Le Panthéon des musiciens
De juillet 2011 à décembre 2011
Luben YORDANOFF - Jacqueline VALLIÈRE - Yves CORNIÈRE - Charles LILAMAND
A Chatou (Yvelines) en région parisienne, le 4 septembre 2011 s'est éteint dans sa 85e année le violoniste bulgare naturalisé monégasque Luben YORDANOFF. Créateur du Concert royal op. 373 de Darius Milhaud (1968) et du Concerto pour violon d'André Jolivet (1973), il fut longtemps premier violon solo de l'Orchestre de Paris depuis sa création en 1967, à la tête duquel se succédèrent notamment Münch, Karajan, Solti et Barenboim.
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Luben Yordanoff ( coll. Orchestre de Paris ) DR
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Né le 6 décembre 1926 à Sofia (Bulgarie), Luben Yordanoff débute ses études musicales dans sa ville natale et après la guerre vient les achever au Conservatoire de Paris, dans les classes de violon de René Benedetti, de musique de chambre de Pierre Pasquier et décroche les 1er prix. A cette même époque, dès sa fondation (1955) il fait partie du Domaine Musical de Pierre Boulez. Lauréat du Concours international Reine Elisabeth de Belgique en 1951 et 1955, il se fait rapidement connaître et se lance dans une carrière internationale. En 1958, il est 1er violon solo de l'Orchestre national de l'Opéra de Monte-Carlo, alors dirigé par Louis Frémaux, ce qui lui permet d'obtenir la nationalité monégasque ne souhaitant pas revenir dans son pays d'origine. En 1967, c'est le tout nouvel Orchestre de Paris, successeur de l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, qui l'embauche pour y remplir les mêmes fonctions, poste qu'il va occuper jusqu'en 1991, année de son départ à la retraite. Son jeu brillant est souvent remarqué par les critiques musicaux et bon nombre de ses interprétations vont faire la renommée de cette formation. On a pu l'entendre, entre autres œuvres, dans : le Concerto pour violon en ré majeur, op. 77, de Brahms, Tzigane de Ravel, le Concerto n° 1 en ré majeur, op. 19, de Prokofiev, le Concerto Brandebourgeois n° 1 de Bach (dirigé par Klemperer), le Concerto n° 3 de Mozart, le Concerto pour violon et hautbois BWV 1060 de Bach, le Concerto op. 61 de Beethoven, celui de Glazounov (op. 82), de Tchaïkovski (op. 35), de Bartok (n° 2)… Et, en compagnie de Jean-Louis Ollu (violon), Davia Binder (alto) et Guy Besnard (violoncelle), également musiciens de l'orchestre du même nom, il forme le "Quatuor de Paris", que d'aucuns disent qu'il est "lumineux et passionné", avec lequel il obtient là-encore, un grand succès, apportant un renouveau du répertoire de la musique de chambre, avec notamment les deux Quatuors de Prokofiev, n° 1 op. 50 et n° 2 op. 92. Egalement pédagogue, il enseigne la musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, de 1978 à 1981.
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Le "Quatuor de Paris", vers 1973. De gauche à droite : Luben Yordanoff, Jean-Louis Ollu, Davia Binder et Guy Besnard ( photo X... ) DR
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Parmi les enregistrements au disque de Luben Yordanoff, mentionnons ici plus particulièrement le 4e Concerto pour violon en la majeur, op. 43, de Vivaldi avec l'Orchestre Pro Musica de Paris dirigé par Louis Saguer (1957, Ducretet Thomson 470C024), la Danse macabre de Saint-Saëns avec l'Orchestre de Paris, sous la direction de Pierre Dervaux (EMI), la Sonate pour violon solo, op. 115, de Prokofiev, la Sonate pour violon seul (1944) de Bartok, la Sonate pour violon solo, op. 31 n° 1 de Paul Hindemith et l'Elégie pour alto ou violon seul (1944) de Stravinsky (1977, Chant du Monde LDX 78635), le Quatuor pour la fin des temps de Messiaen avec Albert Tétard (violoncelle), Claude Desurmont (clarinette) et Daniel Barenboim (piano) (1988, DG, Pol 924).
Chevalier de la Légion d'honneur, commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres, chevalier du Cavalier de Madara, Luben Yordanoff est le père de l'acteur et comédien Wladimir Yordanoff, né en 1954, récompensé en 2009 par un "Molière du comédien" dans Coriolan, la tragédie de Shakespeare, avec une mise en scène de Christian Schiaretti (TNP de Villeurbanne).
Denis Havard de la Montagne
Jacqueline VALLIÈRE (1925-2011)
Yves CORNIÈRE (1934-2011)
Charles (Charlie) LILAMAND, qualifié en 1950 de pianiste "tumultueux et passionné", s'est éteint le 20 décembre 2011 à Tours (Indre-et-Loire) où il résidait depuis de nombreuses années. Il était âgé de 89 ans. "Géant souriant et modeste", après une carrière internationale à succès, il avait décidé d'arrêter de se produire en public pour se consacrer à l'enseignement au Conservatoire de Poitiers, puis à celui de Tours. Mais, au cours des années 1970, il regagnait la scène et depuis, ses interprétations remarquables, toutes en nuances, notamment de Chopin (Mazurkas) et de Schumann (Scènes de la forêt) étaient courus des mélomanes. Sa "virtuosité sans défaillance", alliée à "un registre de sensibilité assez étendu" ont longtemps fait de cet interprète un très grand pianiste. C'était un spécialiste de la musique romantique.
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Charles Lilamand, vers 1947 ( coll. DHM ) DR
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C'est dans la banlieue parisienne, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) qu'est né en mars 1921 Charles Lilamand. A l'âge de 5 ans, il est mis au piano et à 12 ans entre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où il obtient dès la première année (1933) une 1ère médaille de solfège dans la classe de Meyer. Entré également dans la classe de piano de Marguerite Long, il décroche un 2ème prix en 1935, puis le 1er prix en 1937 avec le 1er mouvement et Finale de la Sonate en si bémol mineur, op. 35, de Chopin. Il travaille aussi un temps vec Wilhelm Kempff et Alfred Cortot. Dès sa sortie du Conservatoire, Charlie Lilamand (c'est ainsi qu'il se fait connaître à ses débuts) se produit en concerts et remporte rapidement l'adhésion du public. Le 26 mars 1938, il est aux Concerts Pasdeloup, à l'Opéra-Comique, avec le Concerto pour piano et orchestre de Schumann. Le 23 octobre 1939, Salle Pleyel, il prête son concours à Georges Thill pour un concert donné en faveur de la Croix rouge française. La guerre ralenti quelque peu ses activités artistiques. Néanmoins, en 1941, le 8 mars il donne un récital à la Salle Chopin et cette même année les disques Columbia présentent ses premiers enregistrements : Novelettes de Schumann et Saint-François-de-Paule marchant sur les flots de Liszt. A la Libération, ses concerts reprennent de plus belle avec des tournées internationales. En 1946, il joue à deux reprises, au Conservatoire et à l'Orchestre National, le Concerto pour la main gauche de Ravel qu'il interpètre "magnifiquement". C'est lui d'ailleurs qui créera plus tard cette oeuvre à Helsinski et à Tokyo. L'année suivante, il est en Suisse, à Lausanne (29 mars) où il joue des Préludes, des Valses et la Sonate funèbre de Chopin au cours d'une conférence-récital aux côtés de l'homme de lettres Jean-Louis Vaudoyer, ancien administrateur de la Comédie-Française, portant sur "une Amitié romantique : Eugène Delacroix et Frédéric Chopin". En 1948, de retour d'Amérique du Sud, il donne un récital le 21 février à la Salle Gaveau (Paris) avec le Prélude et fugue en sol mineur de Bach-Liszt, la Sonate en si mineur de Liszt, les 10 Préludes de Debussy et Gaspard de la nuit de Ravel et dont la presse musicale se fait l'écho, notamment par la voix d'Yves Hucher dans Le Guide du concert : "De retour d'Amérique, Charlie Lilamand fait valoir à nouveau sa technique qui prouve sa probité, ses interprétations, toujours puissamment marquées de sa personnalité. Ce pianiste, aux basses profondes, aux traits sûrs, aux sonorités variées, unit le profond respect du texte à cette flamme communicative, qui n'est plus la fougue désordonnée qu'on lui a reprochée un peu vite, ou dont il a su se corriger. Sa Sonate de Liszt fut un éblouissement, ses Debussy et Ravel, avec une expression trop peu intimiste furent pleins de jeunesse et de vie ; quant à son Bach, il suffirait à confirmer l'opinion exprimée ici-même, l'an dernier : Lilamand est un très grand pianiste et j'ajoute, un artiste que le succès ne grise pas et qui se perfectionne en se dominant." En 1959, après de nombreux récitals, concerts et autres tournées donnés depuis une vingtaine d'années, il décide d'arrêter brusquement sa carrière internationale pour se repenser et surtout fuir les pressions conventionnelles aliénant sa liberté. Il se consacre alors à un travail d'enseignement. Tout d'abord professeur au Conservatoire de Poitiers (Vienne), il enseigne ensuite à partir de 1969 à celui de Tours jusqu'en 1991. Sans concession envers les médiocres, certains de ses nombreux élèves lui reprocheront injustement sa sévérité, mais ce n'était en fait que la volonté de sa part de les pousser au maximum de leurs possibilités, les obligeant ainsi à se transcender. Cependant bon nombre d'autres élèves ont su le suivre dans cet enseignement nécessaire pour progresser ; d'ailleurs ils lui sont de nos jours très reconnaissants et d'aucuns le considèrent comme un "géant de l'enseignement".
Poussé par sa famille et ses amis, il reprend sa carrière de concertiste au cours des années 1970, se produit entre autres à Tours et Amboise, et en 1976, c'est la Salle Gaveau à Paris qui l'acceuille, 28 ans après son concert de 1948. Le succès est toujours présent et sa prestation remarquée par les médias. La maison de disques CBS lui fait alors enregistrer en 1978 l'intégrale des Mazurkas de Chopin, oeuvre considérable qui lui demandera plus d'une trentaine d'heures d'enregistrement en studio (coffret 3 disques 33 tours, VOX 41240, avec notice de Marcel Marnat). En 1991, il prenait sa retraite du Conservatoire de Tours.
Ses obsèques se sont déroulées le 24 décembre au Temple de Tours. Son fils François a repris le flambeau musical : licencié de musicologie à l'université de Tours, il a choisi une carrière de ténor lyrique après avoir étudié le chant auprès d'Yves Sotin au CRR de Saint-Maur-des-Fossés, puis de Françoise Macciochi. Souhaitons que le testament discographique de 1978 de Charles Lilamand soit prochainement réédité en CD!
Denis Havard de la Montagne