Alexandre Ziloti. Le livret, composé par Roger-Ducasse lui-même à partir du quatrième livre des Géorgiques, sur un sujet qui ne manquait pas d’antécédents lyriques, prend ici un aspect inacoutumé : Orphée et Euridice ne chantent pas, ce sont des mimes qui les représentent et toute l’action est commentée par quelques soli et surtout le chœur dont le rôle est primordial, un peu comme dans le théâtre antique.
L’œuvre a été crée seulement le 11 juin 1926, à l’Opéra, sous la conduite de Philippe Gaubert, Ida Rubinstein ayant le rôle titre6, avec un certain succès, mais, pour des raisons diverses, elle ne sera jamais reprise en France...
Aucun enregistrement de la totalité de l’œuvre n’a été fait à l’époque. Il n’existe qu’une suite d’orchestre, sous le nom de Trois Fragments symphoniques d’Orphée, dirigés toujours par Leif Segerstam : Cybelia CY 820 DS 813 et Naxos Patrimoine DDD 8.550891 (1993). Malheureusement, il manque l’essentiel : les airs de soli et surtout les chœurs.
Cantegril
Changeant complètement de style, le compositeur a écrit un grand opéra-comique de 3 h. 52, sur une histoire régionale, truculente, un peu paillarde même, de Raymond Escholier. C’est une oeuvre énorme, qui nécessite un grand nombre de chanteurs, figurants et chœurs. Créé à l’Opéra-Comique le 9 février 1931, avec Roger Bourdin dans le rôle principal, sous la direction de Louis Masson, Cantegril a connu un gros succès et de nombreuses représentations. Et puis, l’œuvre est tombée dans l’oubli total...
Aucune gravure commerciale n’a été faite. Seule, une bande, enregistrée lors d’une reprise de l’œuvre à la Radio, sous la direction de Tony Aubin, conservée à la BnF, au département de la Musique, peut donner une impression partielle de l’œuvre.
III - Oeuvres symphoniques :
Suite française en ré majeur
C’est la première oeuvre du compositeur qui a eu les honneurs des grand concerts. Elle est dédiée à son ami André Lambinet. Composée en 1907, d’une forme classique, mais qui réserve quelques surprises harmoniques et rythmiques, elle a été créée aux concerts Colonne, le 28 février 1909, dirigée par Gabriel Pierné. Son succès a tout de suite classé Roger-Ducasse au rang des jeunes compositeurs d’avenir. L’œuvre a été beaucoup jouée en France, mais aussi aux Etats-Unis, en Angleterre et en Russie. On peut l’écouter dans le CD Cybelia, cité ci-dessus.
Nocturne de printemps
Cette oeuvre, composée entre 1915 et 1918, est dédiée à sa "chère maison des champs", Pichebouc, et a été créée aux concerts Pasdeloup le 14 février 1920, sous la baguette de Rhené-Baton. D’une durée seulement de 11 minutes, elle est certainement la plus poétique du compositeur, celle aussi à qui il tenait le plus. Elle figure aussi sur les 2 CD déjà cités, sous la direction de Leif Segerstam.
Epithalame
Cette oeuvre a été commandée par le chef d’orchestre américain Walter Damrosch, à l’occasion du mariage de sa fille. Roger-Ducasse a voulu évoquer là, entre un prélude et une fin poétique, le déchaînement joyeux des invités à la noce, d’où les aspect syncopés, quasiment "jazzy", de certains passages, qui ont donné beaucoup de mal au compositeur, peu apte à danser les fox-trot, two-steps et autres charlestons que la guerre de 1914 avait ramenés du Continent américain...
Créé le 4 février 1923 aux concerts Colonne, sous la direction de Gabriel Pierné, l’œuvre paraît avoir beaucoup plu. On la retrouvera aussi dans un CD Naxos, Patrimoine, DDD 8.550639 (1994).
Poème symphonique sur le nom de Fauré
En 1922, Henri Prunière, directeur de la Revue musicale, avait décidé d’honorer Gabriel Fauré en lui consacrant tout un numéro et demandé aux élèves du Maître d’écrire chacun une pièce musicale inspirée par les lettres du nom du compositeur. Maurice Ravel, Florent Schmitt, Charles Koechlin, Georges Enesco, Louis Aubert et Paul Ladmirault ont ainsi répondu à cet appel. Malgré la vénération que Roger-Ducasse portait à son maître, ce travail « imposé » semble lui avoir beaucoup pesé...
C’est le 22 avril 1923, sous la direction de Rhené Baton que l’œuvre a vu le jour, avec un succès moyen, semble-t-il. Pas d’enregistrement commercial, à notre connaissance.
Nous ne ferons que citer la Petite suite (1901), le Prélude pour un ballet7 (1910), la Marche française (1920), la Suite pour petit orchestre (1917-1919) qui complètent les oeuvres purement symphoniques de Roger-Ducasse.
Un mot sur sa dernière oeuvre, Le Petit faune, ballet sur une histoire écrite par le compositeur, une partition concoctée longuement dans son isolement à Pichebouc, après sa retraite. Malheureusement, la maladie ne lui a pas permis de lui donner la forme souhaitée.
L’œuvre a pourtant été jouée, quelques semaines avec la disparition du compositeur, lors du Festival de Bordeaux, le 22 mai 1954, sous la direction de Charles Bruck encore que Roger-Ducasse ait désapprouvé cette exécution... Il n’existe aucun enregistrement commercial de cette oeuvre.
IV - Oeuvres instrumentales :
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Roger-Ducasse, Prélude pour piano, dédicacé "à René Durand" (Paris, Durand, 1913) Partition au format PDF Fichier audio par Max Méreaux (DR.) |
pour le piano :
Le compositeur, remarquable pianiste, a beaucoup composé pour cet instrument. Nous ne pouvons que citer rapidement ces oeuvres, complexes pour la plupart, terriblement difficiles à jouer, mais qui apportent une contribution majeure à ce répertoire.
On en retiendra les Barcarolles, au nombre de trois (1906, 1920, 1921), Six préludes, dédiés à Mme Jean Cruppi (1907), Quatre études, composées pendant la guerre, entre 1914 et 1916, Variations sur un choral (écrites entre 1914 et 1917, créés à la Société nationale en novembre 1917 par Marguerite Long), Esquisses (1918), Deux arabesques (1917 et 1919)), Rythmes (dédicacés à Blanche Selva qui en est la créatrice en 1918), Sonorités (1918), Impromptu (1921), Chant de l’aube (1921), Romance (1923, dédiée à Jane Kiffer, crée aux concerts Colonne, 24 novembre 1923.
Un récent enregistrement des principales oeuvres pour le piano de Roger-Ducasse est dû au pianiste Dominique Merlet, dont le grand-père, André Lambinet a été un grand ami du compositeur. Il faut absolument l’écouter si l’on veut cerner l’importance des compositions pianistiques du compositeur (Mandala, Harmonia mundi, Mand 5011, HMCD 78 (2000).
pour l’orgue :
Une très belle Pastorale, dédiée à son amie Nadia Boulanger, excellente organiste, créée pour l’inauguration de la Société de Musique Indépendante, le 20 avril 1910, par Alexandre Guilmant.
pour la harpe :
Cet instrument a parfois inspiré le compositeur. Il a écrit en 1906, une Barcarolle, en 1923, un Basso ostinato, mais surtout les Variations plaisantes sur un thème grave, véritable concerto pour harpe et orchestre, créé le 24 janvier 1909 aux concerts Lamoureux, dirigés par Camille Chevillard. Les audaces harmoniques tant que rythmiques que le compositeur y déployait ont déclenché une sorte de scandale opposant les "vieux abonnés" aux "jeunes". Aucun enregistrement ne nous en est parvenu.
pour le violoncelle :
En 1918, Roger-Ducasse a composé une très jolie Romance pour violoncelle et piano, dont le succès l’a entraîné à en faire une transposition pour violoncelle et orchestre. Oeuvre sereine, de couleur fauréenne, relativement facile à interpréter (Durand et Cie, 1919). Pas d’enregistrement commercial.
V - Musique de chambre :
Roger-Ducasse considérait la musique de chambre comme un idéal, une perfection difficile à réaliser. Pour lui, le quatuor à cordes ne pouvait être entrepris qu’à la maturité d’un compositeur. Il a laissé trois quatuors :
Quatuor à cordes n° 1 en ré mineur, dédié à son maître Gabriel Fauré. Composé entre 1900 et 1909, cette oeuvre d’une durée de 33 minutes comprend : Modéré, mais décidé, Pas vite et très rythmé, Très lent, Lent et vite. La première audition a eu lieu le 17 décembre 1909, au Cercle Musical avec le quatuor Touche.
Quatuor avec piano, violon, alto et violoncelle, composé entre 1899 et 1912, dédié à Marguerite Long8. Il dure 36 minutes et comprend : Allegro, Andantino ma scherzando, Molto adagio et Finale. Trois membres du quatuor Hayot (violon, alto et violoncelle) et le compositeur lui-même au piano, l’ont fait entendre pour la première fois le 26 mars 1912 à un concert Durand.
Ces deux oeuvres qui ont été beaucoup jouées en France et à l’étranger ne semblent pas avoir laissé de traces enregistrées....
Quatuor à cordes n° 2 en ré majeur
Cette oeuvre considérable, d’une durée de 50 minutes, a été mise en chantier en 1912 pour être terminée seulement en 1953. Toute sa vie, le compositeur a repris, modifié, raccourci ou étoffé son quatuor. C’est donc un véritable testament musical qu’il laisse là.
Il est dédié au quatuor Loewenguth, qui le présentera au Festival de Bordeaux (Château de La Brède) le 20 mai 1953. Il comprend quatre parties : Presque lent, Moderato, très précis de rythme, Très lent et Allegro maestoso.
Les Loewenguth l’ont fait connaître à Paris, le 27 juin 1953, puis l’ont entraîné dans les grandes villes de province, à l’étranger, particulièrement lors de leur tournée américaine.
Il est désolant de ne jamais entendre un de ces quatuors dans un concert français... Heureusement, un repiquage du disque enregistré en 1954 par le quatuor Loeuwenguth, est sorti récemment en CD (Mandala, Harmonia mundi, Man, 4934, HMCD, 78).
Conclusions
En manière de conclusions, il faudrait étudier les raisons pour lesquelles ce musicien éminemment doué, pianiste aussi habile que compositeur de grand talent, se trouve actuellement tombé dans un oubli si injuste.
On sait bien que les personnalités les plus en vue, celles qui sont l’objet du culte des médias à notre époque, passent par un cycle bien connu : leur disparition est marquée d’abord par une effervescence d’articles et de reportages. Cela dure plus ou moins, mais avec l’écoulement du temps, sauf quelques rares exceptions, l’oubli se fait jour, un oubli dont la durée est variable. C’est la "traversée du désert". Beaucoup, après des mois ou des années, en sortiront et leurs oeuvres refleuriront dans les concerts. D’autres, hélas ! resteront oubliés... Dans le cas de Roger-Ducasse, il faut avouer que 53 ans après sa mort, il n’arrive guère à émerger.
Pourquoi ?
Le problème est complexe. Essayons tout de même d’en trouver quelques explications.
Il est certain que le compositeur bordelais n’a pas eu la carrure d’un novateur ou d’un chef d’école. Mais les personnalités de Claude Debussy, de Maurice Ravel et de Gabriel Fauré, ont été telles, à cette époque, que les étoiles de moyenne grandeur ont été vite éclipsées ! En 1937, tous les journaux on célébré le cinquantenaire de la mort de Ravel. Albert Roussel, mort la même année, n’a eu droit qu’à quelques entrefilets...
On a dit que Roger-Ducasse n’était qu’un pâle reflet de son maître et qu’il n’avait fait que du "sous-Fauré", toute sa vie. C’est parfaitement faux. Si comme tous les « suiveurs », ses premières compositions ont des résonances fauréennes, le reste de son oeuvre fait montre d’une véritable personnalité et les audaces du compositeur terrifiaient souvent Fauré, dont on connaît pourtant l’attachement à son élève.
Deux facteurs peuvent être retenus pour essayer d’expliquer ce désamour du public :
- le caractère de cette musique : Roger-Ducasse est un homme farouchement indépendant. Il a fait la musique qu’il concevait, sans se préoccuper des modes, des courants, des écoles diverses et encore moins des Critiques. Cette musique, toujours savante, n’est jamais faite pour "charmer". Elle demande souvent à l’auditeur un effort certain pour en saisir la beauté. De plus, les interprètes se trouvent en face de grandes difficultés techniques d’exécution. D’où le peu d’enthousiasme pour les organisateurs de concerts, d’afficher une oeuvre de Roger-Ducasse...
- le caractère même du compositeur : cela a certainement joué un rôle important. Roger-Ducasse n’est pas un personnage "séduisant". Une rigueur intangible vis-à-vis de ses compositions dont beaucoup ont été détruites volontairement, le refus de toute concession au public ou aux directeurs de concerts, une attitude spirituelle proche du jansénisme, la franchise rugueuse de ses jugements, ne lui ont pas fait que des amis !
Aussi, à la fin de sa vie, assez aigri, désabusé, il s’est pratiquement muré dans sa "maison des champs". Devenu l’Ermite du Taillant, il refusait tout contact avec la presse, coupé définitivement de toute relation avec ses amis musiciens, se dérobant à toute manifestation officielle, affichant des idées politiques issues de son admiration pour Charles Maurras, il s’est en quelque sorte mis en marge de la société. La contemplation de ses rosiers, le culte de la famille, le travail constant de sa technique du piano et la méditation sur la mort ont seuls meublé ses dernières années...
Mais comment ne pas regretter que ses oeuvres majeures ne viennent, de temps en temps, fleurir dans un concert ?
Jacques Depaulis
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1) Qui deviendra Mme Louis Maurange et assurera la continuité de la famille.
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2) Jean Cruppi (1853-1935), brillant avocat qui a fait une carrière politique. Député de la Haute-Garonne, il a été plusieurs fois ministre. Son épouse, née Louise Crémieux, cousine éloignée de Marcel Proust, très cultivée, a été une amie chaleureuse de Maurice Ravel et de Roger-Ducasse.
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3) Il faut dire que le compositeur, encadré par ses deux sœurs, semble avoir eu une vie sentimentale difficile et a souffert de n’avoir pas pu créer un foyer avec des enfants.
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4) Le catalogue officiel a été publié un an après la mort du compositeur, sous les auspices de l’Association des amis de Roger-Ducasse, par son éditeur Durand et Cie.
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5) Roger-Ducasse, un élève fervent de Gabriel Fauré, thèse de doctorat en histoire de la musique et en musicologie, sous la direction de Mme Danièle Pistone, Professeur à l’Université de Paris-IV-Sorbonne, 1992.
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6) Pour plus de détails sur cette oeuvre importante on peut consulter notre biographie d’Ida Rubinstein, parue en 1995, aux éditions Honoré Champion.
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7) Que les Ballets Russes avaient voulu monter, à l’époque de leur gloire, mais le dirigisme de Diaghilev et les exigences chorégraphiques de Michel Fokine ont tout de suite fait rétracter le compositeur...
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8) Cette dédicace a été ultérieurement reniée par le compositeur, en raison d’une évolution défavorable de ses rapports amicaux avec la pianiste. Sur ce sujet, on peut lire notre petit livre paru récemment aux éditions de l’Observatoire Musical Français, Université de Paris-Sorbonne (Roger-Ducasse : lettres à Marguerite Long et à son mari, Joseph de Marliave).
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R O G E R - D U C A S S E par Gaston Dufy L orsque la destinée vous conduit assez avant dans l'existence et que les souvenirs vous restent précis, que d'amertumes naissent de l'indifférence des temps présents ! Nous avons déjà, ici, signalé quelques grands musiciens dont les œuvres méritaient la connaissance de la postérité. Hélas la liste n'en est pas close.
Celui, dont je dirai quelques mots aujourd'hui, ajoute à notre dette de reconnaissance son dévouement aux jeunes générations des Ecoles de Musique de France. En effet Roger-Ducasse qui s'est retiré dans un coin de France où il fait bon vivre et où, hors des contingences spirituelles des cités, l'on peut oublier ceux qui vous oublient, fut pendant de longues années le réformateur de l'enseignement musical en provinces françaises. Il lui a sacrifié de nombreuses heures au détriment de sa production personnelle et cette abnégation lui vaut, à l'heure actuelle, la méconnaissance presque totale de ceux pour lesquels il s'est dévoué. C'est pour nous, Images Musicales, qui avons le culte et la foi en notre épopée contemporaine de la musique française un devoir et un honneur de sonner l'alarme dans la foule des indifférents. Nous nous excusons, auprès du grand musicien qu'est Roger-Ducasse, d'avoir à rappeler, à ceux qui devraient les avoir présents à l'esprit comme celles de nos gloires plus populaires, les traits principaux de sa déjà longue carrière. Mais regardant en face les réalités et contraints par un sentiment de justice, il nous semble être de notre devoir de le faire. Roger-Ducasse naquit à Bordeaux dans un milieu que rien ne rattachait spécialement aux arts, mais fier de haute culture, fut guidé dans son instruction générale vers les lettres. Cependant un penchant nettement ressenti et exprimé le portait vers la musique. Ce ne fut qu'assez tard qu'il lui fut permis de réaliser ses aspirations vers l'idéal que lui dictait sa nature. Aussi bénéficia-t-il dès son entrée au Conservatoire de Paris, d'un bagage culturel qui lui assura une attention particulière de la part "de ses professeurs. En 1892, il en trait à la classe de de Bériot pour le piano et ensuite chez Pessard pour l'harmonie. Fauré l'accueillit ensuite et le jeune élève trouva là un maître qui répondait à son tempérament musical. Parmi ses camarades d'alors : Florent Schmitt, Maurice Ravel, Louis Aubert et Enesco, tous de la même classe, devaient briller plus tard aussi au palmarès de la renommée. En précipitant son entrée, dans la classe de composition de Fauré, il ne le fit certes pas sans connaissance de cause, préférant appliquer déjà les inspirations de son âme musicienne, tout en se perfectionnant concurremment en travaillant la fugue et le contrepoint chez André Gedalge. Dès ces années scolaires, il avait la joie rare de voir ses premières œuvres éditées. D'abord en 1895 un Hymne blanc, puis une Petite Suite pour piano à quatre mains jouée à la Société Nationale. Une mélodie écrite sur un Rondel de Villon obtenait le prix à un concours du Figaro. Déjà le succès couronnait sa jeune carrière et son maître Fauré, qui le tenait en estime, lui confiait parfois la conduite de son cours au Conservatoire. Autre preuve de cette estime, le maître lui demandait de réduire au piano la partition de son Requiem ainsi que de sa Suite de Pelléas et Mélisande. Sa vie studieuse et active ne se ralentissait pas de ces réussites et, en 1902, il obtenait le Premier Second Grand Prix de Rome avec sa Cantate Alcyone. L'année suivante, s'étant représenté et n'ayant rien obtenu, il eut au moins la gloire d'avoir comme partenaire de défaite Maurice Ravel. Pauvre Institut, pauvres Jurys, que de bonnes sèves ont-ils négligées pour leur préférer tant de fruits secs ! Lorsque l'on a sous les yeux le palmarès des Grands Prix de Rome depuis la fondation, on reste confondu devant le déchet de production musicale de ces préférés élus. Un autre échec du jeune compositeur en 1910 nous confirme cet aveuglement de certains jurys. C'était lors d'un concours institué par la ville de Paris. Gaston Carraud, éminent critique de l'époque, parlant du résultat s'exprimait ainsi dans La Liberté : "on peut savourer une fois de plus le ridicule supérieur de ce jury qui préféra, au Jardin de Marguerite de M. Roger-Ducasse en même temps qu'à la Lépreuse de M. Lazzari, une Elsen, illustre de ce seul fait." Mais ainsi est faite la destinée de certains, il leur faudra beaucoup souffrir, il leur faudra une longue persévérance avant de trouver la place qui leur est due, avant que soit apprécié le fruit de leur génie. Cependant, déjà à cette époque, l'élite des musiciens tendait l'oreille à ses Variations plaisantes sur un thème grave données chez Lamoureux et particulièrement après l'audition acclamée de la Suite Française aux Concerts Colonne. Je relève à ce sujet, dans la belle étude sur la vie et l'œuvre du compositeur de l'éminent critique et organiste Laurent Ceillier (Durand et Fils, éditeurs), une appréciation de cette période qui définit bien l'essentiel du caractère du jeune musicien. "Roger-Ducasse nous apparaît avant tout inventif et chercheur ; partout dans ses œuvres abonde l'ingéniosité ; il l'accumule même, au point que le travail devient serré, apparent et l'écriture touffue. D'une fantaisie très libre, d'une complexité très grande, la richesse d'imagination déborde en des pensées quelquefois sévères ou folles, en des sensations complexes, troubles même, qui peuvent aller jusqu'à la dureté. Au milieu de cette abondante richesse, quelquefois il se complaît dans l'amusement de "l'infiniment petit" : il n'est pas encore libéré et n'a pas encore conquis toute son originalité. Cette phase qui sera courte, me semble comprendre..." et il cite les Variations plaisantes, le Quatuor à cordes, la Pastorale pour orgue et les Études pour piano. "Alors éclate, saluée du plus unanime et magnifique succès, la verve éblouissante, pittoresque, claire, ordonnée, de la Suite française. C'est une lueur soudaine, une révélation. Roger-Ducasse a trouvé "sa marque" ; il s'est rencontré lui-même et de façon spontanée... l'ensemble de sa personnalité s'est acquis, s'est dégagé, jaillit." Ceci se situe en 1907 et, analysant sa production plus tard, il conclut : "Musicien armé de toutes pièces, il joue et se joue de l'orchestre comme il joue et se joue du piano ; possédant enfin son métier comme peu le possèdent, M. Roger-Ducasse s'impose, conquiert et non œuvre, si classique d'origine, est un triomphe de force, de vie, de santé et d'équilibre." Depuis ce jugement sur sa production jusqu'en 1913, que d'œuvres écloses ou terminées ont obtenu l'accueil chaleureux du public et des interprètes de cette époque, depuis son Quatuor en ré mineur, ses Deux Chœurs d'Enfants avec orchestre dont il transcrivit le deuxième Le joli jeu de Furet en un Scherzo pour orchestre seul. D'autres Chœurs encore, des Études nombreuses consacrées à l'Enseignement. Puis vinrent le Prélude d'un Ballet, Sarabande pour orchestre, de nombreuses pièces religieuses dont l'Ave Regina que l'on entend parfois, un Quatuor avec piano dédié à Mme Marguerite Long. En 1912-1913, Roger-Ducasse travaille à son Orphée, œuvre capitale de sa vie. Mimodrame lyrique en trois actes dont la conception diffère entièrement des Orphée de ses devanciers, Monteverdi, Clérambault. Gluck. La première audition théâtrale devait en être donnée au Théâtre Marie de Saint-Pétersbourg en novembre 1914, mais la guerre en compromit la réalisation. Cependant l'audition intégrale avait eu lieu primitivement au concert le 31 janvier 1914 à Saint-Pétersbourg même. Ce ne fut que douze années après en 1926 qu'il apparut à l'Opéra de Paris. J'ai le souvenir précis d'une œuvre attachante, unie dans son style, d'une polyphonie chatoyante, considérable en intensité sonore parfois, mais aussi tendre que vivante selon les scènes, une partition qui demande plusieurs auditions, pour se l'assimiler. Les années ont passé et notre Académie Nationale ne s'en est pas rendu compte. Après cet important ouvrage, le compositeur a retrouvé le calme dans des œuvres pour piano, des chants religieux, une Romance pour violoncelle, des Variations pour harpe, un second Quatuor à cordes et des œuvres symphoniques : une Suite, deux nocturnes : Nocturne de Printemps, Nocturne d'Hiver, une Symphonie de Pâques et une Marche française. C'est alors que nommé à la plus haute fonction de l'Enseignement général de la musique, il sacrifia ses travaux personnels pour s'y consacrer tout entier, voulant préparer par de sérieuses et profitables études la jeunesse de France qui s'éveillait à la musique par le disque et la radio. A notre connaissance, il n'a produit que très peu de nouvelles œuvres depuis cette époque, sauf un Trio d'Anches en trois parties, pour hautbois, clarinette et basson. Malheureusement cette formule ne rencontrera que bien rarement les interprètes désirés, et s'il est un vœu que nous nous excusons de formuler connaissant les dangers qu'offrent souvent les transcriptions, ce serait de le voir récrire par son auteur pour Trio d'Archets. Une jeune et célèbre formation française serait très probablement heureuse de l'inscrire a son répertoire. Souhaitons en tout cas que dans sa retraite ce grand musicien reprenne la plume et que, faisant suite à cette dernière œuvre datant de 1944, il trouve de nouvelles joies dans l'expansion de ses pensées musicales, en même temps qu'une attention renouvelée de la part des interprètes sur ses belles œuvres actuellement en sommeil, et cela pour le bien de la musique française. N. B. : il nous semble opportun de signaler aux lecteurs que cet article de Gaston Dufy comporte quelques petites inexactitudes ou oublis. Cependant, il permet de replacer le compositeur dans le contexte de l'époque et de se rendre compte de la place importante qu'il tenait au sein du monde musical. |
R O G E R - D U C A S S E par André Ameller
in Le Conservatoire, octobre 1954 (coll. DHM) DR. ROGER-DUCASSE vient de s'éteindre dans sa 82e année, emporté rapidement par une crise cardiaque ; il n'y a point de musiciens qui ne soient émus de la disparition de celui qui, sa vie durant, a lutté pour défendre la Musique française et ses traditions admirables. Roger-Ducasse était né à Bordeaux ; il fut un disciple bien-aimé de Gabriel Fauré, qui a trouvé en lui le digne continuateur des traditions et des caractères permanents de la Musique française. Sa vaste érudition a servi la mission à laquelle il a donné, jusqu'à sa mort, le meilleur de son être; la gageure de rester « soi-même » fut le grand dessein de Roger-Ducasse ; ce souci l'honorait d'autant plus que, durant la première période de sa vie, l'influence de Debussy se faisait considérablement sentir, et que, un peu plus tard, le génie d'un de ses condisciples, Maurice Ravel, marquera tous les musiciens de sa génération. En effet, Roger-Ducasse est toujours resté fidèle à lui-même et à son école. Combien de fois, à sa classe du Conservatoire de Paris où il faisait un admirable cours de composition, n'avons-nous pas entendu ce conseil : « Laissez-vous aller à votre naturel, car, déjà, la forme choisie dont vous vous faites l'esclave est une entrave suffisante ; exprimez-vous librement... exprimez les sentiments les plus nobles »... et, rarement, une classe se passait sans qu'il nous démontrât par des exemples pris à la peinture, à la sculpture ou chez les plus grands écrivains, la véracité de ses conseils. Sa musique, dans un souci constant d'équilibre, respire toujours le terroir français, et l'expression la plus pure s'y reflète. La clarté, la logique, points sur lesquels il insistait, se retrouvent dans toutes ses œuvres. Il avait une expression caractéristique qui montrait bien son idéal : « Restez méditerranéen », c'est-à-dire restez dans la voie de l'une des plus belles et des plus pures civilisations. On ignore trop souvent qu'il fut un des promoteurs du mouvement J.M.F. en France. Inspecteur général à l'enseignement musical de la Ville de Paris, il forma les cadres d'un corps professoral de tout premier ordre, et créa cette belle phalange chorale des professeurs de la Ville, avec lesquels il s'est dépensé pour faire connaître le patrimoine choral français, de la Renaissance à nos jours. Son influence au Conservatoire de Paris a été très grande ; tout d'abord, professeur à la classe de musique de chambre, il a fait connaître les chefs-d'œuvre oubliés des grands maîtres et des œuvres quasi inconnues ; nombreux sont les instrumentistes les plus éminents qui lui doivent leur formation. Son cours de composition, où il succéda à Paul Dukas, a été fréquenté par des jeunes gens et des jeunes filles qui venaient des quatre points du globe, et le rayonnement de son enseignement fut immense à l'étranger. Aucune Académie ou Université étrangère ne parvint à se l'attacher malgré de nombreuses tentatives. Toujours au courant des choses nouvelles, il jugeait avec un sens aigu et objectif ; d'esprit caustique, d'une franchise déconcertante et brutale, il était animé du désir de faire aimer le beau ; son seul ennemi mortel était la médiocrité ; être exquis et d'une rare bonté, il aimait ses élèves et a su les préparer aux durs combats de la vie ; « Luttez seuls et avec votre talent », aimait-il à dire : ce conseil le dépeint parfaitement. Il détestait les faux-fuyants, et, avec son calme apparent, il était féroce pour ceux qui manquaient à leur devoir. Il aimait la discussion et avait un goût très prononcé pour la polémique. Il était très sensible à la culture et à l'intelligence de ceux qui lui demandaient des conseils. Dans la jeune école contemporaine, le bon grain qu'il a semé a porté ses fruits ; chez mes jeunes confrères comme chez ceux de la génération qui me précède, et quelles que soient leurs tendances, on retrouve sa marque dans l'équilibre et dans le souci de la forme. Roger-Ducasse marquera son temps. Il avait la foi ; souvent il aimait à nous parler de cette admirable religion catholique qu'il connaissait dans toute sa profondeur ; lorsqu'il y a quelques années il avait décidé, en philosophe, de se retirer au Taillan, sa décision, malgré les instances de ses amis, fut irrémédiable. « Comme Candide, nous dit-il, je vais cultiver mon jardin... et travailler ; j'ai tellement à faire, encore... » Certes, l'âme survit ici-bas, par l'œuvre mais surtout par l'esprit ; celui de Roger-Ducasse était et sera toujours revivifiant : il était de ceux, qui sont éternels et que l'on aimera toujours… André Ameller |
Roger-Ducasse, Lettres à Nadia Boulanger, présentées et annotées par Jacques Depaulis, Sprimont (Belgique), Mardaga, 1999, 234 pages |