JULES DUPRATO
(Nîmes 1827 – Paris 1892)


 

Jules Duprato
Jules Duprato en 1865
(Imprimerie Becquet, Paris/coll. BnF-Gallica)

 

Fichier MP3 Jules Duprato, Villanelle, mélodie sur une poésie de Théophile Gautier
(Paris, Au Ménestrel, Heugel et Fils, éditeur/coll. Bnf-Gallica)
Fichier audio par Max Méreaux avec transcription de la partie vocale pour clarinette (DR.)
Partition au format PDF

1894, notice biographique par Paul Clauzel,

Secrétaire perpétuel de l’Académie de Nîmes

 

 

 

Duprato (Jules-Laurent-Anacharsis) est né à Nîmes, le 20 août 1827[1]. Voici la copie exacte de son acte de naissance :

 

« L'an 1827, et le 22 août heure de deux de l'après-midi, par devant nous Charles-François-Frédéric Vidal, adjoint à la mairie de Nîmes, officier publie de l'état civil, a comparu Monsieur Alexandre Recolin, docteur en chirurgie, âgé de 60 ans, domicilié à Nîmes, section sept, lequel nous a déclaré que Césarine Duprato, âgée de trente ans[2], native de Metz, département de la Moselle, non mariée[3], fille de Jean-Baptiste Duprato et de Marie-Catherine Guiraud[4], est accouchée le 20 du courant, à deux heures du matin, d'un enfant mâle qu'il nous a présenté et auquel il a donné les noms de Jules-Laurent-Anacharsis. » Témoins : Gabriel Monier, taffetassier, 42 ans et Gilles Sipeyre, cultivateur, 44 ans, domiciliés à Nîmes.

 

[…]

 

De son premier âge, nous savons tout juste que l'enfant quitta Nîmes vers sa troisième année. Il est alors emmené par sa mère à Bordeaux, où se trouve sa grand'mère Duprato, née Marie-Catherine Guiraud[5], qui y réside passagèrement ou s'y est fixée, nous l'ignorons, avec une autre de ses filles, dont le mari est artiste dramatique[6]. Quelle fut l'éducation de l'enfant dans ce milieu ? Je le laisse à penser. Quant à son instruction, avec les minces ressources qu'il faut supposer à cette famille, elle fut forcément courte et sommaire. 

 

A ses dix ans, on le trouve petit commis chez un marchand de musique, attiré là, a-t-on dit depuis, par son amour pour cet art, vraisemblablement parce que la profession de son oncle lui avait valu quelques recommandations dans le monde des théâtres et des éditeurs. En tout cas, il commence de bonne heure la lutte pour la vie. Déjà il gagne son salaire et apporte son appoint à l'entretien de la famille. 

 

La manipulation continuelle de la musique, les conversations spéciales qui régulièrement et à peu près exclusivement se tiennent autour de lui, aidant la nature et favorisant les dispositions particulières du bambin, éveillent, activent, développent ses instincts musicaux et décident de sa vocation. 

 

Quand plus tard il dira « J'ai su la musique sans l'apprendre », peut-être voudra-t-il simplement faire allusion à ses débuts et donner à entendre qu'il a saisi son art insensiblement et fatalement par les oreilles et par les doigts au contact incessant des artistes et de leurs œuvres, affectant par excès de modestie de passer sous silence les précieuses richesses de son organisation naturelle, les rares facultés de sa singulière intuition et le travail intelligent et persévérant par lequel il avait fait fructifier et prospérer les dons heureux que la Providence lui avait si largement départis. 

 

Tous ceux qui l'approchaient étaient frappés de ses aptitudes exceptionnelles. On conseillait à ses parents de l'envoyer au Conservatoire de Paris, prédisant unanimement qu'il y réussirait à merveille. On les poussait à cette détermination avec une affectueuse énergie et une vive insistance. Sa famille ne demandait qu'à favoriser ses penchants et à lui en faciliter la culture. Mais l'absence totale des moyens nécessaires pour l'adresser là et l'y entretenir, sans appui, sans secours, était ce qui s'opposait le plus à la réalisation de ce rêve et le motif péremptoire d'une résistance passivement énergique et profondément désolée à des conseils si utiles en apparence, au demeurant si flatteurs. Quant à l'y conduire, à y demeurer avec lui, c'était un projet qui semblait encore plus chimérique. 

 

Cependant, l'oncle[7], vaincu par l'évidence, s'abandonnant, d'une façon irréfléchie peut-être mais bien excusable (on verra prochainement à quel point il y eut lieu de se féliciter de cette courageuse audace), aux desseins manifestes de la Providence, se résolut délibérément et décida la famille à expédier, à la garde de Dieu, le petit bonhomme dans la capitale. 

 

Voici donc Jules lancé sur le pavé de Paris, à quatorze ans, d'après les uns, mais plus probablement, d'après les autres, à dix-sept, peut-être gamin encore ou adolescent à peine, en tout cas jeune, très jeune, n'ayant pour tout bagage que son amour pour ses parents, ses illusions, sa droiture, son abnégation, son ardeur au travail, sa foi dans l'avenir. 

 

Après son admission au Conservatoire[8] qu'il obtint d'emblée au concours, il fallut qu'il songeât à s'assurer le gite et la nourriture. Quelque modeste et frugal qu'il fût, il trouva la question difficile à résoudre. La pension promise par les siens était pour le moins aussi légère que problématique. Il calcule, il s'ingénie pour réduire même le strict nécessaire et pour entrevoir le moyen de se le procurer. 

 

D'abord il décroche, et fort heureusement certes, si minime qu'en soit l'appointement, le pupitre de timbalier à l'Ambigu : 33 francs par mois ! Juste assez pour ne pas mourir de faim. Pour le reste, ma foi, j'ignore comment il s'arrangera. Ce que je sais et affirme, c'est qu'il se fait remarquer dans toutes les classes qu'il fréquente et dans toutes les places qu'il occupe. Après un prix d'harmonie lestement enlevé[9], il suit le cours de composition de M. Leborne. Il se présente, en fin d'année scolaire, au concours de l'Institut de France, et, âgé de moins de vingt-et-un ans, à sa première épreuve, il remporte, de haute lutte, le premier grand prix de composition musicale, le prix de Rome. Le sujet donné est une cantate sur un poème de Jules Lacroix[10], qui a pour titre Damoclès. C'était en 1848[11]. La fameuse Révolution de Février durait encore au moment du concours, c'est-à-dire au mois de juin, dont certaines sanglantes journées sont devenues sous ce nom tristement historiques. Les élèves étaient en loges, tandis que, en plein Paris, autour des barricades, l'affreuse guerre civile, au milieu des horribles convulsions de l'insurrection agonisante, livrait ses derniers et ses plus sanglants combats. Les concours se faisaient alors à l'Institut. Les loges, c'est à dire les petites chambres dans lesquelles on enfermait les concurrents pendant tout le temps à eux donné pour composer leur partition, étaient aménagées dans les combles du palais. La chaleur était suffocante dans ces réduits, en cette saison, sur les bords de la Seine, où l'air est encore plus irrespirable avec son humidité lourde et pénétrante. Les logistes (c'est ainsi qu'on nomme les élèves en loges), accablés, tout le jour, par l'oppression de l'atmosphère étouffante, sortaient, le soir, de leur prison, par leurs fenêtres, sur les toits, et s'y promenaient comme des chats. Ils erraient dans la brume, rêvaient au clair de lune ou bayaient aux étoiles, selon le temps, cherchant toujours à ranimer un peu leur poitrine haletante. Un poste de garde nationale avait été installé en bas pour garder l'Institut. Par une belle nuit bien claire, le factionnaire méfiant et esclave de sa consigne aperçoit des ombres de forme humaine au faîte du palais. La sentinelle de l'ordre, convaincue que ce sont des émeutiers échappés de la grande bagarre et réfugiés là à l'insu de tous, épaule son fusil, et, tout effarée, fait feu (sans crier le moindre Qui vive ?) sur l'un des promeneurs nocturnes qu'elle peut le moins malaisément viser. Le coup part dans la direction de celui qui se trouve en si singulière et si dangereuse posture. Par une occurrence dont il faut se féliciter, la balle manque son but. Aussitôt l'ombre prudente de détaler elle disparaît rapidement, sans autre sommation et sans donner le temps au farouche gardien de la paix publique de recharger son arme. Les insurgés soupçonnés n'étaient que des logistes et le logiste qui venait de servir de cible au tireur malheureux était Duprato. Le pauvre garçon, une fois à l'abri, se remit vite de son alerte et de son juste émoi. Guéri désormais de la tentation de cette espièglerie commune et traditionnelle, qui, cette fois, avait failli avoir de si tragiques conséquences, il subit moins impatiemment la chaleur, travailla plus courageusement sa cantate et assura, ainsi que nous le savons, sa victoire dans l'épreuve décisive du concours, comme il s'était tiré à son honneur et sans dommage aucun de cette épreuve inattendue. Toute sa vie, il a trouvé présent à sa mémoire le souvenir de cette périlleuse aventure de sa jeunesse. Il se laissait facilement aller à la redire avec un entrain mitigé toujours par un sentiment de terreur qui jamais entièrement ne s'effaça. 

 

Quatre ans plus tard, en 1852, à semblable concours, à son premier essai également, ainsi que je l'ai raconté ailleurs, un autre nîmois, Ferdinand Poise, obtenait la seconde place et s'en contentait, pressé sans doute, quoiqu’encore jeune (il avait vingt-quatre ans à peine, tandis que plus étonnamment précoce Duprato n'en a pas même vingt-et-un), de travailler plus utilement pour sa bourse avec le théâtre qu'à l'école. 

 

Le succès de Duprato lui valut donc le prix de Rome. Il lui valut quelque chose de plus et de mieux assurément, si grand que soit l'honneur d'une telle victoire et si avantageuses qu'en soient les conséquences il fut l'occasion de la reconnaissance légale du jeune lauréat par sa mère. De ce jour, Jules n'était plus un rejeton isolé, perdu, abandonné il était rattaché à une souche par un lien visible et infrangible ; il avait une origine certaine ; il avait une famille. La gratitude et la tendresse qu'il avait vouées à sa mère et qu'il lui conserva jusqu'à son dernier jour étaient sans bornes, et si cet acte d'affection et de justice ne put les étendre et les fortifier, il n'était certes pas pour les diminuer et les amoindrir. De sa vie, ce fils modèle ne s'est départi de cet amour, de ce respect, de ce dévouement infini. Par crainte sans doute de les affaiblir en les partageant, il n'a consenti à se marier que dans un âge déjà avancé, vers sa cinquantaine, lorsque celle qui fut jusqu'alors toute son existence eut à la fin, octogénaire toujours soignée et choyée, doucement quitté ce monde. Ces sentiments étaient trop vifs et trop profonds pour n'être point communs à celle qui les inspirait mais peut-être s'étonnera-t-on de la coïncidence que nous venons de signaler elle serait susceptible de faire supposer que, s'il n'en fut pas le seul et déterminant mobile, l'orgueil ajouta du moins un appoint sensible aux causes qui inspirèrent l'acte que nous louons en ce moment. 

 

Devenu, par le fait de sa victoire au concours pensionnaire du gouvernement, Duprato quitta Paris pour Rome (d'où le nom du prix), et passa dans la Villa Médicis (l’Académie de France y fut installée vers 1803), en compagnie, avec ses camarades compositeurs de musique, des pensionnaires peintres, sculpteurs, architectes, graveurs[12]. Ces branches d'art, peinture, sculpture, architecture, gravure, trouvent des éléments d'étude dans les monuments, les fresques, les peintures et les sculptures de la renaissance et de l'antiquité. Mais les musiciens, se demandent bien des gens, que vont-ils faire à Rome, maintenant que le goût musical ou la mode est ailleurs ? Un compositeur, est-il facile et juste de répondre, ne va pas à Rome pour copier les choses déjà faites, ni même pour s'en inspirer, mais pour recueillir des impressions. Cela est si vrai que les mots Impressions d'Italie ont récemment servi de titre à l'envoi remarqué d'un de nos jeunes pensionnaires de la Villa Médicis. 

 

« Or, à Rome, à l'Académie surtout, les impressions » sont vives elles se pressent, elles abondent. Pays, lumière, nature, ambiants, tout vous exalte. Puis le contact permanent et inconnu des autres arts frères, jusqu'au jour de l'entrée à la villa, de cette recherche du beau et du vrai en commun. » En outre, « les compositeurs ne passent à la Villa que les deux premières années de leur pension. Les deux autres années sont employées à voyager dans les différents pays qui s'occupent plus spécialement de la musique. L'Allemagne est indiquée. Le séjour à Paris est permis la dernière année de la pension. »

 

Comme pour les autres sections, les obligations du compositeur de musique sont prescrites année par année. En voici le résumé. Il doit :

 

Dans la première année : 1° Composer deux partitions complètes, Oratorio ou Messe solennelle, à son choix, et opéra ou fragment d'opéra ; 2° Copier, ou mettre en partition lui-même, une œuvre inédite des maîtres des XVI°, XVII°, XVIII'° siècles, manquant à la bibliothèque du Conservatoire de Paris. 

 

Dans la deuxième année : Composer, comme dans la première année, deux partitions complètes, avec faculté de remplacer l'Oratorio ou l'ouvrage de musique sacrée par une symphonie en quatre parties et l'obligation de varier le genre des travaux. 

 

Dans la troisième année : 1° Ecrire un opéra en un acte ; 2° Composer le morceau symphonique destiné à la séance publique annuelle de l'Académie à Paris.

 

Dans la quatrième année : Ecrire également un opéra en un acte sur un livret ancien ou nouveau, ce dernier approuvé par la section de musique de l'Académie, condition que nous n'avons pas encore mentionnée, mais qui est commune à tous les ouvrages de cette catégorie.

 

Duprato vécut, sous le beau ciel d'Italie, dans la Ville Eternelle, au milieu du perpétuel enchantement des merveilles de toutes sortes que la nature et les arts y ont à l'envi entassées. Mais, à la différence de tant d'autres, il ne s'y amollit pas il travaillait, comme l'atteste et aime à le répéter encore aujourd'hui son contemporain, son camarade, M. Charles Garnier, l'éminent architecte de l'Opéra de Paris. Il travaillait ce mot résume toute son existence de pensionnaire à la Villa Médicis. Ses nombreux et importants envois à l'Institut de France affirment de plus en plus la richesse de son tempérament, la fécondité de sa nature, l'élévation de ses sentiments, et attestent le souci qu'il prend, l'ardeur qu'il met à les cultiver, à en tirer gloire et profit.[13]

 

Sa Messe solennelle a le très grand mérite et l'insigne honneur d'être choisie pour être exécutée devant S. S. le Pape Pie IX. Une Symphonie de sa composition a de telles qualités qu'elle fait impression dans le clan des artistes et déniche, avec surprise, sans le chercher, cet oiseau, si rare pour les auteurs que tous, à de très rares exceptions près, les arrivés comme les jeunes, considèrent presque comme un mythe, et qu'on nomme un éditeur. Et, tandis que des œuvres mûres de compositeurs connus, acceptés et applaudis, souvent ne parviennent pas à sortir de leurs cartons, voilà qu'une œuvre d'école, sinon d'écolier, émerge tout à coup, séduit des protecteurs intelligents et se trouve par eux présentée au public et patronnée dans le monde de la musique. 

 

Après deux ans réglementairement passés à Rome, Duprato visite les autres villes importantes de la Péninsule, où se continue l'épanouissement de ses brillantes facultés. Il voyage ensuite en Allemagne, où sous un tout autre climat, dans une atmosphère toute différente, dans la patrie des Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Glück, Weber, Wagner et autres génies, s'achève et se perfectionne son instruction. 

 

Rentré définitivement en France, Jules Duprato s'installe à Paris, qu'il ne doit plus quitter. A Paris, non seulement capitale de notre beau pays, mais encore foyer de toute civilisation, où toute réputation, d'artiste, en particulier, s'évanouit ou se consacre irrévocablement, il fait rapidement sa place. Son naturel aimable et fin, ses manières aisément distinguées, sans morgue ni raideur, sans recherche ni affectation, son instruction spécialement et fortement cultivée, ouvrent toutes les portes et tous les cœurs à ce jeune homme d'une correction irréprochable, réservé, un peu moqueur peut-être, mais jamais blessant, parce que, si les mots piquants ne lui coûtent guère, il ne les lance jamais qu'à des généralités, non point à des personnalités, qui ne sauraient dès lors se sentir atteintes, n'ayant été ni visées ni désignées ostensiblement.

 

Aussi ses débuts furent-ils relativement faciles. Ils furent brillants, presque éclatants. L'ex-pensionnaire de la Villa Médicis avait rapporté de Rome, dans sa petite malle, un acte que Michel Carré et Jules Lorrin avaient tiré pour lui du joli conte de Paul de Musset, Les Trovatelles. A Naples, on désigne sous ce nom les orphelines ou enfants trouvées qui sont élevées dans un couvent jusqu'au moment de leur mariage. A dates fixes, elles sortent de leur retraite et les garçons des environs viennent choisir leurs femmes parmi elles. C'est un peu la Martha, de Flotow, Le marché aux filles, du siècle dernier ; c'est un mode de mariage renouvelé de l'antiquité, car les Assyriens le pratiquaient jadis. Dans le livret nouveau, le héros est un ânier, d'où les titres successifs de L'Anier, puis L'Anier amoureux, que la pièce porta successivement. Sous le titre définitif de Les Trovatelles, elle arriva à l'Opéra-Comique, le 28 juin 1854. La Fiancée du Diable s'y débattait depuis le 5 de ce mois contre la froideur du public et succombait en quelques soirs. Victor Massé, dont c'était le premier grand ouvrage (3 actes), n'avait pas rencontré la veine mélodique de ses charmants levers de rideau. Le poème, quoique Scribe y eût collaboré, était par trop naïf. Le public sceptique eut bientôt condamné, sans appel possible, cette œuvre manquée. 

 

Le début du 28 fut la revanche de cet insuccès. La partition de Duprato est agréable remplie d'idées fraîches et élégantes, ainsi que d'exquises mélodies, empreinte de grâce, d'esprit et d'originalité, elle présente un coloris séduisant, une bonne harmonie, une instrumentation intelligente. Ce délicieux ouvrage est resté constamment au répertoire pendant huit années. Il n'en a disparu, comme quelques autres, qu'au moment de l'effondrement provoqué, à la seconde Salle Favart, par la débâcle financière du sieur Beaumont, qu'un arrêté ministériel du 26 janvier 1862, signé Walewski, révoquait de ses fonctions de directeur. Il avait obtenu alors 107 représentations. Il est, parait-il, arrivé depuis à 300 environ, charmant toujours, malgré les révolutions radicales et brutales survenues entre-temps dans le domaine de la musique, les oreilles dont la délicatesse a pu résister aux éclats des orchestres modernes. Très souvent encore, après plus de quarante années courues depuis sa mise au jour, si les affiches de nos théâtres sont accaparées par les maîtres outranciers de la nouvelle école au détriment de leurs gais et spirituels ainés, et la plupart du temps au détriment de l'agrément du public, l'ouverture de cette ouvre savoureuse est servie comme un morceau de choix par les musiques militaires aux amateurs de nos concerts publics.

 

Quelques mois à peine avant cette heureuse apparition, en septembre 1853, Ferdinand Poise avait également triomphé sur une scène parisienne avec Bonsoir, voisin. Ainsi nos jeunes compatriotes, que les mêmes goûts, les mêmes aspirations, la même ambition avaient poussés dans la même carrière et qu'allait lier une sincère et profonde amitié, laquelle ne s'est pas démentie jusqu'à la tombe ouverte pour eux au même lieu, presque au même jour, comme leur naissance s'était rencontrée au même pays et presque au même temps, portaient tous les deux vers la même époque, dans la capitale et par là dans le monde éclairé, le renom de notre ville, continuaient les traditions de nos célébrités locales et commençaient à illustrer à leur tour Nîmes et les Nîmois. 

 

Le directeur de l'Opéra-Comique n'eut garde de négliger un compositeur dont le coup d'essai avait été si remarqué. Le 2 juin 1856, le nom de l'auteur des Trovatelles reparaissait sur l'affiche avec un nouvel ouvrage, Pâquerette, dont les paroles étaient de E. Grangé et La Rounat. Cette fois, il faut l'avouer, Duprato avait été moins bien inspiré que la première. Cette bluette sans importance fut-elle incapable de séduire et d'exalter son imagination ? Ses impressions d'Italie étaient-elles déjà éteintes ou bien ses idées avaient-elles besoin pour éclore de la limpidité et de la chaleur du ciel du Midi ? Il est de fait que sur un sujet plus ténu, l'artiste avait eu la main moins légère. Aussi sa pauvre Pâquerette n'eut-elle que dix-sept représentations, la première année. Après deux brèves reprises, les deux années suivantes, elle fut trouvée complètement fanée et mise définitivement aux oubliettes.

 

Notre compatriote allait bientôt se relever vivement de cet échec en compagnie d'un exquis poèteM. Camille du Locle, dont la collaboration avec lui a été depuis si féconde et si heureuse. Abandonnant momentanément l'Opéra-Comique, il conduit sa muse alerte et joviale aux Bouffes-Parisiens dont son émule, Ferdinand Poise, vient, avec Le thé de Polichinelle (4 mars 1856), de lui montrer le chemin, chemin du succès pour tous les deux. Le 24 novembre 1856, Duprato, à son tour, donnait, en effet, sur cette scène un acte, M'Sieu Landry, que la critique fut unanime à louer et dont la réussite fut si franche que près de quarante ans n'ont pu encore l'épuiser. On a dit et répété sans aucune appréciation discordante (je me borne à transcrire ces formules pour montrer toute la sincérité et toute la spontanéité de la louange) que cette partitionnette était charmante et pleine de bonne humeur, que ce petit ouvrage était bien inspiré, réussi de tout point, que le succès en fut aussi vif que vrai, que c'est l’œuvre de Duprato qui fit la meilleure fortune puisqu'on ne cesse de la jouer.

 

La cantate officielle du 15 août 1859, dont Hector Roqueplan, alors directeur de l'Opéra-Comique, l'avait chargé d'écrire la musique sur un poème de Trianon, ramena notre compositeur au théâtre de ses débuts. Cette partition avait sans doute une valeur peu commune à ces sortes de travaux de commande, puisque Mlle Wertheimber, à qui l'exécution en avait été confiée, dut, contre l'usage en pareille circonstance, la servir au public deux jours de suite. Et cependant l'œuvre de Duprato avait à redouter un voisinage dangereux, une succession difficile. C'était l'année de la guerre d'Italie et l'époque des plus brillants faits d'armes de nos troupes dans la Péninsule. Peu de temps avant la date de la fête de l'Empereur, qui fut l'occasion de sa cantate, on célébrait, le 7 juin, dans la même salle, la victoire de Solferino par une cantate avec chœurs (Italie), dont les paroles de Saint-Georges avaient été mises en musique par le grand maitre Halévy. Montaubry, remplacé les deux dernières fois par Warot avec Troy, Jourdan, Crosti, MmeFaure-Lefebvre, l'interprétèrent avec un tel succès qu'on en donna quatre autres auditions dans le même mois, les 8, 10,27 et 29. Notre jeune compatriote sut faire bonne figure en pareil temps et en semblable compagnie. Ce n'est point là un mince mérite : cette constatation est à noter et à retenir à sa louange.

 

Nous ne mentionnerons que pour mémoire et afin d'être complet une partition en trois actes que Duprato écrivit en collaboration avec Offenbach sur un libretto de Sardou et de Roqueplan sous le titre La Villa Médicis. Cet ouvrage du directeur démissionnaire de l'Opéra-Comique, remplacé depuis le 18 juin 1860 par Beaumont, fut reçu, comme nombre d'autres, un peu légèrement peut-être, peut-être aussi par simple courtoisie de la part du successeur vis-à-vis de son prédécesseur. Il n'a, pas plus que ceux-là, jamais été monté ; ainsi qu'eux il est demeuré complètement inconnu. 

 

Allant encore cette fois de conserve, Poise et Duprato se succèdent sur la scène de l'Opéra-Comique, en 1861, à quelques jours d'intervalle, le premier avec Le Jardinier galant (2 actes, 4 mars), le second (3 actes, 30 avril) avec Salvator Rosa. En cette année, la fortune de ce théâtre fut médiocre d'abord et puis, sauf pour une pièce ou deux, franchement mauvaise, avec un bilan de quatorze actes pour huit pièces. Les opéras de nos compatriotes n'eurent pas la chance, malgré leurs qualités, de rompre le maléfice. Le Jardinier galant parvint à vingt-et-une représentations. Salvator Rosa fut arrêté à la onzième. Il est avéré par tous que le livret de Grangé et Trianon, qui avaient pris ce peintre pour héros, était d'une extrême faiblesse, suivant les uns, exécrable, suivant les autres. Il est reconnu aussi généralement que la nouvelle partition de Duprato, conçue dans de plus larges proportions que ses précédentes (celle-ci était la première qu'il écrivait en trois actes), révéla son talent de compositeur dramatique. Les connaisseurs y virent une énergie peut-être exagérée dans les morceaux d'ensemble, mais une verdeur et une puissance qui firent beaucoup augurer de cette tentative dans le genre sérieux. Cependant la musique ne put sauver le poème. Malgré l'estime inspirée par la partition et le succès qu'elle obtint, la pièce, manquée dans son ensemble, succomba. Elle est, aujourd'hui, à peu près complètement inconnue et oubliée comme la plupart des nouveautés de cette époque fatale. 

 

Ces défaites répétées menaçaient la situation du directeur contre qui les commanditaires malheureux imploraient l'intervention du Ministre. C'est sans doute pour s'attirer la bienveillance de l'Empereur que le pauvre Beaumont composa lui-même les paroles de la cantate officielle, qui devait être exécutée à son théâtre, le 15 août de cette malheureuse année 1861. Il en confia de nouveau la musique à Duprato, toujours utile et dévoué, Troy, Crosti et Gourdin, artistes justement aimés du public, la chantèrent. Elle excita l’enthousiasme habituel et elle eut le sort forcément éphémère de ces œuvres de commande. Il ne parait pas que cette flatterie de circonstance ait été aussi profitable au directeur qu'au regard de la fable, car Beaumont, acculé, nous l'avons dit, à la suspension de paiements, fut révoqué, quelques mois après, le 26 janvier 1862, et immédiatement remplacé par M. Emile Perrin, qui, comme il l'avait fait précédemment (il avait été nommé une première fois directeur de l'Opéra-Comique, le 29 avril 1848), allait, avec sa très réelle habileté et sa grande expérience, ramener la chance et la fortune à la salle Favart. 

 

Ici se place chronologiquement un travail, qui semble, au premier abord, de peu d'importance, mais qui exige, chez l'adaptateur, une connaissance intime du modèle, une expérience et une dextérité de main toutes particulières, un désintéressement complet. En 1862, le Théâtre des Arts, à Rouen, voulut représenter, du compositeur irlandais Balfe, un opéra inconnu alors en France, même à Paris, La Bohémienne, mais qui avait fait sensation en Allemagne et en Autriche, à Hambourg et à Vienne notamment. Duprato fut chargé d'écrire les récitatifs et les raccords nécessités par l'adaptation française de cet ouvrage. Il composa même deux morceaux à l'intention de Mme Galli-Marié, qui en jouait le rôle principal. II réussit à merveille cette œuvre d'autant plus délicate qu'elle exige de celui qui l'accomplit l'oubli et l'abnégation de sa personnalité pour entrer complètement dans celle de l'auteur primitif, afin d'éviter toute disparate qui serait choquante et insupportable. 

 

M. Arthur Pougin, qui donne ce détail, dans son Supplément à la Biographie universelle des musiciens par Fétis, ajoute, dans la même note, cette autre indication du même genre « Duprato a aussi écrit des récitatifs pour un opéra-comique d'Hérold, L'Illusion, en vue de l'adaptation de cet ouvrage au genre de l'opéra et de sa représentation sur ce théâtre. Jusqu'ici pourtant (1881, et pas davantage depuis), ce travail n'a pas été utilisé. » C'est ainsi que notre compatriote assouplissait et mûrissait son talent. 

 

Après ces alternatives, que nous venons de conter, de succès retentissants et légitimes, de chutes d'autant plus dures pour lui qu'elles étaient moins imputables au compositeur, mais surtout et presque exclusivement aux auteurs de ses livrets, avec un labeur divers, consciencieux et ininterrompu, qui lui permettait de fournir sans intervalle notable à diverses scènes des productions de genres si différents, il retrouva, le 21 février 1863, à l'Opéra-Comique, le même enthousiasme qui avait salué là ses débuts. Mais la fortune a des retours imprévus et des rigueurs aussi cruelles qu'injustes. La Déesse et le Berger, qu'on appela successivement Ariane et L'âge d'or, en est un exemple mémorable. Cette pièce (deux actes), est due à la collaboration de du Locle, poète élégant, et de Duprato, musicien qui avait fait ses preuves. « Elle sortait de l'ornière bourgeoise de l'ancien opéra-comique ; elle s'animait au souffle d'une mythologie un peu fantaisiste, mais spirituelle et gracieuse. Cette idylle est tout entière écrite en vers harmonieux, délicatement soupirés par Capoul et Mlle Baretti. » Elle séduit par la magie d'une couleur antique idéale. On y sent passer comme le souffle de Théocrite. Le compositeur s'élève à des hauteurs sereines et radieuses. Et cette œuvre, pleine de distinction et de poésie, si favorablement accueillie qu'elle semblait appelée aux plus longues destinées, glorieuses et fructueuses tout ensemble, disparut subitement et sans motif apparent de l'affiche après la dix-septième représentation. 

 

On raconta bientôt qu'une dame du plus grand monde fut tellement charmée par cette musique si délicate, si éthérée, qu'elle ne voulut pas laisser jouir plus longtemps de ces mélodies célestes les oreilles vulgaires. Elle acheta au compositeur sa partition moyennant 10.000 francs, avec cette clause qu'elle en serait le seul possesseur, afin que nul profane ne l'entendit désormais. La Déesse et le Berger furent dès lors à jamais perdus pour le public. Le biographe auquel j'emprunte ces détails ajoute : « Nous espérons que M. Duprato voudra bien donner un pendant ou plutôt un remplaçant à cette œuvre et que cette fille de son inspiration ne se laissera point enlever comme sa sœur ainée. » « Fanatisme de bon aloi », dit un autre, qui l'a suivi. Or, ce biographe est Larousse, et, quand on songe à la variété et à la multitude des renseignements fournis par cette immense encyclopédie, on ne peut raisonnablement avoir une confiance absolue dans sa totale infaillibilité. Un incident parlementaire fameux nous a, du reste, récemment appris à refuser toute créance à certaines de ses affirmations et à répudier impitoyablement tel de ses documents d'une authenticité plus que problématique et fantaisiste. Nous sommes donc irrésistiblement tenté de taxer ce récit de légende et de n'y voir qu'un conte inspiré par les temps fabuleux auxquels nous reportent le sujet et le titre de cette pièce, La Déesse et le Berger. D'autres, au fait exactement vrai de la disparition de la pièce et de l'achat de la partition, attribuent un motif plus terrestre, plus humain. Ils en donnent une explication, plus naturelle et plus simple, d'intérêt personnel et pécuniaire. Ceci doit être l'histoire. 

 

« La partition se recommandait par des qualités peu communes, disent MM. Soubies et Malherbe, et pourtant dès l'abord elle ne trouva pas d'éditeur. A qui venait la demander, les marchands répondaient : Elle n'a pas paru ! et, les jours succédant aux jours : Elle ne paraîtra pas ! Cette réponse ayant été faite, un matin, à une dame qui se montrait désolée de n'avoir pas la musique réclamée, M. Duprato, dit-elle, consentirait-il à me vendre la propriété de son manuscrit ? Ma foi, lui fut-il répondu, je crois que cette proposition ne pourrait que lui être agréable, et que, moyennant mille écus...Mille écus, s'écria la dame, ce ne serait pas assez. Veuillez faire savoir à M. Duprato que je lui en offre six mille francs ! Le soir même le marché était conclu, et ce fut elle qui fit graver la partition, revenue depuis, mais longtemps après, entre les mains d'un éditeur. Chose curieuse la dame n'avait cru faire qu'une bonne action, elle fit peut-être une bonne affaire car, si l'ouvrage n'avait pas réussi au théâtre, bien des morceaux détachés réussirent dans les salons, et l'on joue encore aujourd'hui l'ouverture avec son motif à cinq temps qui ne manque pas d'originalité. 

 

Légende ou histoire, voilà les deux versions. Que chacun choisisse entre elles, s'il lui plaît, et qu'il adopte, s'il le veut, l'un ou l'autre de ces récits. La chose est, en tout cas, assez peu commune, surtout, la générosité spontanée de l'acheteur, pour frapper les esprits et mériter qu'on la rapporte et la retienne. 

 

Ce n'était pas seulement contre Duprato que la fortune exerçait ainsi ses rigueurs. Il faut le constater à la décharge de son talent et à l'actif de la valeur de ses œuvres. Si personne n'eût pu prédire l'échec de cette délicieuse partition, La Déesse et le Berger, personne non plus n'aurait prédit les échecs immérités des pièces qui la précédèrent ou la suivirent et qui sortaient de la plume de compositeurs tels que Eugène Prévost (prix de Rome en 1831, un an avant M. Ambroise Thomas), Vaucorbeil, devenu plus tard le très distingué directeur de l'Opéra, Deffès (prix de Rome en 1847). L'année 1863, à l'Opéra-Comique, ne brille pas plus par la quantité que par le succès, sinon par la qualité, des ouvrages nouveaux. Sur les quatre qui furent donnés, La Déesse et le Berger, de Duprato, battit le record, comme on dirait aujourd'hui, de la réussite avec ses 17 représentations. L'Illustre Gaspard, un acte (11 février), de Prévost, n'arriva qu'à 12 ; Bataille d'amour, trois actes (13 avril ; ce nombre fatidique dut lui porter malheur), de Vaucorbeil, finit à la quatrième et Les Bourguignonnes, un acte (16 juillet), de Deffès, parvint à peine à 44 en quatre ans. 

 

Il y a, dans l'existence des entreprises, des périodes de malchance durant lesquelles le guignon entraîne tout dans son tourbillon funeste et inévitable. Il en était alors ainsi à ce théâtre Il y a également, dans les arts, comme en toutes choses, des époques de transition. La musique commençait, à cette date, à subir cette crise de transformation. Enfin, il faut toujours compter avec le caprice du public. Les auditoires sont hostiles, froids ou favorables, souvent sans motif apparent, quelquefois sans raison, d'autres fois contre toute raison et toute justice. Disons aussi, avec les historiens de la seconde salle Favart « l'érudition n'intéresse que les érudits ; la musique d'hier attire les seuls curieux ; le gros du public lui préfère celle d'aujourd'hui, et le petit groupe des vrais connaisseurs celle de demain. » 

 

La personnalité de Duprato ne nous a apparu jusqu'ici que sous une seule face. Nous allons en apercevoir une nouvelle, mais très fugitive et passagère. Après avoir découvert et considéré l'homme de cabinet, se manifestant au public seulement par le fruit de ses veilles et le résultat de son travail élaboré dans le silence et le recueillement de son intérieur, par ses productions qu'il livre à d'autres, chanteurs et orchestre, pour, lui absent ou caché, anxieux, dans la coulisse, les interpréter, les transmettre aux auditeurs, nous le verrons maintenant lui-même sous nos yeux, conduisant, baguette en main, les artistes à la bataille, pour l'exécution de ses propres partitions ou de celles de ses confrères. 

 

Au mois de janvier 1864, s'ouvrit, sur le boulevard Saint-Germain, l'Athénée musical. Duprato, choisi pour en diriger l'orchestre, composa une cantate pour l'inauguration de cette salle. Il n'y resta pas longtemps il disparut avec l'Athénée, qui se transforma bientôt en théâtre des Folies-Saint-Germain. C'est aujourd'hui le théâtre Cluny.

 

Le chef d'orchestre avait fait ses preuves. Elles étaient satisfaisantes et concluantes. Doublé d'un compositeur expérimenté, il avait la fermeté et la souplesse de la main, le coup d'œil prompt, l'autorité nécessaire. Cette forme de son talent, il ne trouva plus l'occasion de l'utiliser. Il retourna à son cabinet et à sa plume et derechef se consacra exclusivement à la composition. Il fit alors une première tentative, une rapide incursion sur la scène de l'Opéra avec sa cantate pour le 15 août 1864. Décidément il avait pour ce genre d'ouvrage une facture spéciale, un tour de main original, une disposition exceptionnelle on lui en commandait toujours et de divers côtés. Il s'acquittait toujours de cette tâche à la satisfaction générale.

 

II n'était pas possible que cette application constante au travail ne reçût pas tôt ou tard sa récompense et qu'on n'utilisât pas quelque jour les connaissances approfondies que Duprato avait de son art, pour en perpétuer par l'enseignement officiel les bonnes traditions. Depuis longtemps déjà, il se distinguait dans le professorat, se donnant à ses fervents disciples avec le désintéressement qui fut l'une des marques distinctives de son caractère. Le gouvernement, à son tour, voulut mettre à profit dans l'intérêt général sa science et son dévouement en l'attachant comme maître au Conservatoire dont il avait été l'un des meilleurs élèves, l'un des plus brillants lauréats. En 1866, en effet, Duprato y fut nommé professeur d'harmonie écrite. L'excellence de ses leçons, le don généreux de son activité et de son affection à la classe dont il était chargé devaient être bientôt reconnus et consacrés par la consolidation de sa position dans l'école. Dès qu'une vacance le permit, en 1871, il devint titulaire d'un cours d'harmonie et d'accompagnement pratique. 

 

Professeur ! c'est le troisième aspect sous lequel se révèle à nous celui qui nous occupe. Quel il fut ainsi ? Nous venons de le dire d'un mot et cela suffit pour le faire connaître sous ce jour. L'histoire est impossible à écrire, parce qu'elle est nécessairement uniforme et sans incident, par suite inutile, de ces longues heures de labeur et d'efforts communs entre le maître et les élèves, dans lesquelles, sans rien perdre de son fonds, l'un enrichit le fonds des autres, l'ensemençant avec ses produits accumulés et ses récoltes en réserve, transmettant sans se dépouiller, augmentant et développant l'héritage d'autrui sans amoindrir le sien, au contraire, et trouvant dans la culture du champ voisin l'avantage et les bénéfices de la culture de son propre champ, outre le plaisir et l'honneur de créer, de façonner des intelligences à l'image et sur le modèle de la sienne, de les initier aux arcanes et aux joies de son art, de leur ouvrir et de leur faciliter une carrière dans laquelle il s'est frayé un large chemin. 

 

Les succès du professeur sont faits de ceux des élèves. La liste en est fort étendue dans les archives du Conservatoire. Il faudrait y joindre l'histoire des succès plus difficiles et plus importants que ceux-ci ont obtenus ensuite auprès du public dans les théâtres et les concerts. A cette nomenclature il conviendrait d'ajouter celle des disciples particuliers et de leurs réussites. Cette recherche serait longue et oiseuse ; elle étendrait trop la notice sur le maître, que nous avons seule entreprise et à laquelle nous voulons nous tenir. Si l'occasion nous conduit à citer quelques noms à propos de quelque constatation curieuse ou remarque intéressante, nous ne négligerons pas de la saisir et nous nous y bornerons. Ce sera assez pour faire justement quoique sommairement apprécier la valeur de l'enseignement. Mais ce qu'en tout cas nous ne pourrions jamais assez dire, parce que cela se sent et ne se raconte pas, c'est la reconnaissance de ces élèves pour celui qui leur donnait si abondamment et si généreusement, avec l'instruction et la science, son temps, son cœur, sa protection.

 

Si occupé qu'il fût par ses cours, si absorbé qu'il fût par ses leçons, Duprato trouvait, dans son endurance à la fatigue, dans son ardeur au travail, dans son amour pour l'art, assez de loisir, assez d'énergie, assez de liberté d'esprit et de fraîcheur d'imagination pour composer. Dans les temps où nous sommes arrivés, son activité paraît s'être animée encore. L'année 1866 seule a vu naître plusieurs pièces de lui et pas des moins estimables. Sa production ne s'est ni ralentie, ni diminuée dans les années suivantes, malgré le terrible accident qui faillit le terrasser définitivement et dont il ne s'est jamais complètement remis. 

 

Le 24 septembre de cette année 1866, il donnait, aux Fantaisies-Parisiennes, trois actes en deux pièces, qui eurent, la seconde surtout, une brillante réussite Le Baron de Groschaminet (un acte) ; Sacripant (deux actes). Cette dernière partition, écrite sur un livret de Philippe Gille, enleva tous les suffrages et valut à son auteur, outre l'estime des connaisseurs et du public, avec un succès d'argent au théâtre, une récompense honorable et un profit inattendu. En 1867, le Ministère des Beaux-Arts, pour encourager une entreprise qui offrait aux jeunes compositeurs un débouché utile, mit « à la disposition du directeur des Fantaisies-Parisiennes, dit M. Arthur Pougin, une somme de 1.000 francs destinée à être donnée en prix à l'auteur de la meilleure partition qui aurait vu le jour sur ce gentil théâtre. Le jury nommé à cet effet décerna à l'unanimité le prix à M. Duprato, pour sa partition de Sacripant. » 

 

Le Chanteur florentin, scène lyrique en un acte, avait suivi de près, sur la même scène, le 29 novembre de la même année 1866, avec la même bonne fortune auprès des auditeurs, ses deux charmants aînés.

 

Notre auteur va maintenant enfler la voix, quitter chalumeaux et pipeaux pour emboucher la trompette héroïque, et changer le brodequin contre le cothurne. Ses succès, sa situation officielle au Conservatoire avaient fixé sur lui l'attention. L'Opéra devait enfin lui ouvrir ses portes. Il était temps que le prix de Rome, qui, depuis près de vingt années, se morfondait patiemment et courageusement aux entours de la première scène de France, fût admis à s'y produire. Son âge, sa valeur, sa notoriété, ses succès le désignent, il y a belle heure. La faveur de pénétrer dans le cénacle lui est à la longue accordée. Voyez avec quelle bienveillance il est reçu, quelle large place lui est assignée dans la salle du festin, quelle bonne part lui en est octroyée juste un petit coin pour y mettre les pieds, une miette pour apaiser sa faim. Pour franchir ce cap des tempêtes, qui s'appelle l'Opéra, on l'embarque sur une frêle périssoire. Le résultat était prévu il était inévitable le fragile esquif chavira. 

 

La Fiancée de Corinthe, en un seul acte, malgré les vers harmonieux de du Locle, malgré la science, l'habileté, les jolies mélodies de Duprato, ne fit guère que passer, le 21 octobre 1867. Si la coupe de deux actes est périlleuse à l'Opéra-Comique, celle d'un acte l'est encore davantage à l'Opéra. C'est à ce danger que, ici et là, a succombé notre malheureux compatriote. A l'Opéra-Comique, deux actes, c'est trop pour un commencement de spectacle, trop peu pour remplir une soirée après un simple lever de rideau. A l'Opéra, un acte est chose absolument inutile les spectacles y sont, en général, fournis par un seul ouvrage, en cinq actes la plupart du temps. Que faire avec un acte d'Opéra ? Rien, pas même le complément insuffisant ou superflu d'une représentation inusitée de ballets. Et le pauvre Duprato a été cruellement astreint à deux actes d'opéra-comique, pis encore réduit à un acte d'opéra ! Il a été jugé et condamné dans ces conditions, quand il n'était coupable que de l'imprudence de s'être laissé prendre au piège ou de sa trop facile résignation à y tomber fatalement. Qui oserait approuver ce verdict impitoyable ? Personne assurément non, il faut rayer cela de ses papiers et ne lui tenir compte que de ses luttes raisonnables et régulières. Son bilan se solde alors à son actif par des succès légitimes et incontestés. 

 

Ces travaux, ces luttes, ces successions de joies vives et de cuisantes déceptions cette fièvre perpétuelle de l'homme laborieux, de l'artiste épris de son idéal, du compositeur qui livre sans cesse en public des batailles toujours incertaines pour la conquête de la renommée, tout cela doit user rapidement le tempérament le plus robuste, le caractère le plus fortement trempé. Ajoutez-y les privations auxquelles fut condamné l'enfant, l'adolescent, le jeune homme qui est le sujet de cette étude, et vous ne serez pas surpris que, plutôt qu'un autre peut-être, Duprato, dans la force de l'âge, ait été plus facilement surpris et plus sûrement atteint. 

 

En 1869, il fut soudainement envahi par un mal qui ne pardonne guère et qui eût terrassé une nature moins robuste, une âme moins énergique. Mis à deux doigts de sa perte, il ne succomba pas mais, s'il s'est relevé, il n'a retrouvé jamais sa santé primitive. Frappé d'hémiplégie, il semblait perdu, il se sauva ; mais son corps fortement secoué ne put plus reprendre son équilibre. Et, depuis, ce fut merveille, à la fois triste et consolant, de voir cet homme dont la santé physique était si profondément altérée, conserver intacte sa santé intellectuelle et morale ; ce fut un spectacle, curieux et émouvant tout ensemble, de contempler cet édifice charnel si délabré, habité, hanté par un esprit aussi jeune, aussi alerte, aussi aiguisé que si son enveloppe humaine eût été dans sa pleine robustesse. La souffrance put l'attrister mais ne parvint point à lui enlever sa bonté. Il sortit peu désormais, après même qu'il se fut remis debout. Il profitait de sa réclusion pour rendre plus de services encore à ses élèves et leur consacrer de plus longues séances d'études profitables et de conseils aussi utiles toujours et toujours plus désintéressés, parfois jusqu'à l'aide discrètement effective et efficace. Rien n'est exagéré dans ces affirmations, soyez-en persuadé. Ce n'est là que la constatation exactement juste de la vérité. Je n'en veux d'autre preuve que la nomination officielle de Duprato, en 1871 (nous l'avons déjà notée), comme professeur titulaire d'harmonie et d'accompagnement pratique au Conservatoire. 

 

Tenu à un repos physique presque absolu, soit par les prescriptions de la Faculté, soit par la crainte des douleurs que lui faisait ressentir la locomotion, soit par la conscience de son impotence même, limitant ses sorties au minimum imposé par les nécessités de sa profession, ainsi dispensé de tout soin extérieur et délié de toute obligation mondaine, le pauvre perclus s'absorbait dans ses rêves artistiques, peuplait sa solitude des fantômes créés par son imagination et occupait ses longues heures d'immobilité corporelle à donner une forme saisissable aux conceptions de son esprit. La Tour du Chien Vert naquit de ces élucubrations, le 20 ou le 28 (j'ai trouvé les deux dates sans le moyen de désigner sûrement la vraie) décembre 1871, sur la scène des Folies Dramatiques. Édifiée par des mains qui n'avaient pas retrouvé toute leur vigueur, elle n'était pas assez solidement construite ni assez fortement cimentée elle pencha dès l'abord et croula bientôt. Faut-il imputer cette chute à la faiblesse accidentelle du malade ? Faut-il reconnaitre que, d'une manière générale, le compositeur, si habile à esquisser un lever de rideau, ne pouvait supporter le poids d'un long ouvrage qui était ou semblait trop lourd pour sa muse ? En fait, il n'a écrit que deux pièces en trois actesSalvator Rosa et la légendaire Tour du Chien Vert l'une et l'autre sombrèrent. 

 

Vers la même époque, un acte de M. Louis Gallet, Namouna, lui était retiré par l'auteur pour être alors confié à Georges Bizet, qui le donna sous le nom de Djamileh, à l'Opéra-Comique, le 22 mai 1872. On a écrit que le paresseux ne se décidait pas à terminer sa partition. Il serait sans doute plus exact et assurément plus indulgent de dire que les forces trahissaient la volonté du convalescent. La défaite lui eût été vivement reprochée. Bizet en fut plus facilement absous. Malgré une interprétation à la fois gracieuse et vaillante, malgré des qualités incontestables, Djamileh ne dépassa pas la onzième soirée. Aujourd'hui, les dissonances effraient moins mais alors on tenait en certaine suspicion les jeunes musiciens (celui-ci était du nombre et passait même pour marcher à leur tête) qui « ambitionnaient le baiser de la muse germanique moderne, bien peu fille d'Apollon et beaucoup trop parente de MM. Wagner et consorts ». Son mal n'empirant pas, mais, au contraire, tendant plutôt à disparaître ou arrivé du moins à l'état de tolérance, Duprato voulut prendre une revanche dans la forme et sur le théâtre de ses premiers succès. Le 24 mai 1874, il donnait, à l'Opéra-Comique, un lever de rideau intitulé Le Cerisier (un acte). Le librettiste, Jules Prével, avait pris le sujet de l'imbroglio qu'était sa petite pièce dans la cinquième journée de l'Heptaméron de la célèbre reine Marguerite de Navarre. Ce n'était qu'un aimable pastel, mais suffisant en son genre et adroitement encadré. La musique, un peu incolore, rappelait, par ses proportions exiguës, les opuscules de l'ancien répertoire. Les cerises furent tout d'abord trouvées excellentes mais, dès le dix-septième soir, l'arbre dépouillé de ses fruits parut avoir perdu sa vigueur et sembla prêt pour la hache. Le Cerisier fut coupé et jeté à la cave. Coïncidence bizarre à remarquer, le chiffre 17 est en quelque sorte fatal à Duprato trois de ses pièces, en effet, Pâquerette, La Déesse et le Berger, Le Cerisier, se sont uniformément arrêtées à ce nombre fatidique de représentations. Pour se consoler de cette froideur, il n'eut qu'à songer au même sort fait dernièrement à Gille et Gillotin, un lever de rideau aussi, dû à la plume d'un maître, M. Ambroise Thomas, et qui, depuis le 22 avril, jour qu'il parut comme nouveauté, était avec peine arrivé, définitivement épuisé, à sa vingt-et-unième exécution. 

 

Un critique, Paul Bernard, écrivait à ce propos et à la suite du Cerisier : « Il est certain que l'Opéra-Comique semble relever son niveau peut-être est-il permis de dire qu'il traverse une époque de transition, sans trop savoir toutefois où il ne va ni ce qu'il deviendra. L'épreuve de l'autre soir, quoique fort satisfaisante, semblerait prouver une chose c'est que ce théâtre affirmant chaque jour des tendances plus poétiques, plus lyriques, les œuvres de petite envergure qui viennent s'y présenter se trouvent forcément écrasées. » Le temps a pleinement démontré la justesse de ces réflexions, nous nous plaisons à le signaler à la décharge de la mémoire de notre fauteur. 

 

S'il ne reparut plus à la scène, s'il ne retrouva pas sa santé primitive, Duprato ne s'endormit point dans la paresse et l'inaction il ne céda ni au découragement ni à la souffrance. Ses dernières années sont aussi actives que celles de l'ardente jeunesse, aussi pleines de labeur et de production que s'il eût eu toute sa liberté physique et morale. 

 

Faute de pouvoir assigner une date à la confection des œuvres qu'il nous reste à mentionner, et dans l'impossibilité où nous sommes d'établir entre elles une chronologie, qu'elles aient été éditées, sans qu'il nous soit permis, comme pour les pièces de théâtre, de préciser le moment de leur apparition, ou bien qu'elles soient demeurées manuscrites dans ses cartons, nous les noterons à notre gré, distribuées et groupées suivant leur genre. Parlons d'abord d'un opéra-comique en un acte. Gazouillette, que nous aurions pu citer vers 1864, mais que nous avons alors passé sous silence, parce que, non représenté, il est resté inédit et inconnu. Après avoir langui longtemps dans les cartons de l'Opéra-Comique, il venait d'être reçu à l'Athénée quand ce théâtre disparut. Il réintégra alors le portefeuille où il demeure enfoui, désormais perdu sans doute pour le public. 

 

M. Victor Capoul, qui roucoula si délicatement la tendre musique de La Déesse et le Berger, s'était pris d'admiration et d'amitié pour l'auteur de cette délicieuse partition. Après une longue et honorable carrière de chanteur expressif et charmant, il s'était, un beau matin, senti poète et réveillé librettiste. Il souhaita naturellement la collaboration du musicien dont il avait, à ses débuts, interprété la pensée et créé un des meilleurs rôles. Le Prince noir naquit de ce travail en commun. Qu'est au juste cet ouvrage et que vaut-il ? Je l'ignore, ne connaissant par Mme veuve Duprato que le titre seul de cet opéra ? qui ne fut pas plus joué qu'édité. 

 

Ce que l'on connaît bien, quoiqu'elles n'aient pas été données sur de grandes scènes officielles, mais parce qu'elles ont été publiées, ce sont trois opérettes 1° La Reine Mozab, parue dans un journal, Le magasin des demoiselles ; 2° Une Promenade de Marie-Thérèse et 3° Marie Stuart au château de Lochleven (Schott, éditeur). Destinées à être chantées dans les salons, elles y obtinrent un succès de bon aloi par la finesse, l'élégance et le charme qui étaient la marque distinctive de leur auteur, lequel fut toujours le mondain de bon ton et de bonne compagnie que nous avons dit en commençant. 

 

Ces qualités rares devaient le faire rechercher pour certaines spécialités, qui, pour n'être point banales, demandent une plume experte, un esprit délicat, alerte et distingué. Aussi lui doit-on divers chœurs de circonstances très réussis. Nous en signalerons trois à trois voix égales, écrits pour des distributions de prix de pensionnats Les Palmes, La Double fêteLes Vacances. Quoique voué naturellement et porté par ses études aux grandes œuvres scéniques, Duprato n'a pas dédaigné d'écrire de petites pièces pour un ou deux des instruments les plus cultivés. On remarque, en ce genre, trois morceaux mélodiques pour piano et violon, et six romances sans paroles pour piano. 

 

Mais, où il excelle, c'est dans le maniement des voix. Prenez au hasard, parmi les mélodies vocales qu'il a publiées (il n'est nullement nécessaire de faire un choix pour tomber bien), vous ne risquez aucune désillusion au contraire, croyez-m’en, vous serez ravis. Voyez, par exemple (je cite à l'aventure) La Plainte, Mon cœur, que faut-il faire ?, La RivièreLa Maisonnette, C'est tout le contraire, La Petite Madelon, Le Dépit amoureux, Tout rend hommage à la beauté, Adieux à Suzon, La Fontaine de Palerme. Vous y admirerez, comme tout le monde, « un grand souci de la forme et une rare délicatesse de sentiment. »

 

Duprato passe, au dire de certains, pour avoir inventé la forme musicale du sonnet. Quelle que soit la valeur de cette allégation, c'est là que se distingue le plus sa personnalité. Les six Sonnets qu'il a publiés chez Heugel, sur des poésies de son sympathique et fidèle Camille du Locle, sont des compositions fort remarquables et ont obtenu un très grand succès, vraies merveilles de grâce mélodique et de poétique harmonie. 

 

Ainsi que nous l'avons vu plus haut, il défendit toujours son cœur contre tout autre que sa mère, de crainte de laisser amoindrir en quelque façon les sentiments d'amour sans bornes et de reconnaissance infinie qu'il avait pour elle. A elle tout entier et sans partage, il l'entoura filialement de tendresse et de respect, dévotement il la combla de prévenances et de soins, sans lassitude et sans relâche. Et, quand il fut frappé par la maladie, ce n'est point pour lui, c'est pour elle qu'il tremblait, de peur de l'abandonner, sur cette terre, seule et sans secours, à son âge déjà avancé, désarmée pour les luttes de l'existence. Aussi s'accrocha-t-il désespérément à la vie, par affection et par dévouement pour celle qui la lui avait donnée. Loin de se laisser abattre par la douleur, c'est lui qui la vainquit. Bientôt et comme miraculeusement il se reprit à l'activité, au travail, pour la joie et l'aisance de sa mère. Il eut le bonheur de la conduire dégagée de tout souci et vénérée jusqu'à une vieillesse honorable. Il eut le chagrin et la consolation de lui fermer les yeux, lui dissimulant les horreurs de la mort comme il lui avait épargné les tristesses de la vie. 

 

Après cette cruelle séparation, lorsqu'il se retrouva isolé dans ce monde et qu'une affection nouvelle put pénétrer dans son cœur sans y faire tort au culte du souvenir, il se maria, sur le déclin prématuré de son âge et de ses forces. Le 19 juillet 1877, il épousa une femme bonne, intelligente et courageuse, qui devint la collaboratrice de ses travaux en même temps que la compagne de son existence. Poète, en effet, Mlle Emilie Ducrey[14] fournit dès lors à son mari des textes sur lesquels il écrivit sa musique la plus inspirée. Nous venons de dire quelles richesses dans le genre intime et tempéré Duprato mit au jour dans cette période. Rasséréné et comme ragaillardi au contact de celle qui fut désormais son appui, à lui qui avait eu jusque-là le souci et la charge d'être le soutien de sa mère, il s'abandonna plus mollement, sans de trop graves et trop gênantes préoccupations, aux invitations de sa muse, qui se montra encore plus tendrement mélodieuse, harmonieuse encore plus finement. Ce stimulant de la collaboration, cette aide réciproque au travail, ces soins mutuels de tous les instants, cette communauté de sentiments et de labeurs, tout cela ne peut avoir d’histoire : on le sent, on le devine, on ne le conte pas. Aussi le temps file-t-il, à cette époque, sans secousse appréciable et les années se succèdent-elles sans que le moindre incident frappe notre attention et sollicite nos remarques et notre souvenir. 

 

Dans la paix de cet intérieur, au milieu de ce calme qui contraste si fort avec le bruit et le tracas des luttes quotidiennes qui l'ont précédé, les soins intelligents, dévoués et persévérants de Mme Duprato fortifient la résistance de son mari au mal et prolongent ses jours tranquilles au-delà de toute prévision. Il faut à la douleur pour accomplir son œuvre plus d'efforts et de patience qu'on ne l'eût jamais soupçonné. Le moribond de 1869 dure encore vingt-trois ans après sa première attaque. Pour lui comme pour son ami et compatriote Ferdinand Poise, on a dit « La mort a pu facilement accomplir sa tâche. Malade depuis de longues années, épuisé par la souffrance, il n'a pas dû opposer grande résistance à ses coups, et la fin a été pour lui la délivrance. » Nous savons par le détail la part qu'il faut faire à la vérité dans ces suppositions. Ainsi que Poise, Duprato, soutenu par l'énergie et les soins ingénieux d'une compagne dévouée, fut à la mort une proie relativement lente. Seule la catastrophe dernière put paraître rapide. Et ce dut être, en effet, malgré la profonde affection des époux, un soulagement, un affranchissement, que la cessation de ces tortures physiques. Ce dut être aussi la récompense de leur courage et de leur résignation que la brusquerie du dénouement. Il arriva, pour ainsi dire, sans secousse, le vendredi 20 mai 1892. Juste huit jours avant, un vendredi encore (bizarre coïncidence que je n'ai point signalée le premier et n'ai fait que souligner à mon tour), Ferdinand Poise, inopinément éteint, s'était, au lever du jour, insensiblement endormi dans un dernier sommeil. 

 

Le dimanche 22, à deux heures de l'après-midi, tout le Paris artistique fit à Duprato, estimé et aimé de tous ceux qui l'avaient connu, de la maison mortuaire, rue de La Rochefoucauld, 64, au temple protestant de la rue Chauchat[15] et au cimetière Montmartre, des obsèques pieusement émues et tristement solennelles. 

 

Après avoir lu ces pages, nul ne s'étonnera que Duprato soit mort sans postérité. On s'étonnera encore moins qu'il n'ait pas laissé une large aisance à sa veuve. Il vint au monde dans des conditions qui étaient exclusives de toute idée de richesse, de toute espérance de patrimoine et d'héritage. Son seul bien fut sa probité, son intelligence, son amour du travail. Avec cela il vécut honorablement, et, après de longues luttes et des épreuves nombreuses, il s'éteignit dans une honnête médiocrité. La carrière à laquelle le vouèrent ses aptitudes, qu'il embrassa et qu'il parcourut si laborieusement, si courageusement, si fièrement et non sans éclat, est assurément de celles où se rencontre parfois la gloire, tardive d'ordinaire, posthume souvent, mais jamais la fortune. 

 

« Les artistes, nous sommes comme les chiens », me disait naguère, s'appropriant un mot amèrement spirituel d'un illustre dramaturge contemporain, un inspecteur de notre école nationale de musique ; « comme eux on nous siffle, avec cette différence toutefois que, les chiens on les siffle pour les appeler et les caresser nous, on nous siffle pour nous chasser et nous blâmer. » Un artiste sifflé, c'est la misère un artiste applaudi, c'est plus de renommée que de pain. 

 

Aussi, à la mort de Jules Duprato, comme à celle de Ferdinand Poise, comme pour Ernest Guiraud, qui les avait l'un et l'autre (compositeurs tous les trois) précédés de quelques jours, un vendredi également et par une atteinte subite, dans la tombe, le Gouvernement s'empressa-t-il d'accorder à la veuve une pension annuelle de 1.200 francs. C'est à peine un très modeste secours c'est du moins et surtout un témoignage d'estime et de reconnaissance de la patrie envers les plus distingués de ses enfants. 

 

Jules Duprato laisse une mémoire justement estimée dans le monde lyrique et le souvenir d'un homme de bien à ceux qui l'ont connu. « C'est l'un des compositeurs les plus distingués de ce temps, et l'un de ceux qui ont eu le moins de bonheur au théâtre, malgré un début presque éclatant. Cet artiste fort honorable est un exemple frappant de la malchance qui peut poursuivre un musicien dramatique en dépit de son talent, lorsqu'il est mal servi par ses collaborateurs, et que les livrets qui lui sont confiés n'offrent point les qualités qu'exige impérieusement la scène. » J'ai déjà relaté cette opinion de M. Arthur Pougin, en tête de ma notice biographique sur Ferdinand Poise. Je devais la reproduire ici. La citation demande maintenant à être complétée : « On peut dire que M. Duprato est l'un des artistes les plus ingénieux et les plus aimables qui se soient produits depuis vingt ans (cela date de 1881 environ) sur nos scènes lyriques. Avec MM. Th. Semet, Boulanger, Deffès et Ferdinand Poise, il fait partie de ce petit groupe de compositeurs distingués qui, semble-t-il, n'ont pu donner ni les uns ni les autres la mesure exacte de leur valeur, par suite du peu d'encouragement qu'ils ont trouvé auprès des directeurs. Ce n'est point le tout, en effet, de produire de temps à autre un musicien, de lui accorder une pièce tous les quatre ou cinq ans encore faudrait-il le faire intelligemment, de façon à lui être profitable, et pour cela il serait bon de consulter ses aptitudes, son tempérament, de lui donner des poèmes qui convinssent à sa nature, et surtout qui convinssent à la scène Or, sous ce rapport, nul n'a été plus mal servi que M. Duprato, et j'insiste sur ce fait parce que, si l'on avait pris la peine de s'occuper de lui avec intelligence et sincérité, l'artiste était doué de manière à fournir une carrière fort honorable et profitable, non-seulement pour lui, mais pour les plaisirs du public et pour le théâtre qui aurait eu l'esprit et le bon goût de se l'attacher. »

 

Tout cela devait être répété pour mettre les choses au point et afin que le lecteur eût sous les yeux toutes les pièces du dossier. Je me suis ailleurs expliqué sur Ferdinand Poise. Pour Duprato, l'éloge qui se dégage de cette appréciation et de ces réflexions n'est point à dédaigner. L'un des compositeurs les plus distingués de ce temps, artiste fort honorable, l'un des plus ingénieux et des plus aimables de ce temps, plein de talent et doué de manière à fournir une carrière fort honorable et profitable, voilà ce que l'on affirme qu'il était. Eh ! mais, de combien en pourrait-on dire autant ? Combien voudraient obtenir ou mériter en ces termes pareils suffrages ? 

 

Si M. Duprato n'est pas apprécié par le gros du public, a écrit un autre, peut-être cela tient-il à ce que sa musique est trop discrète, trop élégante, trop fine pour porter sur la masse C'est un musicien intime, plein de tendresse voilée, de poésie pudique et de raffinements délicats. Il n'a jamais rien de vulgaire ni de lâché. Et, dans certaines œuvres, il a su enfler ses accents et s'élever à des hauteurs sereines et radieuses. Ne pas sacrifier à la mode, ne pas abaisser, ne pas avilir son talent, c'est très courageux, très désintéressé, très louable. C'est peut-être un tort, humainement s'entend, de ne pas chercher à plaire à la masse et de tenter, au contraire, de se rapprocher de l'idéal ce ne saurait être un défaut reprochable.

 

Nous avons dit en cheminant et par le menu, à propos de chaque ouvrage, avec toute sincérité et toute impartialité, ce qu'il en était advenu et ce qu'il convenait d'en penser. Il serait superflu de le redire. On s'en souvient et on peut s'y reporter. Ces détails successifs et authentiques mettent en assez bonne posture et placent assez haut notre compatriote pour rendre sa situation et son renom enviables. Saluons une dernière fois en lui la clarté, la fraicheur, la distinction des idées. Reportons-en avec orgueil le bénéfice et la gloire à notre beau ciel du Midi sous lequel il les trouva en recevant le jour. 

 

Je sais bien que Duprato n'aimait guère les musiciens touffus de la nouvelle école et que d'aucuns pourraient le lui reprocher. S'il ne les goûtait point, comme il avait l'audace de l'avouer, ce n'était pas faute de les comprendre, c'était peut-être parce qu'il les comprenait trop. Il eût été capable de la boutade de Gounod, à qui l'on n'a pourtant pas osé en faire un crime. A un jeune compositeur qui lui soumettait un de ses derniers travaux, l'auteur de Faust demanda, après l'avoir parcouru « Où est donc l'idée ? Je la cherche et ne la trouve pas ? » - « L'idée ? Il n'y en a point il n'en faut pas, ce ne serait pas de la musique nouvelle », répondit hautement le cadet. « Alors, répliqua le maitre, emportez vite votre partition. Nous ne pourrions nous entendre et mes avis vous seraient inutiles. » 

 

Duprato était dans ces sentiments. Ennemi des accords altérés, il l'était, lui, professeur d'harmonie au Conservatoire, non point par incapacité, par inhabilité à en faire, mais parce qu'il les trouvait désagréables à l'oreille. Il prétendait même que, pour les écrire, il n'est pas nécessaire d'être harmoniste ils se font tout seuls. Les résoudre naturellement, artistement, c'est autre chose là seulement est la difficulté. Elle n'aurait pas arrêté le maître. Quant aux jeunes outranciers, bien souvent ils la tournent ou la négligent. 

 

Duprato était de ceux, et, grâce au ciel, ils sont nombreux encore, qui croient qu'harmonie veut dire « ronsonnance ». Ceux-là cependant seraient, au dire des maîtres et des adeptes de l'école nouvelle, dans l'erreur la plus complète. Il est certain, en effet, que l'harmonie se transforme aujourd'hui. « Naguère le musicien qui écrivait des sons simultanés, c'est-à-dire qui faisait de l'harmonie, avait pour but de faire éprouver le plus souvent possible à l'auditoire la sensation du repos ; tantôt ce repos était fugitif, on l'appelait demi-cadence tantôt il était complet, on l'appelait cadence ; la dissonnance avait pour principale utilité de rendre le repos de la consonnance plus doux, après l'avoir fait désirer. Aujourd'hui l'harmonie, plus nerveuse (quelques-uns disent plus énervante), retarde, au contraire, le plus possible le repos consonnant elle laisse notre oreille dans une sorte d'inquiétude haletante qui a quelque chose de doux et d'émouvant. Une note retardée, quittant comme à regret l'accord qui précède, est pour nous une irritation qui a son charme ; empruntée, au contraire, à une harmonie non entendue, elle la fait pressentir, et cette attente est une émotion. Depuis les plus grands opéras jusqu'à la simple romance, partout on retrouve ces tendances que nous avons déjà signalées au siècle dernier et qui s'accentuent chaque jour davantage. C'est à elles que l'on peut attribuer aussi les modulations fréquentes, c'est à-dire les changements de tons qui font aujourd'hui partie de la langue musicale courante, dont ils n'étaient autrefois que l'exception. En résumé, de consonnante qu'elle était, l'harmonie tend surtout à devenir dissonnante. » (H. Lavoix fils, Histoire de la musique, p. 334 et 335).

 

Dieu me garde de dédaigner et de blâmer le progrès, même dans l'art divin de la musique. Mais on me permettra bien de crier à l'exagération. Si, comme il vient d'être expliqué, la dissonnance a son utilité et son agrément, c'est incontestablement pour rendre le repos de la consonnance plus doux, après l'avoir fait désirer. Le plaisir est donc dans la consonnance ; la dissonnance le prépare, elle l'aiguise en le retardant. Si vous le retardez trop, vous faites languir ; à prolonger l'attente de ce repos nécessaire, vous lassez, vous semez et prolongez l'ennui. Que si vous ne l'offriez jamais ou que trop rarement avant l'accord final, vous blesseriez fatalement l'oreille. J'accorde que la guérison est chose bonne et souhaitable ; mais j'admettrais difficilement que l'homme se rendît volontiers malade pour avoir le plaisir de se guérir la santé continue, quelque ennui puisse naitre de l'uniformité, vaudra toujours mieux qu'une maladie incurable, ou même simplement chronique. Outre qu'on ne se soumettrait pas volontiers à des coups de bâton, cet exercice prolongé pourrait bien entraîner la mort. 

 

L'âme est assurément aussi sensible que le corps et a besoin d'autant de ménagements que lui. Cette théorie, pour paraître banale, n'en est pas moins exacte. Félicitons ceux qui la suivent et louons Duprato de l'avoir pratiquée. Elle lui a réussi, du reste, dans la mesure du possible, et ce n'est pas de l'avoir appliquée qui a nui à sa réputation. Si elle lui fut profitable, elle le fut également à ses élèves. C'est par elle qu'il triompha personnellement ; c'est par elle qu'il triompha sous leurs noms. Je n'en voudrais citer aucun, pour ne froisser aucun amour-propre. J'ai dit ou insinué que, professeur émérite, dévoué, désintéressé jusqu'à la plus complète abnégation, Duprato avait, soit volontairement, soit avec résignation, savouré le plaisir, doux ou amer, suivant les cas, du sic vos non vobis. Ainsi, je peux bien répéter, puisqu'on l'a écrit et publié, qu'il ne marchandait pas à ce pauvre Firmin Bernicat, qui mourut jeune sur la voie du succès et qui fut son élève, ses conseils les plus pratiquement efficaces, et que la partition de François-les-Bas- Bleus se ressent de façon heureuse de la direction du maitre.

 

Je ne veux pas divulguer moi-même ce fait, quoique j'en aie lu la relation en divers endroits je me contente de vous adresser à Robert Planquette l'auteur que Les Cloches de Corneville ont rendu populaire. J'ai tout lieu de penser qu'il vous contera sans détour et sans réticence que ces joyeuses Cloches furent fondues et accordées, sinon avec l'aide dont il aurait peut-être quelque difficulté à préciser l'intervention plus ou moins importante, du moins sous les yeux attentifs de son professeur. C'est la loi naturelle que le maitre instruise ses élèves, qu'il les dirige, qu'il les prenne par la main pour les guider et les soutenir, qu'il revive en eux et que par eux il se perpétue. C'est là sa joie et son orgueil. Ce qui est moins dans l'ordre, c'est que le paon se dépouille volontairement où se voie sans protestation dépouiller de ses plumes en faveur même d'un frère. Et cependant Duprato a connu, il a subi ce déboire. « Qui ne sait qu'il a sa part, dit un de ses biographes, dans la réussite des… cette large mélodie que… a popularisée ? »  Qui ne sait ? Beaucoup peut-être ; beaucoup trop certainement. Aussi, pour ne point assumer la responsabilité d'une publicité nouvelle donnée à pareilles indications, j'omets le titre et le nom et je les remplace résolument par des points. Cela ne fait rien à l'affaire : la réputation de l'un y gagne aussi sûrement et autant qu'avec une précision plus grande, sans que celle de l'autre y perde rien. Tout le monde est ainsi satisfait : la vérité reprend ses droits et l'amour-propre ne reçoit aucune attaque. Un jour, continue le biographe, que nous écoutions ensemble un baryton chanter ces… M. Duprato nous prit le bras et nous dit sur un ton indéfinissable : On est heureux de n'être pas l'auteur de cela, parce que l'on peut dire que c'est beau. Le mot était juste, mais amer. » Le mot était juste cette constatation suffit à la vérité, à la louange du maître. Il était amer on imaginerait difficilement un auteur qui verrait sans émoi un autre que lui porter l'honneur de ses œuvres. Admirons la réserve, digne et vaillante à tout prendre, de notre compositeur, sans lui reprocher trop un soupir de regret échappé à sa résignation et à sa patience. Plus de stoïcisme serait au-delà de l'humanité ce serait d'une indifférence incompréhensible et coupable. A ces traits, qui nous révèlent l'artiste, le compositeur, le professeur, joignons ceux sous lesquels nous avons contemplé successivement le fils, l'époux, l'ami, l'homme du monde. Nous aurons la physionomie entière, l'aspect général, et combien digne d'étude, d'intérêt et de sympathie, do celui que nous désirions connaître et faire apprécier.

 

C'est à cette personnalité si honorable que Paris a voulu rendre hommage. C'est de cet artiste si distingué que les artistes les plus célèbres de la capitale ont tenu à glorifier le nom et à perpétuer le souvenir. L'illustre architecte de l'Opéra, M. Charles Garnier, qui fut son camarade à la Villa Médicis, a revendiqué le droit de dresser le plan du tombeau qui lui a été érigé au cimetière Montmartre. M. [Gabriel] Thomas, l'éminent sculpteur, a fait de lui pour ce monument un très beau médaillon.

 

[…]

 

 

 

CATALOGUE DES ŒUVRES

 

Œuvres théâtrales : [16]

Les Trovatelles, 1 acte, paroles de Michel Carré et Jules Lorrin, Colombier, éditeur (28 juin 1854, Opéra-Comique). 

Paquerette, 1 acte, paroles de E. Grangé et La Rounat (2 juin 1856, Opéra-Comique). 

M'sieu Landry, 1 acte, paroles de Camille du Locle, Choudens, éditeur (24 novembre 1856, Bouffes-Parisiens). 

La Villa Médicis, 3 actes, en collaboration avec Jacques Offenbach, paroles de Victorien Sardou et Nestor Roqueplan (opéra-comique non représenté, ni édité).

Salvator Rosa, 3 actes, paroles de E. Grangé et Trianon, Gérard éditeur (30 avril 1861, Opéra-Comique). 

Pour La Bohémienne, de Balfe, [écrit les] raccords, récitatifs, deux morceaux nouveaux (1862, Théâtre des Arts, à Rouen). 

L'Ilusion, d'Hérold. Adaptation pour l'Opéra (non encore utilisée). 

La Déesse et le Berger, 2 actes paroles de Camille du Locle, Richault, éditeur (21 février 1863, Opéra-Comique). 

Gazouillette, [1 acte, paroles de Cormon et Monrose] destiné à l'Opéra-Comique, puis à l'Athénée (1864) (ni représenté, ni édité). 

Le Baron de Groschaminet, 1 acte, [paroles de Nuitter], (24 septembre 1866, Fantaisies-Parisiennes). 

Sacripant, 2 actes, paroles de Philippe Gille, (24 septembre 1866, Fantaisies-Parisiennes). 

Le Chanteur florentin, 1 acte, [paroles de Gustave et Alfred Blau], (29 novembre 1866, Fantaisies-Parisiennes). 

La Fiancée de Corinthe, 1 acte, paroles de Camille du Locle, Heugel, éditeur (21 octobre 1867, Opéra).

La Tour du chien vert, 3 actes, [paroles de Philippe Gille], ([24] décembre 1871, Folies-Dramatiques). 

Le Cerisier, 1 acte, paroles de Jules Prével (15 mai 1874, Opéra-Comique). 

Le Prince noir, paroles de Victor Capoul (ni représenté, ni édité). 

 

Œuvres diverses :

Messe solennelle, exécutée devant S. S. le Pape Pie IX, Envoi de Rome. 

Symphonie pour orchestre, Envoi de Rome, Durdilly, éditeur. 

Cantate, paroles de Trianon (15 août 1859, Opéra-Comique).

Cantate, paroles de Beaumont (15 août 1861, Opéra-Comique). 

Cantate (janvier 1864, inauguration de l'Athénée). 

Cantate (15 août 1864, Opéra). 

La Reine Mozab, opérette parue dans Le Magasin des Demoiselles

Une Promenade de Marie-Thérèse, opérette, Schott, éditeur. 

Marie Stuart au château de Lochleven, opérette, Schott, éditeur.

Les PalmesLa Double fête, Les Vacances, chœurs à trois voix égales pour distributions de prix.

Trois Morceaux mélodiques pour piano et violon.

Six Romances sans paroles pour piano. 

La Plainte, mélodie.

Mon Cœur que faut-il faire ?, mélodie. 

La Rivière, mélodie.

La Maisonnette, mélodie.

C'est tout le contraire, mélodie.

La Petite Madelon, mélodie.

Le Dépit amoureux, mélodie.

Tout rend hommage à la beauté, mélodie.

Adieux à Suzon, mélodie.

La Fontaine de Palerme, mélodie.

Six Sonnets, poésies de Camille du Locle, Heugel, éditeur. 

Barcarolle, poésie de Camille du Locle, Aymard-Dignat, éditeur. 

Sous les églantiers, poésie d'Emilie Ducrey-Duprato, mélodie publiée dans La Semaine artistique et musicale (12 janvier 1889). 

 

Et autres œuvres gravées ou manuscrites dont les titres nous échappent et dont nous n'avons pu retrouver les traces. [17]

Paul Clauzel

(Mémoires de l’Académie de Nîmes,

tome XVII, année 1894)



Toutes les notes suivantes sont de la rédaction de Musica et Memoria (D.H .M., mai 2019) :

 

[1] La famille Duprato est originaire de l’est de la France. Son père, Jean-Baptiste Duprato, est né le 3 juillet 1764 à Metz (Moselle), fils de Jean-Jaclin Duprato, né vers 1735, vivant de ses rentes dans cette ville, et de Marie-Anne Delon. Artiste dramatique, tout comme le seront ses deux filles et son gendre, il parcourt la France et la Belgique pour se produire. C’est ainsi qu’il meurt au Havre (Seine-Maritime) le 7 juillet 1820 chez sa fille Césarine qui y est provisoirement domiciliée.

 

[2] Césarine Duprato est née, non pas à Metz, mais à Charleville (Ardennes) le 9 ventôse an III (27 février 1795). Restée célibataire toute sa vie, elle avait déjà donné naissance à un fils, Charles Duprato, le 3 juin 1819 à Elbeuf (Seine-Maritime), avant que sa carrière de comédienne sous le nom de « Mlle Duprato aînée » ne la conduise à Nîmes, où on la trouve en représentation de 1825 à 1827. Elle est décédée à Paris, où elle s’était fixée, le 15 septembre 1872 dans son logement situé 15 rue Neuve Coquenard (actuelle rue Lamartine), qu’elle partageait avec son fils Jules.

 

[3] Le père de Jules Duprato n’est pas connu, néanmoins, à l’époque l’un des rédacteurs en chef du Figaro, B. Jouvin, fournit une piste dans son article consacré à la première des Trovatelles à l’Opéra-Comique (édition du dimanche 2 juillet 1854), dans lequel nous relevons ces lignes : […] L'auteur des Trovatelles est le fils d'un directeur de théâtre de province, sa mère, artiste de talent, jouait dans la troupe de son mari l'emploi des Dugazons. Arrivé fort jeune à Paris, M. Duprato n'eut d'autre ressource que d'entrer à l'Ambigu avec le grade de timbalier. Il portait à cette époque le nom de Hinard, qui est celui de sa mère […] Ainsi, ce patronyme « Hinard » (en réalité « Inard »), pourrait fort bien être non pas celui de sa mère, dont on sait qu’elle était une Duprato, mais celui de son père, d’autant plus qu’il se rencontre couramment à Nîmes à cette époque ? On note que Jules Duprato, lors de ses études au Conservatoire et jusqu’en 1848, était connu sous le nom de « Inard Duprato ».

 

[4] Autre erreur commise par le scribe de la Mairie de Nîmes qui a rédigé cet acte de naissance : le nom de la mère de Césarine n’est pas Marie-Catherine Guiraud, mais Marie-Catherine Diot comme l’attestent plusieurs autres actes d’état-civil dressés, entre autres, à Charleville, Le Havre et Marseille.

 

[5] Diot et non Guiraud (voir supra).

 

[6] Laurence Duprato, sœur cadette de Césarine, est née le 27 septembre 1796 à Liège (Pays-Bas). Comédienne, elle a principalement joué à Mons (1822), puis à Marseille et enfin à Lyon, connue sous le nom de « Mlle Duprato cadette », puis « Mme Breton ». A Marseille, elle épouse le 9 mai 1827 un parisien, Joseph-Nicolas Breton (1802-1853), également artiste dramatique. Parmi les témoins à cette union on relève le nom de Charles-Joseph Moullin, âgé de quarante-deux ans, professeur de musique à Marseille, 15 rue Grignan. Laurence Duprato est morte le 4 janvier 1881 à Lyon.

 

[7] Joseph Breton (voir note précédente).

 

[8] « Admis au Conservatoire, il s'éprit d'un violent amour pour une de ses jeunes camarades, pauvre comme lui, comme lui escomptant l'avenir et le dépensant en espérances. Le mariage, agréé par les parents de la jeune fille, fut remis à des temps meilleurs. En attendant, la promise était engagée aux Concerts populaires de la rue Vivienne, y chantait sous le nom de Mlle Ravignan, et suivait un cours de chant sous la direction du timbalier amoureux. Une brouille survient, et voici le mariage projeté qui s'en va à vau-l'eau. Ce fut un désespoir d'amour qui inspira au jeune Hinard la résolution de n'aimer dorénavant que son art et de ne courtiser que la musique. Après un travail opiniâtre, il concourut pour le grand prix de Rome en 1848, et sa nomination de lauréat fut acclamée entre deux émeutes. Cinq ans s'écoulèrent sans qu'on entendît parler du jeune musicien. L'an passé seulement, à son retour d'Italie, la tête pleine de chants et la bourse vide, il allait frapper à la porte de Mlle Ravignan, qui, sous son vrai nom, celui de Léocadie Lemercier, avait fait fortune à l'Opéra-Comique pendant ce temps-là. La spirituelle actrice l'accueillit avec son sourire d'autrefois, se montra heureuse de patronner la jeune gloire qui ne demandait pas mieux que de naître, et accepta avec empressement le rôle de feinte dans l'opéra des Trovatelles…» B. Jouvin, in Le Figaro (op. cit.) Notons que peu après Mlle Lemercier (Blois, 1827 – Paris, 1907), attachée à l’Opéra-Comique de 1846 à 1852, morte célibataire, renonça au rôle au profit de Mlle Decroix.

 

[9] En réalité un deuxième prix d’harmonie et d’accompagnement pratique obtenu en 1845 dans la classe de Félix Le Couppey. En 1847, il décroche également un 1er accessit de contrepoint et fugue dans la classe de Leborne.

 

[10] Confusion de l’auteur : il s’agit de Paul Lacroix (1806-1884) et non de son frère Jules Lacroix (1809-1887), tous deux écrivains.

 

[11] C’est au cours de cette année 1848 qu’il écrit ses premières œuvres sous le nom de « Jules Inard Duprato » qu’il abandonnera peu après pour le seul nom de « Jules Duprato » : un duo pour deux soprani Rosine et Dominica (paroles de Valeaud), édité chez Richault, 16 boulevard Poissonnière, 3 romances publiées chez le même éditeur : La Belle Inès, paroles d’Auguste Rollet, Vous viendrez demain, paroles de Ch. Aubry et Marie, paroles de Ch. Dupressois, ainsi qu’un morceau pour l’orphéon pour le « Concours pour la composition des chants nationaux », ouvert par arrêté du Ministre de l’Instruction publique du 27 mars 1848 et clos le 1er mai 1848, auquel seront soumis environ 800 morceaux : Une Nuit républicaine, scène pour deux chœurs, qui reçoit une médaille de bronze.

 

[12] Arrivé à Rome en janvier 1849, il quitte la Villa Médicis en décembre 1850 pour voyager durant deux années en Italie et en Allemagne, et rentre à Paris en 1853.

 

[13] Durant son séjour, on lui doit pour ses « envois de Rome » : une Messe solennelle (1849, 1ère année), une autre Messe solennelle à six voix, pour soli, chœur et orchestre, exécutée le 22 janvier 1851 à Saint-Louis-des-Français (Rome), ainsi que des fragments (acte 2) d’un opera seria intitulé Eufemia di Messina ovvero la distruzione di Catani (1850, 2ème année) et une Symphonie en si bémol majeur, en 4 parties (1851, 3ème année).

 

[14] Née le 18 mars 1853 à Paris. A leur mariage, célébré à la Mairie du neuvième arrondissement parisien, 4 artistes amis sont leurs témoins : Félix Chabaud, sculpteur et médailleur, 1er grand prix de Rome 1848 en gravure de médaille et pierre fine, Jules Costé, compositeur d’opéras et d’opérettes, Francis Thomé, pianiste et compositeur (ancien élève de Duprato au Conservatoire de Paris) et Georges Donay, compositeur. D’une précédente relation avec Marie-Héloïse Cazassus (Bordeaux, 1842 – Paris, 1891) Jules Duprato avait eu un fils : Jules-Louis Duprato, né à Paris le 5 février 1866, mais sa destinée n’est pas connue.

 

[15] A l’époque, c’est Louis Weber (1827-1915) qui est l’organiste du temple luthérien de la Rédemption (16 rue Chauchat, Paris 9e) avec un orgue Cavaillé-Coll de 1843. Le quotidien La Presse, édition du mardi 24 mai 1892, nous relate quelques détails sur la cérémonie : Les obsèques du compositeur Jules Duprato ont eu lieu hier après-midi. M. Roujon, directeur des Beaux-Arts était représenté par M. des Chapelles ; assistaient également à la cérémonie qui a été célébrée par M. le pasteur Kuhn, au temple de la rue Chauchat, MM. Nuitter, Paul Henrion, Truffier, Jules et Félix Cohen, Ernest Boulanger, Paul Puget, etc. M. Taskin a chanté un cantique mis en musique par Duprato, et un élève du défunt a chanté un morceau du « Berger de la Déesse » [sic, au lieu de La Déesse et le Berger].

 

[16] Manque dans cette liste : La Gajeure d’Adrienne (1 acte), opéra-comique, paroles d’Eugène Adonis (Buttner), Le Bonhomme Hiver (1 acte), opéra-comique, paroles de Paul Célières (Enoch) et Piccolino (3 actes), opérette, paroles de Victorien Sardou (Heu).

 

[17] Entre autres : Le Retour des hirondelles, chœur à 3 voix égales et piano, paroles de Camille du Locle (Lemoine), Salut Paris !, chœur à 4 voix d’hommes, paroles d’Albert Vernaëlde (Deplaix & Cie, 1893), un O salutaris pour soprano ou ténor et orgue, un Ave verum pour 3 voix, orgue et quatuor de saxophones (1878), et d’autres pages pour piano : Minuetto capriccioso (Enoch), Saltarello (Enoch), Mazurka. Concernant les mélodies, ajoutons que Duprato en a composé un grand nombre, une soixantaine environ ; seules quelques-unes sont citées dans le texte de Clauzel. Mentionnant plus particulièrement ici 3 autres écrites sur des paroles de son épouse Emilie Ducrey : Portrait (Heugel, 1883), L’Infidèle (Société anonyme d’édition mutuelle de musique, 1889) et A l’absente (non éditée). N’omettons pas enfin de signaler qu’il avait composé en 1870 des arrangements pour 4 voix d’hommes, ou encore pour chœurs et orchestre de La Marseillaise, restés à l’état de manuscrit, et que plus tard, en 1887, aux côtés de J. Massenet, L. Delibes, E. Guiraud, T. Dubois, C. Lenepveu, E. Jonas, A. Sellenick et L. Gastinel, il fit partie de la Commission, nommée par arrêté du Ministre de la guerre de janvier 1887, pour établir le texte mélodique et harmonique officiel de ce chant patriotique (arrangement pour une voix avec accompagnement).

 

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