A Joachim Havard de la Montagne,

lointain successeur d’André Messager

à l’église Sainte-Marie-des-Batignolles,

hommage filial

 


André MESSAGER

musicien d’église, chef d’orchestre, directeur de théâtres, Maître de l’opérette

(Montluçon, 30 décembre 1853 – Paris, 24 février 1929)


 

(photo H. Manuel, coll. BNF-Gallica) DR.

 

Etonnant destin que celui d’André Messager qui fit toutes ses études musicales à l’« Ecole de musique religieuse », plus communément appelée Ecole Niedermeyer du nom de son fondateur, et devint ensuite homme de théâtre et maître incontesté de l’opérette. Artiste complet, curieux de tout, s’intéressant aussi bien à la publication des œuvres de Bach, au Festival Wagner à Bayreuth, à la musique de jazz et à Pelléas et Mélisande qu’il crée à l’Opéra-Comique le 3 avril 1902 et dont il fut l’un des premiers défenseurs, André Messager doit certainement beaucoup à sa formation musicale reçue dans l’établissement du passage des Beaux-Arts, où Niedermeyer et ses successeurs s’efforçaient de dispenser un enseignement moins sclérosé que celui officiel du Conservatoire, alors un peu trop axé sur les normes du théâtre italien. Il n’est pas contestable que l’Ecole Niedermeyer ait largement participé au renouveau de la musique française en cette fin du XIXe siècle, dont la spécifité avait été perdue au profit des Italiens puis des Allemands. Gabriel Fauré, Eugène Gigout, Albert Périhlou, Léon Boëllmann, Alexandre Georges, Henri Busser et Eugène Borrel, qui ont tant œuvré en ce sens, sont tous des purs produits de cette école, sans omettre Camille Saint-Saëns qui y enseigna longtemps. Parlant de la comédie musicale Fortunio de Messager, qui venait d’être représentée le 5 juin 1907 à l’Opéra-Comique, Fauré écrivait : « Il n'y a pas beaucoup d'exemples dans l'histoire de la musique d'un artiste d'une culture aussi complète, d'une science aussi approfondie, qui consente à appliquer ses qualités à des formes réputées, on ne sait pourquoi, secondaires. Avoir osé n'être que tendre, exquis, spirituel, n'exprimer que la galanterie des passions, avoir osé sourire alors que chacun s'applique à bien pleurer, c'est là une audace bien curieuse pour ce temps. Et c'est surtout l'affirmation d'une conscience d'artiste », et le musicologue Pierre Lalo[1] : « Son cas musical est bien plus que singulier, bien plus qu’exceptionnel : il est unique. De tous les musiciens qui, à cette époque, ont composé des opérettes, lui seul a été un musicien. »

17 avril 1874, lettre de Gustave Lefevre au Ministre de l'Instruction publique et des cultes l'informant que l'élève Messager vient de quitter l'Ecole de musique religieuse "pour occuper la place d'organiste accompagnateur à l'église St Sulpice"
(AN. Paris, F19-3952, coll. DHM) DR.

 

A l’âge de 15 ans, en octobre 1869 André Messager franchit pour la première fois la porte d’entrée de l’Ecole Niedermeyer tout nouvellement installée 10 Passage des Beaux-Arts (actuelle rue André-Antoine), près de la place Pigalle, en provenance de la rue Neuve-Fontaine-Saint-Georges (actuelle rue Fromentin), située en plein Montmartre où elle avait été fondée en décembre 1853. « J’entrai à l’Ecole Niedermeyer, dirigée alors par Gustave Lefèvre, le maître le plus affectueusement dévoué à ses élèves que j’aie jamais rencontré et où je fis complètement mes études musicales. »[2] Ses parents, ruinés par des placements boursiers hasardeux, s’étaient enfin résolus à satisfaire les désirs de leur fils qui souhaitait faire une carrière musicale, bien qu’ils eussent préféré un métier dans l’administration. Sur proposition de Mgr de Dreux-Brézé, évêque de Moulins, par arrêté du 30 septembre 1869 du Ministre des cultes le jeune Messager obtenait l’une des 36 demi-bourses mises par lui à la disposition des évêques et archevêques de France. Le choix de cette école de musique où l’on faisait de solides études, renommée à l’époque, en dehors du fait que des aides financières pouvaient être obtenues, est sans aucun doute dû à Jean-Albert Albrecht, le professeur de musique d’André Messager à Montluçon. Alsacien de naissance, il avait en effet lui-même fréquenté cet établissement dès son ouverture à Paris, au moment où Fauré et Gigout y étaient également élèves. Après un passage en 1860 à l’orgue de l’église de Bourganeuf (Creuse), il fut ensuite nommé organiste à Montluçon et devint vers 1866 le premier professeur de musique « sérieux » d’André Messager qui jusque là avait végété auprès de professeurs peu expérimentés. Albrecht enverra plus tard (1881) son propre fils aîné, prénommé également Jean-Albert, étudier la musique dans cet établissement et à son tour celui-ci ferra une longue carrière d’organiste à Monluçon.

 

Fondée en 1853 par Louis Niedermeyer afin de former les organistes et maîtres de chapelle en étudiant la musique sacrée, ainsi que les chefs d’œuvres classiques des grands maîtres des XVe, XVIe et XVIIe siècles, l’Ecole de musique religieuse recevait une quarantaine d’élèves en internat. Admis entre 12 et 14 ans en moyenne, les élèves en ressortaient 5 ou 6 ans plus tard, un diplôme de « Maître de chapelle et Organiste » en poche, dûment signé par le Ministre des Cultes, « pourvus d’une position plus ou moins lucrative, mais toujours suffisante pour leur assurer une existence honorable ». Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle bon nombre d’organistes et maîtres de chapelles à travers toute la France étaient des anciens de chez Niedermeyer. Leur culture générale et musicale était vaste et leur permettait également d’occuper des fonctions hors l’église : professeur de musique d’établissement scolaire, chef de musique, directeur de société philharmonique ou orphéonique, chef de chant, compositeur…

 

L’enseignement littéraire, que ne dispensait pas le Conservatoire, comprenait la langue française, l’histoire, la géographie, le latin ; l’enseignement musical le solfège, le chant, le piano, l’orgue, l’harmonie, le contrepoint, l’instrumentation et l’histoire de la musique. Fauré, qui fit toutes ses études musicales dans cet établissement de 1854 à 1865, raconte en 1908 dans l’article qu’il écrivait alors sur Messager[3] : « L’un et l’autre nous fumes élèves de cette école Niedermeyer qui, sans grand bruit et sans grand vacarme, fit de si bonne, de si utile besogne pour la musique. Bien nombreux sont les organistes, les compositeurs qui doivent à son enseignement le meilleur de leur talent ; et ce m’est un devoir très doux que d’adresser, chaque fois que je le puis, un hommage de reconnaissance à la vieille Ecole. »

 

Lorsque André Messager entre à l’Ecole Niedermeyer son fondateur est mort depuis 8 ans et elle est alors dirigée par son gendre Gustave Lefèvre, qui y enseigne également la composition, l’accompagnement et l’histoire de la musique. Les professeurs, tous des musiciens reconnus, ont pour noms Eugène Gigout (harmonie, fugue, plain-chant), autre gendre de Louis Niedermeyer, Edouard Marlois (solfège et harmonie pratique), Clément Loret (orgue), Louis Besozzi et Adam Laussel (piano). L’enseignement du piano tant il est pittoresque mérite de s’y arrêter quelques instants en compagnie du compositeur et organiste alsacien Marie-Joseph Erb (1858-1944), élève également de Liszt à Weimar, qui en parle en ces termes dans ses souvenirs[4] intitulés « Mon entrée à l’Ecole Niedermeyer » [en octobre 1874] : « Dans une grande salle, qui servait aussi de salle de théâtre, étaient rangés, le long des murs, une trentaine de pianos droits. Entre ces pianos s’allongeaient deux longues files de pupitres-casiers, auprès desquels, sur de longs bancs de bois, étaient assis une partie des élèves plongés dans leurs travaux d’harmonie, d’accompagnement, de plain-chant, de contrepoint, de fugue ou de composition, pendant que l’autre partie s’exerçait avec fureur sur des casseroles-pianos s’étageant le long des murs. Exercice de concentration formidable, obligeant les élèves à ne penser qu’à leur travail individuel, soit d’écriture ou de piano, au milieu de ce train d’enfer tonnant autour d’eux. »

 

Saint-Saëns, qui y avait autrefois enseigné le piano de 1861 à 1864, fit ensuite longtemps partie du Comité des Etudes, dont il prit la présidence au bout de quelques années. Parmi les condisciples de Messager figurent notamment Achille Dupont, futur titulaire du grand orgue de l’église Saint-Pierre de Caen et père du Prix de Rome Gabriel Dupont, Aloÿs Claussmann qui sera plus tard organiste de la cathédrale de Clermont-Ferrand et directeur du Conservatoire de cette ville, et Georges Miné, fils de l’organiste Adolphe Miné qui fit carrière à Paris, puis à Chartres, auteur d’ouvrages faisant autorité. Elève de Lefèvre, Gigout, Laussel et Loret, André Messager reçoit également les conseils de Saint-Saëns « virtuose incomparable et compositeur d’un génie audacieux », qui lui fait découvrir les subtilités de la musique française, mais également Wagner et Liszt. Il conservera d’ailleurs envers lui une profonde admiration, le considérant comme l’un « des plus grands musiciens de tous les temps ». En 1907, il écrit : « …je lui fais […] volontiers hommage des éloges que j’ai pu mériter au cours d’une carrière toute dévouée à la musique. Et je suis heureux de partager la faveur très rare d’être élève de Saint-Saëns avec mon vieil ami Gabriel Fauré, qui conserve à notre maître commun un culte fervent. »[5]

 

Clément Loret (1833-1909), le professeur d’orgue d’André Messager à l’Ecole Niedermeyer où il enseigna durant plus de 40 ans (1858 à 1901), forma plus de 400 organistes. Issu d’une famille de facteurs d’orgues belges, il avait été l’élève de Nicolas Lemmens au Conservatoire de Bruxelles (1er prix d’orgue en 1853), avant de s’installer à Paris en 1855. Auteur de motets, de pages pour piano, pour harmonium et pour orgue, d’une remarquable transcription pour orgue et orchestre des Concertos de Haendel, il fut longtemps titulaire de l’orgue de Saint-Louis-d’Antin et a notamment écrit une Méthode d’orgue en quatre parties (op. 19, l’auteur, 1877). Quant à son professeur de piano, Adam Laussel (1845-1893), c’était un ancien élève de l’Ecole qu’il avait fréquentée de 1858 à 1864 et où il avait obtenu en 1862 un 1er prix d’excellence (ex-æquo avec Gabriel Fauré) dans la classe de piano de Saint-Saëns. Il était également organiste de Saint-Ambroise mais gagna le midi au début des années 1870 pour des raisons de santé. Messager eut également quelque temps pour professeur de composition Fauré avec lequel il se lia rapidement d’amitié. C’était en 1871, à Cours-sous-Lausanne (Suisse) où s’était retirée l’Ecole Niedermeyer durant les troubles de la guerre de 1870 et de la Commune. « Les premiers entretiens, je n’ose pas dire les premières leçons, suffirent à nous convaincre que nous étions faits pour être des amis ; et, depuis ce temps, cette amitié, j’en suis très fier et très heureux, ne s’est jamais démentie. »[6]

 

Année scolaire 1871-1872, quelques élèves et professeurs de l’Ecole de musique religieuse et classique de Niedermeyer. De g. à dr., 1er rang assis, les professeurs : Alexandre Georges (1850-1938), compositeur, professeur et organiste à Paris - Gabriel Fauré (1845-1924), compositeur, pianiste, organiste et professeur - Gustave Lefèvre (1831-1910), compositeur et pédagogue, directeur de cette école, gendre de Niedermeyer, beau-frère d’Eugène Gigot et beau-père de Léon BoëllmannEugène Gigout (1844-1925), compositeur, organiste et professeur.
2ème rang : Michel Boidin (1852-ap.1920), organiste à Péronne (Somme) – Eugène Hétuin (1854-1928), organiste à Saint-Lô (Manche) et professeur de musique – Charles Bresselle (1854-av.1911), organiste à Montpellier – Xavier Oberlé (1851-1924), organiste à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) – Jules Stoltz (1848-1906), organiste à Paris, 1er professeur d’Albert Roussel, frère du facteur d’orgue Edouard Stoltz – Georges Dieudonné (1851-1923), organiste à Orléans (Loiret) et professeur de musique – André Messager (1853-1929), organiste à Paris puis chef d’orchestre, directeur de l’Opéra – Georges Langlane (1848-ap.1914), organiste à Cahors (Lot) puis à Paris, professeur de musique, chef d’orchestre, installé à Lorient (Morbihan) en 1907.
3ème rang : A. Girard (c.1850-1875), organiste à Paris, décédé à l’âge de 25 ans – Alphonse Dornbirrer (1853-ap.1914), organiste à Reims (Marne) – Edouard Thomas (1853-1884), organiste à Marle (Aisne) puis à Bar-le-Duc (Meuse), mort à l’âge de 31 ans – Raymond Leibner (1854-ap.1912), pianiste, professeur et compositeur – Henri Boncourt (1856-1910), organiste à Cognac (Charente), puis chef de la fanfare "La Fraternelle" et de l'Union chorale de Guise (Aisne – Munier (prix d’honneur en 1874).

(coll. BnF-Gallica) DR.

André Messager apprend l’orgue sur un instrument dû au facteur Aloys Mooser (1770-1839), le célèbre constructeur du grand orgue de la cathédrale de Fribourg, que George Sand estime dans sa Xème Lettre d’un voyageur être « le plus bel orgue qui ai été fait jusqu’ici ». Modeste (16 jeux, 2 claviers), il avait été fabriqué pour le beau-père de Louis Niedermeyer, M. Des Vignes de Givrins, résidant au château de Genollier, au pied du Jura Suisse, qui en fit don à l’Ecole lors de son ouverture en décembre 1853. A bout de souffle, peu après le départ de l’Ecole de Messager, il fut remplacé par un orgue Merklin. L’enseignement que dispensait Clément Loret était très complet, visant la technique et la pratique de l’instrument avec les principes suivants[7] :

 

- Premiers exercices pour familiariser l’élève avec les difficultés qui se rencontrent dans les œuvres classiques, par des combinaisons de doigté.

- Jeu lié. Indépendance des doigts. Accords liés. Erreur de croire que la difficulté réside dans le jeu des pédales ; elle est dans le jeu des doigts. Quand on possède un bon doigté, on a vaincu la plus grande partie des obstacles.

- Etude du pédalier.

- Sonorité. Combinaison des registres.

- Résumé historique de l’orgue.

- Transposition. Accompagnement du plain-chant.

- Improvisation, qui implique la connaissance de l’harmonie et de la fugue.

- Théorie des suites d’accords, hardiesse moderne par la réalisation des accords dissonants et leur attaque sans préparation.

 

Cette méthode d’enseignement, accomplie et habilement conçue, a très certainement joué un grand rôle dans la formation musicale de Messager. Elle fut d’ailleurs adoptée par la suite par le Conseil supérieur du Conservatoire National de Musique de Paris.

 

André Messager, comme tous les élèves de l’Ecole Niedemeyer, participait activement aux manifestations de la Société des Concerts de l’Ecole, créée en 1872 par Gustave Lefèvre. Lors des concerts, très appréciés par le public parisien car l’on pouvait y entendre des œuvres de Palestrina, Vittoria, Roland de Lassus, Bach et Haëndel alors peu connus en France, les élèves avaient la faculté de « s’exercer aux fonctions de chef de chœur et d’organiste pour lesquelles ils sont formés. » Henri Letocart, futur maître de chapelle de Saint-Pierre de Neuilly, directeur des « Amis des cathédrales » fondés en 1912, membre de la Société française de musicologie, qui fréquenta l’Ecole entre 1879 et 1884 avant d’intégrer la classe d’orgue de César Franck au Conservatoire de Paris, nous apporte quelques détails dans ses Souvenirs [8] : « …le Directeur, Gustave Lefèvre, nous groupait en chœur, et, sous sa direction, nos voix ingrates d'adolescents arrivaient, tant bien que mal, à nous donner une idée de l'œuvre interprétée. En plus de quelques concerts publics organisés par la direction de l'Ecole et pour lesquels notre groupement choral était fortement renforcé par des chanteurs et chanteuses amateurs et professionnels, il y avait annuellement, le Vendredi Saint, un concert à la Sainte Chapelle. […]. Ces séances attiraient dans ce joyau architectural du XIIIe siècle un public nombreux. Malheureusement cette artistique manifestation annuelle cessa en l882, les pouvoirs publics refusant la chapelle sous le prétexte que le passage des auditeurs détériorait le pavage... »

 

René Duhamel, futur organiste de l’église Saint-Aignan de Chartres (Eure-et-Loir), qui fréquenta un peu plus tard l’Ecole nous livre d’autres précisions sur ces concerts : « Les études étaient longues et sérieuses, les exécutions étaient parfaites. Les répétitions avaient lieu le soir dans la salle d’orgue de l’Ecole. Souvent on passait toute une séance à travailler les détails d’une seule œuvre, notre Directeur recommençant sans cesse, avec une patience qui ne lassait jamais notre étourderie d’écolier. Tout à coup, sa figure palissait, de grosses larmes coulaient de ses yeux, et nous apprenaient que la répétition était finie, l’œuvre étant au point voulu. »[9]

 

Au début de l’année 1874, Fauré quitte l’orgue de chœur de l’église Saint-Sulpice où il avait été appelé en octobre 1871, pour devenir le suppléant officiel de Saint-Saëns au grand orgue de l’église de la Madeleine. Sur proposition de Gustave Lefèvre, André Messager, qui vient de terminer ses études musicales, est nommé organiste accompagnateur de Saint-Sulpice et fait ainsi ses premières armes de musicien d’église. Il dispose d’un instrument construit en 1858 par Aristide Cavaillé-Coll comportant 21 jeux, répartis sur 2 claviers et un pédalier. Installé au sol, au fond du chœur, cet orgue, qui fonctionne encore de nos jours, a souvent été comparé à un véritable grand orgue en raison de sa composition très complète et de sa puissance. Au moment de l’arrivée de Messager à Saint-Sulpice Widor tient le grand orgue depuis 1870 et Charles Bleuzé dirige la maîtrise. A cette époque les fonctions d'organiste accompagnateur sont assez modestes et consistent principalement à accompagner les chants de la maîtrise, parfois renforcée par le chœur du séminaire de la place Saint-Sulpice. Messager, tout comme ses prédécesseurs fut certainement amené à écrire quelques pages pour orgue, ou encore des motets ou cantiques de circonstance, mais aucune de ses œuvres ne semble avoir été conservée, à l’inverse de Fauré qui composa pour cette église un Tu es Petrus pour baryton solo, chœur mixte et orgue, dont Widor rappelait plus tard[10] le grand effet de cette page lorsqu'elle était donnée sous les voûtes de Saint-Sulpice par le grand chœur du séminaire. Dans la notice[11] sur André Messager que Widor avait lue à l’Académie des Beaux-Arts lors de sa réception en 1926, il décrit sa collaboration avec son jeune confrère : « Grand orgue et orgue du chœur se répondaient du tac au tac, saintement, liturgiquement, en parfaite harmonie. Souvent l’un proposait un thème que l’autre développait. Plus souvent, j’interrogeais mon collègue du chœur, implorant sa critique sur l’interprétation d’une œuvre, son effet à distance, vu l’amplitude d’une nef de cent mètres de long. »

 

L’orgue en effet n’est pas un simple instrument, c’est tout un orchestre à lui tout seul que l’organiste doit parfaitement maîtriser. Il réclame une vaste culture, une technique parfaite et l’artiste doit en outre faire preuve d’une science très difficile à acquérir : l’improvisation. Celle-ci réclame simultanément la création d’une mélodie, son arrangement harmonique et sa traduction par des sonorités appropriées. Il doit en outre être un musicien complet, savoir jouer du piano, pratiquer l’orchestration, connaître la littérature musicale. Ne devient pas un bon organiste qui veut ! En ce dix-neuvième siècle, le caractère grandiose et mystique de l’orgue est fréquemment souligné par les écrivains. Balzac, dans La Duchesse de Langeais écrit en 1833 : « L’orgue est certes le plus grand, le plus audacieux, le plus magnifique de tous les instruments créés par le génie humain. Il est un orchestre entier, auquel une main habile peut tout demander, il peut tout exprimer. N’est-ce pas en quelque sorte, un piédestal sur lequel l’âme se pose pour s’élancer dans les espaces lorsque, dans son vol, elle essaie de tracer mille tableaux, de peindre la vie, de parcourir l’infini qui sépare le ciel et la terre ? », Victor Hugo, en 1835, dans Les chants du crépuscule (Dans l’église de...), parle de « L’ardent musicien qui sur tous à pleins bords / Verse la sympathie / L’homme-esprit n’était plus là dans l’orgue, vaste corps / Dont l’âme était partie. » et plus tard le poète Jules Laforgue, dans Apothéoses : « L’orgue éperdu tremblant ses appels, / Ou roulant  comme une tempête, / Tout délirait en chœur, vers mon si morne cœur. »

 

A l’époque où André Messager exerce à l’église Saint-Sulpice l'organiste de chœur doit au moins assurer le service de deux messes le dimanche, une messe et Salut chaque jeudi ainsi que le premier vendredi du mois, Vêpres et Salut chaque dimanche et fête, soit plus de 300 présences aux services paroissiaux.

 

En avril 1879 André Messager quitte cette paroisse, laissant sa place à Philippe Bellenot, tout comme lui un ancien de chez Niedermeyer, pour succéder à Emile Rivet au grand orgue de l’église Saint-Paul-Saint-Louis, située dans le quatrième arrondissement. L’instrument de 36 jeux avait fait l’objet quelques années auparavant d’une réfection totale par le facteur rouennais Martin et fut reçu en 1871 par César Franck et Théodore Dubois.[12] Cette église, construite à partir de 1627, affectée au culte paroissial en 1802, avait été autrefois celle de la Maison professe des Jésuites sous le vocable de Saint-Louis. Michel-Richard Delalande, Marc-Antoine Charpentier, Henry Desmarest et André Campra y avaient alors exercé leur art au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais Messager ne reste que peu de temps à Saint-Paul, car l’année suivante il abandonne son poste au profit d’Albert Minard pour se rendre à Bruxelles afin de diriger l’orchestre de l’Eden-Théâtre. Cependant, dès 1882 il est de retour à Paris et reprend ses activités de musicien d’église à Sainte-Marie-des-Batignolles. Construite en 1828, grâce à des dons de Charles X et de la duchesse d’Angoulême, agrandie en 1834 puis en 1851, cette église du dix-septième arrondissement possédait alors un orgue Merklin récemment installé (vers1880) qui sera transféré en 1918 à Saint-André d’Antin, avant d’être remplacé en 1923 par un Mutin-Cavaillé-Coll. Il succède là au Maître de chapelle Laurent Deslandres (1813-1880), qui vient de décéder, après 50 ans de bons et loyaux services. Son fils, Adolphe Deslandres (1840-1911), premier second Grand Prix de Rome de composition musicale (1860), tient l’orgue depuis une vingtaine d’années. Durant deux années, Messager dirige la maîtrise avant de quitter définitivement le service de l’église en 1884. D’autres anciens élèves de l’Ecole Niedermeyer vont lui succéder à ce poste : Emile Bouichère (1885), Claude Terrasse (1887), Henri Busser (1892).

 

Durant la dizaine d’années au cours de laquelle André Messager met son talent au service de l’église, il doit appliquer les principes d'alternance entre le grand orgue et le chœur accompagné par "le petit orgue" pour l'ordinaire de la messe (Kyrie, Gloria, Sanctus et Agnus dei). En effet, les musiciens observaient alors des règles bien définies, notamment par Adolphe Miné dans sa Méthode d'orgue dédiée à Monseigneur l'Archevêque de Paris, qu'il avait écrite à l’époque où il était accompagnateur à Saint-Roch [13] et qui furent redéfinies plus tard avec la réforme liturgique de Solesmes. A Saint-Sulpice d'ailleurs un tel usage resta en vigueur jusque dans les années cinquante. Dans ce même ouvrage Miné précise que "l'accompagnement des voix doit être proportionné à leur volume et à leur éclat. S'il faut accompagner un chœur ou tout le peuple, on peut se servir du grand plein-jeu, ou d'une partie du grand chœur, hors ce cas, on accompagne avec des jeux en rapport avec le nombre de voix qu'on doit accompagner..." Voici bien des contraintes et obligations auxquelles devaient se plier les musiciens d’église !

 

Les maîtres de chapelle et organistes, comme cela était l’usage, composaient fréquemment des pages de musique religieuse que réclamait la liturgie de la paroisse dans laquelle ils exerçaient, destinées à l’ordinaire ou pour des cérémonies particulières. Il est certain que Messager a écrit une telle musique au cours de ses années passées au service de l’Eglise, même si celle-ci ne nous est pas parvenue pour diverses raisons : les manuscrits ont pu être perdus, détruits ou encore ont-ils été trop précieusement rangés dans quelques cartons entreposés au fin fond d’archives paroissiales ! On raconte d’ailleurs que la bibliothèque de la maîtrise de l’église Sainte-Marie-des-Batignolles conservait encore dans les années quarante quelques pièces manuscrites religieuses de l’auteur de Véronique, mais que celles-ci ont disparu peu après[14].

 

On déplore que la musique religieuse d’André Messager n’ait pas été conservée dans son intégralité car les quelques rares pages que l’on connaisse de lui montrent un compositeur habile, maîtrisant parfaitement la science harmonique, qui rappelons-le suivant Gustave Lefèvre, son maître, « est la grammaire de la langue musicale », à tel point que d’aucuns y reconnaissent « la grâce de Mozart »[15]. En 1881, à l’époque où il était musicien d’église, il avait en effet composé en collaboration avec son ami Gabriel Fauré une Messe des pêcheurs de Villerville, pour chœur à trois voix de femmes. C’est la 1ère version, avec accompagnement d’harmonium et de violon qui contient un Kyrie en mi bémol et un admirable O Salutaris en sol écrits par Messager, le Gloria, le Sanctus et l’Agnus Dei étant de la main de Fauré. Cette Messe fut créée dans l’église de Villerville (Calvados) le 4 septembre 1881. Une seconde version avec accompagnement d’un petit orchestre (les Kyrie, Gloria, Sanctus, O Salutaris « excellemment » orchestrés par Messager et l’Agnus Dei par Fauré) parut l’année suivante, et une troisième version définitive fut éditée en 1907 chez Heugel, sous le titre de Messe basse avec orgue. On ne peut d’ailleurs que regretter dans cette version la disparition des deux morceaux de Messager, Fauré ayant remplacé le Kyrie de Messager par l’une de ses partitions, et écarté son O Salutaris.

 

Comme interprète, on sait que le talent de Messager ne peut être mis en doute, maîtrisant parfaitement la technique de l’orgue apprise auprès de son maître Clément Loret. Pour preuve, on trouve son nom aux côtés des plus éminents organistes de l’époque, les Guilmant, Gigout, Dubois, Widor, Saint-Saëns, Lemmens et Franck qui se produisirent en concerts publics au Palais du Trocadéro lors de l’Exposition Universelle de 1878. Le 8 octobre il avait interprété Mendelssohn (Allegro de la 3e Sonate), Saint-Saëns (Rhapsodies bretonnes 1 et 3), Gigout (Intermezzo), Chauvet (Musette), Bach (Passacaille, Prélude en sol majeur), Franck (Pastorale), ainsi qu’une improvisation de son crû[16].

 

Très tôt, dès sa sortie de l’Ecole Niedermeyer, tout en assurant régulièrement les services religieux, André Messager s’essaye à la composition, domaine dans lequel il excellera pour devenir rapidement un « génie de l’opérette française ». Sa première partition, une Symphonie en la, écrite en 1875, obtient le prix au concours institué par la Société des compositeurs en 1876 et est exécutée le 20 janvier 1878 par Colonne aux Concerts du Châtelet. Edmond Stoullig écrit alors ce commentaire, très flatteur pour un jeune musicien d’église tout juste âgé de 24 ans : « œuvre réellement distinguée, dont l’allegro et le scherzo méritaient surtout d’être chaleureusement applaudis. »[17] En 1882, il décroche un second prix au Concours musical biennal de la Ville de Paris avec Prométhée enchaîné, une cantate pour voix, orchestre et chœurs. C’est en 1878 qu’il se lance dans le théâtre avec Fleur d’oranger, un divertissement en un acte joué aux Folies-Bergère, où il est chef d’orchestre, tout en assurant le service de l’orgue de chœur de Saint-Sulpice. Cette œuvre est suivie de deux autres pièces du même genre : Les Vins de France et Mignons et vilains qui sont également donnés dans ce même théâtre en 1879. Mais c’est surtout avec l’opéra-comique en trois actes François les Bas-bleus que débute véritablement sa carrière de musicien lyrique : alors qu’il exerçait encore à Sainte-Marie-des-Batignolles, Firmin Bernicat, l’un de ses amis, vint à mourir sans avoir eu le temps d’achever l’orchestration de l’opérette François les-Bas-bleus écrite sur des paroles de Ernest Dubreuil, Eugène Humbert et Paul Burani. Messager se propose auprès de l’éditeur (Enoch frères et Costallat) de terminer le travail et le 8 novembre 1883 l’œuvre représentée au Théâtre des Folies-Dramatiques obtient un vif succès, car le jeune maître « par son orchestration savante et distinguée, a su lui donner un cachet d’originalité qui peut-être lui manquerait. La réussite de cet ouvrage, qui fut un succès d’argent pour les directeurs, assurait au collaborateur improvisé un accueil empressé pour le jour prochain où il présenterait une œuvre nouvelle et personnelle. »[18] A cette époque André Messager menait de front trois activités et non des moindres : celles d’organiste, de compositeur et chef d’orchestre. En effet, comme beaucoup de musiciens d’église, il était obligé de rechercher quelques cachets à droite et à gauche pour améliorer l’ordinaire, les seuls émoluments de la paroisse ne lui permettant pas de vivre confortablement, d’autant plus qu’il venait de prendre femme (Edith Clouet) au cours de l’été 1883. A présent assuré de la popularité, André Messager abandonne ses fonctions sacrées pour mieux se consacrer entièrement à l’opéra et l’opérette. Comme compositeur les Deux pigeons (opéra-ballet en deux actes, d’après la fable de La Fontaine) vont lui ouvrir les portes de l’Opéra de Paris en octobre 1886, grâce à la recommandation de Saint-Saëns, et La Basoche (opéra-comique en trois actes) celles de l’Opéra-Comique en mai 1890… Comme chef et administrateur, il devient successivement directeur à l’Opéra-Comique, du Covent-Garden de Londres, de l’Opéra de Paris, des Concerts Lamoureux, des Concerts du Conservatoire et enfin chef d’orchestre à l’Opéra-Comique.

 

Le cas Messager, organiste le jour et chef d’orchestre la nuit, n’est pas unique dans l’histoire de la musique ! Bon nombre de compositeurs de son temps, souvent les plus prestigieux représentants de la musique française, furent organistes à un moment ou autre de leur vie. Charles Gounod, père de Faust, Mireille et Roméo et Juliette, pionnier de la renaissance de la musique française et réformateur de l’opéra, fut maître de chapelle et organiste de l’église des Missions-Etrangères (Paris) au moment de la Révolution de 1848, puis de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) à partir de 1877 et s’est également consacré à la musique religieuse avec des oratorios (Rédemption, Mors et Vita), des messes (A la mémoire de Jeanne d’Arc, de Clovis, de Sainte-Cécile, aux Chapelles, Funèbre, Brève, Requiem), des chœurs et motets (Ave Verum, O Salutaris, Miserere) et des morceaux pour orgue (Communion, Marche nuptiale, Offertoires, Sortie en style fugué) ; Georges Bizet, l’auteur de l’Arlésienne et de Carmen, qui avait obtenu un 1er prix d’orgue au Conservatoire de Paris dans la classe de François Benoist (1852) a notamment composé un Te Deum et un Ave Maria ; Léo Delibes, auquel on doit les opéras-comiques et ballets Lakmé, Coppélia et Sylvia, qui avait été enfant de chœur à la maîtrise de l’église de la Madeleine à Paris, a été durant une dizaine d’années au cours des années 1860 organiste à Saint-François-Xavier et a composé une Messe brève à deux voix, quatuor à cordes et orgue, ainsi qu’un Ave verum et un O Salutaris ; Jules Massenet qui a écrit les opéras Manon, Werther, ou encore Thaïs, fut quelque temps organiste de Saint-Jean-Saint-François à Paris (vers 1859) et en décembre 1897 réglait la partie musicale des obsèques d’Alphonse Daudet à l’église Sainte-Clotilde, en collaboration avec Samuel Rousseau -il avait en outre largement abordé l’Art Sacré avec quatre grandes œuvres lyriques : Marie-Magdeleine, Eve, La Vierge et La Terre promise - ; Vincent d’Indy, élève d’orgue de César Franck au Conservatoire de Paris (1er accessit en 1875), connu pour sa Symphonie sur un chant montagnard français pour piano et orchestre, et pour ses œuvres dramatiques Fervaal et la Légende de saint Christophe, fit un passage au cours des années 1870 à l’orgue de l’église de Saint-Leu-la-Forêt (Val-d’Oise) et a laissé un Prélude et petit canon, op. 38, une Pièce en mi bémol mineur, op.66 pour orgue, ainsi que des cantiques et des motets… Camille Saint-Saëns, Théodore Dubois et Gabriel Fauré, autres prestigieux maîtres, auteurs de nombreux chefs-d’œuvre, firent tous trois une longue carrière d’organistes, notamment à l’église de la Madeleine à Paris, et composèrent beaucoup de musique religieuse. Enfin, César Franck et Charles-Marie Widor, dont l’influence artistique fut considérable, étaient avant tout des organistes : Franck durant 47 ans à Sainte-Clotilde et Widor 63 ans à Saint-Sulpice. Ils laissèrent en outre une abondante littérature pour leur instrument.

 

Florimond Ronger dit Hervé (1825-1892), le père de l’opérette, genre musical dans lequel André Messager a brillé en lui donnant ses lettres de noblesse, formé à la maîtrise de Saint-Roch à Paris, fut également durant une quinzaine d’années organiste à l’hospice de Bicêtre, puis à Saint-Eustache. Il dut d’ailleurs démissionner en 1854, sommé par le clergé de choisir entre ses fonctions liturgiques et celles d’« entrepreneur de Bouffonneries, chanteur de farces [et] acteur d’arlequinades. »[19] Il créa l’opérette en 1847 au Théâtre de Montmartre mais c’est surtout Offenbach puis Charles Lecocq qui vont développer le genre. Ce dernier avait été un temps organiste, ayant étudié l’orgue au Conservatoire de Paris dans la classe de François Benoist (1er accessit en 1852). Viendront ensuite Louis Varney, Robert Planquette, Gaston Serpette, tous trois anciens organistes également, Léon Vasseur, Edmond Audran, Raoul Pugno, Victor Roger, Jean Lemaire et Claude Terrasse, tous sortis de l’ »Ecole de musique religieuse » de Louis Niedermeyer ! C’est cependant André Messager qui va sauver l’opérette de la médiocrité et de la monotonie dans lesquelles elle était tombée et la hausser à son plus haut niveau artistique. Ses idées mélodiques, sa science de l’orchestration, sa finesse de pensée, son bon goût, « sa parfaite connaissance des situations et des effets scéniques » et sa vaste culture musicale vont lui permettre d’écrire des opérettes distinguées qui savent satisfaire à la fois le public populaire et les mélomanes : Véronique, Fortunio, Passionnément et Coup de roulis sont des chefs-d’œuvre de l’opérette française. Il n’est pas à la portée de tous les compositeurs d’écrire de la musique légère, qui, dans le cas de Messager n’a que le nom de léger, sans tomber dans la vulgarité ou la platitude !  Fauré dit un jour, parlant de ses opérettes : « …vous n’y trouverez jamais ce laisser-aller, ces négligences qui ont si souvent compromis la dignité des œuvres de poésie légère. »

 

S’il n’avait pas fréquenté l’ « Ecole de musique religieuse », à propos de laquelle Fauré a écrit que « la musique nous en étions imprégnés, nous y vivions comme dans un bain, elle nous pénétrait par tous les pores »[20], été formé par des maîtres tels Gustave Lefèvre, Eugène Gigout, Clément Loret, Gabriel Fauré, reçu les conseils de Saint-Saëns et baigné dans la musique religieuse au début de sa carrière, il n’est pas certain que André Messager soit devenu par la suite ce musicien élégant, inspiré, habile, éclectique, digne représentant de la musique française.

 

Il en avait certainement conscience car en 1928, au sommet de sa gloire (il est alors membre de l’Institut), il écrivait « …cette Ecole que nous aimons et à qui nous conservons la reconnaissance des plus beaux jours de notre jeunesse musicale ». Il conserva d’ailleurs toute sa vie des liens étroits avec elle et ses anciens élèves et professeurs : en juillet 1879 à Sens (Yonne), au mariage d’Albert Périlhou avec son élève de piano Jeanne Petit il est garçon d’honneur avec Fauré, tandis que Gigout et Saint-Saëns sont témoins ; au début du siècle suivant il se produit en concert sur l’orgue de l’église Notre-Dame du Bon-Voyage de Cannes, pour aider à sa restauration par son titulaire Albert Frommer, un ancien de chez Niedermeyer ; il succède à son Maître Gustave Lefèvre dans sa classe de composition à l’Ecole et reste longtemps Président du Comité des Etudes, à la suite de Saint-Saëns et de Fauré. Il est aussi membre souscripteur actif de l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole de Musique Classique (anciennement « Ecole de musique religieuse ») jusqu’à sa mort arrivée en 1929 et écrit en 1928 la préface du livre de Maurice Galerne sur l’Ecole Niederemeyer. Dans celle-ci, il souligne le réformateur, l’éducateur et le compositeur que fut son fondateur Niedermeyer, « remarquable esprit qui, partit du rossinisme intégral, aboutit à la Messe en si mineur et aux motets dans lesquels s’allient la formule musicale moderne et le sentiment religieux [… et] que c’est lui qui, après une longue période de romances aussi vides de poésie que de musique, a replacé la mélodie chantée, le lied dans la voie de Schubert… » Il insistera sur « l’excellence de cette Ecole, qui, élargissant le cadre de son programme, a produit non seulement des organistes de premier ordre, mais des compositeurs qui, dans tous les genres, se sont efforcés de lui faire honneur. »

 

Denis Havard de la Montagne[21]



[1] De Rameau à Ravel, portraits et souvenirs, Paris, éditions Albin Michel, 1947.

[2] Michel Augé-Laribé, Messager, la vie, l’œuvre, discographie, Paris, La Colombe, Editions du Vieux Colombier, 1951, p. 24.

[3] Musica, n° 72 (septembre 1908).

[4] Revue Sainte-Cécile, 27° année, n° 4, avril 1935.

[5] André Messager, L’œuvre dramatique de Saint-Saëns, in Musica, n° 57 (juin 1907), pp. 85-88.

[6] Musica, n° 72 (septembre 1908).

[7] Maurice Galerne, L’Ecole Niedermeyer, sa création, son but, son développement, préface de André Messager, Paris, Editions Margueritat, 1928.

[8] Quelques souvenirs à l’Ecole Niedermeyer in la revue L’Orgue, n° 37 (mars 1939).

[9] Rapporté in le Catalogue de l’Exposition consacrée à l’Ecole Niedermeyer à l’Ecole nationale de musique d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) au printemps 1990, Affaires culturelles de la ville d’Issy-les-Moulineaux, 1990, 31 pages.

[10]Article de Widor in Comoedia illustré du 1er avril 1909, p. 202, cité par Jean-Michel Nectoux in Gabriel Fauré, les voix du clair-obscur, Paris, Flammarion, 1990, p. 39.

[11] Cité par Michel Augé-Laribé, op. cit., p. 37.

[12] Inventaire des orgues de Paris, sous la direction de Pierre Dumoulin, tome IV, Paris, Aux Amateurs de livres, 1992.

[13] Editée vers 1835 chez A. Meissonnier et J.L. Heugel, 2 bis rue Vivienne à Paris.

[14] Note de Joachim Havard de la Montagne, lointain successeur d’André Messager à Sainte-Marie-des-Batignolles, où il fut organiste et maître de chapelle durant près de 50 ans (1948 à 1996) et maître de chapelle honoraire de l’église de La Madeleine à Paris VIII°.

[15] Jean-Michel Nectoux, Gabriel Fauré, les voix du clair-obscur, Paris, Flammarion, 1990.

[16] Claude Noisette de Crauzat, L’orgue du Palais de Chaillot…, in L’orgue, Cahiers et Mémoires, n° 52, 1994-II, p. 25.

[17] Les Annales du théâtre et de la musique, année 1878, p. 542.

[18] André Messager par Jan-Jack, in la revue « Piano-Soleil », n° 17, 25 octobre 1891.

[19] Lettre de l’abbé Gaudreau en « Réponse à certains journaux et spécialement au Charivari du 12 mai 1854 », conservée dans les archives de l’église Saint-Eustache, citée par Renée Cariven-Galharret et Dominique Ghesquière dans leur ouvrage Hervé, un musicien paradoxal (1825-1892), Editions des Cendres, 1992, p. 54.

[20] Catalogue de l’Exposition consacrée à l’Ecole Niedermeyer…, op. cit.

[21] Une 1ère version de cet article est parue dans l’ouvrage collectif publié à l’occasion de 150e anniversaire de la naissance d’André Messager, sous la direction de Benoît Duteurtre, (Klincksieck, 2003).



Quelques souvenirs d’André Messager

 

 

On ne relèverait parmi mes ascendants aucun musicien. J’appris, très jeune, le piano. Mais, plus tard, mon désir de devenir compositeur se heurta à bien des oppositions de la part de mon père. Enfin, par suite d’un revers de fortune, je pus réaliser ce désir et j’entrai à l’école Niedermeyer, où je fis mes études musicales. Eugène Gigout y fut mon professeur de piano et Clément Loret mon professeur d’orgue. Je quittai l’école en 1874 pour remplir successivement les fonctions d organiste du chœur à Saint-Sulpice, puis celles d’organiste du grand orgue à Saint-Paul-Saint-Louis (1881), enfin celles de maître de chapelle à Sainte-Marie des Batignolles, jusqu’en 1884. A ma sortie de l’école Niedermeyer je perfectionnai mon instruction musicale en travaillant la fugue, la composition et l’orchestre avec Camille Saint-Saëns — qui, contrairement à ce qu’on a maintes fois prétendu — ne fit à cette école qu’une très courte apparition. C’est d’ailleurs par l’entremise généreuse de Saint-Saëns que j’eus en 1885, la commande pour l’Opéra d’un ballet, les Deux Pigeons.

 

Mais j’avais déjà fait mes débuts comme compositeur, avec une Symphonie, très classique, en quatre parties, couronnée en 1876 par la Société des compositeurs et applaudie chez Colonne en 1878, la même année qu’un ballet aux Folies-Bergères, la Fleur d’Oranger, qui eut un très gros succès et qui fut suivi, sur la même scène, par deux autres ballets, les Vins de France et Mignons et Vilains (1879). Puis viennent différents opéras comiques François les Bas-Bleus que Bernicat avait laissé inachevé (1883), la Fauvette du Temple et la Béarnaise (1885).

 

Outre Saint-Saëns, je connaissais à cette époque César Franck, tout le groupe de ses élèves et de mes confrères à la Société Nationale de musique, Chabrier, (alors expéditionnaire au Ministère de l’Intérieur) Vincent d’Indy, Duparc, Camille Benoît, Gabriel Fauré (avec qui je vivais comme un véritable frère), etc...

 

Beaucoup plus tôt j’avais connu Charles Gounod, qui fut le camarade de collège de mon père. Il m’en imposait beaucoup. J’eus d’ailleurs l’occasion de diriger le Médecin malgré lui, qu’il avait écrit d’après l’arrangement assez lourd de la pièce de Molière par Barbier et Carré. Gounod était très cultivé, aussi bien musicalement que littérairement. Il ne faut pas oublier à cet égard qu’il avait commencé par entrer au séminaire. Alors que j’étais organiste à Saint-Sulpice, je me souviens parfaitement d’avoir entendu diverses œuvres religieuses (un O Salutaris, un Ave Maria, etc.) attribuées à un « abbé Gounod, des Missions étrangères ». Il avait du reste toujours conservé un certain fond de religiosité.

 

Quant à « l'abbé Liszt », je n’eus l’occasion de le rencontrer qu’une seule fois, à Bruxelles, lors d’une grande réception en son honneur Franz Servais (qui passait à juste titre pour son fils) venait d’organiser un festival Liszt à Anvers et une exécution de la Faust-Symphonie à Bruxelles. Au cours de cette réception Liszt joua avec Joseph Servais la Sonate pour violoncelle de Chopin, puis tint l’un des deux pianos dans une transcription de la Danse macabre de Saint-Saëns et finit par une improvisation fort longue et ennuyeuse. — Liszt mourut l’été suivant. C’est en arrivant à Bayreuth que j’appris sa mort survenue la veille même.

Hope Temple, avant 1888
(photo Herbert R. Barraud, coll. National Gallery of Canada) DR.

 

Je connus beaucoup César Franck. Nous étions du même comité de la Société Nationale, et, à ce titre déjà, nous nous y rencontrions toutes les semaines. Sa musique était alors fort peu jouée ou très froidement accueillie. Mais il avait tellement pris l’habitude de se retirer en lui-même qu’il ne S’apercevait absolument de rien. Et pourtant ce fut une grosse blessure pour lui lorsque Lamoureux, aux concerts de la Porte-Saint-Martin (dont les programmes ne changeaient que tous les quinze jours) crut devoir ne pas afficher une seconde fois les Eolides.

 

Je rencontrais Chabrier presque tous les jours, vers cinq heures, chez Enoch (le père). Vincent d’Indy y venait aussi quelquefois. Chabrier était d’une drôlerie, impayable. Ce qui ne l’empêcha pourtant pas de demander expressivement à Mendès le livret de Gwendoline ! Il avait le travail très long et fort difficile. Je pus m'en rendre compte en assistant à la composition du Roi malgré lui qui avait d’abord été écrit en opérette pour les Folies-Dramatiques, puis transformé en opéra-comique, mais d’ailleurs sans beaucoup de changement dans le livret (tiré d’une vieille pièce de M. et Mme Ancelot d’après les indications de Victorien Joncières). Au bout de la troisième représentation, cette œuvre faillit disparaître dans l’incendie du 25 mai 1887. Le gros succès était pour Chabrier quelques années auparavant, avec Espana. Je ne sais quel fut le sort des autres thèmes espagnols recueillis par lui lors de son voyage de 1882 et qu’il n’avait pas utilisés dans Espana : tout cela a-t-il été détruit ?...

 

Comme élève de Saint-Saëns, et par suite de l’inimitié qui existait entre lui et Massenet, j’eus d’abord peu de contact avec ce dernier ; pourtant l’échec de son Bacchus nous rapprocha. Massenet était un professeur admirable, chacun l’a déjà dit. Très érudit, en même temps que fort éclectique, il se tenait au courant des moindres nouveautés musicales. Il pouvait agacer par une certaine amabilité de convention, par une certaine flagornerie même ; mais on s’apercevait assez vite que cela était tout de surface. Il avait tellement peur d’être oublié ! Comme Saint-Saëns d’ailleurs, qui souffrait exactement de la même maladie ! La colère de Saint-Saëns contre Massenet venait de ce qu’il retrouvait toujours ce, « sacré bougre » dans ses jambes. Sur le tard, le caractère de Saint-Saëns était devenu des plus difficiles. Dans sa ridicule campagne contre Wagner l’artiste parlait contre sa conscience : ne m’avait-il pas lui-même initié à la musique de Wagner ?...

 

Je ne connus Claude Debussy que quelques années avant Pelléas. La première œuvre que j’entendis de lui fut la Damoiselle élue, alors que je n’avais pas encore eu l’occasion de le rencontrer C’est grâce à l'éditeur Hartmann, l'un des librettistes de Madame Chrysanthème, que nous pûmes nous connaître. Hartmann avait ouvert en 1871 une boutique où se vendait du Paladilhe, du Massenet, etc. ; même lorsqu’il ferma sa boutique, il continua de s’intéresser à certains jeunes musiciens, dont Debussy, qu’il soutint généreusement.

 

Du reste il ne faudrait pas croire que Debussy dût languir longtemps après le succès. Lorsque j’eus l’occasion de participer aux concerts symphoniques organisés au théâtre du Vaudeville par un Allemand (peut-être naturalisé Français), mari d’Yvette Guilbert, je dirigeai le Prélude à l’après-midi d’un faune, et le succès y fut tel que je dus bisser l’œuvre. Mais longtemps j’ignorai que Debussy fit la musique de Pelléas. À peine le sus-je que j'allai en entendre d’importants fragments chez lui, rue Gustave-Doré. Lorsque l’époque des répétitions fut arrivée, Debussy donna chez, lui une audition inoubliable de son œuvre. Il avait une voix de basse, un peu rocailleuse, et chantait presque tout à l'octave inférieure, mais avec une telle émotion et un tel feu que tous les interprètes, même s’ils n’y comprenaient pas grand’chose, furent profondément saisis. Les études d’orchestre furent les plus difficiles de toutes : il y eut vingt-deux répétitions — longues, laborieuses, d’autant plus que le matériel d’orchestre, copié par un camarade de Debussy (comme lui dans la misère), était bourré de fautes. Quoique divisé en deux camps (les debussystes et les anti-debussystes), l’orchestre fit toujours preuve d’excellente volonté. Jamais peut-être nul n’a rejoué Pelléas depuis dans d’aussi bonnes conditions.

 

Quant à Ravel, la première œuvre que j’entendis de lui fut le premier mouvement de son Quatuor présenté comme exercice d’examen semestriel au Conservatoire.

 

Après les Deux pigeons qui remportèrent un gros succès (1886) je donnai successivement les Bourgeois de Calais (1887), Isoline (1888), le Mari de la reine (1889) qui passa inaperçu aux Bouffes, puis quelques mois plus tard (1890), à l’Opéra-Comique, la Basoche. Puis suivirent un ballet-pantomime, Scaramouche, représenté pour l’inauguration du Nouveau-Théâtre (1891), Miss Dollar (1893) sur la même scène, Madame Chrysanthème (1893) à l’Opéra-Comique, la Fiancée en loterie aux Folies-Dramatiques (1896) et presque en même temps, le Chevalier d’Harmental qui tomba lamentablement à l’Opéra-Comique. Je fus tellement découragé par cet insuccès que je ne voulus plus écrire du tout et tentai de me retirer en Angleterre, où j’avais d’ailleurs fait représenter, en 1894, Mirette, opéra-comique écrit pour le Savoy-Théâtre de Londres, en collaboration avec ma femme [Alice Davis (surnommée familièrement « Dottie »), 1859-1938, Irlandaise, pianiste et compositrice, épousée en secondes noces en 1895], alors au sommet de sa réputation comme compositeur de lieder (sous le nom de Hope Temple). C’est là que je reçus, un beau jour, un rouleau flairant le manuscrit et que je mis de côté sans vouloir l’ouvrir tout d’abord. C’était le livret des P’tites Michu. La gaîté du sujet me séduisit et, renonçant à mes idées noires, je me mis à écrire avec un tel entrain qu’en trois mois l’ouvrage était terminé et joué la même année (1877) aux Bouffes avec un énorme succès. J’ai su depuis que ce livret avait été refusé par deux ou trois compositeurs ! Véronique lui succéda au même théâtre en 1898.

 

Je n’ai jamais songé à écrire ce qu’on entend de nos jours par opérette. Ce terme — qui contient trop souvent quelque chose de péjoratif — semble s’être répandu à partir de Lecocq. Beaucoup de mes œuvres et encore tout dernièrement Monsieur Beaucaire, ne se sont intitulées opérettes que sur la demande des directeurs de théâtre qui y voyaient je ne sais quelle chance supplémentaire de succès. Je n’ai pas voulu non plus composer des opéras-bouffes dont le meilleur type est fourni par les œuvres d’Offenbach où l'élément parodique reste très prépondérant. Mon idée fut toujours de poursuivre la tradition de l’opéra-comique français (avec dialogues), telle qu’elle se continue à travers Dalayrac, Boieldieu, Auber. Malheureusement je connus des conditions beaucoup moins favorables que celles où se trouvèrent ces musiciens. Nous disposions de moins bons chanteurs, d’orchestres de qualité beaucoup moindre et de fort mauvais chœurs. Quand il s’agissait de demander à un alto d’aller au-dessus du ré, à un violoncelle de jouer en solo, il semblait qu’on exigeât des choses impossibles. Quant aux contrebassistes, c’étaient de purs ménétriers. Mais ce qui devait beaucoup nous servir par la suite, ce fut la propagation des sociétés de concerts symphoniques.

 

André Messager

(in Cinquante ans de musique française, 1925)



Souvenirs sur André Messager…

 

 

Dans la période qui va de 1880 à 1920 le théâtre lyrique en France a connu son plein épanouissement : de Gounod à Saint-Saëns et à Reyer, en passant par l'école de Massenet. Parmi les animateurs de cette époque florissante il faut placer en haut rang André Messager sous son triple aspect de compositeur, de directeur et de chef d’orchestre. Sa brillante carrière est un exemple rare.

 

Comme son ami Gabriel Fauré, il fut élève de l’Ecole Niedermeyer où il entra dès l’âge de quinze ans. Arrivant de Montluçon où il avait reçu déjà une solide formation de l’organiste Albrecht, il devient l’élève de Gigout pour l'orgue, d'Adam Laussel et de De Bériot (qui fut le fils de la Malibran) pour le piano et pour la composition il fut celui de Camille Saint-Saëns, dont il a été, je crois bien, le seul véritable disciple.

 

En 1875, âgé de vingt-deux ans il remporte le Grand prix de la Ville de Paris avec une Symphonie en la mineur et majeur qui fut donnée avec succès aux Concerts Colonne, en première audition. Cette symphonie alerte, bien écrite, dans l'esprit de Haydn plutôt que de Mozart, j'ai eu la chance d’en retrouver le manuscrit il y a quelques années et de la faire publier par la Maison Choudens : elle a été une véritable révélation pour beaucoup de musiciens. On aurait pu croire que Messager deviendrait un symphoniste : il en fut tout autrement. L'éditeur Enoch lui demanda d'achever et d’orchestrer une opérette que laissait inachevée le compositeur Firmin Bernicat François les bas bleus. Ce fut un grand succès qui incita Messager à écrire, coup sur coup, trois ouvrages de musique légère La Fauvette du Temple, La Béarnaise et Les Bourgeois de Calais. Ils eurent des fortunes diverses : le premier obtint un chaleureux accueil sur la scène des Folies Dramatiques où il tint l’affiche pendant deux ans, les deux autres furent accueillis avec une certaine réserve. Ils contenaient quelques pages bien venues, mais les livrets manquaient d'originalité. A la même époque Messager avait donné aux Folies Bergères plusieurs charmants petits ballets fort appréciés du public parisien.

 

Sur ces entrefaites son maître Saint-Saëns désigné par les directeurs de l'Opéra (Ritt et Gailhard) pour composer un grand ballet étant pris par plusieurs travaux, transmit la commande à André Messager et ce fut la partition ravissante des Deux Pigeons qui, dépassant rapidement la centième, est restée au répertoire de l'Académie Nationale de Musique et de Danse.

 

C’est alors que je connus (j’avais quinze ans) Messager à l’Ecole Niedermeyer : arrivant de la maîtrise de la cathédrale de Toulouse, ayant une voix de soprano bien timbrée, je chantais en soliste à Sainte-Marie-des-Batignolles à Paris dont Messager était le maître de chapelle. Il me prit bien vite en amitié, me fit nommer organiste à la chapelle des catéchismes de la rue Truffaut (mon premier poste, payé vingt francs par mois) c'est ainsi que parfois, accompagnant les messes de mariage au petit orgue de Sainte-Marie, Messager me faisait diriger le Tollite Hostias de Saint-Saëns, à la sortie des invités, pour se rendre à l'Opéra ou aux Folies Bergères afin de surveiller les études pour ses propres ballets !

Isoline, affiche Théâtre de la Renaissance, 26 décembre 1888, et couverture de la partition réduction pour piano
(coll. BNF-Gallica et coll. DHM) DR.

 

Elégant cavalier, parfait gentleman, il avait cependant quelques accès de mauvaise humeur, qu'il réprimait bien vite. Et ce fut en 1890 la réussite de La Basoche sur la scène de l'Opéra-Comique. Peu de temps avant. Messager avait écrit pour le théâtre lyrique de la Renaissance sa jolie musique d'Isoline d’après le roman de P. Loti, sur un livret de Catulle Mendès assez insignifiant. Il prit donc une revanche éclatante avec le vivant scénario d'Albert Carré pour La Basoche, qui nous dépeint l’arrivée dans un Paris pittoresque, de Marie d’Angleterre, future épouse du bon roi Louis XII, le père du peuple. Accompagnée de l'ambassadeur de France, le duc de Longueville, personnage humoristique au plus haut degré, la sœur de Henri VIII roi d'Angleterre est mêlée à un amusant quiproquo. Elle prend le poète Clément Marot, roi de la Basoche, pour son futur époux et, de cette aventure cocasse, découlent des scènes des plus divertissantes. C'est le véritable opéra comique français dérivant d’Auber auteur du Domino Noir. Airs, duos, ensembles et chœurs sont animés par la plume du musicien d'une verve étourdissante et d'un esprit léger, spirituel.

 

Cette partition ne serait-elle pas le chef-d’œuvre d’André Messager ? J'ai eu la joie d’assister au succès de la répétition générale et quelques années plus tard à. la « centième » que Messager dirigeait de main de maître. Et à ce propos il nous faut parler de la carrière prestigieuse que fit Messager comme chef d'orchestre à l’Opéra-Comique, comme à l’Opéra et à la Société des Concerts du Conservatoire, où il succéda à son confrère Georges Marty.

 

Au moment de l'apparition de La Walkyrie en 1893, sur la scène de l'Opéra, Messager qui avait conduit souvent ses propres ouvrages, fut sollicité d’aller monter l'œuvre de Wagner à Marseille, puis en Belgique. Albert Carré, ayant été appelé peu après à. la direction de l’Opéra-Comique, son premier soin fut de confier à Messager le poste de directeur de la musique, succédant à Léon Carvalho, après l'incendie si dramatique du Théâtre de l'Opéra-Comique. De cette association, l'école contemporaine française a connu sa plus belle floraison. Ce furent les créations de Louise, l'opéra populaire de Gustave Charpentier, de Pelleas et Mélisande, le chef-d'œuvre de Claude Debussy, qui donna lieu à tant de controverses et puis encore La Carmélite de Reynaldo Hahn, La Reine Flammette de Xavier Leroux, sans négliger les œuvres étrangères telles que Hansel et Gretel du compositeur allemand Humperdinck. Quelle tâche immense accomplirent en quelques années ces deux hommes d'action, Albert Carré et André Messager, le premier apportant un renouveau original à la mise en scène, le second tenant en mains des artistes, des chœurs et un orchestre savamment disciplinés !

 

Succédant à Georges Marty au pupitre de la Société des Concerts de Conservatoire nous devons à André Messager des exécutions vraiment modèles des Nocturnes et du Prélude à l'après-midi d'un Faune de Claude Debussy dont il savait dégager la « transparence » harmonieuse. A la même époque il évoquait le romantisme du Faust de Schumann, la puissance et la variété de couleur du Chant de la Cloche et de Fervaal de Vincent d'Indy ainsi que toute l’œuvre symphonique de son maître Camille Saint-Saëns.

 

En arrivant en 1908 à la direction de l'Opéra, André Messager eut le souci de présenter les œuvres de Wagner encore inconnues à Paris : L’Or du Rhin, Le Crépuscule des Dieux, et enfin Parsifal. Mais son souci fut de révéler au public français un opéra de J. Ph. Rameau totalement inconnu de notre génération Hippolyte et Aricie, le chef-d’œuvre du maître de Dijon. Après bien des essais pour maintenir le clavecin écrit par Rameau mais absolument insonore dans la vaste salle du Palais Garnier, Messager fut contraint de faire orchestrer pour les cordes tous les récitatifs, ce qui les rendait fort monotones malgré l’habileté du chef d’orchestre Paul Vidal qui en fut le réalisateur. Une interprétation de choix confiée à Lucienne Bréval, Jeanne Hatto, Yvonne Gall, au ténor Plamondon, aux barytons Dangès et Delmas, mit en relief cet admirable ouvrage, d’une grande richesse d’idées et d’un beau sentiment dramatique. Parmi les œuvres nouvelles que Messager inscrivit au répertoire, il faut citer Mona Vanna d’Henry Février, Le Miracle de Georges Hüe, le délicieux ballet de Reynaldo Hahn La Fête chez Thérèse (d’après le poème de V. Hugo) et Scemo la partition si personnelle d’Alfred Bachelet que Messager mit au point lui-même avec un soin minutieux. D’autres ouvrages de Wagner bénéficièrent de nouvelles distributions : Tristan et Isolde, Les Maîtres Chanteurs dont la reprise fut des plus remarquées. On a dit souvent que Messager, au pupitre, n'était pas toujours commode. Certain soir, trouvant que les artistes chantaient le quintette du 3° acte des Maîtres Chanteurs beaucoup trop fort. Messager posa sa baguette et se croisa les bras en ayant l’air de leur dire : « Vous moquez-vous de moi ?» et ce fut un « pianissimo » surprenant ! En même temps sa carrière parallèle de compositeur se poursuivait : Madame Chrysanthème vit le jour au théâtre Lyrique de la Renaissance, Fortunio et Béatrice à l'Opéra-Comique et n'ayons garde d'oublier ses charmantes opérettes : Les p’tites Michu, Véronique, Les Dragons de l’Impératrice, Coup de Roulis, Passionnément. Ouvrages délicieux d'une musicalité très personnelle.

 

J’avais été appelé par Messager comme chef d’orchestre des Chœurs de l’Opéra-Comique en 1901 ; je n'oublierai jamais qu'il voulut bien me confier la baguette de chef d'orchestre à la quatrième représentation de Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy (alors qu'il allait diriger à Londres la saison de Covent-Garden), ce qui fut le départ de ma carrière. Au mois de juillet 1914, quelques jours avant la grande guerre, il se sentit très souffrant, me fit demander de conduire au pied levé la représentation du soir même Parsifal, alors que je n’avais même pas lu la partition d'orchestre, mais j'avais assisté à toutes les répétitions de travail. On vint me chercher à. ma classe du Conservatoire. Messager me reçut dans son bureau et me dit simplement : « Busser, il faut sauver la recette, montez au pupitre mais... prenez garde de ne pas vous endormir pendant le duo interminable du deuxième acte ! » Il en avait de bonnes !

 

Quand il fut remplacé à la tête de l’Opéra par Jacques Rouché, celui-ci voulant honorer l’élection de Messager à l’Institut où il succéda à son ami Paul Dukas, lui offrit de venir diriger une reprise des Deux Pigeons. Il refusa pour des raisons de santé et il répondit à son successeur : « Confiez la baguette à mon ami Henri Büsser. Ce fut pour moi le plus beau témoignage de son estime. Pendant un demi-siècle, le compositeur de La Basoche fut véritablement le « Messager » de la musique française.

 

Henri Büsser, de l’Institut

(Revue des deux mondes, octobre1969)



André Messager vu en 1891

 

 

M. André Messager est un des jeunes maîtres de l’Ecole française moderne. Elève de M. Saint-Saëns, qui est resté son ami, il est tout à a fois pianiste brillant, organiste émérite et compositeur distingué. En 1876, M. Messager obtenait une médaille d'or au concours de symphonie ouvert par la Société des compositeurs, et l’année suivante son œuvre couronnée était exécutée au concert du Châtelet ; ce-fut son premier succès. Travailleur énergique, il ne s'en tint pas longtemps à cet heureux début, et sa symphonie Lorelli, écrite et jouée bientôt après, ne permit pas aux dilettanti d’oublier le nom de l'heureux débutant.

André Messager en 1891
(coll. DHM) DR.

 

Mais, comme tous les compositeurs, M. Messager voulait conquérir le grand public, et débuter sur une scène lyrique.

 

Firmin Bernicat, un de ses amis, venait de mourir sans avoir terminé l'orchestration de François les Bas-bleus ; le jeune maître se proposa, et fut accepté avec enthousiasme, pour achever cet ouvrage : c'était l’occasion d'affronter le public et de se faire applaudir ! Le succès fut complet. Cet opéra-comique en trois actes, dont le poème est des plus gais, abonde en phrases bien venues et d'une inspiration aimable. M. Messager, par son orchestration savante et distinguée, a su lui donner un cachet d’originalité qui peut-être lui manquerait. La réussite de cet ouvrage, qui fut un succès d'argent pour les directeurs, assurait au collaborateur improvisé un accueil empressé pour le jour prochain où il présenterait une œuvre nouvelle et personnelle.

 

C'est au théâtre des Folies-Dramatiques que le jeune maître présenta son premier opéra-comique. Directeur et public le reçurent â bras ouverts.

 

La Fauvette du Temple, dont le livret un peu banal ne manque pas de gaieté, permit au compositeur d’écrire une musique facile et cependant originale, qui plut au public et fut goûtée des musiciens. Un nombre considérable de représentations assurait à cet ouvrage une place au répertoire, et plusieurs reprises n’en ont pas épuisé la vogue. La Béarnaise suivit de près la Fauvette du Temple, malgré la valeur de la partition, elle n’eut pas le succès de sa sœur aînée.

 

Mais le talent du jeune maître n'était déjà plus en question ; vienne une circonstance favorable, il pourra se présenter sur une scène supérieure, et la sympathie de tous lui est assurée. C'est le 18 octobre 1886 que l'Opéra ouvre ses portes aux Deux Pigeons, opéra-ballet en trois actes, dont les abonnés et le public ont conservé le meilleur souvenir. Cette œuvre, tour à tour originale et tendre, se distingue par une grande variété de motifs mélodiques, soutenus par une élégante harmonie. En un mot, c'est une musique savante et gracieuse, descriptive et dramatique tout à la fois.

 

Les airs de danse que renferme ce ballet, par leur rythme très franc et très caractéristique, conservent toute leur valeur et restent, comme cela doit être, les parties les plus saillantes de la partition. M. Messager, applaudi à l'Opéra et acclamé sur les scènes populaires, n’avait plus à désirer que ses entrées à l’Opéra-Comique. Il s’y présenta avec la Basoche, et l'on sait avec quel succès !

 

La Basoche, opéra-comique en trois actes, paroles de M. Albert Carré, est une œuvre d'une valeur et d'une importance réelles. Le charme et la science du compositeur ont su donner à l'œuvre un peu légère du librettiste une forme piquante et quelquefois magistrale qui assure à cette partition une place d’honneur au répertoire de l'Opéra- Comique.

 

M. Messager a écrit sur ce poème d'opéra-bouffe une composition empreinte de mélancolie et de grâce. Ces contrastes, en faisant valoir la souplesse de son talent, assuraient le succès de la pièce. Offenbach en eût fait une opérette amusante, M. Messager en a fait un charmant opéra-comique. La force du maître se manifeste d'une façon magistrale dans l’orchestration ; les accompagnements savamment écrits, les combinaisons harmonieuses des accords, font de certains passages de véritables petits chefs-d’œuvre.

 

Le passe-pied qui précède le troisième acte restera comme un modèle du genre. Inutile de nous étendre sur les airs déjà populaires de cette partition. Le Piano-Soleil a déjà publié l’entr’acte dont nous venons de parler, et nous serons heureux d’en donner de nouveaux extraits.

 

Sa dernière composition théâtrale représentée est Hélène, œuvre dramatique de laquelle M. Messager a su tirer des effets puissants. Le public a fait fête à cette musique expressive, qui assura à l’œuvre nouvelle un nombre de représentations que la valeur littéraire de l’ouvrage ne pouvait faire espérer.

 

M. André Messager dépasse la trentaine de bien peu d’années, et déjà son nom connu de la foule, qui fait la popularité, est tenu en estime véritable par les musiciens, ses émules et ses rivaux. L’avenir s’ouvre chance à lui plein de glorieuses promesses, et comme il nous a déjà donné beaucoup, nous pouvons attendre plus encore. Soit que le maître poursuive à l’Opéra-Comique sa carrière et continue la série glorieuse des Boieldieu, des Hérold, des Auber et des Bizet, — soit qu'il aspire plus haut et revienne à l'Opéra pour suivre la voie des Meyerbeer, des Rossini, des Halévy et des Gounod, nous sommes assurés qu’il nous donnera une œuvre de valeur dans laquelle nous retrouverons la fraîcheur de coloris, la verve originale, la claire mélodie et l’harmonie savante que nous connaissons, pour la plus grande fête de nos oreilles françaises.

 

Comme, au Piano-Soleil, nous sommes les amis du jeune maître aussi bien que ses admirateurs, nous nous réjouissons avec lui de ses triomphes, d'autant que, malgré ses nombreux succès, il est resté l'homme charmant de ses débuts. M. Messager, disons-le pour ceux qui ne le connaissent pas, est le plus aimable et le plus érudit des musiciens, comme il est le plus musicien des érudits.

 

Jan-Jack

(Piano-soleil, Octobre 1891)



A l’Institut…

 

Deux nouveaux Immortels entrent à l’Institut : un musicien, un diplomate.

 

M. André Messager fait partie de l’Académie des Beaux-Arts, où il succède à Paladilhe.

signature d'André Messager en 1927 (DR.)

 

M. Messager est populaire depuis l'âge de trente ans, et il en a soixante-quinze. On chercherait en vain le nom de cet éminent musicien sur les listes du Conservatoire et parmi celles des prix de Rome. Il fit ses études à l’Ecole Niedermeyer, pépinière d’où sortirent dautres grands artistes comme Gabriel Fauré, l’organiste Gigout, les compositeurs Raoul Pugno et Claude Terrasse. Saint-Saëns lui donna des leçons. On le vit d’abord chef d’orchestre à Bruxelles, puis il tint les orgues de Saint-Sulpice, de Saint-Paul, et fut enfin maître de chapelle à Sainte-Marie des Batignolles. Il devait, plus tard, diriger les destinées de l’Opéra.


En 1883, Bernicat étant mort sans avoir eu le temps d’achever François les Bas-Bleus, c’est à André Messager qu'on demanda de présenter l’œuvre. Vint, ensuite, toute une série de succès : La Fauvette du Temple, Les Deux Pigeons, Isoline, La Basoche, Madame Chrysanthème, Les Petites Michu, Véronique, Les Dragons de l’Impératrice, Fortunio.

 

L’art d’André Messager est profondément français. Il est fait de grâce et de robustesse,

 

Au fauteuil de Léon Bourgeois, à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, s’assied M. Camille Barrère, ancien ambassadeur de France au Quirinal, où il représenta notre pays durant plus d’un quart de siècle.

 

M. Camille Barrère est le type même du grand diplomate. Et c’est Gambetta lui-même qui lui ouvrit l’accès à la carrière en le faisant nommer, en 1879, à la commission internationale du Danube.

 

M. Barrère est- également âgé de soixante- quinze ans. La diplomatie conserve son homme, tout comme la musique.

(Les Annales politiques et littéraires,16 mai 1926)



Chanson J'ai deux amants, pour piano et chant seul, chantée par Yvonne Printemps, extraite de l'Amour masqué, comédie musicale de Sacha Guitry et André Messager représentée à Paris, le 13 février 1923 au Théâtre Edouard-VII
(Salabert, 1923, coll. DHM) DR.

André Messager

 

 

Il y a quelques mois, nous avions demandé un rendez-vous à l’illustre musicien à qui nous voulions consacrer un « Entretien » dans le Guide du concert. Jean Messager, notre distingué confrère de Comœdia, nous dit alors que son père qui se trouvait très fatigué devait séjourner pendant quelque temps dans le Midi de la France et qu'il nous préviendrait de ton retour...

 

Cet entretien aurait été charmant et fort instructif. André Messager, en effet, était un homme aimable, d’esprit fin et de grande culture. Cet entretien aurait été tout fleuri de souvenirs précieux, d’anecdotes piquantes et savoureuses sur la vie musicale d’un demi-siècle, sur les maîtres de la musique française, ses amis, Debussy, Fauré, d’Indy. Chausson, Duparc... Cet entretien tout palpitant de vie, il faut l’imaginer et l’évoquer au moment où l’on trace un bulletin nécrologique, au moment où le maître ne vivra plus que dans notre souvenir ému et que dans ses œuvres immortelles.

 

André Messager est né à Montluçon. Il fut à l’Ecole Niedermeyer l’élève de Gigout, de Laussel et de Loret. De 1874 à 1884 il tint successivement l’orgue du chœur à Saint-Sulpice, le grand orgue à Saint-Paul-Saint-Louis et à Sainte-Marie-des-Batignolles. Sa première œuvre avait été une Symphonie que donnèrent les Concerts Colonne. Puis vinrent les œuvres de théâtre : un ballet aux Folies Bergère (Fleur d’oranger), Les Vins de France, Mignons et Vilains, François les Bas-Bleus, La Fauvette du Temple, La Béarnaise, puis le ballet Deux Pigeons qui ouvrit au compositeur les portes de l'Opéra et décida de sa carrière.

 

Les œuvres qui suivirent furent une succession de triomphes. Il suffit de rappeler les litres : la Basoche à l’Opéra-Comique, Scaramouche, Miss Dollar, la Fiancée en loterie, Mirette, les P’tites Michu, Véronique, les Dragons de l’Impératrice, Fortunio, le Chevalier aux fleurs en collaboration avec Raoul Pugno, la Montagne enchantée avec Xavier Leroux, Isoline, Madame Chrysanthème, L'Amour masqué, Coups de roulis, et cette énumération n'est pas complète. En dehors de la production dramatique, il faudrait citer aussi des pièces instrumentales et de nombreuses mélodies, des réductions et des transcriptions.

 

Mais, André Messager ne fut pas seulement compositeur, il fut aussi chef d’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, directeur et chef d’orchestre de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, critique musical et dramatique.

 

Sa disparition a jeté la consternation dans le monde musical où il ne connaissait que des admirateurs et des amis. Parmi les articles parus dans la presse, il en est qui caractérisent de façon particulièrement heureuse l'art du compositeur, nous en donnerons des extraits pour compléter ces notes biographiques.

 

Sous la plume autorisée de M. Pierre Lalo, dans Comœdia, nous trouvons cette appréciation : L’art de Messager « dit tout et ne sait jamais insister. Rien de trop, et rien d'à peu près non plus. Le style, si léger qu'il soit, est net et précis ; on dirait volontiers qu’il est solide, si la solidité ne se dérobait ici sous une facilité et une nonchalance apparentes. La plume court avec abandon et promptitude, mais sans négligence. Les idées sont élégantes, d’une courbe déliée et gracieuse ; l’orchestre est souvent exquis et forme, avec les faibles moyens dont dispose un théâtre d'opérette, l’atmosphère la plus enveloppante et la plus caressante à la mélodie. Parfois un petit mouvement de la sensibilité, et presque du cœur, se mêlant à l'esprit, accroît et complète la séduction par un accent fugitif de tendresse. On ne résiste pas à tant de bonne grâce, et si discrète : et c'est bien vrai que jamais le public ne lui a résisté. »

 

Et M. Emile Vuillermoz — dans Excelsior — précise en ces termes l’idéal et le rôle de Messager : « L'idéal artistique le plus caractéristique de notre terroir, celui des petits-fils de Montaigne et de Voltaire qui ne se paient pas de mots, qui ont l'œil clair, l'esprit vif, la répartie prompte, et qui ont la pudeur de leur émotion, ne fut jamais incarné plus complètement chez nous que par cet affectueux compagnon d’armes de Gabriel Fauré, ce boulevardier sarcastique et mordant qui affectait une jolie impertinence de grand seigneur et qui était, en réalité, un des critiques en action qui ont le mieux compris, le mieux défendu et le mieux servi l'art musical de leur temps. »

 

Gabriel Bender

(Le Guide musical, mars 1929)



Il y a cent ans naissait André Messager

 

 

André Messager, dont le 30 décembre dernier [1953] marquait le centenaire de la naissance, ne fut point un musicien prodige. Dans son enfance, aucun signe annonciateur de sa future carrière. Chez ce génie de l’opérette française, le sens musical allait se développer lentement, dans des conditions banales.

 

André Messager vint au monde dans une famille où la musique ne jouissait d'aucune faveur particulière. Ses parents avaient un piano. A l’occasion, on en tapotait. Mais l'idée d’avoir un fils compositeur était inconcevable pour le père de Messager, receveur des Finances à Montluçon.

 

Quand le jeune André eut atteint sa septième année on le mit en pension chez les Maristes afin qu’il y reçut une instruction classique. Comme il avait manifesté du goût pour le piano, on lui donna un professeur. « C’était, dira le futur compositeur, un vieux monsieur tout à fait bien, mais qui n'était pas plus pianiste que je ne suis grand-turc. Notez qu'il aurait peut-être très bien réussi comme planiste, mais il s'en était toujours tenu au violon... Le détail était d’ailleurs sans importance. L’important, c'était seulement, n’est-ce pas, que j’eusse un prétexte pour me rendre le plus souvent possible dans la petite salle du collège, où je pouvais continuer librement à tapoter sur le piano. » Si bien qu’André Messager risquait de maintenir encore longtemps ses dons enfermés dans l'amateurisme si un changement dans la situation de ses parents ne l’avait obligé à quitter sa pension et à choisir un métier sans tarder.

 

Depuis longtemps, Messager songeait à la composition. Il avait fait part à son père de son désir de s’y consacrer, mais celui-ci était demeuré sourd à ses désirs. Cette fois, contraint de disposer lui-même de son avenir, le jeune musicien décida de devenir organiste, et partit pour Paris.

 

C’est dans ces conditions que le futur auteur de La Basoche va entrer à l'Ecole Niedermeyer. Ses maîtres y seront A. Laussel pour le piano. Cl. Loret pour l'orgue, E. Gigout pour le contrepoint, Gabriel Fauré pour la composition. A vingt-deux ans, nanti de plusieurs récompenses, il en sort, et débute comme organiste à Saint-Sulpice, à l’orgue du chœur précédemment tenu par son Maître, Gabriel Fauré, son aîné de huit ans, qui était devenu son ami.

Habanera, op. 11, pièce extraite des 6 éditées vers 1888, op. 10 à 15
(Paris, Lemoine & Fils)
Fichier MP3 Fichier audio par Max Méreaux (DR.)

 

Bientôt, le jeune musicien mènera de front trois activités : celles d’organiste, de compositeur et de chef d’orchestre. Les titres, les récompenses, les réussites, vont alors se succéder.

 

André Messager est encore à l’orgue de Saint-Sulpice quand, en 1876, il écrit une Symphonie. L’ayant présentée à un concours de la Société des Compositeurs, il reçoit pour elle le premier prix. Puis il compose, en 1877, une Cantate à 3 voix —  Don Juan et Haydée — qui lui vaut une autre récompense tandis que la même année sa Symphonie est Jouée chez Colonne. En marge de sa fonction d’organiste, il accepte celle de chef d’orchestre aux Folies-Bergères. Le théâtre lui demande des divertissements. Il écrit alors son premier ballet Fleur d’Oranger, qui obtient un vif succès.

 

Voici donc Messager devenu musicien de théâtre. Il ne renonce pourtant pas à la musique religieuse, ni comme compositeur, ni comme exécutant. En 1882, il est promu au titre d’organiste à Saint-Paul-Saint-Louis et, en 1882, à celui de maître de chapelle à Sainte-Marie-des-Batignolles. Entre temps, il a écrit sa Cantate Prométhée qu’il présente à un concours de la Ville de Paris. Nouveau prix.

 

A vingt-neuf ans, André Messager a remporté trois prix comme compositeur ; il est chef d’orchestre le soir, organiste le jour ; en outre, auteur d’œuvres religieuses et de théâtre. Va-t-il choisir ? Va-t-il se spécialiser ?

 

Une occasion lui est offerte de prouver ses possibilités dans le domaine lyrique. Un jeune musicien du nom de F. Bernicat vient de mourir, laissant une œuvre inachevée. Cette œuvre est une opérette. Elle s'appelle François les Bas-Bleus. L’éditeur de Bernicat demande à Messager de la terminer. Messager accepte. En 1883, l’opérette est représentée, et son succès s’avère brillant.

 

Dès lors Messager s’orientera vers la musique légère. Le lyrique sera son domaine comme chef, et comme compositeur. On le verra successivement directeur de la musique à l’Opéra-Comique (1898-1903), directeur du Covent-Garden de Londres (1901-1907), directeur de l’Opéra de Paris (1907-1913), directeur des Concerts du Conservatoire (1908-1919), chef d’orchestre à l’Opéra-Comique (1919-1920)...

 

Comme compositeur, l’activité d’André Messager ne sera pas moins grande. Opérettes, opéras comiques et ballets se succèdent : La Fauvette du Temple, La Béarnaise, Le Bourgeois de Calais, Le Mari de la Reine, Miss Dollar, Mirette, La Fiancée en loterie, Les Deux Pigeons (1886), Les P’tites Michu (1897), Isoline (1888), La Basoche (1890), Madame Chrysanthème (1893), Le Chevalier d’Hermental, Véronique (1898), Les Dragons de l’Impératrice, Fortunio (1907), Béatrice, Monsieur Beaucaire (1919), Passionnément (1928), Coups de Roulis (1928), Scaramouche, Le Chevalier aux Fleurs, Une aventure de la Guimard, etc..., sans oublier des musiques de scène, des pièces pour piano, pour piano et violon, des romances. En outre, le musicien donne des articles au Gaulois, au Figaro », à Musica.

 

Quels furent le rôle et la place d’André Messager dans la musique de son temps ?

 

Comme chef d’orchestre : celui d'un animateur perspicace qui témoigna d'un intérêt curieux à l’égard de ses contemporains et prit la défense de tous ceux dont il décelait la valeur. C’est sous la baguette d’André Messager que furent créées des œuvres qui comptent parmi les plus représentatives de l’art lyrique français du début de ce siècle : Louise, Pelléas et Mélisande, Fervaal. C’est André Messager qui conduisit aux Ballets Russes de Serge Diaguilew des ballets considérés comme avant-gardistes : Train Bleu de Milhaud, Les Fâcheux de Georges Auric, Les Biches de Poulenc. Wagnérien convaincu, il fut le créateur de Parsifal en France et dirigea l’intégrale de la Tétralogie.

 

D’après les témoignages de ceux qui le virent diriger, le talent du chef était chez Messager digne du musicien. « Outre la clarté, il insufflait la vie à ses exécutions, les marquait de sa personnalité, lisons-nous sous la plume de Raymond Balliman dans l’Art Musical. Cette clarté, il l’apportait aux répétitions dont elle facilitait et accélérait singulièrement le travail, bien qu’il ne laissât rien passer. Son oreille percevait toute défaillance, son œil découvrait instantanément dans la partition l’erreur ou le point faible. Il relevait et corrigeait comme en se jouant tout texte erroné... Sa vive intelligence qui saisissait tout à demi-mot s’agaçait de n'être pas comprise de même ; sa volonté de fer qui lui faisait supporter la fatigue ne tolérait pas chez les autres le moindre relâchement. A une répétition de l’Or du Rhin, les clarinettes, à un moment, ne partent pas. Mécontent, il leur jette : « Vous êtes deux à votre pupitre ; si l’un dort, que l’autre se réveille ! »

 

Mais l’importance efficace du rôle du chef s’effacera, pour la postérité, derrière la valeur du compositeur. Or ici, l’inestimable mérite d’André Messager est d’avoir donné à l’opérette une valeur musicale, d’avoir haussé un genre « mineur » — comme est « mineur » l’art de la ciselure — au niveau le plus élevé, d’avoir réalisé des « airs » qui ne fussent non point « faciles » mais savamment écrits, dénués de toute vulgarité et de toute concession au goût du public, empreints d’élégance, de sensibilité — des airs que sont aussi valables que les meilleures mélodies.

 

Les qualités d’André Messager sont typiquement françaises. Et si sa musique est « légère », c’est dans le meilleur sens de ce mot, avec tout ce qu’il sous-entend de charme dans la forme et de vivacité dans l’esprit.

 

Claude Chamfray

(Le Guide du concert, décembre 1953)




Obsèques le 1er mars 1929 à l'église Saint-François-de-Sales, Paris 17e
(photo Agence de presse Rol, coll. BNF-Gallica)
Relation des obsèques dans la presse [Henri Nibelle est alors titulaire de l'orgue et Isidore Massuelle maître de chapelle]
(in le Petit Journal, 2 mars 1929)

 

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