Imposant édifice, la Basilique du Sacré-Coeur de Nancy a été érigée grâce à la ténacité du chanoine Henri Blaise (1863-1920), à la demande de Monseigneur Charles-François Turinaz, dont il était le secrétaire particulier : " Je vous confie la grande et difficile mission de fonder la nouvelle paroisse que je place sous les bénédictions, la puissance et la fécondité merveilleuse du Sacré-Coeur de Jésus " [La Semaine religieuse de Nancy, Nancy, Crépin-Leblond, 1902, p. 434.] Le projet prévoyait un lieu de grandes dimensions et un agencement nouveau :
" J’ai dirigé le plan de cette église dans tous ses détails ; grâce à l’intelligence, au talent et à la condescendance de M. l’architecte Rougieux, elle sera une des plus belles de Nancy. Elle sera de style roman-byzantin, mais élancé et gracieux. Les fenêtres seront à trois parties surmontées d’une petite rosace. Le chœur aura des arceaux légers reposant sur des colonnes qui formeront au-dessus de l’autel comme un ciborium. " [ibid., p. 435]
Le chanoine Blaise pouvait compter sur la participation des apprentis ébénistes pour lesquels une école avait été ouverte derrière la Basilique. Sous la conduite de maîtres patentés, ils réalisèrent l’essentiel des somptueuses boiseries de la sacristie ainsi que les confessionnaux.
En pleine période de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, le Sacré-Coeur de Nancy faillit subir l’inventaire de son mobilier et la spoliation du terrain et des bâtiments. Mais, l’édifice n’étant pas encore achevé, l’Association Diocésaine en resta propriétaire. Jusqu’à ce que le gros oeuvre soit terminé, les messes furent dites dans une chapelle provisoire.
Monseigneur Turinaz, évêque de Nancy, était satisfait du travail des facteurs et leur commanda un grand orgue, comptant sur la générosité des fidèles pour embellir encore l’édifice :
" Le plan primitif ne comportait pas de coupole. Il faudrait une coupole, nous dit-on. Oui, ce serait bien beau, mais le projet serait trop coûteux. Commandez une coupole : le Sacré-Coeur paiera. Et le Sacré-Coeur a payé. Il faudrait pour votre sonnerie, un bourdon colossal. Oui, mais cela coûterait cher. Commandez votre bourdon : le Sacré-Coeur paiera. Et le Sacré-Coeur a payé. Il faut tout de suite des vitraux : le Sacré-Coeur paiera. Et le Sacré-Coeur a payé. Commandez un grand orgue. Il est commandé et le Sacré-Coeur paiera. " [ibid., p. 1159]
Pour plus d’informations, lire l’article sur l’orgue de chœur et le grand orgue sur ce site.
Olivier Geoffroy
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Nancy, basilique du Sacré-Coeur, le maître-autel derrière lequel on aperçoit le haut du buffet en un seul corps de l'ancien orgue de choeur (carte postale ancienne, coll. O. Geoffroy) DR. |
Ancien orgue de chœur du Sacré-Coeur de Nancy, installé de nos jours dans la chapelle des Soeurs de Saint-Charles à Nancy avec remaniement de la composition et de la partie supérieure du buffet par le facteur Gérard Jourdain (photo O. Geoffroy, 2018) DR. |
Anges musiciens, détail de la tribune de l'orgue.
Guy Jeaugey (1932-2020), titulaire, à la console de l'orgue. Ancien élève de Robert Barth à l'Institut des Jeunes Aveugles de Nancy, puis de Pierre Cortellezzi et de Jeanne Demessieux, il a succédé en 1957 à Charles Magin à ce poste qu'il occupe durant 58 ans, jusqu'à sa retraite fin 2015. |
Console de l'orgue, tirants gauche et tirants droit.
Article
Voici quelques précisions sur la construction du buffet de grand-orgue qui avait précédé d’un an celle de la partie instrumentale, extraites du Nouveau Labarum, Nancy, Crépin-Leblond, mars 1906, p. 397-398 :
" Dans quinze jours environ, nous ferons mettre en place le joli et monumental buffet du grand-orgue que nous avons fait exécuter nous-même, sur les dessins dressés par l’architecte, dans nos salles d’oeuvres transformées en ateliers où travaillent, à notre compte directement, des ébénistes et des sculpteurs d’une réelle valeur artistique.
Les 104 chapiteaux en bois sculpté sont finis depuis longtemps ainsi que les riches panneaux du buffet. Toutes les grosses pièces sont également terminées.
Le buffet d’orgue sera composé de deux groupes de trois tourelles monumentales ajourées, dont la centrale mesurera 10 mètres 50 de hauteur.. Toutes ces tourelles porteront des tuyaux apparents et parlants. Un espace les séparera, assez vaste pour laisser entièrement libre la rosace de la façade et les 5 fenêtres de la galerie où M. Janin établira les verrières représentant les anges musiciens de Fra Angelico.
Il restera sur le tribune une large place pour un groupe de chanteurs."
Un an plus tard, les travaux étaient bien avancés (Le Nouveau Labarum, Nancy, Crépin-Leblond, avril 1907, p. 333-334) :
" Il y manque deux coupoles qui sont en exécution, des panneaux de revêtement pour protéger le mécanisme et dissimuler les tuyaux de bois, qui seront rapidement faits et enfin deux consoles artistiques que nous venons de confier au talent de M. Huel. La maquette que M. Huel a composée nous promet que ces consoles seront très certainement le détail ornemental le plus élégant de toute l’église. Selon notre désir, l’artiste établira deux groupes de trois anges musiciens de un mètre soixante-dix de hauteur se réunissant par les pieds sur un socle où le diable grimace et formant cariatides pour supporter l’avancée de la tribune.
Nous avions rêvé de les faire tailler en plein beau chêne, mais le travail serait long et coûteux et le chêne de sculpture se vend aujourd’hui cent francs de plus par mètre cube qu’au mois de juillet dernier. [...]
A lui tout seul, le buffet du grand orgue est un très bel ouvrage. Et aujourd’hui que la balustrade ajourée est en place, que les échafaudages qui le garnissent sont enlevés, son effet est magnifique. "
Victor Huel (1844-1923) et son fils étaient des sculpteurs réputés qui travaillèrent dans beaucoup d’églises de Nancy de Lunéville et de Saint-Nicolas-de-Port. Une partie de la mécanique et des tuyaux était déjà en place dans ce buffet encore inachevé :
" Les jeux de fonds sont presque tous mis au point. Nous pouvons déjà juger des sonorités qui sont vraiment belles et des timbres qui sont nettement distincts. En vérité, Dieu a demandé à M. Didier-Van Caster un lourd sacrifice en le rappelant avant qu’il ait entendu chanter son oeuvre.
Bientôt l’harmoniste, M. Rombaud, entreprendra les jeux du récit et les soubasses qui menacent d’être terribles. Nous avons dû faire sceller les vitres provisoires placées dans la rosace et la galerie inférieure tant elles s’ébranlaient sous les battements formidables d’un seul trente-deux pieds.
La construction d’un grand orgue de cette importance paraît, à qui la suit dans les détails, une oeuvre prodigieuse de combinaisons mécaniques, d’ajustage, de précision, sans parler de la partie plus délicate encore de l’harmonisation et de l’accord. et on ne peut que décerner des éloges, tant au facteur qui a conçu le plan, qu’aux ouvriers habiles qui l’ont exécuté. Et si l’on veut songer à ce qu’il y a de criminel dans la persécution de l’heure présente qui ruine l’un des arts les plus remarquables et les plus français, on se sent pris d’indignation.." [Ibidem]
Après l’expertise de l’orgue dans l’après midi du mardi 28 mai 1907 (par Henri Hess et Auguste Kling), c’est donc Charles-Marie Widor qui, dans un programme varié (Toccata, Adagio, Fugue de Bach, Vè Symphonie de Widor, Toccata et Fugue en ré mineur de Bach) inaugura l’instrument devant 600 personnes.
Quelques mois après l’inauguration de l’orgue les sculptures de la tribune étaient terminées :
" M. Huel père, a fait un véritable chef-d’oeuvre pour la décoration de cette tribune et les visiteurs de notre église sont unanimes à lui décerner le tribut d’une admiration bien méritée.
Six maigres et laides barres de fer soutenaient l’avancée de la tribune et le poids énorme des tourelles qui revêtent les 48 jeux du grand orgue.
M. Huel vient de les revêtir de six anges répartis en deux groupes qui sont un véritable objet d’art.
A droite, trois anges dont les pieds se rapprochent, reposent sur la tête d’un démon grimaçant qui déchire, avec rage, une feuille de parchemin sur laquelle est gravé le Te Deum. La partie supérieure du corps s’élargit de la longeur des ailes, en forme de corbeille-console, creusée de jours profonds. Chaque ange s’appuie contre des panneaux triangulaires découpés à jour et réunis par l’un des petits côtés. La tête ceinte d’un bandeau orné d’une étoile, supporte en cariatide ce qu’on nomme un culot qui forme la base de chacune des tourelles du buffet. L’un de ces anges joue du violon, un autre du cor en forme d’antique serpent et le troisième du tambourin.
A gauche, c’est d’abord le diable foulé aux pieds, furieux d’entendre la musique angélique et se bouchant les oreilles de ses mains crispées.
Des trois anges, l’un joue de la guitare, l’autre du cor à large pavillon, et le troisième de la petite harpe ancienne.
Chacun de ces anges mesure près de deux mètres de hauteur. Les vêtements, sans être trop flottants et trop touffus comme ceux de la Renaissance, ont assez d’ampleur et leurs plis sont gracieux.
Entre ces deux groupes, un autre ange qui ne mesure pas moins de deux mètres dix, vole en soutenant la tribune et chante le verset : Misericordias Domini in aeternum cantabo, inscrit sur la longue banderole qu’il tient de ses bras étendus.." [Le Nouveau Labarum, Nancy, Crépin-Leblond, novembre 1907, p. 191]
Olivier Geoffroy