LA VOIX HUMAINE

La voix chez l'homme est une émission de sons par le moyen des cordes vocales qui fait vibrer l'air. C'est le choc de la glotte sur les muscles du larynx. Cette voix est caractérisée par quatre paramètres : la hauteur, la durée, l’intensité et le timbre.

La hauteur qui est la qualité d'un son plus ou moins grave ou aigu dépend du nombre de vibrations. En effet, il faut savoir qu'en matière d'acoustique un corps ne peut émettre un son que s'il vibre. Ces vibrations sont alors transmises à l'oreille par l'intermédiaire de l'air et leur fréquence peut varier entre 16 et 20000 vibrations par seconde (l'unité de fréquence est le hertz, symbole : Hz). Ainsi plus le son est aigu, plus les vibrations sont nombreuses et inversement.

La durée ou la tenue des sons dépend de la pression de l'air expiré. Nul besoin de s'étendre davantage sur ce point facilement compréhensible.

L'intensité fait distinguer un son fort d'un son faible et est liée avec l'amplitude des vibrations. L'unité de mesure de cette intensité est le décibel (symbole: dB). Voici l'intensité de quelques sources sonores pour illustrer nos propos : un bruissement de feuilles: de 0 à 10 dB; une conversation normale: 20 à 50 dB; une discussion animée: 50 à 65 dB; le passage d'un train: 65 à 90 dB; le bruit du tonnerre: 90 à 110 dB et d'un avion à réaction au décollage: 110 à 140 dB. Un bruit devient douloureux à l'oreille à partir de 120 décibels et au dessus de 160 décibels on peut parler de sons destructeurs!

Le timbre est ce qui permet de reconnaître qu'une même note est jouée à la flûte ou au hautbois. Un bruit ou un son de hauteur non définie (comme un gong) est composé de toutes sortes de vibrations graves et aiguës. Cependant, dans le cas de la voix ou d'un instrument émettant une note musicale de hauteur définie, ces diverses vibrations sont ordonnées de manière mathématiquement harmonieuse. La vibration la plus basse est celle du son entendu et noté par le mélomane ou le musicien. Il s'y superpose, moins fortes mais d'intensités diverses selon l'instrument ou la voix, une série de vibrations deux fois, trois fois, quatre fois plus rapides (et ainsi de suite) et qu'on nomme harmoniques. Ce sont ces composantes du son, cachées (ou du moins: insoupçonnées), que notre oreille analyse comme le timbre.

A toutes ces caractéristiques de la voix humaine on peut ajouter la justesse qui est obtenue lorsque les sons émis ont exactement le nombre de vibrations correspondant normalement à la hauteur. C'est d'ailleurs par la possibilité d’apprécier la hauteur d'un son musical du fait de la régularité des vibrations qui le constituent qu'on le distingue du bruit.

Il ne faut pas croire que l'oreille humaine est capable de percevoir tous les sons. En effet les ultrasons sont trop aigus et les infrasons trop graves pour être entendus. Les sonars des bateaux émettent des ultrasons. La chauve-souris, qui est aveugle, se déplace grâce aux ultrasons qu'elle émet et qui lui reviennent en écho. On parle d'ultrasons lorsque les fréquences sont supérieures à 20000 Hz et d'infrasons lorsqu'elles sont inférieures à 15 Hz. Ainsi les sons audibles par l'oreille humaine sont ceux compris entre 15 et 20000 Hz, bien que souvent, notamment avec l'âge, certaines personnes ont une échelle sonore beaucoup plus restreinte.

Le piano a une étendue de 50 à 5000 Hz environ, le violon, de 400 à 4000. C'est l'orgue qui a la plus grande étendue de l'échelle musicale allant de 16 Hz (avec un gros tuyau de 20 mètres de long) à 16000 Hz (minuscule tuyau de 4,75 cm). A propos des capacités étonnantes du roi des instruments notons que l'orgue de l'Auditorium d'Atlantic City à New-Jersey (USA), terminé en 1930, le plus grand du monde avec 33 112 tuyaux, possède un registre d'ophicléide qui est le plus sonore du monde étant six fois plus sonore que le plus bruyant sifflet de locomotive; ce qui peut déchirer le tympan ! Ainsi, le registre des instruments orchestraux, l’orgue mis à part, va de la clochette qui peut atteindre 6300 Hz, pour les sons les plus aigus, à la clarinette octo-contrebasse qui peut descendre jusqu'à 16,4 Hz pour les sons les plus graves. Mais la voix humaine dans tout cela me direz-vous? Et bien, l'étendue de son échelle sonore couvre les fréquences de 1500 Hz (dans les aigus) à 40 Hz (pour les graves).

Longtemps tenue pour l'instrument musical par excellence, la voix humaine émet des sons modulés pour former un chant. Celui-ci peut d'ailleurs être sans parole! De tous temps les hommes de toutes les civilisations ont chanté et continuent de chanter encore. Dans les églises la voix a été longtemps la seule autorisée et encore seulement des voix d'hommes ou d'enfants. La musique instrumentale proprement dite date du XVIIe siècle, époque où triomphaient le chant baroque et les castrats. Au XIXe siècle l'importance de la voix se fit moindre au profit des instruments de musique et de l'orchestre qui gagnèrent en puissance et surtout en importance.

De nos jours est apparue la mode des chanteurs aux voix médiocres, pour ne pas dire nulles, mais ayant du succès car considérés, à tort ou à raison, comme originaux ou expressifs ! D'ailleurs beaucoup d'entre eux feraient bien de brûler un cierge à la mémoire de David Hughes, l'inventeur du microphone ! Incontestablement le chant, en tant qu'art, est en déclin, de même que son enseignement.

Les chanteurs et chanteuses sont classés en fonction du registre (étendue) de leur voix en plusieurs catégories:

TESSITURES DE LA VOIX HUMAINE
Les solistes professionnels peuvent outrepasser ces limites moyennes. En noires: les sons un peu difficiles pour des choeurs non professionnels. Le ténor est noté ici en hauteur absolue (vraie) mais il est presque toujours écrit uniquement en clé de sol comme le soprano, puisque ces deux registres sont situés à une octave de distance.
( Source: Michel Baron, Cours d'écriture musicale sur l'Internet. )

* Soprano : La plus aiguë des voix. Le soprano est soit une voix d'enfant (on dit alors voix blanche), soit une voix de femme. On distingue plusieurs type de soprano :

- léger ou colorature en France : très aigu, agile et virtuose (ex.: Lakmé de Delibes),

- dramatique ou colorature dans les pays germaniques, ou encore Falcon (du nom d'une cantatrice) : étendu, brillant, vocalisant facilement, au timbre assez épais et souvent inégal (ex.: œuvres de Meyerbeer),

- lyrique : puissant et brillant (Wagner),

- léger demi-caractère: moins étendu et plus simple (lieder).

Les sopranos célèbres sont nombreuses. Citons parmi les plus connues Emma Calvé, Nellie Melba, Elisabeth Schwarzkopf, Birgit Nilson, Maria Callas, Terresa Berganza, Montserrat Caballé, Régine Crespin, Barbara Hendricks, Irène Joachim, Victoria de Los Angeles, Mady Mesplé, Jessye Normann, Jane Rhodes, Kiri Te Kanawa...

* Mezzo-soprano ou parfois Second dessus : signifie à moitié soprano en italien. Voix féminine plus grave que celle de soprano, mais moins limitée dans l'aigu que celle de contralto. Cette voix moyenne permet de tenir des rôles de soprano ou de contralto. Elle est plus commune en France que la vraie voix de soprano et c'est pour elle que la plus grande partie de notre répertoire est écrite. Les rôles de qualité ne manquent pas : Dorabella (Cosi fan tutte, Mozart), Azucema (le Trouvère, Verdi), Cendrillon (Rossini), Carmen (Bizet), Rosine (Le Barbier de Séville, Rossini).

Notre époque est riche en voix de mezzo-sopranos : Janet Baker, Hélène Bouvier, Viorica Cortez, Rita Gorr, Esther Lamandier, Solange Michel, Jocelyne Taillon....

* Alto (on dit aussi contralto) : la plus grave des voix de femme. Le nom de contralto est un terme italien qui traduit le mot français " Haute-contre ". Jadis le haute-contre était la voix d'homme la plus aiguë. De nos jours c'est devenu la voix grave féminine, bien qu'il existe encore quelques hautes-contre masculins.

Le répertoire le mieux adapté pour le contralto est le lied romantique qui met bien en valeur le coté émotionnel de ce timbre de voix. Brahms en a tiré également parti dans sa célèbre Rhapsodie pour contralto. La plus connue des contraltos est sans conteste Kathleen Ferrier (1912-1953).

Quant à la voix masculine des hautes-contre (en réalité de nos jours c'est une voix de ténor spécialisé dans les notes aiguës) c'était principalement la musique sacrée anglaise et française qui utilisait ce type de voix aux XVIIe et XVIIIe siècles. Actuellement son répertoire est devenu assez rare, mais on le retrouve dans certains opéras de Rimsky-Korsakov notamment. C'est Alfred Deller (1912-1979), célèbre haute-contre anglais, qui a remis à l'honneur ce timbre de voix.

* Ténor : voix d'homme la plus élevée, après le haute-contre, appelée autrefois "Taille". C'est le type de voix qui porte le mieux. L'âge classique lui a confié le récit de l’évangéliste dans les Passions, et l'opéra romantique lui a fait incarner le héros. On distingue plusieurs types de ténor:

- léger : voix claire et aiguë (Tito Schipa),

- lyrique : puissant et mordant (Caruso),

- dramatique, ou fort-ténor, ou heldentenor, ou ténor wagnérien, ou ténor noble : large et très puissant (Del Monaco)

- on peut encore mentionner le ténor Trial (du nom d'un chanteur), qui excelle dans les rôles comiques et le ténor vaillant qui lui excelle dans la bravoure.

Le répertoire pour ténor est fort riche : Don Ottavio (Don Giovanni, Mozart), Tamino (La Flûte enchantée , Mozart), Tristan (Tristan et Isolde, Wagner), Le duc de Mantoue (Rigoletto, Verdi), Alfredo (La Traviata, Verdi), Othello (Verdi) etc... et les ténors célèbres sont nombreux : Enrico Caruso, Mario Del Monaco, Louis Devos, Placido Domingo, Helmut Krebs, Luciano Pavarotti, Tito Schipa, Peter Schreier, Michel Sénéchal, Georges Thill...

* Baryton : voix d'homme intermédiaire entre le ténor et la basse. C'est une fort belle voix puisqu'elle a le brio et la délicatesse du ténor dans l'ornement, et la puissance et la profondeur de la basse. C'est surtout à compter du XIXe siècle que cette voix s'imposa avec notamment des opéras de Verdi. Les grands rôles de baryton sont d'ailleurs de très grands rôles: Don Giovanni (Mozart), Rigoletto et Falstaff (Verdi), Figaro (Les noces de Figaro, Mozart, et le Barbier de Séville, Rossini), Iago (Otello, Verdi) pour ne citer que les plus connus. Les barytons ont parfois la possibilité d'interpréter des rôles destinés primitivement aux ténors ou aux basses.

Il existe divers types de baryton :

- baryton Martin ou ténorisant (rôle de Pelléas),

- baryton lyrique (rôle de Wolfram),

- baryton héroïque ou grand baryton (Rigoletto),

- baryton brillant ou Spiel-baryton (Figaro)

Parmi ces voix remarquables citons celles de Dietrich Fischer-Dieskau, Tito Gobbi, Georges London, Charles Panzéra, Camille Mauranne, Gérard Souzay, José Van Dam, Feodorr Chaliapine, Philippe Huttenlocher...

* Basse : voix masculine la plus grave qui, selon sa tessiture, se divise en plusieurs types :

- basse noble, ou basse profonde, ou basse contre : la plus grave,

- basse bouffe : plus souple,

- basse chantante : moins grave,

- basse taille, ou basse baryton : proche de la voix de baryton.

De grands rôles de basse ont été créés dans le répertoire lyrique : Mephisto (Faust, Gounod), Boris Godounov (Moussorgski), Philippe II (Don Carlos, Verdi), Wotan (l'Anneau du Nibelung, Wagner). D'une façon générale ce sont les pays de l'est qui ont le plus souvent brillé dans cette catégorie (voyez par exemple les Choeurs de l'Armée rouge) avec des basses telles que Nicolaï Ghiaurov, Alexandre Kipnis, Ivan Petrov et Boris Christoff, mais il existe aussi de très bonnes basses en Europe de l'ouest et notamment en France avec Jacques Mars, Paul Cabanel, Xaviez Depraz ou encore André Pernet.

Terminons cette étude en disant quelques mots sur des chanteurs possédant un timbre de voix "autre" et qui ont exercé sur le public un grand pouvoir d'attirance et de fascination, les Castrats, qui furent très en vogue durant des siècles et plus particulièrement aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Ces voix particulièrement belles, unissant à la pureté du timbre de l'enfant la puissance du souffle de l'adulte, étaient obtenues en châtrant les garçons avant la mue, afin qu'ils conservent une tessiture vocale de soprano ou d'alto. C'est ainsi que les castrats étaient soit sopranistes, soit altistes. C'est spécialement en Italie qu'ils eurent une vogue inouïe où ils furent même employés dans la Chapelle pontificale jusque 1903. L'éducation musicale de ces chanteurs étaient particulièrement longue et difficile: pendant près de dix ans, ils étudiaient plus de dix heures par jour. Après de telles études aucune difficulté musicale ne pouvait plus les effrayer. C'est sans doute pour cela également, en plus de la fascination de cette voix particulière, qu'ils ont marqué de leur empreinte la création des opéras de leur temps, d'autant plus qu'ils étaient adulés du public. Tous les rôles principaux, en particulier ceux de Scarlatti, Haendel, Mozart et Rossini étaient écrits pour eux et sans aucun doute ils influencèrent les compositeurs. Les plus connus furent : Ferri (1610-1680), Farinelli (1705-1782), Cafarelli (1710-1783), Guadagni (1752-1792), Vellti (1781-1861) et Alexandro Moreschi (1858-l922) qui fut l'un des tout derniers castrats de la Chapelle Sixtine et dont on possède des enregistrements réalisés au début de notre siècle. Evincés par les ténors et les sopranes, les castrats disparurent au début du XIXe siècle.

Michel Villedieu (1988)


LA VOIX,
UN CURIEUX INSTRUMENT DE MUSIQUE

La voix est un instrument de musique paradoxal. Il est à la fois banal et précieux, fragile et puissant. Tout d'abord à la différence de tous les autres instruments de musique, cet instrument là ne s'achète pas dans un magasin. Sans doute la voix a-t-elle quelque chose de commun avec le violon. Pour chanter, il faut en effet suivre la ligne mélodique, comme le violoniste l'archet à la corde. Mais la comparaison s'arrête là. Instrument aussi vieux que le monde, et tout à fait banal en somme puisqu'il est à la disposition de chaque individu, de tous les instruments de musique, la voix est pourtant le plus fascinant. Son bon usage en fait un outil à la fois puissant et d'une extrême subtilité. C'est qu'à la différence de toutes les autres expressions artistiques, la voix met en jeu la totalité du corps humain, où elle se trouve totalement intégrée et intimement mêlé à lui.

Le peintre a besoin de pinceaux, de toiles, le sculpteur d'outils et de matériaux, le musicien de son instrument. L'écrivain même a besoin de papier et de stylo, un acteur de théâtre ou de cinéma a besoin d'un décor, d'un costume, d'une mise en scène, sinon d'une caméra. Ce n'est pas vrai pour le chanteur. Bien sûr les opéras sont fait pour être joués sur scène, mais c'est un plus qui est donné à l'art vocal, qui existe indépendamment des éléments extérieurs que sont le décor et la scène. Le chanteur lui n'a besoin que de sa voix, sans aucun autre complément. Seul le corps humain, dans sa totalité et sa complexité, est nécessaire. En somme chacun d'entre nous dispose en naissant, et pour tout le restant de sa vie de l'instrument qui lui permettra d'accéder à l'art vocal, quand il le souhaitera.

Ce potentiel formidable n'est pas pour autant d'un accès facile. Faite de chair et d'os, ce sont les milliers d'organes complexes et de systèmes parfois mystérieux du corps humain qui participent à son fonctionnement. Tout musicien qui prétend jouer d'un instrument sait bien qu'il doit d'abord apprendre à le connaître très intimement et très précisément. Il doit en maîtriser les caractéristiques techniques avant de commencer à l'exploiter. Pour le chanteur, il en va de même mais la tâche est singulièrement plus difficile. Comment appréhender les composantes de la voix?

La voix n'est pas un objet que l'on peut isoler et étudier indépendamment du reste. Il est impossible d'identifier clairement ses constituants, et a fortiori son mécanisme. C'est un instrument aux limites impossibles à saisir. On ne peut dire où il commence et s'arrête. Les cordes vocales sont le seul matériau véritablement identifiable. Mais les cordes vocales ne font pas à elles seules une voix. Instrument de musique insaisissable, matériel vivant et sophistiqué en perpétuelle évolution, il est impossible à figer. Personne ne peut se vanter de connaître et maîtriser véritablement sa voix. C'est un instrument qu'il appartient à chacun de nous de faire au fil des jours. Il est latent en quelque sorte en chaque être humain.

L'autre composante du chant, à coté de l'instrument si étrange qu'est la voix, c'est l'instinct du chant. Comme tout instinct il est aussi difficile à cerner que l'instrument dont il se sert. L'instinct du chant est pourtant puissant et universel. L'envie et le plaisir de chanter, existe bien indiscutablement en chacun d'entre nous. Quel est celui d'entre nous qui n'a jamais chanté ? Tout le monde chante, a chanté ou chantera un jour ou l'autre. Plus ou moins bien, plus ou moins longtemps avec plus ou moins de plaisir. Cet instinct là nous fait presque toujours agir sans réflexion, parce qu'une mélodie nous touche. Même si l'instrument de la voix n'est pas développé chez tout le monde, la plupart des gens le cherchent. Ils en éprouvent un besoin caché au fond d'eux mêmes, malgré quelques hésitations parfois, malgré des contradictions intérieures, et une espèce de pudeur qui tend à le brider.

Geneviève Rex
Geneviève Rex
( photo X..., Guide du Concert, juillet 1950 )

Le chant est selon moi un besoin presque vital de faire sortir de soi des sons, des couleurs, des expressions, des impressions ressenties pour sublimer ses pensées, et extérioriser ce que l'on ressent. Voilà pourquoi, si l'individu ose s'abandonner, s'il est capable d'émettre des sons sortis du plus profond de lui-même, il éprouve un immense bien être, une libération. Il réalise alors qu'il existe en lui des vibrations suffisamment puissantes pour le sortir de grandes difficultés. Celui qui peut chanter librement, sans forcer sur sa gorge, et en gardant tout son corps très souple, va se sentir étrangement libéré. A l'inverse, nombreux sont ceux qui n'osent pas, ou plus, chanter. Combien se plaignent de chanter faux ?

Le chant correspond bien, pour tout individu, à un besoin naturel, sain, profond, vivant, souvent enthousiaste. Et pourtant, celui qui veut chanter peut se trouver face à un obstacle infranchissable, un mur impensable. Quelques fois parler simplement est un problème. Combien de professeurs et d'enseignants de toutes disciplines et formations rencontrent des problèmes vocaux ? C'est que la voix est un instrument très sophistiqué, en résonance directe avec la partie la plus intime de l'individu, son âme ou son mental si l'on préfère. Elle en est une manifestation très complexe et fragile.

D'un autre côté, il y a ceux, très rares, qui ont la chance d'avoir la part de Dieu complète Leur instrument est naturellement parfait, exempt de défaut. Ils n'ont qu'à s'en servir, sans faire aucun effort particulier, sans concentration spécifique. Ceux là ont un talent naturel à leur disposition qu'il leur appartient d'exploiter. Tous n'en sont pas conscients d'ailleurs, et ne réalisent pas qu'ils disposent d'un don exceptionnel. J'en ai rencontré plusieurs. Le plus souvent il était malheureusement trop tard pour qu'ils s'engagent comme ils l'auraient pu vers une grande carrière professionnelle.

Tous ceux qui ont la part de Dieu complète sont en tous cas en harmonie totale, et c'est ce qui leur donne une belle voix. S'ils y ajoutent de solides études musicales ils peuvent bien sûr espérer les plus grands succès. Encore faut-il qu'ils parviennent à se protéger de quelques dangers. Il arrive en effet que certains de ces êtres particulièrement doués perdent en cours de carrière ce que la nature leur a offert. Les responsables sont souvent les professeurs de chant qui n'ont pas une connaissance assez approfondie du fonctionnement du corps humain pour donner des conseils appropriés. Ils arrivent à troubler l'équilibre naturel de leurs élèves. […] D'autre part les chanteurs de métier ne peuvent plus aujourd'hui prendre le temps de reposer leur instrument et doivent faire de leur gosier une usine à grands rendement. La radio, la télévision, les enregistrements répétés, avec tout le stress qu'ils génèrent, concourent à rendre bien aléatoire le maintien d'un équilibre naturel très subtil, fait d'authenticité, de patience et aussi de travail acharné. Quant à tous ceux qui n'ont pas reçu ce don à la naissance, c'est à dire pour l'immense majorité d'entre nous, il leur faudra faire leur voix. Il leur faudra appendre à chanter avec leur âme. Cela veut dire aller à la recherche d'une véritable harmonie intérieure, mêler connaissance et maîtrise du corps, et s'imposer un entraînement sans défaillance aussi bien physique que mental. Autant dire que chanter beau et vrai, pour se libérer corps et âme, est une entreprise aussi redoutable que magnifique qui mérite un certain combat. La libération, qui s'ensuit, est progressive mais bien réelle. Peu à peu l'apprenti chanteur va se libérer, son comportement et sa pensée vont se transformer, il va soupirer de joie et se sentir finalement tout à fait libéré de cette peau qui l'empêchait de se trouver bien dans la sienne.

Qui veut chanter, et n'a pas la part de Dieu, n'a donc pas le choix. Il faut se mettre au travail, et entreprendre un véritable chemin initiatique dans un abandon aussi complet que possible. Sur ce chemin, les erreurs ne pardonnent pas, puisque la voix est avant tout extrêmement fragile.

Il faut dire enfin que la voix est un instrument à plusieurs facettes, qui ayant toutes les caractéristiques des choses humaines, possède aussi de ce fait sa part de mystère. Sophocle disait " il est bien des merveilles et des mystères en ce monde, mais il n'en est pas de plus grande que l'homme ". A l'intérieur de ce mystère se trouve un autre mystère celui de la voix. L'origine étymologique du mot " mystère " vient du grec " mu " qui signifie fermer ou garder les yeux clos ou la bouche fermée. Qui dit mystère dit aussi mysticisme et mystique et aussi réunions secrètes réservées aux seuls initiés, qui accèdent de manière privilégiée à un certain niveau de connaissances. C'est cette part de mystère inhérente à la voix qui lui donne sans doute ce pouvoir si particulier. Les Grecs d'ailleurs ne s'y trompaient pas, eux qui voyaient sans conteste dans l'art oratoire un art majeur.

Chacun communique par sa parole tous les jours avec ses semblables, sans réaliser le plus souvent de quel outil merveilleux il dispose en cela. Certains métiers bien sûr mettent plus en évidence que d'autres le rôle déterminant de la voix. Comédiens, avocats, hommes politiques savent très bien que leur façon de s'exprimer est décisive. En tirent-ils toujours les conséquences pratiques pour faire en sorte que ce qu'ils ont à communiquer soit parfaitement véhiculé par la qualité de leur voix ?

Une voix peut charmer, séduire , émouvoir dans un opéra ou un concert. Mais, c'est aussi la voix qui peut aussi galvaniser les foules à l'occasion d'un discours ou tenir en haleine auditeurs et spectateurs des médias actuels. Les exemples ne manquent pas de succès politiques ou médiatiques liés davantage à la qualité de la voix de l'orateur plutôt qu'à la valeur intrinsèque du message communiqué. Et inversement. Autrement dit, certains ont peu à dire mais le disent avec toute la force d'une voix bien placée. D'autres capables de conceptualisations plus riches ne rencontrent pas l'écho qu'ils méritent parce que leur voix vibre mal. Si un message n'est pas agréable à écouter, sur le plan mélodique, et non pas quant à son contenu, ce message là ne sera que bien rarement entendu. Pour qu'un message passe, il faut d'abord et avant tout qu'il soit délivré avec une certaine voix. Il y a dit-on des " voix qui portent ". Tous les orateurs le savent et en abusent à l'occasion. Le choix des voix qui accompagnent les publicités est quelque peu significatif en la matière, sans parler des voix des animateurs d'émissions de radio ou de télévision.

La voix est donc bien tout à la fois cet instrument banal, fragile et puissant…

Geneviève Rex  1

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1) Nous remercions vivement le Dr. Jean Hardy de nous avoir autorisé à publier ce texte extrait des Mémoires de sa mère, la cantatrice Geneviève Rex (1906-2002). [ Retour ]

 


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