Norbert DUFOURCQ
à l'ancienne
console de l'orgue Clicquot-Cavaillé-Coll
de l'église Saint-Merry, à
Paris, en 1928
(cliché R. Parrot)
Un grand musicien nous a quittés en la personne de Norbert Dufourcq, mort le 19 décembre 1990 à Paris à l'âge de 86 ans. Ses obsèques ont eu lieu dans une stricte intimité à Saint-Sulpice, et même, comme il l'avait lui-même souhaité, dans une simplicité et un effacement tout en opposition avec sa longue carrière et sa magnifique renommée. Il a été inhumé au cimetière de Montmartre.
Norbert Dufourcq1 était diplômé de l'Ecole des Chartes, docteur ès lettres et archiviste-paléographe mais c'est la musique qui accapara entièrement ce brillant universitaire; il utilisa ses connaissances et son érudition dans des recherches historiques, musicales et musicologiques qui devaient peu à peu le faire connaître mondialement grâce à une somme considérable d'ouvrages, de communications, de conférences. Norbert Dufourcq fut, de plus, organiste de Saint-Merry, à Paris, depuis 1923 jusqu'à ses derniers jours et l'on sait quelle place privilégiée l'orgue tient dans ses multiples activités comme dans ses ouvrages. Il était également, depuis 1982, membre d'honneur de l'Association Elisabeth Havard de la Montagne.
Norbert Dufourcq à la nouvelle console
(Gonzalez, 1946) de l'orgue Saint-Merry, à Paris,
dans les années 1960
( coll. Marie-Claire Moonen-Dufourcq )Organiste2, Norbert Dufourcq le fut davantage comme organiste liturgiste que concertiste. Son grand orgue de Saint-Merry bénéficia de tous ses soins et, grâce à lui, fut plusieurs fois restauré et embelli3. Il fut partisan de la modernité des instruments, de leur électrification, de l'orgue néo-classique, soutenant activement la manufacture Gonzalez. Depuis toutes ces dernières années, il fut en butte aux partisans de l'orgue néo-baroque, de l'orgue à transmission mécanique etc... Il dut souffrir parfois de contestations violentes de la part de ceux qui ne partageaient pas ses idées. Pourtant il savait suivre l'évolution des goûts et revenir sur certaines erreurs, devenant, par exemple un loyal défenseur des orgues Cavaillé-Coll qu'il avait dénigrés à une certaine époque de sa carrière. Jusque 1980, il fut membre de la commission des orgues du Ministère de la Culture et ne put éviter les luttes entre les différents "clans"!
C'est encore son amour de l'orgue qui le poussa à fonder, en 1927, avec Bérenger de Miramon Fitz-James, l'association des Amis de l’orgue dont il fut l'animateur infatigable. Dans le cadre de cette association, il créa des concours d'orgue où se retrouvèrent au fil des années les plus grands organistes dans le jury et, comme lauréats, ceux qui devaient, à leur tour, devenir les plus renommés. On lui doit encore la Revue L’Orgue, excellente revue trimestrielle qui en est à sa soixantième année d'existence4 et fait paraître en supplément des Cahiers et Mémoires de l'orgue et des Dossiers de l'orgue d'un intérêt captivant.
Norbert Dufourcq organisa fréquemment des récitals d'orgue qu'il présentait avec une clarté remarquable et un véritable talent d'orateur. Combien d'organistes ont été lancés grâce à lui et ont ensuite accompli une belle carrière. J'ai personnellement le souvenir de ces récitals au Palais de Chaillot présentés par lui qui suscitaient l'admiration enthousiaste de mes vingt ans. Plus tard, lorsque je présentais les récitals ou concerts d'Elisabeth, je m'efforçais d'être à la hauteur de mon modèle! Plus récemment, présentant un récital d'orgue à la Madeleine au cours duquel Odile Pierre joua mon "Esquisse" en trois mouvements, Norbert Dufourcq me témoigna, comme en d'autres occasions, une sympathie et une courtoisie que je n'oublie pas. Tout comme je n'oublie pas son témoignage lors de la disparition d'Elisabeth et du deuil cruel qui nous atteignait, mes enfants et moi.
Norbert Dufourcq, vers 1970
( Photo Robert P. Girard )Au titre de professeur, Norbert Dufourcq s'est assuré l'attachement et la reconnaissance de plusieurs générations de musiciens élèves de sa classe d'Histoire de la Musique au Conservatoire National Supérieur de Paris de 1941 à 1975 et dans ses cours de musicologie à l'Ecole Normale de Musique entre 1958 et 1963. Il en est de même pour les Jeunesses Musicales qui bénéficièrent tant de fois de ses conférences si vivantes et de ses judicieux et savants commentaires précédant diverses interprétations.
Enfin faut-il rappeler le rôle primordial de Norbert Dufourcq dans ses travaux musicologiques, même si depuis quelques années il eut des détracteurs en raison de certains progrès scientifiques et surtout de la part des "baroqueux", ceux-là mêmes qui, à leur tour, se voient remis en question5 depuis peu de temps. Il doit pourtant être considéré comme un pionnier de la musicologie et ceux qui, par la suite, ébranlèrent parfois son magistère ne purent y réussir que grâce à son enseignement précédent et à ses propres découvertes.
J'ai toujours regretté que Norbert Dufourcq ne fut pas élu à l'Académie Française pour représenter enfin la musique parmi les Quarante du quai Conti. Par son talent d'écrivain, son style clair, son phrasé si personnel et élégant et en raison de la somme considérable de ses ouvrages exceptionnels, il eut été à sa place; mais sa modestie le dissuada sans doute de se proposer à cette élection ! Trois de ses livres furent couronnés, l'un par l'Académie Française : Esquisse d'une Histoire de l'orgue en France du XIIIe à la fin du XVIIIe siècle, Larousse 1935), et deux autres par l'Académie des Beaux-Arts où il eut été aussi parfaitement à sa place parmi les Académiciens : Documents inédits pour servir à l’histoire de l'orgue, 2 volumes, Droz-Fischbacher, 1935 et Jean-Sébastien Bach, génie allemand, génie latin?, Paris, La Colombe, 1947.
Parmi ses nombreux ouvrages auxquels il faut ajouter une quantité considérable d'articles, de communications, de conférences, d'œuvres musicales principalement écrites pour l'orgue toujours intelligemment présentées, on peut souligner La Musique des origines à nos jours, un gros volume in quarto paru chez Larousse (1946) en collaboration avec d'autres musicologues et, chez le même éditeur La musique: les hommes, les instruments, les œuvres en deux volumes in quarto de quelque 400 pages chacun (1965).6
Ainsi, grâce à ses nombreuses publications d'œuvres musicales des compositeurs français et étrangers des XVIIe et XVIIIe siècles présentant un grand intérêt comme à ses ouvrages de grande qualité sur cette même époque ou sur l'orgue ou sur le clavecin, Norbert Dufourcq a très largement participé à la vulgarisation de la musique. Sans aucun doute, son nom lui survivra.7
Joachim HAVARD DE LA MONTAGNE (1991)
17 décembre 2000, église Saint-Merry (Paris), concert en hommage à Norbert Dufourcq à l'occasion du 10ème anniversaire de sa mort.
( Coll. D.H.M. )
Signature de Norbert Dufourcq, 1928
( Coll. D.H.M. )En complément des titres déjà cités supra voici quelques autres ouvrages de Norbert Dufourcq :
* Les Cliquot, facteurs d’orgues du Roy (Floury)
* Petite histoire de la musique en Europe (Larousse)
* Le grand orgue du Palais de Chaillot (Floury)
* Du prélude et fugue au thème libre (Floury)
* Jean-Sébastien Bach, le maître de l’orgue (Floury)
* La Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach (Larousse)
* L’Orgue (collection " Que sais-je ? ")
* Le clavecin (ibidem)
* César Franck (Euterpe n°5, La Colombe)
* La musique française (Larousse)
* Cent versets de Magnificat des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (Bornemann-Leduc)
* Nicolas Lebègue (Picard)
* Jean-Baptiste de Boesset (Picard)
* Autour de Coquard, Franck et d’Indy (Edition du Courrier)
* Le grand orgue du Prytanée militaire de la Flèche (Picard)
* Jean de Joyeuse (Picard)N'oublions pas aussi de citer sa monumentale étude sur Le Livre d'orgue français, 1589-1789, éditée entre 1969 et 1982 à Paris, chez Picard :
t. 1 : Les Sources (1971)
t. 2 : Le Buffet (1969)
t. 3 : La Facture, 2 volumes (1975, 1978)
t. 4 : La Musique (1972)
t. 5 : Miscellanea (1982)
On lui doit également une impressionnante quantité d’articles divers parus dans les revues Orgue et Liturgie, Les grandes heures de l’orgue, Recherches sur la musique classique française, ainsi que la publication en première édition d’œuvres d’orgue de Nivers (3 livres, Schola Cantorum, Heugel, Bornemann, 1956, 1958, 1963), Dornel (Schola Cantorum, 1965), Boëly (2 livres ; Schola Cantorum et Procure générale du clergé, 1958), ou encore de pièces pour clavecin de Lebègue (L’Oiseau-Lyre, 1956)... et bien d’autres encore !
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NOTE : depuis la rédaction de cet article en 1991, la revue L'Orgue a publié un gros volume de près de 300 pages entièrement consacré à Norbert Dufourcq et à auquel nos lecteurs désireux d'approfondir le sujet peuvent utilement se reporter. (Cahiers et Mémoires, n° 49-50, 1993).
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1) Fils d'Albert Dufourcq, professeur à la faculté de lettres de Bordeaux, Norbert Dufourcq est né le 21 septembre 1904 à Saint-Jean-de-Braye (Loiret). Parallèlement à ses études qui le conduisaient à l'université, il apprit le piano auprès d'Amédée Gastoué au collège Stanislas dès l'âge de 10 ans, ainsi que l'harmonie et le contrepoint avec Marie-Rose Hublé, l'organiste de Saint-Eustache. Mais c'est surtout auprès d'André Marchal qu'il se perfectionna habilement dans l'étude de l'orgue. [NDLR] [ Retour ]
2) Après son décès, l'orgue de salon de Norbert Dufourcq a été transféré à l'Abbaye Notre-Dame du Bec-Hellouin (Eure) où il a été inauguré le 24 juin 1994 par Marie-Claire Alain. [NDLR] [ Retour ]
3) Il a consacré à son instrument une monographie " Le grand orgue et les organistes de Saint-Merry de Paris ", publiée en 1947 à Paris à la Librairie Floury. [ Retour ]
4) De nos jours (juillet 2000) cette revue a atteint sa soixante-dixième année de parution. Elle est aujourd'hui publiée par les Editions Auguste Zurfluh, 123 avenue du Lycée Lakanal, 92340 Bourg-la-Reine. [ Retour ]
5) Lire à ce sujet l'article Interprétation, in Musica et Memoria, n° 37, pp. 4-15. [ Retour ]
6) Norbert Dufourcq fut également secrétaire de la Direction des Dictionnaires Larousse de 1928 à 1970. [ Retour ]
7) Marié en 1926 à Marguerite Latron (1904-1994), Norbert Dufourcq a laissé 6 enfants dont Bertrand Dufourcq, ancien élève de l'E.N.A., ambassadeur de France, nommé en 1997, en même temps que Catherine Massip et Gilles Cantagrel, membre du conseil d'administration du Centre de musique baroque de Versailles. Il est décédé le 18 novembre 2019 et inhumé au cimetière de La Bastide-Clairence (Pyrénées-Atlantique). Son épouse, née en 1940 Elisabeth Le Fort des Ylouses, est une femme politique, Inspectrice générale des affaires sociales et membre de l'Académie des sciences d'Outre-Mer. [NDLR] [ Retour ]
Conservatoire national supérieur de musique de Paris, classe d'histoire de la musique de Norbert Dufourq en 1968-1969. Passez la souris sur la photo pour faire apparaître les numéros. Sont identifiés: Nayri Malek-Azarian (2?). Marie-Claire Travers (3). Nina Mossé-Gubbisch (4). Rémi Jacobs (5). Michel Lasserre de Rozel (6). Claudine Hondré (Mme Crépin)(7). Danièle Desouches (Mme Taitz, prof. au conservatoire de Nantes)(8). Solange Barbarin (9). Jacques Rebotier (11). Marie-France Perennec (12). Hélène Castan-Delage (13). Martine Géliot (15). Laurence de Laubadère (16). Christine Rouault (Mme Louchart)(17). Annie Guillard (18). Robert P. Girard (19). Rosine Cadier (Mme Hamel)(20). Lise Petit (Mme Lise Petit- Marceau)(21). Norbert Dufourcq (22). Brigitte François-Sappey (23). Claude Desmarest (24). Marie-Cécile Gilly (25). Benoît Gousseau, chef de chœur (26). Irène Jourinn (Mme Irène Brisson)(27). Claude Brisson (29). Alex Bèges (31). Jean-Pierre Lagard (33). Catherine Petit (Mme Heugel), directrice du conservatoire de Nanterre (32). Denise Aigle (36?). Claire Moreau, petite-nièce d'André Caplet (38). Pierre Menneret, directeur du Conservatoire municipal de Saint- Maur-des-Fossés (39). Marcel Vilcosqui (41). Absent: Jean-Yves Bras. ( Coll. Irène Brisson ) |