Le Panthéon des musiciens

De janvier 2007 à juin 2007

Pierre PIERLOT - Gian Carlo MENOTTI - Jacqueline ROBIN - Ernst HAEFLIGER - Marcel MERKÈS - Mstislav ROSTROPOVITCH

 

Concertiste et chambriste mondialement connu, le hautboïste Pierre PIERLOT s'est éteint à Paris le 9 janvier 2007 dans sa 86e année. Avec Maurice Bourgue, qui le rejoindra plus tard (1979) au Conservatoire de Paris, il devient l'un des maîtres du hautbois au cours de la seconde moitié du XXe siècle. C'est ainsi qu'il fait mieux connaître au grand public son instrument, notamment en suscitant auprès des compositeurs un répertoire nouveau pour les instruments à vent. Avec le Quintette à Vent Français (1945), l'Ensemble Baroque de Paris (1952), les Concerts Lamoureux, puis l'Orchestre de l'Opéra-Comique de Paris (1946) et enfin celui de l'Opéra de Paris (1972) Pierre Pierlot illustre l'Ecole française de hautbois, participe à de nombreux enregistrements, ressuscite un répertoire oublié, notamment baroque, sans oublier la création d'œuvres contemporaines : la Symphonie concertante de Jacques Ibert (1949), les Concertos de Darius Milhaud (1958), Henri Tomasi (1959) et Henri Martelli (1972), la Sonate pour hautbois et piano de Francis Poulenc avec Jacques Février (1963)...

Pierre Pierlot
Pierre Pierlot
( coll. Mme A. Pierlot ) DR

Né le 26 avril 1921 à Paris, d'un père mélomane et grand amateur d'opéras comiques, Pierre Pierlot dès sa plus tendre enfance s'installe avec sa famille dans le Nord, à Avesnes-sur-Helpe, puis commence à étudier le hautbois auprès de professeurs de musique militaire. Il entre ensuite au Conservatoire de Valenciennes, alors dirigé par Fernand Lamy, et suit la classe de hautbois de Longatte père. Trois années plus tard (1939), il est admis au Conservatoire de musique de Paris où il fréquente notamment les classes de hautbois de Louis Bleuzet (1871-1941) - remplacé à son décès par Pierre Bajeux - et de musique de chambre de Fernand Oubradous, disciplines dans lesquelles il décroche en 1941 un 1er prix de hautbois, qu'il partage avec Franck Legrand et Raymond Nivert, et une médaille de musique de chambre. Dès sa sortie du Conservatoire, il entre comme hautbois solo chez Lamoureux, alors conduit par Eugène Bigot, et à l'Orchestre symphonique de Chambre de Fernand Oubradous. Entre-temps, en 1945, aux côtés de bon nombre d'autres musiciens de grande valeur (Raymond Nivert, Gérard Calvi, Pierre Petit, Pierre Perisson, Gilbert Flory, Gilbert et Gérard Coursier...) il fait partie de l'orchestre de la 2ème Division Blindée, dirigée par le capitaine Victor Clowez, l'auteur de la célèbre Marche de la 2ème DB. En 1947, il passe à l'orchestre de l'Opéra-Comique et deux anées plus tard il décroche le 1er Prix du Concours international de Genève. En 1972, à la dissolution de cette dernière formation, il est engagé à l'orchestre de l'Opéra de Paris qu'il quitte en 1981. Parallèlement à sa carrière de concertiste, Pierre Pierlot mène une autre carrière de chambriste. Aux côtés de Jean-Pierre Rampal (flûte), Jacques Lancelot (clarinette), Manem (cor) et Maurice Allard (basson) il fonde en 1945 le Quintette à Vent Français (rapidement Gilbert Coursier remplacera Manem et plus tard, Paul Hongne Allard puis Maxence Larrieu Rampal), avec lequel il se produit jusqu'à la cessation de ses activités régulières en 1968. Son répertoire est vaste et comprend des auteurs classiques, notamment Haydn (Divertimento en si bémol majeur), Vivaldi (Concerto a tre pour flûte, hautbois et basson), Mozart (Quintette pour piano et vents, en mi bémol majeur, K.452)... et contemporains avec plusieurs créations d'œuvres de Georges Migot, Jean-Michel Damase, Marcel Bistch, Claude Arrieu et Pierre Wissmer. En 1952, il participe également à la fondation de l'Ensemble Baroque de Paris avec Jean-Pierre Rampal (qui sera remplacé par Maxence Larrieu), mais aussiRobert Veyron-Lacroix (clavecin), Robert Gendre (violon) et Paul Hongne (basson), plus spécialisé dans les musiques du XVIIe au XIXe siècles.

Egalement pédagogue, Pierre Pierlot enseigne au Conservatoire de Paris, tout d'abord la musique de chambre à partir de 1971 (succède à René Leroy), puis en 1973, recueille la succession de la classe de hautbois d'Etienne Baudot. Professeur attentif, faisant preuve de beaucoup de gentillesse et de simplicité, il forme jusqu'en 1986, année de sa retraite, un grand nombre d'hautboïstes actuels (47 Premiers Prix) dont la plupart occupe des postes prestigieux. Parmi eux, citons Guy Laroche, hautbois solo de l'Orchestre National de Lyon et professeur au CNSM de Lyon, qui écrivait en 1998 à propos de l'enseignement de son professeur : "...Mais deux choses m'avaient profondément marqué : d'une part la rigueur qu'il imposait sur le plan technique que ce soit dans les concerti ou des études et d'autre part, le naturel, la fluidité de son jeu qui semblaient donner à chaque oeuvre une impression de facilité. Son hautbois n'était que l'instrument d'une voix et n'est-ce pas là notre but : faire chanter toutes musiques!" [in La Lettre du hautboïste, n° 2, juin 1998, publiée par l'Association Française du Hautbois] . Durant de nombreuses années, Pierre Pierlot a aussi enseigné à l'Académie internationale d'été de Nice (fondée en 1957) et de nos jours, son successeur au sein de cette institution est l'un de ses anciens élèves : Pascal Saumon, 1er Prix en 1980, hautbois solo à l'Orchestre National de France et professeur au CNR de Versailles.

Pierre Pierlot a beaucoup enregistré et le nombre de disques auxquels il a participé se compte par plusieurs centaines. Un bon nombre a été récompensé par le Grand Prix du Disque. On lui doit ainsi, principalement au cours des années 1950-1960, avec les orchestres Lamoureux (Arthur Goldschmidt), de la Sarre (Karl Ristenpart), Pro Arte de Munich (Kurt Redel), I Solisti Veneti (Claudio Scimone), Jean-François Paillard, la gravure des grands concertos, parmi lesquels ceux de Haydn (en ut majeur, Classic), Albinoni (12 Concerti op. 9, Erato), Haëndel (3 Concerti, Oiseau-Lyre), Vivaldi (12 Concerti op.11 et 12, Erato), Mozart (en ut majeur, Erato), Marcello (6 Concerti grossi "La Castra", Erato), Bellini (en mi bémol majeur, Erato), Cimarosa (en ut mineur, Erato), Bach (Concertos Brandebourgeois, Erato) et dans un répertoire plus récent, la Sonate pour hautbois et piano (Chant du Monde) et le Trio pour hautbois, basson et piano (Vega) de Poulenc, la Sonate avec piano d'Hindemith (Oiseau-Lyre) et la Sérénade avec quintette à vent de Jolivet (Erato). Mais bien d'autres compositeurs sont abordés au disque par Pierre Pierlot "ou l'élégance du hautbois français" comme il a été écrit : Loeillet, Hotteterre, Hertel, Beethoven, Schumann, Rossini, Pleyel, Richard Strauss, Roussel... Certains de ses enregistrements ont été réédités en CD. Parmi ceux-ci signalons plus particulièrement celui intitulé "Le charme du Hautbois" (Erato/Warner Music France) qui rassemble les concertos de Vivaldi, Albinoni, Cimarosa, Zipoli, Marcello et Bellini, interprétés avec l'orchestre I Solisti Veneti de Claudio Scimone.

Les obsèques de Pierre Pierlot, Officier des Arts et des Lettres, ont été célébrées le 16 janvier en l'église Notre-Dame d'Auteuil, à Paris 16e, suivies de son inhumation au cimetière de Berneville-sur-Mer (Calvados). Il laisse une fille et un fils, Philippe, première flûte solo à l'Orchestre National de France, membre du Trio Turner (flûte, alto et harpe), et 4 petits-fils, dont Antoine Pierlot, violoncelliste et membre de l'ensemble "Les Violoncelles français".

D.H.M.

Gian Carlo Menotti
Gian Carlo Menotti
( Library of Congress, Prints & Photographs Division, Carl Van Vechten Collection, LOT 12735, no. 809 [P&P] )

Le 1er février 2007, à l'hôpital de Monte Carlo (Monaco), s'est éteint le compositeur italien Gian Carlo MENOTTI à l'âge de 96 ans. Considéré par certains dans les années cinquante, notamment par le public américain, comme le rénovateur du théâtre lyrique, ses drames musicales Le Médium (New York, 8 mai 1946), Le Téléphone ou l'Amour à trois (New York, 18 février 1947) et Le Consul (New York, 1er mars 1950) connurent un vif succès à l'époque. Créée en France en mai 1951 au Théâtre des Champs-Elysées, cette dernière oeuvre, sans doute son meilleur ouvrage tragique, lui valut le Prix Pulitzer. Un autre de ses ouvrages lyriques, The Saint of Bleecker street (1954) lui valut à nouveau le Prix Pulitzer en 1955, ainsi que le Drama Critics' Circle Award de la meilleure pièce musicale en 1954. Le succès de Menotti, qui écrivait lui-même ses livrets, était en grande partie dû au fait qu'il s'appuyait sur des faits de la vie réelle et ce, sur une musique agréable, "toujours fraîche et spontanée" comme l'ont souligné plusieurs musicologues, le tout avec une mise en scène originale et réaliste. Clarendon écrivait dans Le Figaro du 4 mai 1951, lors de la première à Paris du Consul : "...Menotti est un homme habile, efficace. Il veut frapper, et il y réussit. Il excelle à créer une ambiance, à nous y plonger de force..." Si ses pairs lui ont parfois reproché d'écrire de la musique uniquement destinée à plaire, voire à séduire, il n'en demeure pas moins que le public l'a plébiscité et que c'est avant tout pour à lui que Menotti composait ses oeuvres, faisant fi de toute école. Les Marseillais et Toulousains se souviennent encore certainement de ces années cinquante au cours desquelles ils purent se familiariser avec les œuvres marquantes de ce compositeur du Nouveau Monde. A Toulouse, grâce à Louis Izar, alors directeur du Capitole, le public assista à des représentations du Consul (mars 1953), de Amahl et les visiteurs du soir (1957) et du Médium (1957) avec la cantatrice américaine Marie Powers (rôle de Mme Flora).

Né le 7 juillet 1911 à Cadegliano (Italie), d'une famille de 10 enfants, Gian Carlo Menotti est initié à la musique par sa mère Inès et à l'âge de 11 ans a déjà composé son premier opéra (pour marionnettes) : La mort de Pierrot. Il entre ensuite au Conservatoire Verdi de Milan et à partir de 1927, à la suite de la mort de son père, la famille s'installe aux USA où il achève ses études musicales au Curtis Institute de Philadelphie. Là, il suit les cours de son compatriote, le compositeur Rosario Scalero (1870-1954) qui compte également parmi ses élèves Lukas Foss et Samuel Barber avec lequel il va longtemps collaborer : c'est Menotti qui écrit les livrets de ses opéras Vanessa (Metropolitan Opera, 15 janvier 1958) et A Hand of bridge (Festival des deux Mondes, Spoleto, 17 juin 1959). Quelque temps professeur de composition dans cet établissement, Gian Carlo Menotti se fixe aux Etats-Unis, à Mount Kisco (New York), dans une maison achetée avec Samuel Barber. Il y réside jusqu'en 1974, année où il part s'installer en Ecosse, à Yester House. Rapidement, ses opéras et autres drames lyriques : Amelia goes to the Ball (1937), The old Maid and the Tief (1939), The Island God (1942), The Medium (1946), The Telephone (1947), The Consul (1950), Amahl and the night visitors (1951), The Saint of Bleecker street (1954), The Unicorn, the Gorgon and the Manticore (1956), Maria Golovin (1958)...., qui renouvellent le répertoire lyrique, le projettent sur le devant des scènes américaines : il parvient en effet, grâce à cette parfaite connaissance qu'ont naturellement les italiens pour le drame lyrique, à adapter sa faculté d'écriture musicale expressive aux exigences de l'opéra américain en pleine évolution au lendemain de la première guerre mondiale. Ses oeuvres plaisent et enchantent le public : simplicité, réalisme, dramatisme souvent poignant, puissance communicative, musique expressive. En 1958, Gian Carlo Menotti fonde le Festival des deux Mondes à Spoleto (Italie) et en 1977 crée son équivalent aux U.S.A., à Charleston (Caroline du Sud). Très fréquentés par un public populaire avide de d'apprécier non seulement de nouvelles productions et d'assister à la représentation de grandes oeuvres "classiques" (Parsifal, Les Maîtres Chanteurs, Don Giovanni, Les Noces de Figaro, Pelléas et Mélisande, La Bohème, Carmen...), mais encore de découvrir de jeunes futures étoiles du chant et de la danse, ces festivals remporteront toujours d'importants succès durant des 3 semaines d'été que durent les saisons. C'est à Spoleto, en 1962, que la soprano américaine Shirrley Verret remporte son premier succès dans Carmen et en 1969, que le metteur en scène Patrice Chéreau débute avec L'Italienne à Alger... En 1992, Menotti abandonne la direction du Festival de Charleston pour prendre la direction de l'Opéra de Rome qu'il assure jusqu'en 1994, puis, une fois à la retraite, partage son temps entre ses maisons de Yester House et de Monte Carlo.

Gian Carlo Menotti n'a jamais cessé de composer toute sa vie durant. Aux oeuvres lyriques déjà citées, ajoutons : Labyrinth (opéra télévisé, New York, 1963), Death of the Bisshop of Brindisi (cantate dramatique, Cincinnati, 1963), Le Dernier Sauvage (opéra-bouffe créé à l'Opéra-Comique de Paris le 21 octobre 1963), Martin's Lie (opéra d'église, cathédrale de Bristol, Angleterre, 1964), Help, Help, the Globolinks! (opéra pour enfant, Hambourg, Allemagne, 1968), The most important Man (opéra, New York, 1971), The Hero (opéra-comique, Philadelphie, 1976), The Egg (opéra d'église, cathédrale de Washington, 1976), The Trial of the Gipsy (pour voix aiguës et piano, New York, 1978), La Loca (opéra, San Diego, 1979), A bride from Pluto (opéra pour enfants, Washington, 1982), The Boy who grew too fast (opéra pour enfants, Wilmington, 1982), Goya (1986, révisé en 1991, opéra écrit pour Placido Domingo, Wahsington, 1986), The Wedding (opéra, Séoul, Corée du Sud, 1988), The Singing Child (opéra, Spoleto Festival, Charleston, 1993). Mais, si Menotti est principalement connu comme compositeur d'art lyrique, il a néanmoins abordé d'autres genres musicaux, notamment avec des ballets : Sebastien (1 acte, New York, 1944) et Errand into the Maze (New York, 1947) ; des pièces orchestrales : Apocalypse (poème symphonique, Pittsburgh, 1951), une First Symphony "The Lacyon" (Philadephie, 1976), un Triplo Concerto a tre (pour 9 solistes répartis en 3 trios et orchestre, 3 mouvements, New York, 1970), un Concerto pour piano et orchestre n° 1 (Boston, 1945) qui fut notamment enregistré en 1952 par Yury Boukoff et l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, sous la direction d'André Cluytens (disque 33 tours, La Voix de son Maître, FALP 176) et un n° 2 (Miami, 1982), un Concerto pour violon (1952), un Concerto pour contrebasse (New York, 1983), une Fantasia pour violoncelle et orchestre (1976).... ; de la musique de chambre : 4 Pièces pour quatuor à cordes (1936), Cantilena et scherzo pour harpe et quatuor à cordes (1977), Suite pour 2 violoncelles et piano (1973), Trio pour violon, clarinette et piano (1996) ; des pages pour un instrument : Ricercare et Toccata sur un thème de "The Old Man and the Thief" pour piano (1951), Poemetti per Maria Rosa (pour piano, destiné aux enfants), Ricercare pour orgue (1984)... et plusieurs oeuvres pour la voix : Canti della lontananza (cycle de 7 chants pour soprano et piano, 1967), 5 Chants pour ténor et piano (1981), Miracles boy's pour chœur et orchestre (1979), Llama de Amor Viva pour baryton, chœur et orchestre (1991)..., ainsi que des pages religieuses : une Missa O Pulchritudo pour soprano, mezzo-soprano, ténor, basse, chœur et orchestre (1979), une cantate à Sainte-Thérèse d'Avila Muero porque no muero, pour soprano, chœur et orchestre (1982), une Mass fort the contempray english Liturgy Congrégation, à 4 voix et orgue (1985), un Gloria pour ténor, chœur et orchestre (1995), et sa toute dernière œuvre, la cantate Jacob's Prayer, pour chœur à 4 voix et orchestre (San Diego, 1997).

Gian Carlo Menotti, élu en 1991 "musicien de l'année" par le Musical America, laisse un fils adoptif, Francis (né à Philadelphie en 1938), metteur en scène, qui a repris la direction du Festival de Spoleto.

D.H.M.

La pianiste Jacqueline ROBIN, qui dès 1945 avait formé un célèbre duo avec Geneviève Joy resté mondialement connu, est morte le 3 février 2007 à son domicile de Taverny (Val-d’Oise). Agée de 89 ans, ce sont les suites d’un accident vasculaire cérébral arrivé quelques mois auparavant qui l’ont emportée. Partenaire d’Elisabeth Schwarzkopf durant une douzaine d’années, notamment au Festival de Salzbourg en 1960, Gérard Souzay (avec lequel elle enregistre des mélodies de Gounod, Fauré, Roussel, Chausson, Legeuerny, Schubert, Schumann), Ernst Haefliger (Schubert), Teresa Stich-Randall (Schubert, Mozart) pour ne citer que les plus grands, elle était également une soliste remarquable, notamment interprète privilégiée de Fauré et de bon nombre d’autres compositeurs français, parmi lesquels Poulenc, Sauguet, Milhaud et Dutilleux. Musicienne complète, interprète au jeu clair et limpide, le musicologue fauréen Jean-Michel Nectoux dit un jour qu’"Il est peu de pianistes qui réalisent à ce point la synthèse de la virtuosité et de la profondeur, et qui savent trouver le charme dans la rigueur." Quant au critique espagnol J. Espinos Orlands il déclare qu' "Elle fait vibrer dans chacune de ses notes toute l’émotion qui y est contenue. De Haendel à Debussy et Ravel, son style est un prodige de souplesse, s’épanouissant dans les plus belles et les plus délicates nuances." Les nombreux pianistes actuels qu’elle a formés dans sa classe de déchiffrage au Conservatoire de Paris savent ce qu’ils lui doivent, notamment Emile Naoumoff, Alexandre Tharaud, Pierre-Laurent Aimard, François Chapelain, sans oublier Jean Dubé qui étudia avec elle en cours particuliers.

Jacqueline Robin en 2000
Jacqueline Robin à Nice, en 2000
( coll. Claude Robin ) DR

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C’est dans une famille d’artistes que Jacqueline Pangnier vient au monde, le 11 décembre 1917 à Saint-Astier (Dordogne), où son père, Emile, artiste peintre et originaire du Nord, se remet de ses blessures reçues à Verdun. Sa mère, bonne pianiste amateur, l’initie très jeune à la musique et dès l’installation de la famille à Paris la confie à Mlle Bizouard, professeur de piano (cours particuliers). Déjà d’un bon niveau à l’âge de 10 ans, elle est reçue au concours d’entrée au Conservatoire de musique de Paris alors dirigé par Henri Rabaud. Dans cet établissement, elle suit les classes de piano de Victor Staub, d’accompagnement d’Abel Estyle, d’harmonie de Jean Gallon, de contrepoint et fugue de Noël Gallon, ainsi que la classe de musique de chambre de Max d'Ollone. Après avoir décroché 5 premiers prix (piano 1936, harmonie1937, accompagnement 1938, fugue 1939 et musique de chambre la même année), elle débute peu avant la guerre une carrière de soliste, puis en 1945 forme un duo de piano avec Geneviève Joy, future épouse de Henri Dutilleux. Elle l’avait connue sur les bancs du Conservatoire (1er prix de piano 1941), dans les classes de Jean et Noël Gallon et Estyle. C’est là également qu’elle avait rencontré Paul Bonneau (1918-1995) avec lequel elle se marie en premières noces. Chef d’orchestre spécialisé dans la musique symphonique légère, on lui devra plus tard (1960) la fondation du groupe vocal " Les Djinns ", quelque peu connu à l’époque. Jacqueline Bonneau et Geneviève Joy-Dutilleux donnent ainsi de nombreux concerts en France et à l’étranger, tout en poursuivant chacune leur carrière de soliste, et rencontrent un succès mondial en défendant la création contemporaine. C’est ainsi que pour le 25e anniversaire (1970) de ce Duo, qu’elles fêtèrent à la Salle Gaveau, dix compositeurs écrivent des pièces à leur intention : Auric, Constant, Daniel-Lesur, Dutilleux, Jolivet, Louvier, Mihalovici, Milhaud, Ohana et Pierre Petit. En 1990, elles se produirent une dernière fois en hommage à Salvator Dali. De la bouche même de l'intéressée, cette exceptionnelle et durable entente était due au fait que "nous avons été élevées au même biberon. En effet, nous avons suivi la même formation musicale, d’harmonie et d’écriture. Mais nos styles et nos caractères sont différents et complémentaires..." Cette période d’après-guerre et des années cinquante la voit également rencontrer un vif succès comme accompagnatrice et chambriste. En dehors des interprètes déjà cités précédemment avec lesquels elle collabora nommons encore les mezzo-soprano Irma Kolassi avec des mélodies de Fauré, Ravel, Milhaud et Aubert (1953, Decca) et de Duparc (1956, Lumen), Kerstin Meyer avec des mélodies de Brahms, Sibelius et Rangstrom (1959, VSM) et Hélène Bouvier, dans des mélodies de Duparc également (1959, Pathé) ; la soprano Colette Herzog avec des pages de Schoenberg (1962, Critère) ; le ténor Michel Sénéchal et les barytons Michel Dens dans des mélodies françaises (1956, Philips - 1960, Pathé) et Jacques Jansen (mélodies de Reynaldo Hahn) ; la violoncelliste Eliane Magnan avec laquelle elle grave des œuvres de Rameau, Lully, Couperin (1949, Véga) et la violoniste Michèle Auclair avec les Sonates pour violon et piano de Debussy et Ravel (1959, Les Discophiles Français). C’est l’époque encore où elle double en 1948 Dany Robin (rôle d’une jeune pianiste interprétant une pièce de Sauguet) dans le film Les amoureux sont seuls au monde d’Henry Decoin et enregistre en 1950 la Rapsodie pour piano et orchestre (sous la direction de l’auteur) de son mari Paul Bonneau (78 tours, Pathé PDT231). Quelques années plus tard, elle rencontre, par l'intermédiaire de Michel Sénéchal, Claude Robin, un ingénieur en électro-mécanique, passionné de musique et ami d'enfance du ténor. Elle l'épouse en secondes noces en 1958 et durant plus de 40 ans, il suivra assidûment toute sa carrière musicale, n'hésitant pas à assumer les fonctions de "tourneur de pages" lors des concerts de son épouse.

En tant que soliste, Jacqueline Robin, considérée comme une interprète privilégiée de Fauré, joue également Mozart, Schubert et Schumann, mais encore des compositeurs méconnus, comme par exemple Alexandre Boëly (1785-1858), qui, s'il était un organiste parisien célèbre son époque, était aussi un pianiste distingué. C'est la musicologue Brigitte François-Sappey qui le sort de l'oubli avec sa thèse qu'elle lui consacre en 1971, mais c'est Jacqueline Robin qui interprète la première sa musique pour piano qu'elle enregistre chez Arion (ARN 38442 et 38598) en 1978 et 1981. Très éclectique, la musique française contemporaine est aussi à son programme dans lequel on trouve, entre autres, Poulenc, Dutilleux, Milhaud, Jolivet, Ohana, Jacques Chailley, Ballif et Louvier. Lors de son dernier concert comme récitaliste, le 12 octobre 1996, elle jouait la Fantaisie en ré mineur (KV 397), le Rondo en ré (KV 48) et la Sonate en ut mineur (KV 457) de Mozart, ainsi que Les 6 Moments musicaux, op. 94 et l'Impromptu en si bémol, op. 42, de Schubert.

Accompagnatrice, chambriste, soliste, Jacqueline Robin est encore une pédagogue appréciée, qui enseigne le déchiffrage au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris de 1968 à 1988. L'une de ses nombreuses anciennes élèves, la pianiste et professeur à l'E.N.M. et au C.N.S.M.P. Françoise Buffet Arsenijevic, au moment de sa disparition déclarait [in le Journal du C.N.S.M.P] : "...femme extrêmement musicienne, cultivée et passionnée par l'enseignement, ses cours dépassaient largement le cadre de la lecture à vue, elle avait l'art de faire passer les difficultés d'une oeuvre en parlant de son tissu harmonique, en évoquant avec passion la vie du compositeur, et le contexte culturel de son époque..." et le pianiste Eric Ferrand-N'Kaoua, autre ancien élève, d'ajouter "...alors, cette petite femme fluette et pudique, au doux regard bleu, s'animait et nous poussait dans nos derniers retranchements, portée par une passion juvénile et le besoin impérieux de nous la faire partager." Après sa retraite du Conservatoire, elle continue d'enseigner, à titre privée et c'est ainsi qu'elle participe en 1994 à la création du festival de la Fondation Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes) au cours duquel sont données des master-classes et dont elle anime celles de piano.

La discographie de Jacqueline Robin est importante, puisqu'elle comporte près d'une centaine de disques, dont 5 ont obtenu un Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Le label Testament (Abeille Musique) a réédité en CD ces dernières années plusieurs de ses enregistrements anciens, notamment ceux de 1953 avec Irma Kolassi et d'autres de Gérard Souzay (Schubert, Schumann, Hugo Wolf, Falla, Ravel, Fauré, Debussy, Chausson, Duparc et plusieurs compositeurs baroques) datant du début des années cinquante. En 1999, MC Productions (Next Music) a réédité les mélodies de Reynaldo Hahn avec Jacques Jansen. Plus récemment, Rem à ressorti en 2001 un CD "Oeuvres pour piano" de Jacques Chailley, avec Jacqueline Robin, Nadia Tagrine et Geneviève Ibanez, qui a été récompensé par un "4 étoiles" de la revue Le Monde de la musique, et Arion en 2005 "L'art du piano" (ARN 60390) avec notamment la reprise des enregistrements de certaines pièces de Boëly.

Chevalier de la Légion d'honneur (1981), Jacqueline Robin est décédée le 3 février 2007 à Taverny (Val-d'Oise), où elle résidait depuis de nombreuses années. Elle repose au cimetière d'Eaubonne, non loin de son domicile. Son mari est le fondateur en 1983 des "Heures musicales de Taverny", devenues en 1986 "L'Automne musical de Taverny" qui connaît une popularité sans cesse croissante. Il perpétue ainsi le souvenir de cette grande Dame du piano qui en fut longtemps conseillère artistique.

D.H.M.

Ténor Suisse, Ernst HAEFLIGER est mort le 17 mars 2007 à Davos, son village natal situé dans les Grisons, à l'âge de 87 ans. Connu pour ses enregistrements chez Deutsche Grammophon des grandes œuvres sacrées de Bach avec Karl Richter dans les Passions, c'était était également un grand spécialiste du lied allemand, tout en chantant aussi Florestan dans le Fidelio de Beethoven, Tamino dans La Flûte enchantée de Mozart ou Le Pilote dans Le Vaisseau Fantôme de Wagner. Son très large répertoire lui fit aborder bien des compositeurs de toutes époques et de tous genres, de Bach à Franck Martin, notamment au Deutsche Oper de Berlin où il fut ténor lyrique de 1952 à 1974 sous les directions de Ferenc Fricsay, Wolfgang Sawallisch et Lorin Maazel. Son interprétation de L'Evangéliste dans la Passion selon Saint Matthieu BWV 244 de Jean-Sébastien Bach, enregistrée en 1958, aux côtés d'Irmgard Seefried, Antonie Fahberg, Hertha Topper, Kieth Engen, Max Pröbstl et du jeune Fischer-Dieskau, sous la conduite de Karl Richter, est mémorable (Archiv Produktion 198009 à 198012) et reste un modèle du genre.

Ernst Haefilger
Ernst Haefliger chante Mozart
( CD Claves )

C'est à Davos, station de sports d'hiver des Grisons, en Suisse, où son père Jakob est commerçant, que nait Ernst Häfliger (Haefliger) le 6 juillet 1919. Après avoir fréquenté le Conservatoire de Zürich, où il étudie le chant et le violon, il poursuit sa formation auprès de Fernando Capri au Conservatoire de Genève et du ténor autrichien  Julius Patzak à Vienne. C'est avec ce dernier, également inoubliable Evangéliste des Passions de Bach et interprète de lieder, auquel on doit notamment l'admirable enregistrement en 1953 du Chant de la terre de Mahler avec Kathleen Ferrier (Decca LXT 2721 et 2722), qu'il acquiert cette perfection dans la musique religieuse et chorale, où il brille par son raffinement et la pureté da sa voix. Il débute en 1942 à Genève, dans la Passion selon Saint-Jean de Bach et la même année chante l'oratorio d'après la légende de Tristan Le Vin herbé du compositeur suisse Frank Martin, donné, pour la première fois dans son intégralité, à Zürich le 26 mars 1942. Ernst Haefliger participera également à 2 autres créations d'oratorios de ce même compositeur : In terra pax à la Radio de Genève le 7 mai 1945, sous la direction d'Ernest Ansermet, et Golgotha le 29 avril 1949, aussi à Genève. C'est Ferenc Fricsay, qu'il avait connu à Vienne et retrouvera plus tard à l'Opéra de Berlin, qui le pousse à aborder l'opéra. C'est ainsi que de 1943 (année où il est récompensé par le Prix du soliste de l'Association suisse des musiciens) à 1952, il fait partie de la troupe de l'Opéra de Zürich alors placée sous la conduite du chef Robert Denzler (directeur musical), auquel on doit la première représentation européenne de Porgy and Bess de Gershwin (1945). En 1949, il fait ses premières apparitions au Festival de Salzburg dans La Flûte enchantée de Mozart dirigée par Furtwängler, et participe à la création (rôle de Tirésias) de l'opéra en 5 actes de Carl Orff, Antigone, aux côtés d'Helmut Krebs, sous la conduite de Fricsay. Quelques années plus tard, en 1956, c'est au Festival de Glyndenbourne qu'il se produit (rôle de Tamino dans La Flûte enchantée), puis ce sera le Festival de Vancouver (1959), l'Opéra de  Chicago (1966) ainsi que bien d'autres scènes mondiales. Entre temps, en 1952, Ernst Haefliger est engagé par l'Opéra de Berlin (futur Deutsche Oper) et jusqu'en 1974, assure avec beaucoup de classe son rôle de "Kammersänger". Mais si Haefliger a remporté des succès dans l'opéra, notamment dans Mozart dont il interprète également la musique sacrée, c'est surtout avec les Passions de Bach  et dans le lied qu'il s'impose. Il reste un des meilleurs "Evangélistes" du XXe siècle qu'il a chanté durant plusieurs décennies, en raison notamment de son interprétation des plus ferventes. A son palmarès ajoutons encore le Voyage d'hiver (Winterreise) de Schubert, cycle de 24 lieder dans lequel il nous charme par une science musicale des plus riches et une incontestable luminosité. L'enregistrement de cette oeuvre en 1984 (Claves) lui a d'ailleurs valu le Prix mondial du disque de Montreux.

Entre 1971 et 1988, Ernst Haefliger enseigne le chant au conservatoire de Munich, tout en assurant des masterclasses de par le monde (Suisse, Japon, USA). Ses nombreux élèves, parmi lesquels la soprano Françoise Pollet et le ténor Christophe Einhorn, ont pu ainsi bénéficier d'un enseignement avisé, dans lequel la science du texte tient une place aussi importante que la technique du chant, qu'il révèle dans son livre sur L'Art du chant (Die Singstimme, Bern, Hallwag 1983 puis nouvelle édition en 2000, chez Schott, sous le titre de Die Kunst des Gesangs : geschichte, technik, repertoire). En 2006, il fonde le "Concours Ernst Haefliger" destiné aux jeunes chanteurs d'opéras de carrure internationale, dont la 1ère édition eut lieu à Berne et à Gstaad durant le mois d'août de cette année.

Il est difficile de faire un choix parmi les nombreux enregistrements d'Ernst Haefliger. Parmi ceux actuellement disponibles sur le marché, citons cependant plus particulièrement son Winterreise, déjà mentionné supra, l'oratorio Judas Macchabée de Haendel, aux côtés de Gundula Janowitz, Hertha Töpper et Peter Schreier (Berlin classics/Naïve), la Messe en si mineur BWV 232, dirigée par Karl Richter (Deutsche Grammophon), la Passion selon Saint Matthieu conduite par Ferenc Ficsay (Archiv) et la Passion selon Saint Jean de Bach, dirigée par Karl Richter (Deutsche Grammophon), Pelléas et Mélisande de Debussy, avec Elisabeth Schwarzkopf, sous la conduite de Karajan (Urania) et L'Enlèvement au sérail de Mozart, aux côtés de Maria Stader et Rita Streich, dirigé par Ferenc Fricsay (Deutsche Grammophon).

Croix du Mérite de la République fédérale allemande, Ernst Haefliger laisse 3 enfants : Michael Haefliger, actuel directeur du Festival de Lucerne, Andreas Haefliger, pianiste, et Christine Golin, comédienne.

D.H.M.

Le 30 mars 2007 à Pessac, près de Bordeaux, est décédé dans sa 87ème année le baryton martin Marcel MERKÈS. Avec son épouse Paulette Merval il avait longtemps formé "le couple idéal de l'opérette française" depuis 1947, année où Henri Varna les engageait dans son Théâtre Mogador. Le succès ne se fera pas attendre avec Violettes impériales (Vincent Scotto) créé dès l'année suivante. Puis ce sera Les Amants de Venise (Paulette Zévaco, Vincent Scotto), Les Amours de Don Juan (Juan Morata), Vienne chante et danse (Jack Ledru, Johann Strauss), La Veuve Joyeuse (Franz Lehar)... Avec Lily Fayol on lui doit également la création de la version française de l'opérette d'Irving Berlin, Annie du Far West, au Théâtre du Châtelet (19 février 1950). Le succès du célèbre duo Marcel Merkès-Paulette Merval va durer pendant plusieurs décennies et en 1979, il effectue une dernière tournée avec une nouvelle version de la Princesse Czardas du compositeur américain d'origine hongroise Emmerich Kalman (1882-1953). Très populaire, cette opérette viennoise figure toujours aux répertoires de plusieurs théâtres, notamment l'Opéra-Théâtre de Metz (décembre 2006), la Cité des Congrès de Nantes (18 mai 2008) et le Vinci de Tours (31 mai 2008).

Marcel Merkès et Paulette Merval (1955)
Marcel Merkès et Paulette Merval en 1955
dans Les Amants de Venise au Théâtre Mogador
( D.R. )

Né le 8 juillet 1920 à Bordeaux, d'un père chef comptable, Marcel Merkès fréquente très jeune le Conservatoire de Bordeaux d'où il ressort en 1943, les prix d'opéra-comique et d'opérette en poche. C'est dans cet établissement qu'il fait la connaissance de Paulette Riffaud (plus connue sous son nom de scène Paulette Merval), qui suit les classes de violon et de chant. Originaire de Dordogne, née le 3 novembre 1920 à la Roche-Chalais, sa sœur, Rolande Riffaud, fréquentait également les classes de chant du Conservatoire de Bordeaux, où elle obtint un prix d'opérette la même année que Marcel Merkès et fit ensuite une carrière parisienne au Théâtre Mogador. Mariée au baryton, metteur en scène de théâtre lyrique et directeur artistique du Grand Théâtre de Bordeaux (1970 à 1990) Gérard Boireau, elle abandonna sa carrière au cours des années soixante. En 1939, Marcel Merkès et Paulette Riffaud s'épousèrent et en 1944 cette dernière terminait ses études musicales avec un prix d'opérette. C'est à Bordeaux que Marcel Merkès fait ses débuts sur scène : Faust (Valentin), Manon (Des Grieux), Werther, Figaro... mais, rapidement monté à Paris, le couple est engagé en 1947 par Henri Varna au Théâtre Mogador et le succès est immédiat. A cette époque, au lendemain de la Seconde Guerre, le public est avide de distractions et l'opérette connaît un engouement renouvelé. Trois salles parisiennes se partagent les amateurs de ce genre de spectacles : Le Châtelet, dirigé par Maurice Lehmann, La Gaité-Lyrique, dirigé par Henri Montjoye et Mogador. En ces années 1940-1950, les affiches brillent de noms des plus populaires et la concurrence est rude : Luis Marino dans La Belle de Cadix, Andalousie et Le Chanteur de Mexico, Georges Guétary dans Toi, c'est moi et La Route fleurie, André Dassary dans La Toison d'or, Tino Rossi dans Méditerranée, Bourvil dans Le Maharadjah et Pacifico... C'est également l'époque où Marcel Merkès s'essaye au cinéma dans deux comédies musicales de Maurice de Canonge (musiques de Vincent Scotto) : Trois de la Cannebière, aux côtés de Henri Genès et Michel Galabru (1955) et Trois de la Marine avec Henri Genès, Jean Carmet et Paulette Merval (1956). La décennie suivante, celle des années soixante, au cours de laquelle de nouvelles musiques populaires font leur apparition, voit le déclin de l'opérette et de nombreux artistes se retrouvent au chômage. Mais, le "couple idéal", tant aimé par le public connaît au contraire un succès grandissant avec des reprises à Mogador de Rêve de valse (1962), de Rose-Marie (1963), des Amants de Venise (1966), la création de Michel Strogoff (1964) et surtout avec Vienne chante et danse (1967 à 1969), la dernière production d'Henri Varna. Après la disparition de ce dernier (1969) et plusieurs tournées en France et en Belgique, Marcel Merkès et Paulette Merval, une dernière fois, montent sur les planches de Mogador pour la création parisienne de l'opérette de Charles Aznavour et Georges Garvarentz, Douchka (1973). A partir de 1980 et durant quatre années, c'est l'ultime tournée, dans une quarantaine de villes, avec la Princesse Czardas dans une mise en scène de Gérard Boireau. Puis, en 1986 un dernier spectacle de récital, intitulé Nos Amours d'opérettes, est offert (notamment à l'Olympia) par les deux artistes à leurs nombreux admirateurs restés fidèles durant toute leur longue carrière au cours de laquelle ils se produisirent à 12 000 reprises!

Après une dernière apparition à la Salle Pleyel en 1994, Marcel Merkès et son épouse se retirent définitivement dans leur maison de la région bordelaise. C'est là qu'il décède d'un infarctus à l'âge de 86 ans, laissant un fils, Alain Merkès, qui poursuit ardemment l'œuvre de ses parents : chanteur d'opérettes (La Route fleurie de Francis Lopez, Vienne chante et danse de Jacques Ledru, L'Auberge du cheval blanc de Ralph Benatzky), il dirige actuellement le département opérettes de l'Opéra national de Bordeaux (Grand-Théâtre) où l'on donnait encore cette année (mai 2007) la Princesse Czardas. Eric Faury, neveu du "couple idéal", mène également une brillante carrière d'artiste lyrique et de metteur en scène, notamment à Bordeaux. Officier de la Légion d'honneur, commandeur des Arts et des Lettres, commandeur du Mérite national, Marcel Merkès repose maintenant dans le petit cimetière d'Aubeterre-sur-Dronne (Charente), non loin du berceau de la famille de Paulette Merval.

On doit à Marcel Merkès une trentaine d'enregistrements sonores, parmi lesquels l'un de ses premiers disques (1949, Odéon, 282056) avec Boléro d'amour et Le Chant du trappeur de Vincent Scotto, et les opérettes Violettes impériales (1949, Pacific 1114), Les Amants de Venise (1955, Odéon OS1067), Les Amours de Don Juan (1956, Odéon, 7MO1243), Princesse Czardas (1957, Odéon, MOE2066), Au soleil du Mexique (1958, Odéon, 7MO2129), Monsieur Beaucaire (1958, Odéon, 7MOE2141), L'Auberge du cheval blanc (1959, Odéon, OC1004), Véronique (1962, Odéon, PFSF1003), La Fille de Madame Angot (1963, Odéon, XOC191), Michel Strogoff (CBS 624877)... Certaines de ces oeuvres ont été réenregistrées par la suite ou ont fait l'objet de rééditions. Actuellement sont notamment disponibles sur le marché : chez Marianne Mélodie, collection "Les voix d'or" (Abeille musique MM1665), un CD regroupant une bonne partie des enregistrements 78 tours effectués entre 1948 et 1954 (sorti en 2006), chez Sony BMG music un CD "Marcel Merkès – Paulette Merval - Vive l'Opérette", comportant des extraits de leurs plus grands succès (sorti en 2005) et récemment (mars 2007) est ressorti chez Abeille musique (MM 1732) l'enregistrement original de 1948 de Violettes Impériales.

D.H.M.

Universellement connu et véritable légende, le violoncelliste et chef d'orchestre Mstislav ROSTROPOVITCH s'est éteint le 27 avril 2007 dans un hôpital moscovite à l'âge de 80 ans. L'image du musicien jouant les Suites de Bach devant le mur de Berlin tombé (novembre 1989) et retransmise par toutes les télévisions du monde, restera gravée à tout jamais dans la mémoire collective. C'est peu après qu'il se réinstallait en Russie, son pays d'origine quitté une quinzaine d'années plus tôt au moment de son soutien au dissident Alexandre Soljenitsyne, auteur du célèbre ouvrage "L'Archipel du Goulag". En 1978, il avait été déchu de la nationalité soviétique "pour actes portant systématiquement préjudice au prestige de l'Union soviétique"! Naturalisé suisse en 1982, il sera réhabilité par le président Gorbatchev après la chute du mur de la honte. Personnalité exceptionnelle, aussi bien le musicien que l'individu passionnaient les foules, car, à travers la musique Rostropovitch cherchait avant tout à rassembler les peuples, ayant "la passion des hommes" et celle de la liberté d'expression. Interprète merveilleux, il avait notamment joué en formation de chambre avec les plus grands : Emil Guilels, Leonid Kogan, Sviatoslav Richter, Vladimir Horowitz, Yehudi Menuhin, Marta Argerich... Egalement pianiste de talent, il accompagnait son épouse, la grande soprano "à la voix splendide, fière et racée" Galina Vichnevskaïa. En 1967, il avait fait ses débuts de chef d'orchestre au Théâtre du Bolchoï à Moscou avec Eugène Onéguine, avant de prendre la direction (1974) du London Syphony Orchestra de Londres, puis (1977) du National Symphony Orchestra de Washington, formation avec laquelle il se produira en Russie, après la perestroïka qui lui permit de retrouver sa citoyenneté soviétique (1990). On lui doit la création de très nombreuses oeuvres de musique contemporaine, écrites bien souvent spécialement à son intention par des compositeurs tels que Chostakovitch, Prokofiev, Ohana, Dutilleux, Lutoslawski, Sauguet, Britten, Bério... La grande conviction qu'il mettait dans son jeu a fait dire par le chef Seiji Ozawa qu' "il n'interprète pas, mais qu'il sent", et Bernstein d'ajouter que "sa conviction emporte irrésistiblement l'adhésion."

Mstislav Rostropovitch,
Mstislav Rostropovitch, "le Violoncelle du siècle"
(  (2007, coffret Emi Classics) )

C'est à Bakou, actuelle capitale de l'Azerbaïjan indépendante depuis 1990, que naît Mstislav Rostropovitch le 27 mars 1927. Son père, Leopold (1892-1942) est violoncelliste et enseigne son instrument au conservatoire de Bakou, avant de s'installer à Moscou en 1932. Il avait été notamment formé par son propre père, Vitold Rostropovitch, également violoncelliste. Le jeune Mstislav ("Slava" pour sa famille et ses amis) suit rapidement les pas tracés par ses ancêtres et, après avoir débuté le piano avec sa mère à l'âge de 4 ans, entreprend tout naturellement l'étude du violoncelle. En 1939, il entre à l'Ecole centrale de musique de Moscou puis au Conservatoire de cette ville (1941 à 1948), où il apprend aussi la direction et la composition. Ses professeurs dans ces établissements ont pour noms Simeon Kozoloupov (violoncelle), Vissarion Chebaline (composition) et Dimitri Chostakovitch (orchestration) ; et en cours privés : Prokofiev. En 1937, alors âgé de 10 ans, il avait fait ses débuts en public, interprétant le Concerto pour violoncelle et orchestre de Saint-Saëns. 1er prix du Concours général de Moscou (1945), lauréat des Concours internationaux de Prague (1947 et 1950) et de Budapest (1949), sa carrière hors URSS commence en 1951, année où il se produit pour la première fois en Occident, à Florence. A Paris, il débute en février 1956 avec la fameuse Danse des elfes de Popper, la Sonate en mi de Brahms et une Etude de Scriabine. Le public est rapidement fasciné par son jeu et la critique l'encense. Clarendon écrit dans Le Figaro du 20 février 1956 : "Voilà un magnifique violoncelliste, chaleureux, emporté, expressif…". Chargé de cours au Conservatoire de Moscou en 1953, trois années plus tard il y est nommé professeur de violoncelle et de contrebasse. C’est à cette époque (1955) qu’il épouse Galina Vichnevskaïa. Née à Leningrad le 25 octobre 1926, elle avait été élevée par sa grand-mère, ses parents ayant été tués durant le siège de Leningrad. Elève de Vera Garina, elle est engagée au Bolchoï en 1953 et fera par la suite une carrière internationale.

L’année suivant son mariage, Mstislav Rostropovitch se produit au Canergie Hall de New York et conquiert rapidement le public américain. En 1961, il est nommé professeur au Conservatoire de Leningrad, poste qu’il occupe jusqu’en 1972, parallèlement à celui du Conservatoire de Moscou. Il décrivit un jour lui-même sa méthode pédagogique, sans doute unique en son genre : "D'abord j'enseigne la technique de l'instrument. Puis l'interprétation d'une oeuvre et, alors-là, je ne donne jamais d'exemples au violoncelle mais au piano. Car ainsi, l'élève ne peut être tenté de recopier ce que je fais de façon automatique et extérieure." Idéaliste passionné, convaincu que l’art ne peut être que sans frontière et défendant la liberté d’expression avant tour, à partir de 1970 il s’attire les foudres des dirigeants de son pays qui n’acceptent pas son amitié et son soutien à Soljenitsyne. Exclu de tous postes officiels, il est déchu de sa citoyenneté soviétique par Brejnev ; avec sa femme et leurs deux filles (l’aînée, Olga, violoncelliste et la cadette, Elena, pianiste), Rostropovitch se voit contrait de s’expatrier à Londres en 1974, puis choisit de s’installer aux Etats-Unis (1977) et à Paris deux années plus tard. C’est là, à la Salle Pleyel, qu’il donnera plus tard (28 février 1980) un concert de soutien au dissident Andreï Sakharov avec des oeuvres de Rachmanivov et Prokofiev. Débute alors pour lui une nouvelle carrière internationale qui va le porter aux nues : successeur (1977) d’Antal Dorati à la tête du National Symphony Orchestra de Washington (1977), directeur-adjoint (1977) du Festival d’Aldeburgh en Grande-Bretagne (fondé et dirigé par Britten), création la même année en France du Concours International de violoncelle qui se déroule tous les 3 ou 4 ans, création (1983) du Rostropovitch Festival à Snape (Grande-Bretagne), élection (1987) à l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France, Président (1988) des Rencontres Musicales d’Evian (France). A son retour en Russie en 1990, Mstislav Rostropovitch est accueilli en héros et invité à se produire avec le National Symphony Orchestra de Washington qu’il va diriger jusqu’en 1994. "Cet artiste inépuisable, varié comme l’arc-en-ciel, passe du violoncelle au clavier, puis à la baguette du chef, avec une désinvolture confondante" [Bernard Gavoty, 1976] et en 1995 Rostropovitch, au zénith de sa carrière, enregistre à Vézelay les Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Jouant sur son instrument, "le Duport", un stradivarius de 1711, il sait en tirer "les majestueux accents" qui en sont le privilège naturel. La même année, il est lauréat du Prix Polar Music (Stockolm) et en 1998 est devient "Ambassadeur de bonne volonté" pour l’Unecso. Quelques années auparavant (1992), il avait créé à Washington le siège de la "Fondation Vichnevskaïa Rostropovitch" pour les enfants malades de Russie. Parmi les nombreuses actions humanitaires dont il eut à s’occuper, notons plus particulièrement en 2001, la vaccination contre l’hépatite de plus de 700 000 enfants de la province de Nijni-Novgorod. En avril 2006, à la veille de ses 80 ans, il avait encore accepté de devenir "représentant spécial" du programme des Nations Unies sur le VIH-Sida (Onusida).

Grand Officier de la Légion d’honneur, Chevalier de l’Empire britannique, membre de l’Académie des arts et des sciences des Etats-Unis et de l’Académie royale de Suède, Docteur honoris causa de plusieurs universités, Mstislav Rostropovitch a été inhumé le 29 avril dans le cimetière Novodevitchi de Moscou après des obsèques célébrées en la cathédrale du Christ Sauveur. Il laisse une discographie importante, mais c’est assurément son enregistrement des Six Suites pour violoncelle seul de Bach, son oeuvre fétiche admirablement gravée en 1995, que tout mélomane doit posséder dans sa discothèque (EMI classics). Signalons également la sortie récente (juillet 2007), chez le même label, d’un coffret de 3 CDs intitulé "Le violoncelle du siècle", contenant notamment la 1ère Suite de Bach et bien d'autres chefs-d'œuvre…

D.H.M.

 


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