Emile Bouichère, Joyeux retour, divertissement pour piano,
dédicacé “à mon ami Jules Danbé, chef d’orchestre de l’Opéra-Comique” (Paris, E. Biardot, 22 Place de la Madeleine)
fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Plaque commémorative à la mémoire de l'abbé Louis Bouichère apposée dans l'église de Preixan
( photo D.H.M. )Emile Bouichère est issu d’une vieille famille audoise installée au dix-huitième siècle à Coustaussa, puis à Limoux. Ses ancêtres s’étaient spécialisés dans la teinturerie. Guillaume Bouichère, son père, né à Limoux le 29 avril 1838, marié à une Corse répondant au doux prénom de Chilara, servit quelque temps en Algérie, à Djidjelli comme sergent-major au 14e de ligne. C’est dans cette ville qu’est né le 11 avril 1861 Marc-Emile-Charles Bouichère. Lors de son retour en France vers 1868, la famille Bouichère s’installa à Preixan, où l’oncle Louis Bouichère, prêtre, tenait la cure de cette petite commune peuplée d’à peine 500 âmes et située non loin de Carcassonne. A l’arrivée de cet ecclésiastique à Preixan en 1867, on terminait la construction de la nouvelle église bâtie sur les ruines de l’ancien château-fort. Il mit alors toutes ses ressources dans son embellissement et la fit doter d’un orgue " Puget et fils " l’année suivante. Très épris de musique et excellent musicien lui-même, l’abbé Bouichère avait fondé une chorale qu’il dirigeait d’une main de maître. Sa renommée dépassa rapidement les limites du canton, puisque la presse parisienne spécialisée de l’époque mentionnait de temps à autre les concerts donnés par la chorale de l’abbé Bouichère, tant ces quelques 50 choristes interprétaient une musique de qualité. C’est assurément l’abbé Bouichère qui enseigna les premiers éléments de musique à son neveu, avant de l’envoyer à Paris en 1877, à l’Ecole de Musique Classique et Religieuse fondée en 1853 par Niedermeyer. Là, Emile Bouichère suivit les classes de contrepoint et fugue, et d’harmonie d’Eugène Gigout, d’orgue et improvisation de Clément Loret, et de composition de Gustave Lefèvre. Ses condisciples avaient pour noms Léon Boëllmann, Désiré Walter, Octave Bouault et Henri Letocart...
Portrait d'Emilie Ambre en Carmen, peint par Manet vers 1879
( Musée d'art de Philadelphie )C’est à l’orgue de l’église Saint-Nicolas de Saint-Maur-des-Fossés, en région parisienne, qu’Emile Bouichère fit ses premières armes d’organiste, où on le trouve en effet titulaire dès 1883. Mais il ne reste que peu de temps dans cette église et est nommé en 1885 maître de chapelle de Sainte-Marie-des-Batignolles à Paris. Il succède là à André Messager, qui on le sait, ancien élève également de l’Ecole Niedermeyer, fit une carrière d’organiste et de maître de chapelle dans plusieurs églises parisiennes, avant de prendre la direction de l’Opéra de Paris. Quelques années plus tard, à la fin des années quatre-vingt, Emile Bouichère fut appelé à l’église de la Sainte-Trinité comme maître de chapelle. Il dirigeait alors un chœur formé d’une vingtaine de petits chanteurs, auxquels il devait également donner des leçons de musique, et d’une dizaine d’hommes, tous musiciens professionnels. Alexandre Guilmant touchait le grand orgue Cavaillé-Coll, et Théodore Salomé l’orgue de chœur. Mais Bouichère n’exerça que peu de temps à la Trinité, puisque la mort vint le cueillir à Paris le 4 septembre 1895, quelque 18 mois après son mariage. Il n’avait que 34 ans ! C’est Dominique-Charles Planchet qui lui succéda. Sa courte vie fut cependant bien remplie, car Emile Bouichère fut également pédagogue. Il enseignait le piano à l’Ecole Niedermeyer et au Collège de Joinville, et le chant dans son Ecole de chant à Asnières, près Paris, qu'il avait fondée avec sa femme Emilie Ambre, épousée dans cette ville le 30 janvier 1894. De son vrai nom Emilie-Gabrielle-Adèle Ambroise, née le 6 juin 1849 à Oran (Algérie), elle avait perdu sa mère (Olympe Romain) à l'âge de 2 ans, morte en 1851 à Oran, et son père (Etienne Ambroise) à 15 ans, décédé en 1864 à Gar Rouban. Celle-ci, cantatrice de renom, créatrice du rôle de Manon et interprète favorite de Carmen de Bizet, enthousiasmée par Manet, elle emporta un beau jour de 1879, à l'occasion d'une tournée aux U.S.A., L'Exécution de Maximilien. Elle voulait en effet mieux faire connaître l'œuvre du peintre à travers tout ce pays, notamment à Boston et New York, mais la critique accueillit fraîchement cette initiative ! En remerciement, Manet1 peignit un magnifique portrait d'Emilie Ambre dans son costume de Carmen. Ce tableau est conservé de nos jours au Musée d'art de Philadelphie (don d'Edgar Scott). Emilie Ambre est morte peu de temps après son mari, en 1898. On lui doit une monographie imprimée (Paris, Ollendorf, 1885, in-18), portant le titre de « Emilie Ambre. Une Diva ».
Lors de son séjour aux Etats-Unis, Emilie Ambre fit tout d'abord un temps partie en 1880 de la Compagnie du Colonel James H. Mapleson, avec laquelle, à l'Opéra de Philadelphie, elle chanta Mignon (rôle titre) le 20 février, Faust (Marguerite) le 21 février et Aïda (rôle titre) le 24 février. Puis, elle intégra la Compagnie de l'Opéra Français de la Nouvelle-Orléans, alors dirigée par de Beauplan et se produisit aux côtés de Mesdames de Villeray, Delprato, Mesdemoiselles Lagye, Jullien, Hennecarte, Emilie Lablache et Messieurs Garnier, Utto, Feitlinger, Jourdan, Rossi, Escala, Tournie, Vio, Génin, Corriveau, Mennesson, Basile, Pellin, Mauge. Avec cette compagnie, Emilie Ambre fit une nouvelle tournée en 1881 qui la conduisit une fois encore à l'Opéra de Philadelphie où elle chanta Faust (Marguerite) le 4 juin, Aïda (rôle titre) le 4 juillet et La Traviata (Violetta Valéry) le 4 août.
Premières mesures de l'Offertoire en fa, pour orgue, d'Emile Bouichère "Maître de chapelle de Ste Marie-des-Batignolles à Paris", paru ca 1890 dans le 2ème volume du recueil "L'Orgue de l'Eglise" des abbés Brune et Pierre ( coll. J.H.M. ) |
En tant que compositeur Emile Bouichère a principalement écrit de la musique religieuse. On lui doit notamment un motet O sacrum, un Offertoire en fa, paru dans le 2ème volume de L’Orgue d’Eglise, " recueil de morceaux pratiques, inédits ou peu connus des organistes anciens et modernes ", choisis et publiés par les abbés E. Brune et F. Pierre (s.d, ca 1890), une Cantate Domino, éditée à New York en 1900, par J. Fischer & Bro, dans la collection « Choruses in octavo form » et une Cantate pour le 14e centenaire du baptême de la France, exécutée à Reims en 1895 et publiée dans le recueil « Musique religieuse, répertoire de la Trinité » (Pérégally et Parvy, 1893). Le 31 août 1886, lors du centenaire du chimiste Eugène Chevreul2 célébré en présence du Président de la République et de nombreuses délégations scientifiques venues du monde entier, on exécuta à l'Hôtel de ville de Paris une Marche triomphale de Bouichère. L’une de ses partitions servit également bien plus tard de musique pour la " Cantate du Tricentenaire " de la cathédrale Notre-Dame de Treille à Lille, intitulée " Lille... debout !... ", sur des paroles du chanoine L. Détrez.
La trop courte vie d’Emile Bouichère ne lui a pas laissé le temps de se faire un nom dans la musique et cet artiste, totalement méconnu de nos jours, est même oublié par tous les biographes et autres musicologues. Cependant son œuvre n’est pas tout à fait retombée dans le néant, car aujourd’hui aux Etats-Unis (nul n’est prophète dans son pays !) on peut entendre régulièrement sa Cantate Domino, pour chœur mixte à 4 voix, baryton solo et orgue, à l’église catholique Saint-Lambert de Skokie (banlieue de Chicago) grâce à son énergique directeur de la musique, Steven Weyand Folkers. Cette cantate avait été autrefois donnée, voilà plus d’un siècle, à l’église de la Trinité de Paris, notamment lors du Temps Pascal 1894, Guilmant étant au grand orgue et l’auteur à la tête des chœurs. Elle fut également interprétée à Notre- Dame de Paris la même année au cours des cérémonies de Glorification de Jeanne d’Arc, en même temps que le Sancta Maria de Gounod et le Regina Coeli de Verdi.
Terminons cette esquisse biographique en livrant un portait d’Emile Bouichère dressé en 1893 par la journaliste américaine Fannie Edgar Thomas, auteur de " Organ Loft Whisperings " pour le Musical Courrier de New-York, [vol. XXVII, n° 21 du 22 novembre 1893 (pp. 15-16)], traduit de l’américain par Claude Maisonnat et publié dans la revue La Flûte harmonique (n° 53/54, année 1990, p. 33) :
Comme le soleil qui perce à travers un coin de forêt en hiver, hardi, puissant et fort, grand et soigné de sa personne, sombre comme la nuit et comme elle, plein d'un mystère subtil, avec des yeux noirs exprimant la force et la fougue, des cheveux noirs, soyeux et coiffés en arrière, une courte barbe et une longue moustache à la parisienne, voilà M. Bouichère, le maître de chapelle. Il était vêtu de façon parfaite d'un costume noir avec un gilet blanc, une cravate claire ornée d'une petite épingle d'or, et sa main - l'une des plus belles de Paris - portait à un doigt une chevalière massive marquée d'un monogramme.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
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(septembre 2001)1) On sait que Manet à la fin de sa vie, la maladie l’handicapant quelque peu pour réaliser de grandes oeuvres, se contentait de peindre des petites natures mortes ou des portraits au pastel des nombreuses femmes qui le visitaient. C’est ainsi qu’il immortalisa Emilie Ambre, mais également une autre comédienne Jeanne Marsy, des jeunes-filles du monde Suzette Lemaire et Isabelle Lemonnier, une commerçante de lingerie de luxe Mme Guillement, et deux femmes qui vivaient de leurs charmes : Irma Brunner et Valtesse de la Bigne. [ Retour ]
2) Né le 31 août 1786 à Angers, mort le 9 avril 1889 à Paris, Chevreul fut directeur de la Manufacture des Gobelins de 1824 à 1883, membre de l’Académie des Sciences (1826), professeur de chimie au Muséum d’histoire naturelle à compter de 1829, puis nommé directeur en 1864. On lui doit notamment une théorie des couleurs, l’analyse des corps gras et l’invention des bougies stéariques. [ Retour ]