HISTOIRE CROISEE D'UNE INSTITUTION ET D'UNE FAMILLE
THEATRE DES CHAMPS-ELYSEES
le
et les STRARAMThéâtre des Champs-Elysées, Paris
( coll. Eric Straram ) DREn regardant les archives du Théâtre des Champs-Elysées et de la Société Immobilière du Théâtre des Champs-Elysées, les responsables de cette société ont été frappés par la longue implication (plus de quarante ans) de la famille Straram dans la vie du théâtre et de l'immeuble du 15 avenue Montaigne.
Trois générations se sont ainsi succédées, à des postes de responsabilités différents, mais souvent essentiels pour la vie de cette maison dont le prestige se confond avec celui de la vie artistique et musicale parisienne.
C'est un fait assez rare pour être souligné : directeur artistique, chef d'orchestre, mécène, partenaire ou administrateur, il y a toujours un Straram au Théâtre des Champs-Elysées.
C'est leur histoire, croisée avec celle du Théâtre des Champs-Elysées, que leur représentant actuel, Eric Straram, a bien voulu retracer ici. On y retrouve une constante interpénétration entre la vie de l'immeuble et la vie artistique, entre les musiciens et les comptables.
On y retrouve également une grande continuité dans les interrogations de la maison :
- comment financer un théâtre privé,
- quelle importance donner à l'art lyrique,
- quelle politique par rapport aux concurrents,
- quel est le rôle du mécène,
- comment rentabiliser au mieux les espaces.Notons simplement que lors de la magnifique reprise du Théâtre des Champs-Elysées par Walther Straram et son mécène, Madame Canna Walska, en 1926, les bénéfices espérés des locations devaient être mis au service de la seule programmation artistique.
Heureuse époque où la jeunesse du bâtiment permettait encore défaire l'impasse sur son entretien.
Le Conseil d'administration
de la Société Immobilière
du Théâtre des Champs-Elysées
AVANT-PROPOS
Je remercie le Conseil d'administration de la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées et plus particulièrement Madame Michèle Audon, initiatrice de ce projet, sans qui ce travail n'aurait pu être réalisé.
Il permet de reconstituer la mémoire d'une partie de la vie artistique et administrative du Théâtre des Champs-Elysées. Ce témoignage apporte et fixe définitivement des souvenirs authentiques qui, sans la demande de la Caisse des Dépôts et Consignations, n'auraient jamais été écrits et seraient probablement perdus à tout jamais.
Maintenir le patrimoine en l'état et le faire connaître, c'est aussi tenter d'en faire revivre les archives.
Je me suis appliqué à ne relater que des faits prouvés et j'espère que le résultat de mon travail ne sera pas trop indigne du sujet.
Je n'ai pas écrit pour célébrer les Straram, mais pour remercier ceux qui s'intéressent à ce qu'ils ont apporté au Théâtre des Champs-Elysées et pour rendre hommage à ceux qui en ont aujourd'hui la responsabilité.
A l'aube du XXème siècle ou de l'an 2000, dans tout théâtre, l'administration, la gestion et la politique artistique ont dû et devront toujours collaborer. Au mieux, chacun de ces pouvoirs poursuit le même but ; assurer la bonne marche et la réussite du théâtre.
Au pire, chacun ou bien l'un ou l'autre des pouvoirs, détourne l'objectif général en objectif... personnel !
Difficultés, réussites, équilibre... nous tenterons dans ce petit essai, de survoler les voies empruntées par le mécénat, la direction artistique, la direction administrative qui ont, à leur façon, maintenu le Théâtre des Champs-Elysées depuis sa création jusque vers les années 1970.
Les références seront exclusivement des déclarations provenant de courriers, de cahiers, de livres écrits :
- par les protagonistes,
- par les critiques et journalistes des époques concernées,
- par des amis et/ou des artistes contemporains des faits cités.
Eric Straram (1998)
administrateur de la Société immobilière
du Théâtre des Champs-Elysées depuis 1981
1 - UN DÉNOMMÉ WALTHER STRARAM
... où l'on trouve pour la première fois le nom de Walther Straram attaché à l'activité du Théâtre des Champs-Elysées...
Né en 1876, originaire du pays de Comminges par son père et anglais par sa mère, Marie Emile Walter Marrast se fait appeler Walther Straram (anagramme de Marrast), tout comme son père, violoniste et compositeur l'avait déjà fait en son temps. S'il préfère le prénom de Walther, c'est en référence au Walther Von Stolzing des Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Richard Wagner, qui symbolise le génie sans contrainte et le renouveau de l'art musical vers un nouvel idéal...
Simple détail, mais qui nous éclaire sur les objectifs et les desseins qu'il formera pour le théâtre des Champs-Elysées auquel il se sentira si fortement lié pendant de nombreuses années de sa vie.
Dès le printemps 1914, c'est-à-dire un an après l'ouverture du Théâtre des Champs-Elysées, on voit apparaître sur les affiches de ce théâtre des noms prestigieux : Nelly Melba, Mary Garden... Lors des représentations du Boston Opéra Company et du Covent Garden de Londres. Or, précisément, Walther Straram avait été répétiteur de Mary Garden en 1910 au Manhattan Opéra de New-york et avait fait, le 23 janvier 1912, ses débuts à Boston comme chef de chant et assistant conductor d'André Caplet. Il revient momentanément à Paris le 25 avril 1914, au Théâtre des Champs-Elysées, comme chef de chant, afin d'assurer la saison du Boston Opéra Company et du Covent Garden, auxquels le théâtre avait été loué. Ces spectacles réunissaient les plus grands chefs d'orchestre de l'époque : Félix Weingartner, Nikisch, Coates, dans un programme exceptionnel de neuf opéras, de Verdi, Puccini, Wagner, Mozart, Léoncavallo, Wolf-Ferrari... Après son passage au Théâtre des Champs-Elysées, Walther Straram diffuse l'idée que ce Théâtre est :
"la seule salle à Paris capable de fortifier le mouvement musical en lui permettant de se manifester, de se concentrer sur un point principal qui est d'être à la fois le foyer et la maison de la musique française et étrangère. Ceci constitue, dans son état actuel, une force sans précédent pour le développement de la culture musicale."
Cette remarque est significative de deux préoccupations majeures de Walther Straram :
- faire connaître la musique française contemporaine qui, à cette époque, était très créative et prolifique, mais n'avait pas de lieu pour se produire,
- étendre la culture musicale à tous les niveaux sociaux. Ces idées, si novatrices en ce début de siècle, allaient avoir une influence considérable pour l'avenir du Théâtre des Champs-Elysées. En juin 1915, ne pouvant plus payer ses loyers, la Société anglo-américaine d'opéra, titulaire du bail du Théâtre des Champs-Elysées, est mise en liquidation. La guerre rendant la situation de plus en plus difficile, il faudra attendre huit ans pour revoir des opéras, entre autres, un festival Mozart sous la direction de Walther Straram. Au cours de l'hiver 1917, seules quelques rares manifestations de bienfaisance au profit d'oeuvres patriotiques interrompent le silence des salles du Théâtre des Champs-Elysées mais le déficit, lui, continue à s'alourdir. Walther Straram ne reprendra ses activités musicales qu'au début de l'année 1919. Au début de la guerre, la cantatrice Jane Bathori, dont Walther Straram avait été le professeur, prend la direction du Théâtre du Vieux Colombier. Dès la démobilisation de Walther Straram, Jane Bathori lui propose une association, en qualité de directeur artistique, pour continuer l'exploitation de la nouvelle « Ecole Théâtrale » de Louis Jouvet et Charles Dullin, (on retrouvera, en 1925, Louis Jouvet directeur de la Comédie des Champs-Elysées et la rénovation du Vieux Colombier sera faite bien plus tard par Jacques Marrast, neveu de Walther Straram). Pour la réouverture, le 2 décembre 1919, Walther Straram dirige un concert au programme duquel est inscrit en première audition Le Dit des Jeux du Monde d'un jeune compositeur jusqu'alors inconnu : Arthur Honegger. Avec ce souci d'éclectisme, que l'on retrouvera dans tous ses concerts, Walther Straram jouera quelques jours après Le Jeu de Rabin et de Marion, pastorale dramatique de Adam de la Halle dit le Bossu d'Arras, trouvère du I3ème siècle, puis l'une des premières œuvres d'Emmanuel Chabrier : Exquis et Léger et enfin La Pastorale de Noël, de Reynaldo Hahn, avec Jane Bathori en soliste. Des liens d'amitié unissaient Alfred Cortot, Walther Straram et Reynaldo Hahn. Ce dernier l'avait présenté à Marcel Proust 1 qui, en 1914, avait dédicacé A l'ombre des jeunes filles en fleurs à Gabriel Astruc. Pendant ce temps, le 20 janvier 1920, la Société Immobilière du Théâtre des Champs-Elysées signe un bail de location de quinze années à Messieurs Quinson et Wittouk. Les Ballets Russes de Diaguilev réapparaissent et un mécène suédois, Rolf de Mare, va suivre leur exemple. Grâce aux danseurs de l'Opéra de Stockholm qui acceptent son projet, il crée sa troupe, s'installe aux Champs-Elysées dont il deviendra plus tard titulaire du bail, et parcourt l'Europe. Sans abandonner son Vieux-Colombier, Walther Straram retournera, durant les années 1921-22, diriger en Europe divers orchestres et en particulier les Orchestres Philharmoniques de Berlin, Vienne et Prague avec le concours de la cantatrice Julia Nessy. Il interprétera notamment des œuvres de Caplet, Debussy, Aubert et Ravel, faisant ainsi la promotion de la musique française. Déjà en 1905 et 1906, il était allé à Bayreuth avec ses amis Mallarmé et Cortot, il y avait rencontré Richard Strauss dont il fut l'assistant à Munich pendant quelques temps. En mars 1907 il avait créé à Paris Salomé au cours d'une représentation privée au Petit Théâtre. 2
Ganna Walska ( coll. Eric Straram ) DR |
2 - UNE CERTAINE GANNA WALSKA
....ou l'art de transformer une élève en mécène!...
1920 LES PREMIERS COURS DE CHANT
Après cinq ans passés aux Etats-Unis entre Boston, New-York et Chicago, interrompus par des allers et retours à Paris et un bref passage en 1914 aux Champs-Elysées, Walther Straram poursuit ses cours de chant. Parmi ses élèves on trouve, entre autres, Mary Garden, Georgette Leblanc 3, Jane Bathori, Charles Panzera etc, et, une certaine Ganna Walska 4, riche américaine d'origine polonaise qui défraie la chronique par ses mariages avec des hommes célèbres et fortunés. Le Monde Musical de novembre 1924 en fera le portrait suivant :
Élève de Walther Straram, Madame Ganna Walska fit ses débuts en Amérique aux côtés du célèbre Caruso, dans Les Pêcheurs de Perles, de Bizet. Puis elle vint en France et frit contact avec le public parisien, aux concerts Pasdeloup (direction A.Caplet) dans la neuvième symphonie de Beethoven et quelques mois plus tard à la salle Caveau, dans un concert où elle chanta l'air de Constance de l'Enlèvement au Sérail, avec orchestre. Peu de temps après, elle parut à l'Opéra dans Gilda du Rigoletto de G. Verdi.
En Allemagne, tout récemment, Mme G. Walska a été favorablement accueillie par la critique à Magdebourg, Hambourg, Leipzig, Dresden et Berlin, où elle paraîtra au Staatsoper en avril prochain, dans Butterfly..."
Ganna Walska dira dans ses mémoires :
Walther Straram a été l'un des plus grands musiciens et des plus grands hommes aux qualités intellectuelles supérieures qu'il m'a été permis de rencontrer. Il avait une profonde connaissance de la voix et m'a fait apprécier la partie la plus importante d'un opéra... l'orchestre ! 5
Mais revenons au début des années vingt !...
La révélation par Walther Straram à son élève de ses vues sur le Théâtre des Champs-Elysées a été déterminante pour l'avenir de cette maison :
Du point de vue de l'intérêt général et artistique du mouvement musical, le Théâtre des Champs-Elysées offre des possibilités uniques. Il doit être, à la base, une exploitation immobilière servant à faciliter son exploitation artistique.
Quel changement de ton, si l'on se souvient qu'au moment où Gabriel Astruc déposait le bilan, le 11 novembre 1913 à 9 heures 30, Monsieur le comte Brunetta d'Usseaux, administrateur du Théâtre des Champs-Elysées, présentait la motion suivante :
dans l'intérêt des actionnaires et du capital social et en vue de chercher le meilleur rendement dudit capital propose d'abattre le théâtre et de construire deux immeubles de rapport.
Mais une nouvelle société est créée.
3 - UNE OPPORTUNITÉ : THÉÂTRE DES CHAMPS-ELYSEES CHERCHE ACQUÉREUR
1921 WALTHER STRARAM SUGGÈRE À GANNA WALSKA DE RACHETER LE CONCORDAT ET DE DEVENIR PROPRIÉTAIRE DE CE BEAU THÉÂTRE DONT ON POURRAIT FAIRE UN HAUT LIEU DE L'ART LYRIQUE...
Le 29 juillet 1921 le Tribunal de Commerce accepte la proposition de Ganna Walska de racheter le concordat du Théâtre des Champs-Elysées. En 1922 elle acquiert, en souscrivant à l'augmentation de capital, la majorité des actions privilégiées de la Société Immobilière du Théâtre des Champs-Elysées... et nomme Walther Straram administrateur. Ganna Walska devient ainsi propriétaire du Théâtre des Champs-Elysées, mais malheureusement, elle devra attendre juillet 1928 pour être libérée de tous ses locataires. L'usage des lieux était grevé par des baux consentis à différents producteurs de spectacles : Quinson, Hébertot, Rolf de Mare, Feldman... Ces derniers avaient programmé essentiellement des spectacles de ballets : les Ballets Suédois de Rolf de Mare, les Ballets Russes de Diaghilev, puis quelques concerts de la Société des Nouveaux Concerts, avec Inghelbrecht et les Concerts Pasdeloup. Dès 1922, avant même de pouvoir disposer des lieux, Ganna Walska demande à Walther Straram d'étudier la possibilité d'y réaliser un théâtre musical international. Walther Straram est alors administrateur. Pendant qu'il établissait un projet sur la base d'un capital de 20 millions (qu'il estimera, en 1926, après la crise économique, devoir être porté à 60 millions), le Théâtre, qui avait fait l'objet d'une cession de bail de Quinson à Hébertot, périclitait de jour en jour sous la direction de ce dernier. On peut lire dans le rapport du Conseil d'Administration du 29 juin 1922 :
Il y avait des différends chroniques sur la répartition des charges entre locataires et sous-locataires, ainsi que sur le transfert au bail à titre définitif au nom de M. Hébertot...
Ou bien encore, de la main de Walther Straram :
En effet, les recettes devenaient pour ainsi dire nulles, mais ce qui était encore plus grave, les spectacles étaient d'une telle médiocrité, que le discrédit le plus complet n'avait pas tardé à s'emparer du public.
Une exploitation de music-hall par Rolf de Mare achève de déclasser le Théâtre dans l'opinion publique et de le ruiner. En avril 1923, deux nouveaux administrateurs qui font parti de l'entourage de Walther Straram : Alfred Richard et Elie de Bassan, sont nommés à la Société Immobilière.
4 - CHEF D'ORCHESTRE, VIOLONISTE, PIANISTE, CHEF DE CHANT, WALTHER STRARAM COMMENCE A RÉALISER UN GRAND SOUHAIT
...où Ganna Walska épouse Monsieur Mac Cormick, célèbre industriel américain : elle étend son mécénat et permet à Walther Straram de constituer un orchestre comme il l'entend…
Dès les premiers mois de 1923, Walther Straram se met à l'œuvre pour constituer cet orchestre auquel il confiera une double mission : être "le meilleur" et faire connaître à tous les publics le répertoire classique et contemporain. Patiemment, il commence à recruter ses musiciens, les meilleurs instrumentistes des formations du moment. Lily Laskine, harpiste de l'orchestre Straram, le décrivait ainsi :
Cet homme qui choisissait ses musiciens avec le soin d'un amateur de fleurs rares.
Il souhaitait que chaque musicien puisse jouer en solo. Tous étaient pour la plupart des chefs de pupitre et, pris individuellement, de véritables virtuoses. Il voulait que cet orchestre atteigne la perfection dans tous les répertoires. Roland Manuel expliquait que :
Son oreille - la plus intelligente et la plus fine du monde - lui faisait discerner, par delà les vertus propres d'un chanteur ou d'un instrumentiste, les secrètes affinités qui le destinaient à s'appareiller avec tel ou tel autre. C'est cette oreille qui a choisi, musicien par musicien, pupitre par pupitre, les éléments d'un orchestre sans doute unique au monde. C'est cette oreille qui a obtenu, après de minutieuses répétitions, ces exécutions inoubliables où la même perfection du travail effaçait les traces de l'effort des concertistes et de leur chef.
Organisme privé soutenu par le mécénat, la Société de l'Orchestre Straram avait une liberté d'action plus grande que les formations subventionnées par l'État. Chaque détail d'une interprétation pouvait être repris autant qu'il était nécessaire, le nombre des répétitions n'étant pas limité, ce qui permettait d'approcher la perfection. Dans de telles conditions, la mise au point d'un nombre considérable d'ouvrages nouveaux devenait possible et donnait aux programmes des Concerts Straram une richesse incomparable. Précurseur des « Jeunesses Musicales », il y a 70 ans déjà, Walther Straram distribuait des billets à prix réduits aux étudiants ainsi que des billets gratuits aux aveugles, et insérait dans ses saisons quatre concerts de culture musicale pour la jeunesse.
Véritable mécène, il ouvrait largement ses concerts aux étudiants et aux amateurs peu fortunés et travaillait à faire connaître les meilleures productions de l'école contemporaine. 6
Un vrai philanthrope : ses concerts que tous pouvaient entendre, pauvres et rides, car ne l'oublions pas, c'était presque pour rien, que cet admirable artiste se prodiguait. 7
C'est son désintéressement personnel qui justifiait pleinement l'aide du mécénat et l'admiration de Ganna Walska. Elle accordait ses libéralités sans aucune réticence sachant qu'il n'en abuserait pas. Aussi, Walther Straram aura une implication de plus en plus importante dans le développement et la vie du Théâtre des Champs-Elysées afin qu'il redevienne ce qu'il avait été et ce qu'il est encore aujourd'hui.
5 - LE TON EST DONNE
…vous avez dit "moderne"?...
1923 : WALTHER STRARAM LOUE LE THÉÂTRE DES CHAMPS-ELYSÉES POUR Y DONNER QUATRE CONCERTS DE MUSIQUE "MODERNE INTERNATIONALE"
Les premières apparitions de l'Orchestre Straram se font en avril et mai 1923, au Théâtre des Champs-Elysées où Walther Straram organise quatre concerts de Musique Moderne Internationale permettant ainsi de faire découvrir : Schoenberg, Malipiero, Bartok, Honegger, Suk, Casella, Webern, jusqu'alors méconnus en France.
"La tentative la plus méritoire, la mieux raisonnée a été, jusqu'à présent, celle de Walther Straram qui, aux Champs-Elysées, nous donna, en quatre séances, un judicieux aperçu des principaux partis siégeant actuellement dans le parlement musical européen." 8
1924 : WALTHER STRARAM MONTE UN FESTIVAL MOZART
Walther Straram embarque le 7 septembre 1923 au Havre pour New-York et Chicago. La raison en demeure encore inconnue ! Peut-être était-ce pour obtenir un financement car, dès son retour avec Ganna Walska, le 13 février 1924, il loue à nouveau le Théâtre des Champs-Elysées pour monter un festival Mozart.
Ganna Walska était consciente de sa position :
Je pris un bateau pour Paris où je devais donner un festival Mozart. Le Théâtre des Champs-Elysées était ma propriété mais je ne pouvais que louer le théâtre car le bail concédé à Hébertot devait courir encore onze ans. La seule différence était qu'en ma qualité de Mrs Harold Mac Cormick je devais payer beaucoup plus que toute autre personne.
Pour ce festival, Walther Straram donne trois opéras de Mozart (Don Juan, Cosi Fan Tutte et Les Noces de Figaro, avec Ganna Walska dans le rôle de la Comtesse), interprétés dans la langue originale. Il s'occupe de la mise en scène, des décors et dirige son orchestre. Il donne trois fois chaque opéra, entrecoupé par deux concerts dont l'un comprenait le Requiem avec Ganna Walska en soliste. D'après les musicologues, le Requiem de Mozart était rarement exécuté à cette époque.
A partir d'avril 1924, les réunions du conseil d'Administration de la société Immobilière du Théâtre des Champs-Elysées ne se tiennent plus au 15 Avenue Montaigne mais chez Ganna Walska, en son hôtel particulier du 14, rue de Lubeck. Ce détail montre l'esprit et la fantaisie avec laquelle les affaires se traitaient à cette époque, fantaisie qui se retrouve dans la gestion, les personnalités ayant plus d'importance que les chiffres, et les prévisions étant plus qu'aléatoires.
6 - L'ORCHESTRE DES CONCERTS WALTHER STRARAM OUVRE LA PLACE DE PARIS AUX COMPOSITEURS CONTEMPORAINS INTERNATIONAUX
…en attendant la plus belle salle...
Dans le texte ci-dessous, Walther Straram exprime très clairement son besoin de servir la musique, de faire connaître les oeuvres nouvelles, de développer la culture musicale, mais toujours dans un contexte international :
Depuis une trentaine d'années, à l'insu même de la majorité des auditeurs, la musique moderne française a pris la tête du mouvement international. Il existe aussi en France une élite d'instrumentistes de premier ordre qui, par suite de raisons matérielles n'avaient pu être groupés en un orchestre capable de rivaliser avec certains grands orchestres étrangers.
"Compléter l'éducation musicale de l'auditeur français, réunir en un orchestre parfait de merveilleux éléments éparpillés, tel est le but que se proposent les Concerts Walther Straram.
A chaque concert est donnée la première audition d'une œuvre française à tendance nouvelle et qui, en même temps, doit toujours être de qualité. Sont également accueillies les œuvres marquantes de toutes les écoles et de toutes les époques, mais surtout les moins connues en France.
Parmi les chefs d'œuvre classiques, on choisira de préférence les moins populaires. En vertu de ce principe, on fera donc plus fréquemment appel à l'œuvre si considérable d'un Mozart qu'à celle d'un Beethoven.
Ainsi, tout en poursuivant la culture de l'auditeur français, pourra-t-on offrir à l'auditeur étranger, une manne musicale qu'il ne trouve pas d'ordinaire dans nos programmes.
1925... 1926... 1927
Un événement important survient en 1925 : l'Exposition Internationale des Arts décoratifs à Paris. A cette occasion, la section française de la Société Internationale de Musique Contemporaine, dirigée par Paul Dukas, Maurice Ravel et Albert Roussel, invite Walther Straram à donner au Théâtre de l'Exposition (construit spécialement à cette occasion par Perret et Granet sur l'esplanade des Invalides) trois concerts symphoniques exceptionnels les 4, 8 et II juin 1925. Vingt quatre compositeurs différents dont Kurt Weill, Schoenberg, Honegger, Bartok, Stravinsky... en 1925. Parmi les solistes, Marcel Darrieux, Maurice Maréchal, Jean Wiener, Julia Nessy... que l'on retrouvera pour la plupart dans l'Orchestre Straram et qui feront par la suite de grandes carrières. Ces concerts de musique symphonique retiennent l'attention de nombreux auditeurs étrangers. Les Concerts Straram commencent à être connus et l'internationalisation du choix des œuvres et des compositeurs amène la critique étrangère à y faire de plus en plus allusion. Des compte-rendus de ces concerts paraissent régulièrement dans la presse spécialisée américaine et allemande, les deux pays où Walther Straram avait commencé sa carrière. Ganna Walska ressent l'importance pour elle et le Théâtre des Champs-Elysées de cette renommée sans cesse grandissante pour l'institution et son chef. Aussi use-t-elle de toute son influence auprès de Walther Straram pour le décider à rendre beaucoup plus régulières ses apparitions en public en adoptant la formule des autres orchestres parisiens : les saisons de concerts. Le temps de réflexion concernant la promesse éventuelle d'un mécénat fut bref, et Walther Straram décide que, dès l'année suivante, son orchestre se produirait en public tous les jeudis soirs à 21 heures, du mois de janvier au mois de mai. Ce fut la première de ce que nous appellerons désormais les « Saisons de l'Orchestre Walther Straram.».Pourquoi les jeudis ? Les mélomanes parisiens se plaignaient souvent que les concerts ne se donnaient qu'en fin de semaine. Walther Straram veut combler ce vide et prouver que la musique, même moderne peut être jouée en dehors des week-end. Pendant ce temps la presse s'interroge sur l'avenir du Théâtre des Champs-Elysées. En janvier 1925, elle titre :
Hébertot va t'il abandonner le Théâtre des Champs-Elysées ?... Allô! Allô! qu'en est-il du triumvirat Mac Cormick, Rolf de Mare, Straram?
Quant à l'administration du Théâtre des Champs-Elysées, devant l'insistance des journalistes, le 18 janvier 1925, elle finit par transmettre le communiqué suivant :
Pour répondre à certaines informations erronées, nous vous prions défaire savoir que monsieur Jacques Hébertot a cédé ses droits dans la société qui exploite le Théâtre des Champs-Elysées. Il ne nous est pas possible de dire quel est le groupe qui s'est rendu acquéreur des actions. Toutefois et contrairement à ce qui a été affirmé, Madame Mac Cormick et Monsieur Straram n'en font pas partie.
Ne disposant toujours pas de la salle du Théâtre des Champs-Elysées, (le bail est encore entre les mains d'Hébertot), Straram devra se produire ailleurs. Les saisons de 1926 et 1927 auront donc lieu à la salle Gaveau et celle de 1928 à la salle Pleyel en désespoir de cause. Walther Straram estimait que la salle Gaveau avait pour inconvénient un nombre de places trop restreint, quant à la salle Pleyel, son opinion en était des plus mauvaises :
Pour remédier à l'absence de salles de concert à Paris, Monsieur Gustave Lyon a consacré une quinzaine d'années à l'étude d'un projet financier et technique, notamment acoustique, qui a abouti en 1921 à l'inauguration de la salle Pleyel. Celle-ci ne répond en rien au lut poursuivi. L'acoustique y est déplorable ainsi que l'aménagement technique. Le plan de construction ne permet aucune modification, l'architecture et la décoration sont désastreuses, seule sa contenance permettrait une base économique et commerciale possible.
Pour revenir à la saison 1926 à Gaveau, la critique pour cette première saison a été enthousiaste et le public chaque fois plus nombreux. 9
Walther Straram semble vouloir s'attaquer, chez nous, à quelques vieux préjugés courants. Il nous a donné une symphonie de Brahms entre une page de Roland Manuel, une de Ravel et une d'Honegger. Cela n'a l'air de rien, mais quand on connaît les manies de nos auteurs distingués, c'est tout simplement, un coup d'Etat. 10
Pour obtenir le meilleur orchestre, il faut cueillir la fleur de nos quatre beaux orchestres dominicaux afin d'en constituer une sorte de super orchestre hors concours. C'est ce qu'avait tenté Serge Koussevitski, c'est ce que vient de réaliser magnifiquement Walther Straram. Paris possède désormais les éléments constitutifs du meilleur orchestre du monde. 11
Cela ne plaît pas à tout le monde et en particulier à nos institutions nationales (l'Orchestre Colonne, les Concerts Pasdeloup, la Société des concerts du Conservatoire). Ceux qui en prennent le plus ombrage s'appellent Paul Paray, Ingelbrecht et Gaubert. Pour preuve :
Gaubert! Gaubert! vous êtes un excellent chef d'orchestre mais vous avez tort de faire des proclamations à trop haute voix lorsque vous prenez un bock, le soir, au Critérion. Taisez-vous! des oreilles amies vous ont entendu, elles ont appris ainsi que les concerts Straram avaient le don de vous irriter, vous et quelques uns de vos chers collègues. Vous ne pardonnez pas à ce remarquable musicien qu'il ait eu la chance de pouvoir organiser le jeudi soir des concerts symphoniques réunissant dans un orchestre les meilleurs solistes de Paris. Il possède une phalange incomparable qui fait le plus grand honneur à la musique de France et qui honore en même temps les orchestres dont vous et vos amis êtes les chefs. Dans ces conditions, pourquoi lui faites-vous grise mine ? Parce qu'il prépare ses concerts plus confortablement que vous ? Parce qu'il répète plus souvent ?... Allons, ayez de l'élégance. On sait bien que si vous avez trop peu de répétitions, c'est parce que les temps sont durs et qu'il faut faire des économies. On ne vous reproche pas votre pauvreté. Mais, de grâce, quand le destin veut bien nous faire quelques libéralités, ne maudissez pas les dieux des présents qu'ils nous envoient. Lorsque les intérêts de la musique entrent en lutte avec ceux des musiciens, je vous avoue que je suis toujours disposé à déclarer que c'est la musique qui a raison. 12
L'avant dernier concert de cette saison 1926 comporte le Requiem de Mozart avec Ganna Walska, le Psaume 47 de Florent Schmitt et la saison s'achève avec la participation de Vladimir Horowitz dans le premier Concerto de Liszt. Le succès de cette première saison à Gaveau aurait permis, si elle avait eu lieu au Théâtre des Champs-Elysées, de rendre à ce dernier le lustre qu'il avait perdu. Après cette saison, Walther Straram donne un concert pour Pro Musica. Ensuite il dirige à Zurich au Festival de la Société Internationale de Musique Moderne et donne un concert à Évian. Le Festival de Zurich, qui s'était produit les années précédentes à Salzbourg et Venise, était important pour la vie musicale européenne et regroupait chaque année plus de deux cents congressistes pendant une semaine. Walther Straram avait certainement à l'esprit les spectacles qu'il pourrait monter au Théâtre des Champs-Elysées, les années suivantes. Ce Festival, très mondain, auquel il participe comme chef d'orchestre en compagnie d'Honegger, Webern, Cassella, Tansman... (compositeurs qu'il fit découvrir en 1923 à ses quatre concerts de Musique Moderne Internationale et en 1925 à l'Exposition des Arts Décoratifs) lui permit d'avoir de nombreux contacts qui se révéleront très utiles lorsqu'il dirigera le Théâtre des Champs-Elysées. Ce Festival fut prétexte à réunir chaque année d'éminentes personnalités du monde musical : compositeurs, chefs d'orchestres, éditeurs, imprésarios des deux continents pour des échanges intellectuels précieux, dissipant les préventions et facilitant la coopération artistique. Le contexte dans lequel se déroulaient ces réunions était fort agréable : soirées dans les jardins en terrasses dominant le lac, thé offert par Madame Rietter sous les ombrages de sa villa qui avaient abrité les amours de Wagner et Mathilde Wesendonck, réception autour de la table de M. et Mme Mac Cormick avec Koussevitsky, Furtwängler, Busch, Straram, Fitelberg (qui avait dirigé un orchestre constitué par Walther Straram, pour les Ballets Russes, en 1924). En juin 1926, Walther Straram sera élu membre du jury du Festival chargé des programmes.
Pendant ce temps, au Théâtre des Champs-Elysées, Jacques Hébertot cède ses droits à Rolf de Mare, le mécène des Ballets Suédois, sans effectuer de cessions notariées et sans autorisation de la Société Immobilière comme son bail l'y obligeait.
Très attendue par le public et la critique la seconde saison des Concerts Walther Straram débute donc, salle Gaveau, le 27 janvier 1927 et obtient un succès toujours grandissant. Mais Walther Straram pense toujours au Théâtre des Champs-Elysées et, dès 1926 et 1927, avant même d'en être nommé directeur, il prépare un projet dans lequel il fixe les buts artistique et financier qu'il souhaiterait donner :
Le but de l'exploitation du Théâtre des Champs-Elysées est de créer à Paris un lieu qui, tout en étant le centre au mouvement musical de cette ville, permette à celui-ci de se développer en y ajoutant l'apport de toutes les manifestations musicales internationales devant le public parisien qui comprend la plus grande diversité d'étrangers, qui est le point de rencontre des différentes cultures et le centre musical de l'Europe, parfaitement situé géographiquement vis à vis du Nouveau Monde.
Le but financier de l'exploitation est d'utiliser ses bénéfices pour l'augmentation de son capital et de mettre celui-ci au service des manifestations artistiques qui, dans l'intérêt du théâtre et de l'art, méritent d'être aidées temporairement jusqu'à ce qu'elles puissent vivre par elles-mêmes.
La base de l'exploitation commerciale doit être d'ordre immobilier et les bénéfices qu'elle devra réaliser pourront ultérieurement constituer le capital d'entreprises artistiques.
Le Théâtre des Champs-Elysées, dans son ensemble, devra être aménagé spécialement pour obtenir, par le plus grand nombre possible de locations de différentes sortes, le rendement maximum de l'immeuble.
Ces différentes locations, seront exclusivement destinées, sous les formes les plus variées, à toutes les branches de l'activité musicale. Leur ensemble créera au Théâtre des Champs-Elysées, le centre du mouvement musical dont elles profiteront réciproquement.
Ces locations devront être réparties de manière à ce que les dépendances de l'immeuble produisent un rendement qui puisse, surtout au début de l'exploitation, alléger le prix de revient de la salle.
L'ensemble du théâtre sera destiné à la musique et à tout ce qui s'y rattache de la manière la plus complète.
Walther Straram aimerait faire venir au Théâtre des Champs-Elysées, les concerts qui ont lieu à l'Opéra, Pleyel, Gaveau et le Conservatoire. Il cherche et utilise tous les moyens pour inciter les grandes organisations de concerts à louer cette salle en leur en présentant les avantages. Il suscite des concerts subventionnés par les grandes marques de piano étrangers, les éditeurs musicaux et veut que les salles de répétitions, foyers d'artistes, studios soient loués trois cent soixante cinq jours par an, matinées et soirées. Il préconise également des expositions temporaires de peintres et de sculpteurs en vogue dans l'atrium et... un aménagement de la terrasse :
La terrasse, aménagée pour des dîners et soupers à caractère très élégant, se devrait d'être une création absolument originale.
(D'autres y penseront et réaliseront cette idée plus tard.)
Il estime que la Comédie, qui était louée pour 6 ans à Louis Jouvet, pourrait être utilisée ultérieurement comme un lieu idéal pour la musique de chambre. Dans ce cas, toutes les dépendances de la Comédie, bureaux, loges..., seraient exploitées d'une manière infiniment plus profitable. Un projet devra être établi pour envisager l'exploitation directe de la salle et de ses locaux. Il propose d'aménager des vitrines (location de publicités) pour présenter des appareils de radio, de la librairie musicale, de la parfumerie. (Madame Ganna Walska possédait une grande maison de parfum).
7 - ENFIN LIBRE !
UN PARCOURS JONCHÉ D'OBSTACLES..
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1927/1928
La Société d'exploitation du Théâtre des Champs-Elysées, locataire de la Société Immobilière du Théâtre des Champs-Elysées, périclitait. On pouvait donc espérer qu'elle serait bientôt obligée de déposer son bilan et qu'ainsi Ganna Walska serait libre de tout engagement. Le plan étudié par Walther Straram en 1922 pour la fondation d'un Opéra Privé International à Paris, nécessitait un capital de vingt millions. Mais la crise économique et financière de 1925/1926 a bouleversé la situation et, en 1927, le capital aurait du être porté à soixante millions. Ainsi, le théâtre accusant une nette moins value et le plan projeté devenant irréalisable, Mme Walska n'avait plus le même intérêt à profiter des possibilités de cession. Cependant, pour parer à toute éventualité, des négociations sont entreprises avec Hébertot afin de lui racheter le bail à des conditions adaptées à la situation. Mais devant les exigences inadmissibles de ce dernier, la Société Immobilière décide d'abandonner le projet et d'attendre les événements. C'est alors qu'Hébertot, en toute illégalité, transfère son bail à Jefferson Cohn qui fonde la Société parisienne de spectacles. L'année suivante, un nouveau plan d'exploitation conçu par Walther Straram et de meilleurs résultats financiers permettent à Ganna Walska d'entreprendre une tractation avec Jefferson Cohn. Le 28 mai 1928 elle signe cet accord qui la rend enfin entièrement maître du théâtre à partir du 1er juillet 1928 et en confie l'exploitation à Walther Straram. Le rachat du bail aurait été fait au prix de six millions, soit dix huit millions et demi d'aujourd'hui. Au cours de la réception donnée par Ganna Walska à l'occasion de sa prise de pouvoir, le fondateur de ce "temple de l'art" fait un discours la glorifiant et la flattant à ce point que, devant un "tel manque de sincérité", elle calme les applaudissements généreux et s'adresse à l'assemblée :
Merci beaucoup, cher M. Gabriel Astruc, de votre bonté, mais je ne peux accepter tous vos compliments, car ils ne m'appartiennent pas. C'est vous qui avez été illuminé de la vision pour créer une telle grandeur pendant que le génie de M. Perret lui permettait de matérialiser une conception telle que vingt ans plus tard, elle est encore moderne et s'il l'avait construite à présent, il n'aurait pas à l'améliorer, si haute a été son inspiration. Nous tous, amoureux de la musique, nous vous remercions M. Perret. Et si nous avons le privilège d'entendre des sons divins dans ce cadre de beauté dans une atmosphère sublime, nous le devons à ce musicien parfait qui est présent parmi nous ici, M. Walther Straram! Ainsi, que me reste-t'il à moi ? Le geste vulgaire de signer des chèques, je suis certaine que vous tous, avec moi, pensez que ce n'est une action ni spécialement flatteuse, ni héroïque. 13
En juin 1927, Walther Straram entreprend des pourparlers très intéressants avec un certain M. Bechert, de Vienne. Ceux-ci devront aboutir aux projets suivants :
1°) Bela Bartok viendra lui-même interpréter, aux concerts Straram, son Concerto pour piano composé un an plus tôt.
2°) Un Festival Berg sera envisagé aux Champs-Elysées avec des fragments de Wozzeck, donnés en présence du compositeur (Berg n'est jamais venu à Pans jusqu'alors.) Exceptionnellement il autorise que sa Suite Lyrique soit interprétée par le Quatuor Viennois présent à Paris et qui, seul, avait le droit de représentation publique.
Le contrat de Bela Bartok est signé, mais pour de simples raisons d'horaires, (il avait donné un accord sans prévenir son imprésario), le projet échoue et le procès est évité de justesse. Quant au Festival Berg, pourquoi n'eut-il pas lieu ? Des extraits de Wozzeck donnés en présence du compositeur, à Paris, en 1928, auraient eu un impact important sur le public ainsi que la venue du Quatuor Viennois. 14 La première audition parisienne de Wozzeck sera donnée vingt cinq ans plus tard, en 1952, au Théâtre des Champs-Elysées, avec l'Opéra de Vienne, sous la direction de Karl Böhm.
8 - L'ERE STRARAM
...où l'on redonne au Théâtre des Champs-Elysées la place voulue par son créateur dans la vie musicale parisienne…
WALTHER STRARAM FAIT L'EXAMEN CRITIQUE DE LA SAISON 1928/1929
Le but artistique de cette première saison était de créer aux Théâtre des Champs-Elysées un centre musical international de premier ordre, particulièrement sous la forme de concerts, de spectacles lyriques et de danse. Cette saison a compté trois cent soixante trois séances publiques composées de cent douze concerts, cent quatre vingt quatorze spectacles lyriques, neuf spectacles de danse, dix neuf présentations de films et vingt neuf séances diverses.
L'objectif de départ a donc été atteint, aussi bien quant à l'importance de la programmation que par la diversité et la qualité de l'offre.
LES CONCERTS :
- Une série de concerts de l'Orchestre Symphonique de Paris, fondé par la princesse Edmond de Polignac et Gabrielle Chanel, avec plusieurs créations, et les séries d'abonnement des Concerts Pasdeloup.
- Deux concerts par Wilhelm Furtwängler et la Philharmonie de Berlin les 29 et 30 avril 1929.
- Seize concerts exécutés par Walther Straram et son orchestre comportant chacun une première audition.
On note, dans les récitals, la présence d'artistes éminents : Muratore, Lotte Lehmann, Elisabeth Schumann, Chaliapine, Melchior, Rachmaninov, Paderewsky, Gieseking, Kubelik, Rubinstein, Horowitz, Busch, Francescatti ...
LES SPECTACLES LYRIQUES :
- l'Opéra Privé de Paris, créé sur l'initiative de Mme Kousnezoff-Massenet 15, ressuscite l'Opéra russe. Il est constitué par les pensionnaires des grandes scènes impériales de Saint-Pétersbourg et de Moscou, ainsi que des éléments professionnels des théâtres impériaux de Russie. Cet Opéra Privé de Paris a donné cinquante-trois représentations dirigées par Emil Cooper.
- L'Opéra de Turin a offert quinze représentations sous la direction de Tulio Serafîn et la troupe du Festival de Bayreuth, huit représentations. Enfin, trois représentations de l'Opéra américain comportant deux créations, A Light from Ste Agnès de F. Harling et Chirurgie d'Octave Ferroud. Toutes ces représentations lyriques furent exécutées avec l'Orchestre des concerts Straram. On peut lire dans le magnifique programme de l'Opéra Privé de Paris :
"Madame Kousnezoff-Massenet prit l'initiative de ces représentations. Michel Fokine est venu de New-York pour régler les danses polovtsiennnes du Prince Igor, et l'orchestre est celui de Walther Straram que tout Paris connaît et admire."
La quatrième de couverture est une belle publicité pour la maison de parfums Ganna Walska, avec le parfum déjà étrangement intitulé "Divorçons". Les représentations du Festival Richard Wagner avec la troupe de Bayreuth et l'orchestre Walther Straram sous la direction de Franz von Hoesslin furent un grand événement. C'est la première intégrale de la Tétralogie donnée à Paris. C'est également la première fois que l'on a pu entendre à Paris, au cours de la même saison, des représentations russes, italiennes, allemandes et américaines dans leur langue originale. Ainsi, dans une certaine mesure, la création du Centre international qu'avait projeté Walther Straram a été réalisée et la preuve est faite qu'à Paris les étrangers sont assez nombreux pour assurer une audience constante entre juillet et octobre. Dans leur ensemble, ces représentations ont obtenu un réel succès du public et de la critique, tout particulièrement celles du Festival Wagner qui ont pris une allure de triomphe. Un enregistrement a été gravé chez Pathé.
Les représentations de Bayreuth, données en juin dernier à Paris, au grand festival organisé au Théâtre des Champs-Elysées, ont remporté un triomphe sans précédent. Des foules sont accourues, non seulement de Paris, mais de toute la France et des pays les plus lointains du monde pour acclamer les célèbres artistes allemands avec les choeurs et l'admirable orchestre Straram, sous la direction du maître von Hoesslin. La série de représentations s'est déroulée d'un haut à l'autre devant des salles combles, et telles qu'aucun spectacle n'en avait encore jamais attirées à Paris. 16
En conclusion de cette première saison Walther Straram, on peut constater :
- Un nombre de manifestations qui n'avait jamais été atteint au Théâtre des Champs-Elysées.
- Des représentations à caractère musical qui portent à l'actif du Théâtre des Champs-Elysées une augmentation considérable des concerts donnés à Paris.
- Des manifestations d'une qualité nettement supérieure à celles des autres salles parisiennes.
- Deux grands succès : le Festival Richard Wagner et les deux concerts de la Philharmonie de Berlin.
Cette première année a donné au public l'impression d'une réussite, parce que le Théâtre était ouvert tous les jours (ce qui n'était jamais arrivé depuis sa fondation), et qu'il avait retrouvé son public, celui de ses débuts, c'est à dire celui de 1913. Les Champs-Elysées ont ainsi renoué avec leur faste d'antan.
Financièrement ce sont les spectacles des Piccoli et l'Opéra Privé de Paris qui s'avérèrent les plus rentables. Le Festival Wagner lui, s'est soldé par un déficit. Mais comme Walther Straram l'explique, chiffres à l'appui, sa saison n'a duré que neuf mois alors que les frais généraux, eux, se sont étalés sur douze mois.
Si ma saison avait commencé plus tôt son déficit se serait transformé en bénéfice.
Cette remarque et celles qui vont suivre, montrent la difficulté d'étudier une gestion des années vingt. A cette époque les mentalités et les notions comptables étaient très différentes des nôtres. Aujourd'hui, un contrôleur de gestion en serait tout simplement ahuri. Par exemple, en ce qui concerne le Festival Wagner, on peut lire dans un rapport :
le contrat avec F. von Hoesslin et Humperdinck n'a pas été, pour des raisons artistiques et commerciales de force majeure, appliqué strictement par les Champs-Elysées.
Ces raisons, nous n'avons malheureusement pas pu les élucider, mais à plusieurs reprises on trouve noté :
"On peut donc admettre que si le contrat avait été scrupuleusement appliqué, comme il aurait pu l'être sans des considérations de force majeure qui restent fortuites, le déficit se serait transformé en bénéfice."
Comment, aujourd'hui, un gestionnaire pourrait-il comprendre qu'un contrat ne soit pas exécuté pour des raisons de force majeure commerciales et artistiques fortuites ?
Seules traces de cette péripétie, une lettre de F. von Hoesslin réclamant un complément de cachet et une recommandation demandée à Walther Straram par Humperdinck, co-organisateur et fils du célèbre compositeur de l'opéra Hänsel et Gretel.
Citons encore Gabriel Astruc :
"il me fallait par jour, avant chaque lever de rideau, 35000 F. L'abonnement du jeudi faisait salle comble et atteignait 30000 F. Seule la semaine des quatre jeudis aurait pu me sauver."
En dehors de son activité au Théâtre des Champs-Elysées comme directeur et de ses seize concerts habituels, trois événements ont marqué la saison de Walther Straram :
1°) Le 22 novembre 1928 Walther Straram est invité à diriger, à l'Opéra de Paris, la création du Boléro de Maurice Ravel avec la danseuse Ida Rubinstein, commanditaire de l'œuvre, dans la chorégraphie de Nijinska. C'est un succès sans précédent : Hélène Jourdan Morhange racontait :
"à la première du Boléro, seule parmi une foule délirant d'enthousiasme, une vieille dame criait : au fou, au fou ! et Ravel de sourire : celle-là, au moins, elle a compris!"
Le public de l'Opéra pensait-il que ce 22 novembre 1928, il assistait à la naissance de l'une des pages les plus célèbres de la littérature orchestrale du XXème siècle ?
2°) Le 4 décembre 1928, toujours à l'Opéra de Paris et avec Ida Rubinstein, il interprète la Princesse Cygne de Rimski-Korsakov et le Baiser de la Fée d'Igor Stravinsky.
3°) Durant ce même hiver 1928/1929, aux concerts Straram : "les parisiens feraient une ovation à des fragments du nouvel opéra de Prokofiev l'Ange de Feu." 17
Ces trois événements, s'ils ne concernent pas le Théâtre des Champs-Elysées, sont d'une importance suffisante pour être signalés. Les années suivantes ont été aussi très prometteuses et particulièrement celle de 1929/1930.
PROJET DE LA SAISON 1929/1930 :
Walther Straram s'était donné deux objectifs :
- maintenir l'exploitation de la salle pendant 12 mois consécutifs.
- réaliser toutes les exploitations commerciales et industrielles prévues et non effectuées à ce jour, (aménagement du restaurant sur la terrasse, exploitation des salles d'expositions ...)
Le capital du Théâtre des Champs-Elysées était destiné à assurer la viabilité commerciale de toutes les manifestations rentrant dans son programme artistique et méritant d'être soutenues. Afin de remplir et de développer ce programme, l'exploitation devait produire des bénéfices pour augmenter ce capital d'une manière constante.
LE PROGRAMME ARTISTIQUE DE LA SAISON 1929/1930 COMPORTAIT LES LIGNES GÉNÉRALES SUIVANTES :
- deux cent cinquante spectacles et cent quinze concerts,
- en moyenne trois fois par semaine, du 1er novembre au 25 décembre,
- trois ou quatre fois par semaine, du 25 décembre au 30 avril,
- six fois par semaine au moins, du 1er mai au 30 juin,
- tous les jours du 1er juillet au 31 octobre (c'est ce que Walther Straram appelle la saison internationale).
LES SPECTACLES:
- L'Opéra Privé de Paris (cinquante représentations)
- Les représentations spéciales de l'Opéra Comique (douze représentations)
Pour la saison internationale (du 1/7 au 30/10) sont prévus :
- L'Opéra de Turin, Pavlova et sa troupe, les Ballets de Leningrad,
- Un festival Wagner avec l'Opéra de Dresde,
- Un festival Richard Strauss avec l'Opéra de Dresde sous la direction de Strauss,
- Un festival Claude Debussy : toute son œuvre, avec la participation de Toscanini, et des conférences de présentation. L'Opéra de Düsseldorf avec Wozzeck de Berg, l'Opéra de Strasbourg, le Théâtre de Baden-Baden.
LES CONCERTS :
"Les concerts doivent dans l'avenir être présentés pour une moitié au moins par l'orchestre Walther Straram qui devra devenir l'orchestre officiel du Théâtre des Champs-Elysées.
Pour le moment, la saison des concerts Walther Straram devra réaliser un maximum d'efforts pour se classer nettement au dessus de tous les autres concerts parisiens.
Son programme comprendra seize concerts d'abonnement, quatre concerts de culture musicale pour la jeunesse, quatre concerts dirigés par des chefs d'orchestres étrangers soit vingt quatre concerts. Le reste des concerts d'orchestre sera représenté par l'Association des Concerts Pasdeloup soit cinquante deux concerts. Trois orchestres étrangers, la Philharmonie de Berlin, l'Orchestre de la Scala de Milan, la Philharmonie de New-York ou le Boston Symphony Orchestra qui donneront chacun deux concerts. Six concerts de musique de chambre. Quatre concerts avec choeurs. Ce programme sera complété par treize récitals de virtuoses." 18
Ce projet a été en partie suivi, mais la Philharmonie de New-York a été remplacée par l'Orchestre Philharmonique de Vienne sous la baguette de Clemens Krauss (grand ami de Richard Strauss et époux du célèbre soprano Viorica Ursuleac). Un bel équilibre entre production et accueil s'établissait déjà. Parallèlement, à partir d'octobre 1929,Walther Straram inaugure et anime les premières émissions pédagogiques à la radio :
"L'heure radiophonique de l'école" diffusée tous les samedis sur Radio Tour Eiffel avec le programme musical assuré par le Théâtre des Champs-Elysées sera considérée comme : "une œuvre utile et d'intérêt public" (18). On trouve également clairement exprimés les objectifs de la politique commerciale :
"L'exploitation des Champs-Elysées se divise en exploitation artistique et en exploitation commerciale. Ces qualificatifs se rapportent à la matière exploitée, qui est, suivant le cas, soit artistique, soit strictement commerciale sous la forme d'édition musicale ou de disques phonographiques etc...
La formule d'exploitation consiste à réaliser les bénéfices les plus importants dans le domaine de l'exploitation commerciale proprement dite, afin de diminuer, dans la plus large mesure, le prix de revient des manifestations artistiques.
L'exploitation artistique elle-même peut être considérée sous deux aspects : immobilier et direct.
L'exploitation immobilière a pour but de couvrir les risques de l'exploitation directe et de permettre à cette dernière de se développer avec la garantie de la première. Pour l'exercice 1929/1930, l'exploitation immobilière devra tendre à fonctionner pendant onze mois et l'exploitation directe pendant un mois. L'exploitation immobilière comprend des locations fixes suivant un tarif établi et certaines modalités de location en participation. Cette seconde forme de location ne doit être envisagée que lorsque l'entreprise dont il s'agit la rend préférable pour le théâtre, ou lorsqu'il est nécessaire d'alléger la location fixe pour le locataire dans une période où celle-ci est rare ou difficile.
La saison 1929/1930 est marquée par une préoccupation particulière :
Le succès de la dernière saison des Champs-Elysées ayant été envié, il est indispensable de créer des moyens de défense pour répondre à ceux que la concurrence, en particulier l'Opéra, la maison Pleyel, le théâtre Pigalle 19 et l'Office des Echanges Artistiques emploient contre le Théâtre des Champs-Elysées. Ces mesures se résument ainsi :
1°) conserver par tous les moyens, même s'il y avait lieu de perdre financièrement sur certaines locations, l'activité du théâtre quant à la quantité de spectacles ou de concerts donnés et surtout ne pas se laisser distancer par la concurrence, même au prix de sacrifices. Assurer, grâce à la qualité d'un certain nombre de manifestations, un succès qui devra donner définitivement au Théâtre des Champs-Elysées, la position de premier théâtre musical de Paris.
2°) étudier et trouver les moyens propres à s'attacher la majorité des agents de concerts et de spectacles parisiens en leur concédant au besoin certains avantages nécessaires..., organiser pour l'étranger un solide noyau d'agents officieux capables de négocier l'exclusivité de toits les groupements et éléments susceptibles de se produire à Paris et de fermer en même temps les possibilités de concurrence. L'étude de ces mesures fera l'objet d'une politique spéciale."
On constate ici un tournant dans la politique qui devient sinon agressive du moins offensive en raison des difficultés qui apparaissent. Au cours de cette saison, la salle a-t-elle été exploitée douze mois consécutifs comme prévu ? Cela n'est pas certain. Mais, comme on peut le remarquer, un équilibre entre opéras, ballets et concerts, s'installe avec toujours un nombre important de créations, (trois opéras russes deux opéras américains) et la venue d'artistes qui, s'ils n'étaient pas toujours connus, devinrent célèbres après leur passage au théâtre des Champs-Elysées. La crise de 1929 ne semble pas affecter cette saison qui fut brillante tant par ses représentations que par les succès obtenus. Mais le contrecoup deviendra sensible en 1931 et 1932.
Comme pour la saison précédente, on retrouve l'Opéra russe de Paris avec des créations et des artistes tels que Chaliapine, Smirnoff et Nijinska ; les Ballets russes ainsi que des soirées avec Ana Pavlova. Les programmes des concerts nous offrent la Philharmonie de Vienne avec Clemens Krauss et la série désormais habituelle des seize concerts de l'orchestre Walther Straram. Par contre, nous n'avons retrouvé aucun programme ni aucune critique concernant le Festival Wagner avec l'Opéra de Dresde et le Festival Debussy avec la participation de Toscanini... Eurent-ils réellement lieu ? Les critiques, dans leur ensemble, ne tarissent pas d'éloges. L'Orchestre Straram, qui assure les représentations lyriques est de plus en plus cité. Concernant Turin, Bayreuth et l'Opéra russe :
"L'orchestre et les choeurs justifient à eux seuls ces représentations qui auraient dû être radiodiffusées.
"Sur la scène, les grandes orgues : la voix de Chaliapine! Dans la fosse orchestrale : les violons et les violoncelles de l'orchestre Straram nous ont donné une inoubliable soirée." 20
Une grande rétrospective Bourdelle a lieu au musée de l'Orangerie. Cette exposition au grand retentissement sera sans aucun doute, pour le Théâtre des Champs-Elysées, et les bas-reliefs de Bourdelle, une belle consécration. La saison 1930/1931 est perturbée car, début avril 1930, l'état de santé de Walther Straram nécessite de confier provisoirement la direction générale à M. Gorieux. La saison se déroule toutefois très normalement. Si l'engagement de Weingartner est annulé pour des raisons politiques 21, Anna Pavlova donne des soirées de ballets et Abel Gance monte une rétrospective de ses films suivie de la présentation de nombreux inédits, avec une conférence sur l'avenir du septième Art 22. Walther Straram collabore avec lui notamment dans le domaine de l'illustration sonore de ses films. (En 1932 Walther Straram sera directeur musical des films Pathé-Nathan). Citons également, le 29 octobre 1930, l'unique récital de Maria Ivogun, la plus grande colorature de son temps qui deviendra plus tard le professeur d'Elisabeth Schwarzkopf et de Rita Streich.
On applaudit des artistes tels que Conchita Supervia, Toti del Monte et, bien entendu, l'orchestre Walther Straram avec de nouvelles créations... En créant Les Offrandes oubliées en cette soirée du 19 février 1931, Walther Straram projette Olivier Messiaen sous le feu des projecteurs. En effet, celui-ci a vingt deux ans, il vient d'échouer au concours de la Villa Médicis et, à partir de cette création, sa notoriété ne cessera de s'accroître. Olivier Messiaen en sera toujours reconnaissant à Walther Straram. Il dira notamment, en 1963, lors du cinquantenaire du Théâtre des Champs-Elysées :
"Cette salle si extraordinaire qui est devenue le centre de la musique en France a failli mourir plusieurs fois. Elle est morte tout à fait à ses débuts, puis sont arrivés Mme Ganna Walska et M. Walther Straram qui ont repris les choses en mains et qui ont fait ces concerts extraordinaires dont j'ai été l'un des heureux et derniers bénéficiaires."
L'Opéra Privé de Paris connaît toujours le même succès et nous offre l'inoubliable prestation de Chaliapine dans Boris Godounov, ainsi que la création de La Fiancée du Tsar ; Walther Straram est, cette fois encore, couvert d'éloges pour l'ensemble de ses spectacles. M. Gheusi, directeur de l'Opéra Comique, dont il sera question plus tard, écrit à propos de Sadko donné par l'Opéra Privé de Paris :
"On devrait envoyer nos choristes et nos masses, ne fût-ce qu'un soir, à ces spectacles prodigieux de vie intense et d'émotion. Jamais encore l'on n'avait atteint à cette perfection du jeux, des costumes, des mouvements et des éclairages, de ces chœurs, improvisés nous dit-on, mais si puissants de ferveur scénique et d'expression. Chaque figurant est un artiste ; entre l'orchestre merveilleux de Walther Straram, magistralement conduit par Albert Coates, et le choeur vibrant de foi musicienne et de réalité continue, il y a une sorte de lien permanent qui est tout le secret de ces prodigieuses réussites."
Il réitère de tels éloges en décembre 1930 :
"... Il est difficile de ne pas se répéter à l'infini devant tant de conscience artistique et de réussite. Les danses réglées par Nijinska, le parfait orchestre Straram, les éclatants décors et costumes situent cette réalisation émouvante au sommet de nos spectacles. Et notre Opéra en attendant Virginie nous a offert Thaïs."
La prestation de Chaliapine ne passe pas inaperçue et, d'après "Les Ecoutes" du 22 novembre 1930 :
"Chaliapine rendrait service à l'Opéra russe de Paris en chantant, si l'on peut dire, au rabais puisqu'il accepte moins de la moitié de son cachet habituel qui est de cent mille francs." (soit trois cent mille francs d'aujourd'hui)
Les représentations de Boris Godounov sont unanimement reconnues comme un événement et la présence de Mme Ganna Walska dans le rôle de la princesse Xénia y est aussi pour quelque chose.
"Le grand Chaliapine vient de chanter Boris Godounov aux Champs-Elysées. Le Prince Zereteli et M. de Bazil ont décidé, pour cette solennité lyrique, la très sympathique maîtresse de la maison, Mme Ganna Walska, à paraître auprès de lui dans Xénia, comme pour donner à ce gala en l'honneur du chef-d'œuvre de Moussorgski le patronage aristocratique que ne peuvent, hélas ! plus lui assurer les élégances d'une cour impériale disparue." 23
"Chaliapine n'a jamais atteint une telle grandeur, une semblable puissance d'émotion, il a trouvé les plus pathétiques accents." 24
"... Chaliapine comme lors de la création. Hallucinant, le mot n'est pas trop fort, shakespearien par la composition qu'il fait du rôle du Tsar : inquiet dès son couronnement et que le remords et la folie tuent en peu de temps." 25
"Signalons tout d'abord, la splendide entrée de Boris Godounov au répertoire de l'Opéra russe du Théâtre des Champs-Elysées avec une interprétation comprenant Chaliapine et Smirnoff, des choeurs de premier ordre, l'Orchestre Straram, des décors et des costumes éblouissants et une foi musicale qui galvanise toute la troupe. Atmosphère musicale unique à Paris." 26
"Depuis plus de vingt ans que Boris Godounov est acclimaté à Paris, jamais le chef-d'œuvre de Moussorgski n'avait reçu une interprétation comme celle que vient de lui donner l'Opéra russe au Théâtre des Champs-Elysées. Ne parlons pas seulement des vedettes, mais proclamons que les plus petits rôles sont tenus par de vrais chanteurs, que les choeurs et l'Orchestre Straram, dirigés par M. Steiman, que les costumes et les décors attestent une foi, une ferveur artistiques dont nos scènes subventionnées ne présentent pas l'exemple." 27
Les 20 et 24 février 1931 deux concerts sont donnés avec l'Orchestre Straram, sous la direction d'Ansermet et de Stravinsky. Ils présentent un intérêt particulier en raison de la première audition, en France, de la Symphonie de Psaumes 28 de Stravinsky, dirigée par l'auteur et enregistrée deux jours plus tôt au Théâtre des Champs-Elysées. Ansermet dirige le Capriccio pour piano et orchestre, avec Stravinsky au piano (enregistré un an auparavant dans les mêmes conditions) et réédité récemment chez Vogue. Ces programmes comportent également des oeuvres de Mozart, Beethoven et Debussy. Stravinsky désirait que tous ses premiers enregistrements soient exécutés avec l'Orchestre Straram, orchestre en titre du Théâtre des Champs-Elysées.
9 – STRARAM PERD SON MECENE ET CHERCHE D'AUTRES SOLUTIONS
Pour bien comprendre la situation à cette période, il faut rappeler qu'en plus du mauvais climat général des salles parisiennes, un événement particulier affecte indirectement le Théâtre des Champs-Elysées. A la mi-octobre 1931, la presse de Chicago annonce le divorce de Mme Ganna Walska. Tout d'abord mariée au baron Arcadie d'Eingorne, puis au célèbre neurologiste Joseph Fraenkel, ensuite au milliardaire Alexandre Smith Cochran, son quatrième divorce vient d'être prononcé. Les tribunaux de New York décident que l'ex-madame Mac-Cormick n'aura pas droit à une pension alimentaire... Or, lorsque Mme Ganna Walska était devenue propriétaire du Théâtre des Champs-Elysées, son mari s'était engagé à soutenir financièrement le théâtre. Les fervents de l'art lyrique se demandent alors avec angoisse ce que va devenir le Théâtre des Champs-Elysées ainsi privé de son aide financière.
Le fils de Walther Straram, Enrich Straram, sans aucune ressource, parviendra à le maintenir durant quarante ans. Revenons à l'automne 1931; outre les inquiétudes concernant le Théâtre des Champs-Elysées, dans quel climat la vie musicale parisienne se déroule-t-elle ?
NOS SALLES PARISIENNES CONNAISSENT QUELQUES DIFFICULTÉS :
Abdication de l'Opéra : aucune initiative, le relâchement des représentations scandalise...
L'Opéra-Comique : une salle où les places sont en nombre insuffisant, une scène d'une exiguïté ridicule, un public de petite et moyenne bourgeoisie figé dans ses préférences esthétiques et, par surcroît, plus atteint qu'un autre par les bouleversements économiques et financiers de ces dernières années... »
Il a fallu aller aux Champs-Elysées pour voir les plus beaux et les plus intéressants spectacles de l'année : les représentations de l'Opéra Russe et les soirées d'Ana Pavlova. 29
L'EPISODE DE L'OPÉRA-COMIQUE...
A l'automne 1931, la presse dans son ensemble s'attache à relater un sujet surprenant : la venue, au Théâtre des Champs-Elysées, du théâtre de la Gaieté Lyrique ce qui mettait en cause un accord conclu entre la Société des Auteurs et l'Opéra. Une trentaine d'articles en notre possession abordent curieusement cette question avec le grand public. Nous pensons que Walther Straram, inquiet du divorce de Ganna Walska et des difficultés qui s'emparaient du monde du spectacle, s'efforce alors de chercher, sinon un financement, du moins une issue. Pour cela, il fait tout son possible pour que l'Etat s'intéresse aux Champs-Elysées. En 1931, il entreprend des pourparlers avec la Gaieté-Lyrique, menacée de fermeture prochaine, afin qu'elle s'installe au Théâtre des Champs-Elysées. Le projet de Walther Straram et de M. Bravard, directeur de la Gaieté-Lyrique, de créer des opéras, conduit M. Masson, le directeur de l'Opéra Comique, à susciter des modifications dans le contrat qui lie ce théâtre à la Société des Auteurs, précisément quant au nombre de représentations nécessaires pour permettre à un ouvrage de rester au répertoire de l'Opéra. Le groupe chargé de statuer émet l'avis qu'il n'est pas souhaitable de modifier le contrat passé entre la Société des auteurs et l'Opéra-Comique.
C'est à l'Etat qu'il appartient de sauver notre seconde scène subventionnée ; il en a, en ce moment même, les moyens. Qu'il décide d'installer l'Opéra-Comique au Théâtre des Champs-Elysées. Le produit de la vente des terrains de la rue Favart et de la rue Marivaux suffirait sans doute à permettre la location, mieux, l'achat d'une des plus belles scènes de Paris. Si, au lieu de cela, on se contente d'augmenter les subventions prévues au budget, on gaspillera sans résultat des sommes considérables. 30
Le Directeur des Beaux-Arts déclare qu'il n'y a plus assez de public à Paris pour deux théâtres lyriques et on lit dans la presse :
Le Théâtre des Champs-Elysées deviendra bientôt, sous la direction artistique de Walther Straram, un théâtre lyrique régulier...
A l'Opéra Comique, un des co-directeurs a donné sa démission. M, Rouché, directeur de l'Opéra, a l'intention de cesser sa direction à la fin prochaine de son mandat. A la Gaieté-Lyrique, M. Bravard cède son fauteuil au directeur du Trianon-Lyrique et l'on annonce que M. Walther Straram se propose de prendre en mains les rênes d'une exploitation lyrique au Théâtre des Champs-Elysées...
Ils sont quelques-uns qui demeurent à Paris en observation vigilante dans la rue de Grenelle et la rue de Valois. Ce sont les candidats à l'Opéra-Comique. Ils sont mystérieux, discrets, ne disent pas leurs voeux, demandent et obtiennent que leur nom soit caché et observent leurs adversaires. 31
Telle était la situation à cette époque : il y avait trop de salles pour un public restreint. On se souvient de ce que pensait Walther Straram de la salle Pleyel ; voici ce que dira de sa propre salle M. Gheusi, directeur de l'Opéra-Comique, en octobre 1935 :
Les provinciaux, les étrangers ne savent pas où se trouve l'Opéra-Comique. On ne le voit pas. Pendant la guerre, quand il n'y avait plus de place à l'Opéra, on envoyait les blessés chez nous. Un jour, un convoi d'entre eux mit deux heures pour arriver jusqu'ici. On leur avait dit : l'Opéra-Comique, c'est sur les Boulevards. Ils sont allés jusqu'à la Bastille...
Aujourd'hui, ils y seraient sans doute bien accueillis !
La scène est étriquée et manque de profondeur. Il est impossible de moderniser ce théâtre. Mal construit il a été, tel il restera. L'Opéra-Comique est un fouillis de couloirs et d'escaliers. Sa façade a été bâtie sur une place où il ne passe personne. 32
L'exploitation artistique en général rentrait dans un cycle tourmenté :
Hélas! plus que jamais dans le domaine du théâtre lyrique, les obstacles que les directeurs ont à surmonter sont devenus tels que l'équilibre le plus instable est l'état normal.,, Allez donc fixer une ligne de conduite dite artistique en ces circonstances. La lutte est devenue d'une âpreté inconnue jusqu'à ce jour. 33
Walther Straram avait formé le projet de créer un théâtre lyrique d'application ou Institut d'Opéra Américain avec la plus grande organisation de concert américaine, Robert Diamond Dufy and Co. Déjà, en juillet 1929, Robert Diamond s'était produit aux Théâtre des Champs-Elysées avec son Opéra américain, en présentant deux opéras contemporains : A light from st Agnès de Franck E. Harling et Chirurgie de P. O. Ferroud, opéra bouffe inspiré de Tchekov, avec, pour interprète, la grande basse française Vanni Marcoux, le premier Boris Godounov français en 1922.
QUELS ÉTAIENT LES PROJETS DE CET OPÉRA AMÉRICAIN ?
Ce groupe américain dirigé par le jeune Samson Robert Diamond, voulait tenter de créer au Théâtre des Champs-Elysées, un Institut d'Opéra américain destiné aux étudiants de toutes nationalités se dirigeant vers la carrière lyrique. Des leçons de technique vocale auraient été dispensées par des maîtres de chant, les rôles du répertoire auraient été travaillés scéniquement sur le plateau du Théâtre des Champs-Elysées, avec, pour objectif, la confrontation avec le verdict du public. Cette compagnie aurait présenté de grands spectacles lyriques avec les plus grands artistes internationaux aussi bien que les spectacles de l'institut. Les jeunes artistes ayant ainsi fait leurs preuves auraient pu aisément être engagés directement par l'Opéra américain et le bureau de concerts Dandelot dont l'association avait assez de moyens pour créer ainsi le plus important organisme d'échanges artistiques international. Des demandes d'inscriptions affluèrent de tous pays, les auditions commencèrent. Un bail de quinze ans devait être consenti à cette organisation. Puis, curieusement, aucune suite ne fut donnée à ce projet qui faisait très certainement partie du plan offensif évoqué précédemment et que Mme Ganna Walska, si elle n'avait pas divorcé, aurait sans doute aidé à financer.
Au cours de la saison de 1931, trente-huit séances d'enregistrement Columbia ont lieu dans le Théâtre, soit le double de l'année précédente. Nommé directeur musical des enregistrements Columbia, Walther Straram refusait d'enregistrer en studio, estimant l'acoustique du Théâtre des Champs-Elysées suffisamment exceptionnelle pour ne pas lui préférer un autre lieu. La même année est créé un Grand Prix du disque. Walther Straram obtient le premier Grand Prix avec son : Prélude à l'Après-midi d'un Faune. Cet enregistrement est encore aujourd'hui une référence.
Les premiers enregistrements de Straram, voilà des pièces de collection qui prouvent que la collaboration de la science et de l'art arrive à un stade décisif qui autorise tous les espoirs...
Le Grand Prix du disque a été enlevé par Walther Straram avec sa prestigieuse exécution du Prélude à l'après-midi d'un Faune. C'est bien là un chef d'œuvre de l'enregistrement orchestral. L'intelligence, le goût musical de Straram, la qualité exceptionnelle de ses instrumentistes et les heureuses conditions acoustiques réalisées par le Théâtre des Champs-Elysées où a lieu l'enregistrement, tout concourait à faire de ce disque une pièce d'art. 34
Si le Théâtre des Champs-Elysées est en baisse de régime, la crise économique amenant une diminution de la fréquentation, il n'a jamais été en récession sur le plan de la qualité.
La nouvelle saison 1931/1932 s'annonce avec les Ballets russes de Monte-Carlo, un festival de musique polonaise, divers concerts incluant ceux de Pasdeloup par abonnements et seulement, pour la saison Straram, trois concerts au lieu des seize prévus, plus quelques concerts de galas, sept films et des récitals. Ces récitals ont permis d'entendre Marguerite Long, Ginette Neveu, Vladimir Horowitz, Emil von Sauer et Lauri Volpi. Le concert d'Emil von Sauer, donné au profit des musiciens du Conservatoire de Musique de Paris, a nécessité l'installation, sur la scène, de deux cents chaises supplémentaires. Virtuose adulé par les foules, élève de Liszt à Weimar, Sauer obtint un véritable triomphe. Lors du festival de musique polonaise donné en hommage à Frédéric Chopin, trois concerts exceptionnels ont lieu. Ils sont dirigés par Fitelberg (déjà cité à plusieurs reprises) et par Walther Straram, avec la participation de solistes tels que Wanda Landowska, le légendaire Ignacy Paderewski et Arthur Rubinstein. A l'écoute de la marche funèbre jouée par Paderewski : « Le théâtre entier n'était qu'un sanglot contenu ». Parmi ces concerts de gala, deux réussissent plus particulièrement à capter l'attention du public et de la presse :
- Le Gala Richard Strauss, sous la direction de l'auteur, avec l'orchestre des concerts Straram et Alfred Blumen en soliste.
Don Juan, Zarathoustra, Mort et Transfiguration ont été, contre toute attente, enchanteurs, angéliques même alors que nous pensions retrouver un Richard Strauss nerveux, bruyant et dominateur. L'Orchestre Straram a opéré là un miracle auquel n'est certainement pas étranger son chef habituel qui a au préparer cette ambiance de « paix » avec l'esprit d'à propos qu'il nous a quelquefois révélé. Plus de coups de poing, plus d'éclat, plus d'explosion, mais une ligne suave suffisamment rigoureuse, avec les contrastes nécessaires, sans ostentation. Le coeur l'a emporté sur le cerveau, le regard a triomphé du liras : ce fut d'une émouvante tenue. 35
- Le concert dirigé par Johann Strauss, neveu de l'auteur du Beau Danube bleu, offrait aux Parisiens un programme de musique viennoise qui a attiré une foule considérable. Johan Strauss dirigea ce petit orchestre de musiciens viennois, le violon à la main. Parmi les films présentés il faut citer : La Symphonie Exotique de Chaumel-Gentil, sur une musique de Jean Rivier, compositeur dont Walther Straram a souvent joué les œuvres en première audition. Cette représentation est donnée dans le cadre d'une manifestation coloniale dédiée à la jeunesse de France, en présence du Président Paul Doumer. Dans le public, on comptait six ministres, des députés et le Tout Paris officiel. A l'occasion de l'inauguration des monuments Debussy érigés à Paris et à Saint-Germain, un grand gala est donné le 17 juin 1932, en présence du Président de la République et de tous les officiels. Le programme impressionne par sa longue liste des donateurs : provinces, colonies, protectorats, villes... et par son livre d'or des souscripteurs et comités de patronage français et étrangers. Une somme d'un million neuf cent soixante mille francs d'aujourd'hui est obtenue à cette occasion. Au programme : Le Martyre de Saint Sébastien dirigé par P. Gaubert, Nocturnes dirigé par G. Pierné, Prélude à l'aprés midi d'un faune, retransmis dans la salle par Radio Tour Eiffel, interprété par l'Orchestre de Bâle sous la direction de F. Weingartner, La Mer dirigée par A. Toscanini et Pelléas et Melisande avec Mary Garden, Roger Bourdin et Hector Dufrane, dirigé par D.E. Inghelbrecht. On constate, pendant cette saison, une diminution des activités lyriques. Tout d'abord parce que la tentative de création de l'Institut d'Art lyrique qui devait exploiter le théâtre ne s'est pas faite. L'absence de Walther Straram, entre février et juillet 1932, pour raison de santé, renforce encore les difficultés de cet exercice, aggravées par la crise économique. Quatre-vingt-dix-huit séances sont données. Walther Straram dirige une série de concerts à Marseille. II est nommé membre d'honneur de la Société musicale russe.
LA SAISON 1932/1933 :
Après Boris, voici Pelléas. Selon le mot de Charles Bordes : Boris Godounov est le grand-père de Pelléas, car c'est à Moussorsky que Debussy a dû la révélation d'un art lyrique renouvelé.
L'événement de cette saison est une unique représentation de Pelléas, soirée privée offerte par Ganna Walska.
1933 sera la dernière saison des concerts Walther Straram. Limitée à douze concerts, elle ne comptera pas moins de douze créations. La dernière est une œuvre de Louis Fourestier, Orchestique, avec Germaine Lubin 36 pour soliste. L'Association Pasdeloup est toujours présente avec ses cinquante-quatre concerts par abonnements. On annonce un concert où dirigeront successivement Roussel, Honegger, Schmitt, Rosenthal, Charpentier et Louis Aubert. Enfin c'est un gala : « Festival Debussy-Ravel » avec N. Vallin, M. Long et la Société des Concerts du Conservatoire sous la direction de P. Gaubert, et avec l'événement du Boléro de Ravel sous la direction du compositeur, cinq ans après sa création par Walther Straram. Puis des ballets avec Balanchine, Kochno et l'Argentina. Mais revenons à Pelléas et Melisande exécuté par Walther Straram et son orchestre qui accompagnent Bernac, Etcheverry et Ganna Walska. Le grand souhait de cette dernière était de chanter avec succès, dans sa propre salle, sous la direction de son professeur. La soirée privée de Pelléas, intitulée par l'Excelsior : « Une présentation inédite de Pelléas et Melisande », a sans aucun doute été un événement musical et mondain comme le rapportent, parfois avec humour, les critiques. Lors de cette soirée, la chambre mortuaire de Melisande (Ganna Walska) se métamorphosa en une véritable exposition d'horticulture tant les corbeilles de fleurs s'amoncelèrent. Ganna Walska raconte qu'à l'issue de la représentation Sir Thomas Beecham lui demanda de prêter cette production à Covent Garden pour la brillante saison du couronnement. Elle poursuit ainsi :
En cette mémorable soirée, mes amis saisirent l'occasion de m'exprimer, avec des fleurs, leur appréciation de la bonne musique entendue dans notre théâtre. Il résulta de leur aimable pensée, que la scène où meurt Melisande fut transformée en un splendide jardin, car, autour du lit sur lequel, quelques secondes auparavant j'avais mystiquement rendu l'âme, il y avait plus de cent soixante compositions florales, des corbeilles géantes pour la plupart. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser, avec malice, qu'on me faisait là des funérailles de première classe, mais j'étais la seule à pouvoir en comprendre l'ironie, car je savais que les fleurs m'étaient adressées en tant que mécène des arts, en tant qu'amie et pas du tout en tant qu'artiste.
Seule, parmi toutes les critiques, celle du Chicago Tribune, nous fait part de la présence de Mme et M. le Maréchal Pétain, et énumère toute une pléiade de personnalités étonnantes.
Enrich Straram ( coll. Eric Straram ) DR |
10 – L'APRES WALTHER STRARAM…
En 1933, Walther Straram fait partie de la Commission de la musique au service de l'action artistique du Ministère de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts. Cette même année il donne des concerts à Bordeaux, Lyon, Marseille, Bilbao et dirige le Festival de Musique d'Ostende. Par ailleurs, Enrich Straram, qui administre l'orchestre de son père depuis 1925 et qui a été nommé Secrétaire général de la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées en 1928, nous informe sur la gestion du Théâtre des Champs-Elysées :
Les difficultés de trésorerie de la Société parisienne de spectacles qui, depuis 1927, exploite le théâtre, rendent impossible tout effort de développement. Aussi, plus que par le passé, la Société s'en tient-elle strictement à l'exploitation immobilière des locaux étant même parfois obligée de céder encore sur ses tarifs. Le nombre des séances publiques est de cent soixante.
La France à son tour s'installe dans la crise et le chômage fait des ravages. Dès janvier 1933 la Société immobilière n'ayant plus de locataire, est amenée à assurer elle-même l'exploitation du Théâtre. Cette Saison 1933/1934 offre une place importante aux ballets : quarante-neuf représentations données par la troupe de Nijinska, les Ballets russes de Monte-Carlo, les Ballets Joos. Les concerts et les récitals (quatre-vingt-un), sont en récession par rapport aux saisons précédentes. On note les récitals de L. Lehmann, L. Pons, J. Heifetz, A. Braïlowski et W. Horowitz. Mais l'événement le plus important sera la série des sept concerts dirigés par Toscanini et celui donné par Mitropoulos, toujours avec l'Orchestre Walther Straram. Toscanini avait fait une discrète apparition lors d'une répétition des concerts Straram et, dès cet instant, il avait exprimé le désir de diriger l'Orchestre. Le premier des concerts de Toscanini, le 12 octobre 1933, est un Festival franco-italien, le deuxième, le 17 octobre, un Festival Wagner qui est tellement acclamé qu'un troisième, non prévu, aura lieu le lendemain.
Son dernier concert au Théâtre des Champs-Elysées a rallié tous les suffrages. A l'entracte on félicitait le maître de son succès : "C'est surtout l'Orchestre qui est excellent" répondit-il. "Avez-vous remarqué la sonorité des premiers violons?" Une manière élégante de reporter sur ses collaborateurs une part de son triomphe...37
Dire l'enthousiasme et les ovations du public est bien superflu. Une part des applaudissements revient en toute justice à notre splendide orchestre Straram, l'égal des meilleurs du monde, que le maître a longuement associé à son triomphe. 38
...Dans un fauteuil, Walther Straram, dont c'était l'orchestre habituel qui occupait l'estrade, ne cachait pas sa joie ; il rayonnait et, dans son enthousiasme, il tapait dans le dos de son voisin pour lui signaler les beaux passages... L'orchestre, entraîné depuis des années par Straram, apporte sans effort, chaleur et couleur, estompe de lui-même ce qu'il faut estomper, irise ce qu'il faut iriser. La perfection des lignes se plie au joug du coloris. C'est unique. 39
Un mois plus tard, le 24 novembre 1933, Walther Straram décède à son domicile parisien. Il aurait dû, parmi bien d'autres projets, assurer l'année suivante la Saison musicale de Monte-Carlo avec Alfred Cortot, F. von Hoesslin, Clemens Krauss et D. Mitropoulos. Faisant suite aux mémorables concerts de 1933, dirigés par Arturo Toscanini à la tête de l'Orchestre Straram, quatre concerts seront donnés, en mai et juin 1934, en hommage à Walther Straram.
La Presse s'enthousiasme :
En présence d'un tel homme, l'esprit critique perd ses droits.
Les articles de Guy de Pourtalès, Gabriel Marcel, Jacques Ibert, Gustave Samazeuih... sont éloquents, (les comptes-rendus de ces concerts justifieraient, à eux-seuls, une publication). Arturo Toscanini déclare que son
plus grand rêve serait défaire trois fois le tour du monde avec l'Orchestre Straram.
Et lorsque Paul Teglio, dans l'Echo de Paris du 30 mai 1934, l'interroge sur ses projets, il répond :
Donner périodiquement des concerts, avant et après mes saisons américaines, au Théâtre des Champs-Elysées qui réunit l'élite des virtuoses français.
Toscanini reviendra en 1937.
Voilà bien une certitude : Walther Straram a réussi à doter le Théâtre des Champs-Elysées d'un orchestre de très grande classe. Et le Chicago Tribune, que disait-il des concerts Toscanini ?...
Que dans sa loge Mme Ganna Walska était entourée du Prince et de la Princesse de Polignac, du Comte et de la Comtesse de Castillane, du Prince de Béarn, sans oublier Miss Elsa Maxwell avec le Maharadjah de Kapurthala, le frère du Tsar etc...
En octobre 1933, une demande de location du Théâtre des Champs-Elysées, pour trois ans, avait été faite par Mrs Giordani et Riboldi, ce dernier étant l'imprésario de Toscanini.
Quelques jours seulement après le décès de Walther Straram, le 2 décembre 1933, Ganna Walska signifie par lettre au Conseil d'administration sa démission de la présidence. Finalement elle diffère sa décision et part pour les Etats-Unis. Pendant son absence, elle laisse à Enrich Straram le soin d'assurer les affaires courantes. Le 5 décembre 1933, les administrateurs de la Société immobilière décident de nommer Enrich Straram à la place de son père. Le 26 avril 1934, nous apprenons que le Ministère des P.T.T. fait une proposition pour louer une partie des locaux et y installer les services de la Radiodiffusion Nationale. Toutefois, l'article 17 des statuts de la Société immobilière indique que « nul ne peut voter par procuration ». En l'absence de Ganna Walska, l'administration ne peut ou ne veut passer outre ce point juridique et la transaction ne se fait pas. Enrich Straram modifiera par la suite les statuts.
Quelques mois plus tard, le 19 novembre 1934, Emile Vuillermoz écrit dans l'Excelsior :
Je n'ai jamais cessé, pour ma part, de déplorer l'ingratitude de Paris à l'égard de l'œuvre magnifique accomplie par Walther Straram qui, après sa disparition, léguait à notre capitale un orchestre incomparable, admiré dans le monde entier. Il est inconcevable, en particulier, que l'Etat n'ait pas cru devoir utiliser (pour ses émissions radiophoniques) une ressource artistique de cette valeur. Il est vraiment paradoxal de constater que, seul, un maître étranger comme Toscanini, songe à sauver de la désagrégation une richesse française.
Jean Mistler, alors Ministre des Beaux-Arts, obtient l'autorisation de la retransmission par radiodiffusion, des spectacles des scènes nationales mais, si l'on en croit Vuillermoz, à l'exclusion du Théâtre des Champs-Elysées, scène privée. Il soumet également la proposition de confier à la Radiodiffusion française la charge et l'exploitation d'un orchestre titulaire. Mistler aspire à la fondation d'un orchestre permanent de très haut niveau, représentant l'élite musicale : ce sera l'Orchestre National.
Mistler avait songé à Straram, mais à la suite du décès de ce dernier, le Ministre fait appel à Inghelbrecht qui désirait constituer lui-même son orchestre. De ce jour, Germaine Inghelbrecht dit :
La création de l'Orchestre National va opposer la jalousie, l'envie et l'hostilité des uns à l'enthousiasme et aux espoirs des autres.
Ou bien encore :
L'opposition inexplicable mais farouche, sans motif valable, froidement défendable, de toutes les associations symphoniques de Paris, liguées contre nous, véritable combat, agression de la jalousie dont nous ne pûmes sortir - aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd'hui - qu'en payant une forte amende. 40
Nous noterons cependant...
- L'annulation d'un concert Toscanini, en décembre 1935, celui-ci ayant détecté à la répétition dès les premières notes, que tous les musiciens de l'Orchestre Straram, ne se trouvaient point là comme il l'avait exigé et comme on le lui avait promis !
- Le refus de Messieurs P. Paray et D.E. Inghelbrecht de donner l'autorisation aux anciens musiciens de Straram alors dans leur orchestre, de venir jouer sous la direction de Toscanini, à la demande de celui-ci, pour un concert en hommage à leur ancien chef. Enrich Straram s'est appliqué à tenter de maintenir en vie l'orchestre Walther Straram, comme en atteste une riche correspondance. Les chefs pressentis, en premier lieu Toscanini, puis Mitropoulos et enfin Pierre Monteux, étaient prêts à reprendre l'orchestre en main, mais l'aggravation de la crise économique, les événements de 1936, puis la deuxième guerre mondiale précipitèrent sa disparition. Début 1935, en raison du nombre très réduit des locations, le Conseil d'administration prend la décision de fermer le Théâtre afin de réduire les frais généraux au strict minimum. En octobre 1935, Gabriel Astruc se confie à La Liberté :
Le Théâtre coûte moins cher à ne pas ouvrir qu'à être exploité, à cause du fisc. Le divorce de Mme Ganna Walska, la mort de Walther Straram, dernier directeur artistique, ont amené le déclin, puis la fermeture du Théâtre des Champs-Elysées. Une intervention gouvernementale est donc souhaitable et souhaitée par tous. Elle est indispensable, puisque les moyens prévus sont insuffisants et que la mort momentanée, mais qui se prolonge trop, de son plus beau théâtre, fait un tort considérable au prestige artistique de Paris.
Et à la question d'un journaliste : Comment utiliser selon vous, Maître, le Théâtre des Champs-Elysées ? Auguste Perret répond :
On devrait y installer l'Opéra et l'Opéra Comique. L'Opéra Comique serait démoli et l'Opéra servirait pour les grandes manifestations nationales ou les représentations extraordinaires. Un théâtre comme celui que j'ai construit vit de mécénat. Puisque le mécénat privé est impuissant, il faut qu'il devienne théâtre d'Etat »,
Jean Mistler est de cet avis.
En attendant, Enrich Straram, seul à bord, doit faire face et sait utiliser toutes les opportunités. Aussi, lorsque l'architecte en chef des Bâtiments civils et palais nationaux Joseph Marrast, frère de Walther Straram, entreprend à l'Opéra de Paris d'importants travaux nécessitant sa fermeture, c'est au Théâtre des Champs-Elysées que l'Opéra s'exile, début 1936, des liens commencent à se tisser entre l'Etat et le Théâtre des Champs-Elysées. En octobre de cette même année, des pourparlers ont lieu avec le Commissariat général de l'Exposition pour une location de l'immeuble pour un an. Un accord est conclu qui permet d'effectuer d'importants travaux tout en remboursant une partie des dettes et de présenter des spectacles internationaux de première qualité. Mais il est trop tard pour l'orchestre
Walther Straram qui a usé ses dernières forces et hâté l'heure de sa mort en s'acharnant à doter Paris d'un orchestre de luxe, auquel l'incomparable Toscanini a rendu le plus flatteur des hommages en le choisissant entre tous pour ses concerts, n'aura pas été récompensé de ses efforts. Personne n'aura voulu aider son œuvre à lui survivre. 41
Comme pour se faire pardonner, Jean Mistler, qui a tout fait pour créer cet Orchestre National ...dont la France était dépourvue... (pourquoi l'Orchestre Straram n'a-t-il pas rempli ce rôle ?), nomme Enrich Straram à la Radio afin d'y créer une Bibliothèque musicale dont il deviendra le directeur en juillet 1940. Il occupera ce poste jusqu'en 1968.
Mais lorsque, le ministère des P.T.T. décide d'adjoindre un administrateur à Inghelbrecht qui nomme-t-il ? Enrich Straram. Il devient ainsi administrateur de l'Orchestre National.
11 - ENRICH STRARAM : LES TEMPS DE GUERRE ET D'APRES-GUERRE
...où Madame Ganne Walska se décharge de toute responsabilité…
Ganna Walska fera une brève apparition en 1935 puis, après une courte visite à son théâtre en 1948, elle ne reviendra plus jamais. De 1940 à 1946 Enrich Straram dut prendre des décisions importantes et urgentes, sans aucune communication possible avec Ganna Walska. Elle n'a pas fait valoir ses droits attachés à ses actions privilégiées, mais n'a fait aucun apport. Le Théâtre des Champs-Elysées n'a bénéficié d'aucune aide financière jusqu'à l'arrivée de la Caisse des dépôts et consignations en 1970. Le 22 août 1940, l'autorité allemande "Kraft durch Freude" réquisitionne l'immeuble.
Le 15 décembre 1940, le conseil, décide de nommer Enrich Straram Président du Conseil d'administration, remplissant les fonctions de directeur général.
Le 29 juin 1942, le Haut Commissariat aux questions juives notifie la nomination d'un administrateur provisoire auprès du Théâtre des Champs-Elysées. Tout acte ou décision est nul s'il n'est pas contresigné par l'administration provisoire.
Très vite la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées réclame auprès des services de la Préfecture de la Seine des indemnités pour compenser la perte des loyers. La Préfecture propose un million deux cent cinquante mille francs, soit sept cent quatre vingt trois mille francs de nos jours au titre d'indemnité pour la réquisition. Des travaux sont immédiatement décidés : ravalement de la façade, restauration de l'atrium et remise en état des orgues avec les avis des trois plus célèbres organistes de l'époque : Raugel, Litaize et Duruflé.
Cependant Enrich Straram prévoit que la location de l'immeuble ne sera consentie que pour une durée de deux ans renouvelable, sans cependant excéder six ans afin de laisser à la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées la possibilité d'exploiter directement sans que le locataire puisse revendiquer la propriété commerciale. Le 6 juin 1944, c'est le débarquement, mais c'est également la réouverture du Théâtre des Champs-Elysées par Enrich Straram, avec un certain M. Eudes. Il s'ensuivra une cohabitation difficile à la direction du Théâtre qui ne durera que quatre ans. Contraint par les événements, Enrich Straram doit assumer la responsabilité du théâtre et représenter la propriétaire qui n'est donc jamais revenue. Les comptes de la Société immobilière, au 31 décembre 1944, font apparaître un bénéfice de cinq cent cinquante trois mille cent soixante neuf francs et en mai 1945 les affaires reprennent.
Les musiciens de l'Orchestre des Concerts Walther Straram ont, pour la plupart, rejoint l'Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire (aujourd'hui Orchestre de Paris) et l'Orchestre National qui, dorénavant, ne cessera d'assurer les prochaines saisons. Les ballets voient apparaître de futurs grands artistes : Margot Fonteyn avec le Sadler's Wells Ballet, Roland Petit et les Ballets des Champs-Elysées.
1945 sera l'année de la création des Ballets des Champs-Elysées, ils donneront des ouvrages marquants pour l'histoire de la danse : Les Forains, Jeux de Cartes, Le Jeune Homme et la Mort (Boris Kochno, Henri Sauguet, Christian Bérard, Roland Petit, Jean Cocteau, Janine Charat, Jean Babilée).
1947 et 1948 verront également la création d'une classe de direction d'orchestre confirmant l'aide et l'effort du Théâtre des Champs-Elysées pour le développement de l'Art.
En 1947, Enrich Straram et Eudes se rendent aux Etats-Unis pour rencontrer Mme Ganna Walska. A la suite de cette entrevue elle confirme son entière confiance à Enrich Straram, précisant cependant qu'elle désire être à l'abri de toute responsabilité personnelle. En 1948, plus d'un million de francs de l'époque sont affectés à la remise en état de l'immeuble.
Après le départ de M. Eudes, la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées décide d'assurer l'exploitation directe du Théâtre M. Dugardin est alors nommé administrateur et, en 1952, la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées lui cède en gérance libre le Théâtre avec cette fonction qui apparaît pour la première fois : Directeur artistique du Théâtre des Champs-Elysées au nom de la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées. Ceci dans l'attente de la constitution d'une nouvelle société dans laquelle la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées prendra une participation. M. Dugardin monte, avec Nicolas Nabokov et Fred Goldbeck, le "Festival de l'œuvre du XXème siècle". Nabokov dira :
Ce théâtre est pour moi un lieu hanté. Chaque fois que je passe devant, je pense à ces mois d'angoisse passés avec Goldbeck où nous devions régler des problèmes de répétitions dans un temps très restreint (quatre semaines) pour huit orchestres, quatre compagnies d'opéra, deux de ballets. L'ordre des répétitions devenait une charade.
Il s'agissait des Opéras de Stuttgart, Vienne, Covent-Garden, Sarrebruck ; du New-York City Ballet et des Ballets du Marquis de Cuevas. Les orchestres : le Boston Symphony Orchestra, l'Orchestre R.I.A.S de Berlin, l'Orchestre de la Suisse Romande, l'Orchestre de Sainte-Cécile de Rome ...
A la mort d'Auguste Perret en 1954, Enrich Straram demande à son oncle Joseph Marrast d'assurer la responsabilité d'architecte du Théâtre des Champs-Elysées.
L'Orchestre National et la Société des concerts du Conservatoire se produisent toujours aux Champs-Elysées.
C'est en 1956, que, pour la première fois Herbert von Karajan vient donner un concert avec le Philharmonia Orchestra. Par la suite il reviendra régulièrement au Théâtre des Champs-Elysées.
Toujours cette même année, le Royal Philharmonic Orchestra sous la direction de Sir Thomas Beecham, l'Orchestre Philharmonique de New-York avec Dimitri Mitropoulos assurent une magnifique série de concerts et confirment le succès international du Théâtre des Champs-Elysées.
1956 voit également la création du premier Festival lyrique de Paris, rencontres lyriques internationales qui concrétisent brillamment le projet de l'Opéra International voulu par Walther Straram. Neuf opéras donnés par six troupes différentes avec une première audition : The Turn of the screw de Benjamin Britten par l'English Opera Group sous la direction du compositeur. Plus de trente mille spectateurs ont assisté entre le 20 avril et 31 mai 1956 à ces seize représentations d'opéra et huit concerts.
Le Théâtre des Champs-Elysées n'est pas seulement le Théâtre des Nations de l'art lyrique, mais aussi un lieu privilégié pour faire connaître les possibilités des théâtres de provinces. Ainsi en 1957 il a présenté Puck de Delannoy par l'Opéra de Strasbourg, Le Fou de Landowski par le Grand Théâtre de Nancy et des opéras de Pergolèse, Sauguet, Offenbach, par l'Opéra de Marseille. En plus de ce festival permanent d'art international, le Théâtre des Champs-Elysées, en ces années 1950/1960 (époque des Maisons de la Culture) se voulait peut-être plus démocratique en essayant de faire connaître au public parisien les meilleures productions de province. Aussi a-t-il assuré aux jeunes compagnies de ballet une aide leur permettant de réaliser des spectacles de qualité : les Ballets Etorki, de la Tour Eiffel et de Janine Charat. Il cherchait à remplir un rôle de décentralisation et d'aide aux jeunes compagnies.
Enrich Straram réussit à convaincre Ganna Walska de faire classer le Théâtre des Champs-Elysées Monument Historique, malgré le préjudice que cette servitude entraînerait pour elle dans le cas d'une cession éventuelle de sa propriété. C'est ainsi qu'en 1957 il fait classer certaines parties de l'immeuble, avec la farouche volonté de conserver ce patrimoine épisodiquement convoité par des groupes plus ou moins recommandables tout du moins sur le plan artistique. En classant les salles et la façade du 15 avenue Montaigne Monument Historique, l'Etat reconnaît les richesses que cet immeuble apporte au patrimoine national. Dans un rapport du Conseil d'Administration de 1962, on lit :
malgré toutes les difficultés rencontrées au fil des années, nous pouvons considérer que l'objectif de la société, de servir l'art sous toutes ses formes, est intégralement respecté après un demi-siècle d'existence.
En effet, 1963 sera l'année du cinquantenaire du Théâtre des Champs-Elysées. Enrich Straram souhaite que cet anniversaire soit commémoré brillamment par une programmation à la hauteur de l'événement. En trois mois, les opéras, concerts, récitals, ballets se sont succédés pour atteindre soixante représentations. De nombreuses créations et les plus grands artistes ont apporté leur concours à cette manifestation qu'accompagnait une exposition dans le Théâtre et au Musée Bourdelle et un concert "Walther Straram" avec l'Orchestre National de la RTF dirigé par Charles Munch.
Citons quelques noms au hasard : Maazel, Giulini, Boulez, Karajan, Munch... Pollini, Ferras, Francescatti, Serkin, Rubinstein... Callas, Schwarzkopf Tebaldi, Nilsson, Di Stefano, Gobbi, Del Monaco... Parmi les ensembles étrangers : la Philharmonique de Berlin, l'Opéra de Varsovie, l'Opéra de chambre de Milan, les Virtuosi di Roma. Les Ballets du XXème siècle de Béjart, un hommage au Marquis de Cuévas..
Et Jean Basdevant préfaçant le programme général dira :
chaque brouhaha de début de concert me fait secrètement espérer voir revenir au pupitre la silhouette racée de Walther Straram et chaque baisser de rideau chercher, à un fauteuil d'orchestre, le fin visage de Maurice Ravel. 42
En cette fin d'année 1963 marquée par les cinquante ans du Théâtre des Champs-Elysées, il faut également citer l'Assemblée générale de la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées du 21 novembre 1963 :
la société qui exploite le théâtre vient de jeter son dixième anniversaire et nous avons tout lieu d'être satisfaits de cette période de stabilité, la plus longue qu'aie jamais connue le théâtre depuis sa fondation.
En 1964, de nouveaux travaux sont entrepris pour la conservation de l'immeuble et le renouvellement du matériel technique.
La construction de la Maison de la Radio avec ses auditoriums conduit l'Orchestre National, en avril 1965, à résilier le contrat qui le liait au Théâtre. Mais l'avenir verra un retour en force de Radio France et de l'Orchestre National au Théâtre des Champs-Elysées. Quant à l'Orchestre de Paris, il exprimera souvent un grand regret de ne pouvoir y revenir. L'Orchestre Walther Straram s'était dispersé dans ces deux orchestres il y a plus de soixante ans. L'un est revenu aux Champs-Elysées, l'autre manifeste parfois le désir d'y revenir. En cette même année 1965, Mme Ganna Walska réapparaît, plus de trente ans après son éloignement, mais cette fois-ci, c'est par l'intermédiaire de ses hommes d'affaires et dans le but de vendre son Théâtre. Enrich Straram lui confiait en 1961 :
Vous savez mon attachement à cette maison et dans quelles conditions difficiles j'ai réussi, seul, à la maintenir debout grâce à l'entière confiance que vous n'avez jamais cessé de me témoigner. Je suis heureux d'être parvenu sans aucun secours extérieur ni aucune subvention, à assurer la vie de la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées et celle du Théâtre. Ce n'est pas sans une certaine fierté que je peux constater le prestige qu'ont retrouvé ces trois salles de l'avenue Montaigne et la revalorisation de votre capital.
Le dernier geste de Mme Ganna Walska, sur le conseil d'Enrich Straram, aura été de proposer à l'Etat français, à des conditions plus que raisonnables, la vente de ses titres, nouvelle preuve de sa contribution en faveur de l'art. Mais l'Etat ne voulait pas faire ce qu'elle-même avait osé : acquérir un immeuble, sans en avoir l'usage immédiat.
C'est en janvier 1970 que le Conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations a accepté, à la demande de l'Etat, de se porter acquéreur des 18.000 actions de la Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées mises en vente par Mme Walska.
Je m'arrête à ce moment de l'histoire, où la communication entre le Lotusland de Santa-Barbara, propriété de Mme Walska et Enrich Straram se faisait par l'intermédiaire d'hommes d'affaires et de cabinets ministériels. Ceci est un autre sujet qui demanderait plus de temps pour être raconté. Quel sort le Théâtre des Champs-Elysées a-t-il donc jeté aux Straram?... L'attachement d'Enrich Straram à ce Théâtre était tel que son désintéressement était incompréhensible aux autres. Ce n'était pas sa carrière qui lui importait, mais celle du Théâtre des Champs-Elysées, tout comme son père qui s'était mis à son service et à celui de la musique. Sans doute cela leur a-t-il coûté beaucoup de souffrances et d'abnégation. Peut-être pensaient-ils, comme Alfred Cortot :
L'existence d'un virtuose est un mauvais thème, et, toutes réflexions faites, il me parait excellent de quitter ce monde sans y laisser de trace.
Eric Straram ( coll. Eric Straram ) DR |
Mais nous savons de combien de joies, de belles amitiés et de passions leur vie ont été gratifiées.
Walther Straram refusait d'apparaître dans les dictionnaires et ne souhaitait pas entrer dans la postérité.
En faisant cet écrit, peut-être l'ai-je un peu contrarié... j'espère du moins ne pas l'avoir trahi.
Eric Straram (1998)
Autres articles :
1) Kolb Philip, Correspondances de Marcel Proust, Paris, Editions Plon, tome IV.
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2) Professeur Stephan Kobler, de l'Institut Richard Strauss de Munich.
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3) Georgette Leblanc était la compagne de Maurice Maeterlinck en 1902, Debussy lui préfère Mary Garden pour le rôle de Melissande qu'elle ne chantera qu'en 1912 à l'Opéra de Boston sous la direction de Caplet.
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4) Hanna Puacz, qui prit pour nom de scène celui de "Ganna Walska", était née le 24 juin 1887 à Brest-Litowsk (Pologne). Créatrice en 1941 du Lotusland à Montecito, près de Santa Barbara (Californie, U.S.A.), elle y est décédée le 24 mars 1984. [ndlr]
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5) Walska Ganna, Always room at the top, New York, Richard Smith, 1943, p. 151.
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6) Combarieu et Dumesnil, Histoire de la musique, Editions A. Colin, p. 653.
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7) Comina, Commerce et artisanat, décembre 1933.
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8) Paul Le Flem, Comoedia, 25 août 1924.
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9) Voir ce point les fac-similé des lettres d'Alma Mahler, Emma Debussy.
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10) L'Excelsior, Vuillermoz, 1er mars 1926.
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11) L'Excelsior, Vuillermoz, 19 janvier 1926.
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12) L'Impartial français, Sixte Quinte, 25 janvier 1926.
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13) op. cit., Walska Ganna, Always room at the top, p. 248.
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14) Le Quatuor Viennois était dirigé par le fameux violoniste Rudolf Krolish qui jouait sur un Stradivarius et l'un des rares violonistes à tenir son instrument de la main droite.
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15) Mariée au neveu de Jules Massenet, elle avait suivi les cours de Walther Staram, en 1910, à l'Opéra de Manhattan.
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16) Plaquette de présentation accompagnant les vingt disques du festival Wagner.
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17) Lucien Rebatet, Histoire de la musique, Robert Laffont, p. 793.
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18) Georges Salesse, Parole Libre, 20 octobre 1928.
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19) Administré par Gabriel Astruc, ce Théâtre en cette année 1930 : La Chauve-souris et La Flûte enchantée, sous la direction de Franck Schalk qui avait dirigé au Théâtre des Champs-Elysées, en 1924, un Festival Mozart avec l'Opéra de Vienne.
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20) Le Journal, 23 décembre 1930.
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21) Il avait été signataire du "Manifeste des Intellectuels allemands" en 1914.
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22) Walther Straram entretenait, depuis 1925, une correspondance avec Abel Gance. Il l'aida à trouver un financement pour son célèbre "Napoléon" qu'il eut du mal à terminer en raison de la faillite Stines et de son retentissement sur ses affaires. Walther Straram avait mis en relation des personnages comme Otto Kahn, Grey Bramard ou Reisenfeld, directeur du Rialto à New York, avec M. Mac Cormick.
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23) Le Figaro, 20 janvier 1931.
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24) Vogue, 1er février 1931.
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25) P.O. Ferroud, Paris soir, 16 janvier 1931.
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26) Excelsior, 19 janvier 1931.
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27) Revue de France, 1er avril 1931.
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28) La partition porte l'inscription suivante : "Cette symphonie, composée à la gloire de Dieu est dédicacées au Boston Symphony Orchestra, pour le cinquantenaire de son existence.
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29) L'Action française, Dominique Sordet, 11 juillet 1930.
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30) Paris Midi, 25 octobre 1931.
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31) Aux Ecoutes, 1er août 1931.
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32) La Liberté, 16 octobre 1935.
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33) La Gazette de Lausanne, 21 juin 1930.
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34) Emile Vuillermoz, Art et médecine, juillet 1931.
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35) René Doire, Chronique musicale.
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36) Épouse du poète Paul Géraldy.
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37) L'Intransigeant, 17 octobre 1933.
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38) Jacques Janin, Le Figaro, 15 octobre 1933.
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39) André Coeuroy, Paris Midi, 13 octobre 1933.
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40) Inghelbrecht G., D.E. Inghelbrecht et son temps, édition de La Baconnière, juillet 1978.
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41) Vuillermoz, Edition musicale vivante, octobre 1934.
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42) Directeur général des Affaires culturelles. Ministère des Affaires Etrangères, 1963.
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