BLANCHE SELVA
(1884-1942)


Blanche Selva
Blanche Selva
( coll. Association Blanche Selva )

Blanche Selva naît à Brive-la-Gaillarde le 30 janvier 1884 où son père, voyageur de commerce pour une maison de draps, s'était installé pour mieux prospecter la clientèle du midi.

Dès l'âge de 4 ans et demi, Blanche manifeste des dons exceptionnels pour le piano. En 1891, ne pouvant trouver un bon professeur à Brive, son père décide de s'installer à Limoges, puis à Paris où Blanche est prise en charge par Madame Chéné pour être préparée au concours d'entrée du Conservatoire.

En 1893, en limite d'âge, elle est admise en classe préparatoire où elle obtient à 10 ans et à l'unanimité, une première médaille d'or et est admise en 1ère année d'où elle démissionne, car la "façon de faire" du Conservatoire ne lui convient pas du tout.

En juillet 1896, la famille quitte alors Paris pour s'installer à Genève. Le jour de son 13ème anniversaire, elle donne son premier vrai concert public à Lausanne, et joue peu après au Kursaal de Montreux le Concerto de Schumann.

Le 22 janvier 1898, elle assiste à Genève par hasard à un concert où est donnée la Symphonie sur un air montagnard français de Vincent d'Indy. Cette œuvre la marque profondément. Blanche rencontre Vincent d'Indy le dimanche 6 août 1899 à Valence. Celui-ci est d'emblée convaincu par les qualités artistiques de son jeu et s'empresse d'en parler à la Schola Cantorum dont c'est la rentrée. "Une jeune pianiste extrêmement remarquable et vous savez que je ne m'emballe pas sur les pianistes, qui est douée d'un sentiment musical inné tout à fait remarquable" écrit d'Indy à l’un de ses collaborateurs Pierre de Bréville.

Blanche Selva à Nancy, en 1926
Blanche Selva entourée de ses élèves de piano et des professeurs Thérèse Ast et Jeanne Royer, Nancy, octobre 1926
( coll. Association Blanche Selva )

Le 12 décembre 1901, Vincent d'Indy la nomme professeur de piano à la Schola Cantorum. Cette entrée dans la célèbre école installe véritablement Blanche Selva dans la vie musicale de Paris. Elle portera haut, pendant près de 20 ans, le flambeau de la Schola et dans le sillage de cette école elle évoluera avec talent dans un des grands courants musicaux français de l'époque.

De 1902 jusqu'à l'éclatement de la première guerre mondiale, Blanche Selva est ainsi un des artisans les plus actifs du rayonnement de la Schola. Durant cette période, elle donne un nombre incalculable de concerts à Paris, en province jusque dans des villes de sous-préfecture, à l'étranger, principalement en Belgique, en Suisse en Angleterre et en Russie. Vincent d'Indy lui donne notamment pour tâche de relever le niveau musical des auditoires de province, ce qu'elle fait avec passion et compétence par de nombreuses conférences et cours généraux qu'elle donne en même temps que ses concerts.

Blanche Selva
Blanche Selva
( coll. Association Blanche Selva )

Dès les premières années, en à peine six mois, elle joue ainsi dans près de 30 concerts officiels à Paris et en province, mais en réalité elle donne parfois presque un concert par jour, sans compter les leçons particulières en dehors de celles de la Schola et les travaux d'édition et de correction qu'elle mène de front pour le bénéfice de l'Edition Mutuelle. Les dimanches, elle reçoit chez elle ses amis, Roussel, Dukas, Séverac, Albeniz, Breville, Le Flem et son tourneur de pages efficace et apprécié René de Castera, également compositeur, pour leur faire écouter les interprétations qu'elle prépare.

En 1904 elle donne en 17 concerts toute l'œuvre pour clavier de Bach, ce qui est, aujourd'hui encore, une performance car elle n'a eu que six mois pour les préparer. Pierre Lalo, l'éminent critique musical du Temps, qui donnait le ton à toute la presse parisienne d'alors, écrit notamment : " Blanche Selva, cette extraordinaire jeune fille de vingt ans à peine, qui est à l'heure actuelle, avec M. Risler, ce qu'il y a de plus parfait dans le monde du piano."

En 1907 Vincent d'Indy lui dédicace sa grande Sonate en mi, comme l'avait déjà fait Albert Roussel pour plusieurs œuvres. Elle aura d'autres dédicaces de Ropartz, Ducasse, Castera, Labey, Witkowski, Migot notamment. Elle travaille aussi de très près avec Albeniz, suggère et obtient des corrections lorsqu'il compose Iberia dont elle sera dédicataire du 2ème cahier.

Elle passe aussi beaucoup de temps avec Déodat de Séverac dont elle créera un grand nombre d'œuvres. Elle interprètera souvent ses Baigneuses au soleil et sa parfaite connaissance de la personnalité du compositeur lui permettra de terminer sa Vasque aux colombes.

Elle accompagne Vincent d'Indy en 1908 dans sa tournée en Russie et ce n'est que pour des raisons assez banales qu'elle ne peut aussi l'accompagner aux Etats-Unis.

Caricature de Blanche Selva
Caricature de Blanche Selva

Dans cette période, elle s'installe pour l'été à Brive, au Mas del Sol, qu'elle aménagera peu à peu pour les besoins d'enseignement et où elle commence une réflexion sur l'art et la technique du piano.

En 1912, elle écrit un livre très documenté sur la sonate qui, encore aujourd'hui, n'a pas d'équivalent.

En septembre 1918, peu après la création de l'Ecole Normale de Musique par Cortot, elle s'en fait une des plus ardentes propagandistes, estimant "qu'elle répond absolument aux besoins de la France".

En 1920, elle fera partie du jury du Conservatoire.

A partir de 1921, Blanche Selva partage son temps entre un poste de professeur au Conservatoire de Strasbourg et un autre au Conservatoire de Prague, sans abandonner les récitals à Paris ou en province, les travaux d'édition et de corrections de partitions, les leçons et surtout la mise au point de son "Enseignement Musical de la Technique du Piano" en 7 volumes, achevé en 1923.

Elle prend, en 1922, la difficile décision de quitter la Schola, pour mieux se consacrer à son enseignement. Elle dirige les classes d'été au Mas del Sol, fixe les règles précises pour structurer son réseau de professeurs agréés et organise les élèves par niveau. A la fin de sa vie, elle en aura plus de 2000 dont Jean-Joël Barbier.

Elle fait la connaissance, en 1924, de Joan Massià, un jeune violoniste catalan avec qui elle va lier définitivement sa vie musicale. Avec lui elle organise la plupart de ses concerts. En 1925, son point d'attache est désormais Barcelone.

Vincent d'Indy ne l'a cependant pas oubliée. En 1926, il lui dédie Thème varié, fugue et chanson, en s'excusant de faire "une seconde dédicace". Auparavant G. M. Witkowski lui avait dédié Mon Lac.

A Barcelone, elle aime retrouver son public "d'ouvriers". Elle participe au centième anniversaire de la mort de Beethoven, où elle joue les 32 Sonates pour piano et avec Joan Massià les Sonates pour piano et violon, avec conférences à l'appui publiées en catalan sous le titre de Les Sonates de Beethoven. A Paris on se souvient toujours d'elle. En 1927 la librairie Delagrave lui demande de rédiger une biographie de Déodat de Séverac qui est mort 6 ans plus tôt. Elle s'y attèle avec l'énergie qu'on lui connaît.

Les années 1930 et 1931 sont terribles. D'une part Blanche est atteinte en novembre 1930, en plein concert et en présence de Vincent d'Indy, d'une attaque paralysante qui l'empêchera de rejouer en public. C'est certainement le surmenage et l'excès de travail qui en sont les causes directes, mais pour elle, cela provient plutôt des déceptions et des blessures morales qu'elle a dû endurer depuis longtemps, car sa personnalité, son indépendance et la "modernité" de sa pensée, n'ont pas plu à tout le monde surtout à Paris. D'autre part Vincent d'Indy meurt en 1931.

Blanche ne peut plus jouer en public. Désormais elle se consacre exclusivement à l'enseignement, ce qu'elle considère comme sa mission essentielle.

Avec J. Longueres elle crée une école de musique pour les élèves locaux et pour ceux qu'elle suit par correspondance, elle leur adresse des programmes, des exercices et des conseils spécialement écrits pour chacun d'eux, mais elle tient aussi à les faire venir le plus souvent possible à Barcelone pour juger du niveau acquis.

Elle compose aussi, des mélodies notamment, et reçoit à cet effet à Barcelone un premier prix à l'unanimité.

En 1936, au début de la guerre civile espagnole, Blanche quitte Barcelone en octobre, après avoir assisté à diverses scènes violentes, notamment l'incendie de l'église de son quartier. Elle part en pensant revenir dès que la situation le permettra et s'installe à Moulins.

En 1939, elle arrive à St Saturnin, à 15 km au sud de Clermont-Ferrand, sans ressources et en mauvaise santé.

Mais elle ne baisse jamais les bras. Son moral est toujours tourné vers l'espérance. Depuis 1938, elle a le projet de mettre noir sur blanc une sorte de testament musical. Seul le livre d'introduction aura un certain développement.

La foi religieuse profonde qui peu à peu avait pris son essor depuis sa rencontre avec Vincent d'Indy, s'était transformée, depuis les progrès de sa maladie et la perte de la plupart de ses amis, en un mysticisme qui sera comme la quintessence de sa philosophie personnelle.

En novembre 1942, elle est admise dans un hôpital pour soigner un cancer et meurt le 2 décembre. Elle venait de terminer un Oratorio pascal et avait le projet de rentrer à Barcelone.

Malgré la modestie qu'elle affichait en toutes circonstances, Blanche Selva restera à jamais une interprète hors du commun, une musicienne accomplie, un professeur exceptionnel. Rappelons que son répertoire s'est étendu des chansons du XVIe siècle de Roland de Lassus à la Toccata et Variations d'Arthur Honegger en passant par Rameau, Scarlatti, Kuhnau, Bach, Beethoven, Weber, Schumann, Chopin, Franck, Chabrier, d'Indy, Albeniz, Dukas, Roussel, Debussy et Ravel.

Depuis 1994, le Concours International de Piano d'Orléans, organisé et dirigé par Françoise Thinat, honore par son premier prix le nom de cette grande interprète.

Guy SELVA               
Président de l'Association Blanche Selva 1
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Lien vers le site 1) L'association Blanche Selva ( associationblselv@wanadoo.fr ), dont le siège est situé : " Le Moulin de Bay ", 26160 La Touche, fondée en 2000, a pour objectifs généraux de faire renaître par tous moyens (publications, concerts, réédition des enregistrements, travaux universitaires de recherche, forum Internet, ...) le souvenir de Blanche Selva. L'association a notamment contribué à rééditer un CD contenant la quasi totalité des enregistrements que Blanche Selva a pu réaliser et qui permet de juger de l'extrême qualité de son talent. Cette Association gère également un site entièrement consacrée à la musicienne : www.blanche-selva.comRetour ]

Blanche Selva: Petite pièce (page 1)

Fichier MP3 Blanche Selva, Petite pièce en ré mineur, pour orgue ou harmonium (1ère page),
dédicacée “A Monsieur l’abbé Bellevue” [Curé-doyen de Saint-Jean-de-Luz] et publiée par l’abbé Joseph Joubert
dans Les Maîtres contemporains de l’orgue (Paris, Maurice Sénart, 1912, vol. 2)
Fichier audio par Max Méreaux DR.


CATALOGUE DES OUVRAGES
de Blanche Selva

 

* La Sonate. Etude de son évolution technique historique et expressive en vue de l'interprétation et de l'audition. Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris 1913 (dont est extrait l’ouvrage Quelques mots sur la sonate, Collection " Les Genres Musicaux ").

*Steinhausen, Les erreurs physiologiques et la transformation de la technique du piano, traduction Mme E. Javal, préface de Blanche Selva, Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris, 1914.

* L'enseignement musical de la technique du piano, tome I : Principes de la sonorité au piano. Travail élémentaire du toucher. Livre du maître. Livre de l'élève. Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris 1916, tome II : La simultanéité des sons au piano, travail élémentaire des doubles notes. Fondement harmonique de la polyphonie et du trait. Livre du maître. Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris 1919, tome III : Le trait. Déploiement rythmique de l’harmonie. Travail élémentaire des enchaînements d'octaves, accords, trémolo, trille, arpeggio, gamme, arpège, traits composés. Première partie. Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris 1923, Deuxième partie. Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris 1924

* L'enseignement musical de la technique du Piano, Livre préparatoire Première partie : Principes primordiaux du travail pianistique. Seconde partie : Préparation du toucher du piano. Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris 1922-1925

* Las Sonatas de Beethoven per a piano i per a piano i violi, Impremta Atenes A.G. Barcelona, 1927.

* Déodat de Sévérac, Collection " Les Grands Maîtres d'aujourd'hui ". Edition Delagrave, 1930

* Revista Musical Catalana. Bulleti mensual de l'Orfeo Catala. Nombreux articles entre 1925 et 1936.

Commentaires et annotations de partitions pour le travail technique du piano en lien avec sa méthode musicale, publiés chez B. Roudanez, éditeur, 9 rue de Médicis, Paris (sauf indications autres) :

* Le travail des cinq doigts d'après Clementi
* Les tierces d'après Safonoff
* Le passage du pouce d'après Safonoff
* Les substitutions de doigtés et les tenues d'après Safonoff
* L'étude des octaves d'après Kullak, (3 fascicules)
* Associations de mouvements fondamentaux
* Combinaisons de gammes et d'arpèges
* Appogiatures, mordants et groupes
* Six Canons d'après Clementi
*Table de travail avec C. Piriou-Kunc, Ed. Rouart, Lerolle et Cie, Paris

Guy Selva


1904 – 2004 : commémoration du 100ème anniversaire de
la première intégrale des œuvres pour clavier de Bach
par Blanche Selva

Il y a cent ans, Blanche Selva qui avait tout juste 20 ans, donnait à la Schola Cantorum l’intégrale de l’œuvre pour clavier de Jean-Sébastien Bach. Cette performance, réalisée pour la première fois en France, eut à l’époque un retentissement considérable tant par son ampleur technique que par sa qualité musicale et artistique.

En effet, la Schola Cantorum était, depuis sa fondation, un des foyers de diffusion de la musique de J. S. Bach. Depuis 1900, on y donnait mensuellement trois concerts Bach et Blanche Selva y participait régulièrement soit en tant que pianiste ou claveciniste soit comme choriste (alto) dans les cantates. Pour la saison 1903-1904, il est prévu de faire entendre l'intégralité de l'œuvre pour clavier du Cantor et Blanche Selva accepte sans hésiter le challenge. Elle se prépare immédiatement à cette tâche qu’aucun autre pianiste n’a accepté jusque là d’entreprendre et donne le premier concert le mardi 8 décembre 1903. Il est prévu qu’un récital sera donné chaque mardi jusqu’en avril, ce qui sera réalisé quasi ponctuellement.

Ces concerts Bach sont réellement une performance et le public ne s'y trompe pas : pour lui c'est une révélation. Les critiques sont aussi enthousiastes. Remy d’Aubray écrit dans " Le Courrier Musical "  du 15 mars 1904 :

" Tous ceux qui suivent les séances du mardi de chaque semaine à la Schola Cantorum, vont d’étonnement en étonnement. Entreprendre de faire connaître dans son intégralité l’œuvre de piano de J. S. Bach, c’était déjà faire un acte de courage qui, jusqu’ici n’avait tenté aucun pianiste. Mais pénétrer le sens intime de chaque pièce, donner à chacune sa physionomie propre, permettre de saisir que, de tous les musiciens, il n’en est pas un de plus expressif et de plus varié que J. S. Bach, le montrer – ce que la plupart des virtuoses ne veulent ou ne peuvent – sous ses aspects si divers, dans toute sa grandeur, dans toute sa verve, dans toute sa poésie, dans toute sa joviale bonhomie, c’est ce à quoi Melle Blanche Selva a réussi … "

C’est aussi dans " Le Courrier Musical " que Jean Sauerwein jette en avril 1904 un regard d’ensemble sur cette entreprise poursuivie sans relâche depuis quinze concerts, il écrit :

" C’est une tâche qui prouve non seulement une faculté d’assimilation très rare, mais encore une foi artistique profonde et cela ne nous surprendra point chez l’élève préférée de Vincent d’Indy. Car vous entendez bien que Melle Selva n’est point de ces pianistes qui travaillent à l’avance un concert, un " morceau " en particulier. C’est, avant et par-dessus tout, un cerveau musical organisé supérieurement. La compréhension de l’œuvre est chez elle immédiate : ce n’est plus un hiéroglyphe qu’il faut pénétrer progressivement et laborieusement : c’est un texte lumineux et précis dont son esprit s’empare. L’exécution est pour ainsi dire entraînée à la suite de cette compréhension, et c’est ainsi seulement que l’on peut s’expliquer cette chose unique : une jeune fille de dix-neuf ans s’attaquant à l’œuvre de piano la plus variée, la plus ardue, à la pensée musicale la plus profonde qui soit et présentant pour la première fois dans son intégralité cette fresque gigantesque. "

A l’issue de ces concerts Blanche Selva rencontrera Isaac Albéniz pour la première fois. Nul doute que le compositeur catalan, qui avait été professeur de piano à la Schola en 1899, n’ait été fortement impressionné par cette prestation exceptionnelle. Cette rencontre fut en tous cas le prélude d’une collaboration unique dans l’histoire de l’art, entre le compositeur et l’interprète, et devait conduire Blanche Selva à la création d’Iberia.

Guy Selva

 


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