Toufic Succar ( Coll. Rita Eid ) |
Né à Tripoli (Liban-Nord) le 29 novembre 1922, Toufic Succar, musicien et compositeur libanais, est le père d’Emile et de Marc Succar. Ce dernier est actuellement professeur de formation musicale et d’analyse au C.N.R. de St Maur-des-Fossés.
C’est au système polyphonique de Toufic Succar que la musique orientale-arabe doit le mérite incontestable de son évolution .
A Beyrouth, dès l’âge de 14 ans il commence à étudier le violon avec Ernest Cassel, le piano avec Thibaut-Bloch et les matières théoriques d’harmonie, de contrepoint et de fugue avec Bertrand Robilliard.
En 1949 par voie de concours, il est admis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, dans les classes d’harmonies d’Henri Challan, de contrepoint et fugue de Noël Gallon, de composition et orchestration de Tony Aubin et d’esthétique musicale d’Olivier Messiaen. Il en sort en 1952 avec une troisième médaille de contrepoint. Il est ainsi le premier libanais à être admis comme élève régulier dans la classe de composition du C.N.S.M. de Paris.
En 1953 Succar retourne dans son pays natal, où il est nommé professeur d’écriture musicale au C.N.M. de Beyrouth et chargé par Anis Fouleihan, alors directeur du conservatoire, d’élaborer les programmes de matières théoriques et des classes d’écriture, c’est à dire le solfège, la théorie, l’analyse, l’harmonie, le contrepoint, la fugue, la composition et l’orchestration. Il crée également la classe de théorie musicale orientale à l’intention des élèves de la section occidentale. Pour lui chaque libanais doit connaître les notions musicales élémentaires de son patrimoine.
Parallèlement à ses études musicales parisiennes il s’intéresse à la musique orientale, plus particulièrement à la musique libanaise, et harmonise des chansons de son pays ainsi que des cantiques maronites conçus dans les modes orientaux. En effet il est le premier musicien à pousser aussi loin les recherches polyphoniques dans ces modes à intervalles de l’ordre de ¼ de ton et à systématiser cette polyphonie même avant les années 1950; ce qui lui a valu d’ailleurs de violentes critiques, notamment de la part des musiciens orientaux que la polyphonie dérangeait. "Or, répond Succar, l’oreille qui entend et identifie des sons simultanés est indiscutablement plus évoluée que l’oreille monodique. De plus la polyphonie puise ses éléments dans les harmoniques : sons découlant de la résonance d’une corde sonore. Ce phénomène est donc un élément des plus naturel qu’on ne saurait rejeter; au risque de demeurer au même point".
Toufic Succar exposera les résultats de ses recherches au cours d’une conférence qu’il donnera au Cénacle Libanais le 21 janvier 1954 et qu’il illustrera d’exemples musicaux tirés de ses compositions. Cette conférence, qui eut un retentissement important à l’époque, sera la première d’une série donnée en France, au Caire, à Bagdad, à Tunis, à Rome… Elle a été reprise au Centre culturel français de Beyrouth le 2 décembre 1999.
Fragment du manuscrit de la Symphonie des cèdres, op. 41, de Toufic Succar, daté du 9 août 1960 et signé par l'auteur
( avec l'aimable autorisation de Rita Eid )
Sa musique, de caractère très variée, comprend des œuvres symphoniques : la Symphonie des Cèdres, de la musique de chambre, des pages chorales, de la musique de film, des pièces pour piano et des œuvres pédagogiques ... A ce jour, sa discographie comporte 4 CD.
Toufic Succar (à gauche) et Bertrand Robilliard, Beyrouth, vers 1960
( photo aimablement communiquée par Rita Eid )Dès 1966, il écrit aussi des suites polyphoniques pour kanoun (instrument de musique oriental en forme de trapèze à cordes pincées à l’aide d’un plectre) réalisées par son épouse Nenna Backtanassar, pianiste, qui étudie cet instrument dans le cadre de l’élaboration de son programme d’enseignement.
La carrière pédagogique de Succar s’est déroulée au C.N.M. de Beyrouth, tout d’abord en tant que professeur et plus tard comme directeur de 1964 a 1969. Il a formé plusieurs générations de musiciens dont certains poursuivent actuellement l’œuvre pédagogique et musicale qu’il a instaurée à l’Institut de musique "Gebran Khalil Gebran" de Bcharré. Cette institution lui a rendu hommage le 1er août 1999 en organisant une soirée au cours de laquelle furent interprétées ses œuvres et lui fut remis, en signe de reconnaissance, le buste en bronze de Gebran Khalil Gebran, réalisé par Rudy Rahmé.
Le compositeur et pédagogue tchèque Alois Haba (1893-1973), professeur au Conservatoire de Prague, spécialiste de la musique traditionnelle orientale composant dans des intervalles inférieurs au demi-ton, remarquait bien dès 1956 les œuvres de Succar. Le " Quatuor Novak " lui commandait également une œuvre, un Quatuor en Mi Bayati, renfermant des intervalles de l’ordre du ¼ de ton. Celle-ci sera jouée par cette formation tchèque lors de ses tournées à travers l’Europe. La Fantaisie orientale Libanaise en Ré Saba, écrite à la demande de la violoncelliste française Eliane Magnan, reçut un grand succès au Festival de Menton de 1970.
Mais comment, est-on en droit de se demander, Toufic Succar a-t-il appliqué cette polyphonie au ¼ de ton?
Laissons le compositeur répondre lui-même à cette question : " Il faut tout d’abord approfondir ses études dans l’harmonie classique et avoir un goût musical très fin; ensuite il s’agit d’adapter les règles mêmes de l’harmonie occidentale. "
Rappelons ici que c’est un français, le baron Rodolphe d’Erlanger (1872-1932), peintre, compositeur et musicologue, qui est à l’origine du premier congrès de musique arabe tenu au Caire en 1932. C’est grâce à lui que les musiciens orientaux ont pris conscience de la valeur potentielle de leur musique. On lui doit notamment un ouvrage en 6 volumes intitulé La Musique Arabe (Paris, 1930-1959) qui sert de référence aujourd’hui encore aux musiciens orientaux.
Si le Liban, plus que tout autre pays du Proche-Orient a subi des influences culturelles venues d’ailleurs, sa musique a gardé son état primitif : rythmes complexes, gammes au ¼ de ton et monophoniques. De plus l’écriture, qui est à l’origine de l’évolution de la musique occidentale, n’a été connue dans les pays arabes qu’à la fin du 19ème siècle.
Les premiers essais de Succar furent effectués sur un piano ordinaire modifié sur des intervalles au ¼ de ton. Plus tard, le piano de Chahine a grandement facilité l’expérience. Ainsi le système qui consiste à appliquer la théorie de l’harmonie universelle sur une mélodie orientale, donne de nouveaux accords qui peuvent être tantôt heureux tantôt défectueux à l’oreille. L’expérience seule peut nous indiquer la voie juste à suivre. Cette nouvelle musique harmonisée ne perdra pas son caractère oriental, au contraire la richesse des couleurs lui donnera libre cours.
Le temps de la réforme et de la renaissance est arrivé… Les œuvres de Toufic Succar resteront à jamais les témoins de cette révolution.
Rita EID