Le Panthéon des musiciens

De janvier 2010 à juin 2010

Germaine CHAGNOL - Maurice CRUT - Camille MAURANE - Jeanne JOULAIN - Lina DAUBY - Giulietta SIMIONATO - Xavier GUERNER

 

Germaine CHAGNOL (article détaillé)

Le 16 janvier 2010, à Paris, s'est éteint le violoniste Maurice CRUT à l'âge de 94 ans. Membre de l'Orchestre Symphonique de Paris, du Quatuor Pascal, professeur de musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, sa technique et sa "sensible musicalité" faisaient l'admiration des mélomanes et même de ses confrères, notamment d'Hélène Jourdan-Mohrange qui écrit un jour que "son archet magnifique le sert autant dans les prouesses que dans ces mystérieuses tenues, si difficiles à soutenir dans le pianissimo." Le son "chaud et généreux" qu'il parvenait à sortir de son violon lui donnait un jeu au charme infini.

Maurice Crut
Maurice Crut
( coll. privée ) DR

C'est à Paris, dans le dix-huitième arrondissement, le 1er mars 1915, que voit le jour Maurice Crut. Entré au Conservatoire de Paris vers l'âge de 15 ans, il y obtient dans la classe de violon de Firmin Touche, un 2ème prix en 1932, avec un "délicieux phrasé" et l'année suivante, un 1er prix, aux côtés de Brel, Gitton, Gravois et Murgier, avec l'interprétation du Poème romantique de Jules Mazelier et une page de déchiffrage écrite par Philippe Gaubert. Le Ménestrel rapportait que lors de ces épreuves, il avait fait preuve "de légèreté, de suavité dans la sonorité", avec "un bon, un excellent staccato" et déchiffrait "en vrai artiste"! Il se perfectionne ensuite auprès de Georges Enesco, auquel il va conserver toute sa vie durant un profond attachement. Son influence, notamment son style très lyrique, enrichira encore davantage la sensibilité musicale de Maurice Crut.

Son 1er prix de violon en poche, Maurice Crut est engagé au sein de l'Orchestre Symphonique de Paris, fondé en 1928 par la Princesse Edmond de Polignac et Gabrielle Chanel. Pierre Monteux en est le chef permanent depuis 1929. Maurice Crut est dans cette formation lorsque Yehudi Menuhin, élève également d'Enesco, effectue l'enregistrement du 1er Concerto de Paganini (mai 1934), mais, en 1938 elle est dissoute. A cette époque, il épouse Sonia Michline (1910-1996), une violoniste de l'Orchestre National de France (fondé en février 1934), alors dirigé par Inghelbrecht. Egalement 1er prix de violon du Conservatoire de Paris (1929, classe d'Alfred Brun), sa virtuosité et ses qualités d'expression avaient déjà été remarquées au début des années trente, entre autres dans le célèbre Poème de Chausson qu'elle avait interprété le 26 février 1933 aux Concerts Pasdeloup.

En 1941, à Marseille où est alors réfugié bon nombre d'intellectuels, d'artistes parisiens et de groupements musicaux, notamment l'Orchestre National, l'altiste Léon Pascal (1899-1969) qui vient de quitter le Quatuor Calvet sollicite Maurice Crut pour fonder le "Quatuor Pascal", aux côtés de Jacques Dumont (1er violon) et Robert Salles (violoncelle). Rebaptisée par la suite "Quatuor Pascal de la R.T.F." puis "Quatuor de l'O.R.T.F.", cette formation de chambre déploiera une activité importante à la radio et au disque pour lesquels elle enregistre de nombreux quatuors, notamment de Dalayrac, Haydn, Boccherini, Fauré, Ravel, Jean Rivier, Jolivet, l'intégrale des quatuors pour cordes de Mozart (Guilde internationale du disque, MMS 212 à 2117) et de Beethoven (MMS 2041 à 2054), ainsi que des pages de Vivaldi, Saint-Saëns, Franck, Chausson, Caplet, Prokoviev, Robert Casadesus (Nonetto pour piano, quatuor à cordes et quatuor à vent, avec André Sagnier, flûte, Lucien Debray, hautbois, Marcel Jean, clarinette, et Gérard Tantot, basson, disque Columbia ML 5448, Printemps 1959). On lui doit également la création d'œuvres contemporaines de Dandelot, Lancen, Jolivet, Sauguet, Guarnieri… Lors de la parution (1957) du Quatuor en fa majeur, op. 96, de Dvorak (MMS 42), la presse soulignait "l'interprétation éblouissante et tendre par le fameux Quatuor Pascal dont chacun connaît l'effort dans la compréhension intime des œuvres qu'il est appelé à jouer, et le souci de ne rien laisser au hasard, sans pour autant rien sacrifier de la vie de la musique" et de citer les noms des interprètes : Jacques Dumont et Maurice Crut, violons, Léon Pascal alto et Robert Salles violoncelle [Gazette de Lausanne, 3 août 1957]. Le 8 janvier 1956 à 22h10, dans l'émission "Musique pour vous" de Lucienne Bernadac, le Quatuor Pascal interprète à la télévision le Quatuor Nègre de Bartok. Cette même année, le 15 février, il est présent au Musée des Arts décoratifs pour le Festival Marius Milhaud et y joue trois Quatuors à cordes (4e, 5e et 14e), mais un an plus tard Maurice Crut quitte cette formation qui cessera ses activités en 1973, cédant sa place à Louis Perlemuter.

Au cours des années 1950-1960, Maurice Crut se produit en duo avec le pianiste André Terrasse, avec lequel il enregistre en 1958 la 1ère Sonate pour violon et piano d'Honegger (Ducretet-Thomson, 300-C-054). Le 18 novembre 1955 à l'Ecole Normale de Musique, au Triptyque de Pierre d'Arquennes et en présence de Florent Schmitt, ils jouent la 2e Sonate d'Enesco, la Sonate libre, op. 65, de Florent Schmitt et la Sonate à Kreutzer de Beethoven : leur prestation respective leur vaut ces commentaires d'Yves Hucher : "le beau coup d'archet, la parfaite justesse, la très belle sonorité de Maurice Crut ; la précision, la finesse, la diversité du jeu d'André Terrasse." S'attachant plus particulièrement à mieux faire connaître la musique de leurs temps, on leur doit plusieurs créations d'œuvres contemporaines, parmi lesquelles la 2ème Sonate de Marcel Mihalovici donnée le 16 mars 1956 à l'Ecole Normale de Musique, la Fantasy pour violon et piano du compositeur américain Donald Harris, jouée le 11 avril 1962 à un concert de la Société Nationale de Musique, et la diffusion de pages jamais ou rarement jouées telles la Sonate en mi bémol majeur d'Hindemith, la Sonate op. 80 de Prokoviev, la Sonatine d'Henri Barraud ou la Sonate de Lekeu. En février 1959, lors d'un concert au Conservatoire de Genève, organisé par la "Société internationale de musique contemporaine" en collaboration avec le "Centre de premières auditions" de Genève, le Duo Crut-Terrasse fait découvrir au public suisse des œuvres d'Honegger (1ère Sonate), Messiaen (Thèmes et variations), Bartok (2e Sonate) et Webern (4 Pièces, op. 7). Néanmoins le répertoire classique reste aussi au programme, comme par exemple Schubert joué en 1956 à la Comédie des Champs-Elysées. Maurice Crut se produit également avec les pianistes Geneviève Joy-Dutilleux et Lucette Descaves. C'est avec cette dernière qu'il grave en 1956 la Sonate pour violon et piano de Claude Delvincourt (Ducretet-Thomson 270-C-104). Plus ponctuellement, il joue aussi avec d'autres pianistes : en janvier 1950, à la Maison de la pensée, Maurice Crut, "interprète noble et solide" (Antoine Goléa) joue avec le pianiste "tumultueux et passionné" Charlie Lilamand (Beethoven) et en février 1968, Salle Gaveau, avec Vlado Perlemuter (3 Sonates de Brahms).

Parallèlement à ses activités de concertiste et de chambriste, Maurice Crut se livre également à l'enseignement. En 1962, il est nommé professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris, poste qu'il va occuper jusqu'à sa retraite prise en 1983. Mais, durant quelques années encore il professera au Conservatoire de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Ses anciens élèves conservent tous un souvenir affectueux de leur professeur. Parmi eux, Nadine Deleury (1er violoncelle à l'Orchestre de l'Opéra du Michigan à Détroit, U.S.A.), se souvient : "Maurice Crut était dans son enseignement rigoureux, méticuleux, exigeant, pointilleux et nous apportait ainsi toutes les qualités requises pour devenir un bon chambriste. J'ai fait du quatuor à cordes, du quatuor avec piano et enfin du trio avec piano sous ses conseils au Conservatoire. Chaque oeuvre était étudiée en profondeur, techniquement parlant, et devait atteindre la perfection d'ensemble avant de la quitter et passer à une autre. Je pense à lui comme ayant été un excellent professeur de technique de musique de chambre." Le violoniste Dominique Barbier (membre fondateur en 1973, avec Hubert Chachereau, Serge Soufflard et Christophe Coin, du "Quatuor Arcana", professeur au CRR de Rueil-Malmaison) témoigne à son tour : "L'enseignement de Maurice Crut était marqué par l'héritage de ses maîtres, Firmin Touche et Georges Enesco ; il savait faire partager sa passion de la musique de chambre, tout en inculquant, comme une évidence, la plus grande exigence face à la partition : respect du texte, recherche d'un phrasé tendu, toujours construit mais très expressif. Lors de la fondation du Quatuor Arcana, c'est lui qui en avait trouvé le nom."

Maurice Crut est décédé dans sa 95e année. Ses obsèques ont eu lieu le 20 janvier en l'église Sainte-Marie-des-Batignolles (Paris 17e), 13 ans après celles de son épouse, célébrées en ce même lieu le 15 novembre 1996.

Avec la réédition (2010) de son enregistrement de 1958 de la 1ère Sonate d'Honegger avec André Terrasse, Forgotten Records permet de réentendre " le beau coup d'archet, la parfaite justesse, la très belle sonorité de Maurice Crut." (fr.311).

Denis Havard de la Montagne *

* Nos remerciements à MMes Danielle Crut-Krsjak et Nadine Deleury, ainsi qu'à M. Dominique Barbier pour leur précieuse collaboration.


Le 21 janvier 2010 à Eaubonne (Val-d'Oise) est mort le baryton martin Camille MAURANE, à l'âge de 98 ans. Il avait débuté à l'Opéra-Comique en 1940 et son plus grand succès restera Pelléas qu'il chanta à travers toute la France. Sa voix très agréable, au timbre clair, une diction impeccable et sa grande sensibilité font de lui l'un des derniers grands barytons français qui vient ainsi de disparaître. Dès 1939, lors de l'obtention de son prix de chant, le jury notait déjà " fera merveille 'au micro' grâce à un organe souple, égal, un peu uniformément joli." Pour cette épreuve, il avait chanté l'Absent de Gounod, Jeune Homme au bord de la source et Aubade de Schubert, et Nocturne de Franck. Egalement concertiste et spécialiste de la mélodie française, son enregistrement en 1959 des mélodies de Fauré, avec Pierre Maillard-Verger au piano, restera longtemps une référence en la matière (Musidisc 30RC693), tant il a su traduire la poésie sensible et raffinée du compositeur.

Camille Maurane
Camille Maurane
( Photo X... ) DR

Né le 29 novembre 1911 à Rouen (Seine-Maritime), Camille Moreau reçoit ses premières leçons de son père, Robert Moreau, professeur de chant. Entré à l'âge de 10 ans à la Maîtrise Saint-Evode de la cathédrale de Rouen, alors dirigée par l'abbé Bénard, puis à compter de 1923 par l'abbé Mignot. Véritable école de musique avec une quarantaine d'élèves, cette Maîtrise peut s'enorgueillir d'avoir formé et préparé des générations de musiciens de grande valeur, parmi lesquels les organistes Maurice Duruflé, Joseph Gilles, Jules Haëlling, Henri Beaucamp, les chefs d'orchestre Paul Paray et Pierre-Michel Leconte et les Prix de Rome Robert Bréard et Pierre Villette… Là, il apprend à méditer avec le chant, et cet art de lier intimement la voix et l'âme lui restera toute sa vie. Jeune homme, il n'envisage pas une carrière artistique, mais à l'âge de 25 ans, l'appel de la musique est le plus fort et il entre en 1936 au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Il y fréquente les classes de chant de la mezzo-soprano Claire Croiza (1882-1946, également professeur de Jeanine Micheau, Jacques Jansen et Gérard Souzay) et d'opéra-comique de Pierre Chéreau (1874-1948). Ce dernier, après avoir été notamment metteur en scène au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, était le régisseur général de l'Opéra de Paris depuis 1922. En 1939, il décroche un premier prix de chant, un second prix d'opéra-comique avec le rôle du Marquis de Grisélidis (Massenet), ainsi que le Prix Guérineau (en compagnie de Jeanne Ségala) attribué par le Conservatoire.

Le 19 janvier 1940, Camille Moreau qui prend bientôt le nom de scène Camille Maurane, fait ses débuts à l'Opéra-Comique dans Le Jongleur de Notre-Dame (Massenet), rôle du Moine musicien. Son timbre clair et léger, sa parfaite diction et son jeu scénique dépourvu de toute emphase lui valent rapidement une réputation méritée. C'est ainsi qu'au cours des années 1940-1950, il est affiché à de nombreuses reprises à la Salle Favart, où il chante entre autres rôles : Albert dans Werther, le Kouravar et Frédéric dans Lakmé, Pédrille du Barbier de Séville, le Marchand d'habits et le Chansonnier dans Louise, Martin et l'Aveugle de Madame Bovary, Pargignol et Marcel de La Bohème, un Arlésien dans Mireille, Basoche dans l'Ecuyer du Roy, un Clerc dans l'Ecole des Maris, Moralès dans Carmen, Yakusidé et Yamadori dans Madame Butterfly, Sylvio dans Paillasse, Maugiron du Roi malgré lui… et Pelléas. Il participe également à la création, le 17 octobre 1940, de Nele Dooryn d'Antoine Mariotte (le Capitaine) ; le 10 mars 1942, de Mon oncle Benjamin de Francis Bousquet (un Homme) ; le 25 juillet 1942, de Ginevra de Marcel Delannoy (Doria) ; le 21 juin 1949, du Oui des Jeunes filles de Reynaldo Hahn (un Jeune homme) ; le 7 novembre 1952, de Dolorès de Michel-Maurice Lévy (un Soldat)…

Sa carrière de concertiste tient également une place importante : il a notamment chanté à de nombreuses reprises le Requiem de Fauré, le Magnificat BWV 243 de Bach et participé activement au renouveau de la musique baroque avec Castor et Pollux, les Indes galantes de Rameau, le Te Deum d'Esprit Blanchard (Erato, LDE 3060), les motets Exurge Domine de Campra (Musidisc RC715) et O mysterium ineffabile de Clérambault (ED15), les airs Doux liens de mon cœur et Qu'on ne me dise plus de Couperin (Musidisc RC643). Mais c'est sans doute comme grand spécialiste de la mélodie française que son nom restera attaché. S'il a beaucoup chanté et enregistré Fauré, Camille Maurane a aussi interprété de nombreuses autres mélodies de Gounod, Lalo, Delibes, Bizet, Massenet, Levadé, ainsi d'ailleurs que de Schubert.

Camille Maurane, chanteur, artiste lyrique, s'est aussi longtemps consacré à la pédagogie. C'est ainsi qu'il a enseigné durant près de 20 ans (1962 à 1981) au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, s'efforçant de communiquer à ses élèves sa conception du chant : diction impeccable, assimilation parfaite du texte, expression dramatique juste, nuancée et sobre. Parmi ses nombreux élèves, citons plus particulièrement le baryton Didier Henry, magnifique Golaud et à son tour spécialiste de la mélodie française.

Depuis les années quarante, date de ses premiers enregistrements, on doit à Camille Maurane de nombreux disques, notamment l'intégrale de Pelléas et Mélisande qu'il a gravée à 3 reprises avec Jean Fournet (1953, Philips), Inghelbrecht (1963, ORTF) et Ernest Ansermet (1964, Decca). Mentionnons aussi Une cantate de Noël d'Honegger, sous la direction de Jean Martinon (1971, Emi), tout en souhaitant ardemment que son admirable enregistrement des mélodies de Fauré avec Maillard-Verger au piano, actuellement épuisé, fasse l'objet d'une nouvelle réédition. Son interprétation a fait dire au ténor français Michel Sénéchal que "là où personne ne l'a égalé, et où il était magistral, c'était dans les mélodies de Gabriel Fauré."

Résidant à Eaubonne (Val-d'Oise) depuis 1964, Camille Maurane y est décédé en son domicile, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Ses obsèques ont été célébrées le 29 janvier en la cathédrale de Rouen, suivie de l'inhumation au cimetière monumental de cette ville. Il était marié à la mezzo-soprano Odile Versini. Membre des Chœurs de la Radio durant de longues années, elle s'est aussi produite comme soliste, entre autres pour l'enregistrement (décembre 1974) de l'opéra Hérodiade de Massenet (jeune Babylonienne) sous la direction de David Llyod-Jones à la tête de l'Orchestre lyrique de l'ORTF et des Chœurs de la Radio, avec Nadine Denize, Muriel de Channas, Jean Brazi, Ernest Blanc, Pierre Thou, Bernard Angot (RPC 32450-51).

Camille Maurane "a été l'un des plus beaux chanteurs français qui soient." (Michel Sénéchal)

Denis Havard de la Montagne

Le 1er février 2010 à Lille (Nord), Jeanne JOULAIN nous a quittés dans sa quatre-vingt-dixième année. Organiste, pianiste, violoncelliste, professeur d’écriture et d’orgue, compositeur de musique, on lui doit une profonde influence dans le renouveau de l'Ecole d'orgue du Nord de la France. Ancienne élève de Marcel Dupré, en tant que concertiste elle a largement contribué à sortir l'orgue de l'église pour le concert et ses nombreux récitals, donnés tant en France qu'en Belgique, en Allemagne et en Angleterre, lui ont valu notamment de beaux succès aux Etats-Unis, où elle donna des Masterclass à l'Université Duquesne de Pittsburgh (1970-1973). Mais, c'est principalement à Amiens et à Lille que sa carrière s'est déroulée.

Jeanne Joulain
Jeanne Joulain
( Photo X... ) DR

Née le 22 juillet 1920, dans le seizième arrondissement parisien, du mariage d'André Joulain, instituteur, et d'Edwige Devooghdt, pianiste et pédagogue, Jeanne Joulain baigne très tôt dans la musique. A la suite du décès de son père (1921), la famille s'installe à Amiens où sa mère, ancienne élève du Conservatoire de cette ville, va pouvoir dispenser des leçons particulières de piano et de solfège. Entrée à son tour dans cet établissement à l'âge de 14 ans, elle remporte quatre premiers prix : solfège (1935), piano (1938, classe de Maurice Coze), orgue (1941, classe de Colette Olivier-Ponchel), harmonie (1941, classe de Pierre Camus) et un second prix de violoncelle (1941, classe de Mario Camerini). Dès 1936, elle se produisait déjà au piano en concerts à la salle des fêtes de l'Académie des Beaux-arts d'Amiens.

Son goût pour l'orgue, qui deviendra rapidement son instrument préféré, date de 1936. C'est en effet cette année-là que Pierre Camus (1885-1948), ancien élève de Widor pour la composition, soliste des Concerts Colonne, nommé en 1922 directeur du Conservatoire d'Amiens sur recommandation de Paul Dukas, ouvre une classe d'orgue qu'il confie à Colette Ponchel (1912-2002), 1er prix de piano du Conservatoire d'Amiens (1928) et ancienne élève d'orgue de Maurice Sergent et de Louis Vierne à la Schola Cantorum (son petit-fils, Nicolas Dessenne, pianiste, est professeur d'accompagnement au CRR d'Aubervilliers La Courneuve). Par simple curiosité Jeanne Joulain s'inscrit à cette nouvelle classe, mais rapidement elle est passionnée par les cours de ce "professeur merveilleux" et c'est ainsi qu'elle va faire une grande carrière d'organiste. Sur les conseils de son professeur d'orgue, elle s'inscrit en 1941 à l'Ecole César Franck, alors dirigée par Louis de Serres, puis, en 1947, est admise dans la classe d'orgue de Dupré au Conservatoire national supérieur de musique de Paris :

"J'ai fréquenté l'Ecole César Franck, rue Jules Chaplain, à partir de 1941. Mes Diplômes ont été obtenus : en 1942, piano avec Jean Batalla, et orgue avec Abel Decaux ; en 1943, violoncelle avec Edwige Bergeron, et musique de chambre avec Marcel Labey.

J'habitais Amiens et me rendais à Paris pour les cours, et il y eut en 1944 du fait de la guerre, une période difficile pour les déplacements. Je repris ensuite mes cours avec Guy de Lioncourt, cette fois non plus rue Jules Chaplain mais chez lui, rue Vaneau, ce qui 1' arrangeait mieux à l'époque, et j'obtins mon Diplôme de Composition en 1947, après avoir suivi les cinq années de cours requises et satisfait aux examens.

En même temps, en 1945 et 1946, je travaillai l'orgue et l'improvisation au cours préparatoire de Marcel Dupré [à Meudon], et fus admise dans sa classe au Conservatoire National Supérieur de Paris en octobre 1947. J'obtins le Premier Prix d'orgue et d'improvisation en juin 1952." [lettre de l'intéressée à l'auteur, 22 juillet 1997].

La carrière d'organiste de Jeanne Joulain débute en octobre 1940, durant ses études au Conservatoire amiénois, avec sa nomination à l'orgue Van Bever (14 jeux) de l'église Sainte-Jeanne-d'Arc, succédant à Mlle Cresson. En mai 1952, elle quitte cette tribune pour recueillir la succession d'Alexandre Delval, titulaire durant 47 ans du grand-orgue Mutin Cavaillé-Coll (68 jeux) de la collégiale Saint-Pierre de Douai. Mais là, elle n'exerce que durant à peine une année, puis, en novembre 1954, prend la suite d’Henri Wallet à Saint-Maurice de Lille (grand-orgue Delmotte, 34 jeux, restauré et agrandi en 1962 par le facteur Pascal). En janvier 1986, elle se retire, laissant les claviers à Antoine Drizenko, alors titulaire de Saint-Etienne de Lille.

Comme concertiste, après s'être fréquemment produite à Amiens et Paris, puis, au début des années cinquante à Evian, Jeanne Joulain commence en 1955 une carrière internationale qui va la mener en Belgique (Bruxelles, Tournai, Wetteren, Quaregnon, Mons, Tourcoing) et à partir de 1964, aux Etats-Unis (New-York, Brooklyn, Pittsburgh, Lancaster, Boston), en Allemagne (Cologne, Altenberg), ainsi qu'en Angleterre (Londres). Le 10 août 2003, elle donne son dernier récital d'orgue à Saint-Martin-d'Esquermes de Lille. En tant que pédagogue, Jeanne Joulain a considérablement participé au rayonnement de l'Ecole d'orgue du Nord, avec la formation d’un grand nombre d'élèves dont la carrière et la notoriété ont souvent très largement franchit cette région de France, tant au Conservatoire de Lille où elle a professé entre 1951 et 1982, qu’à ceux de Roubaix (1952 à 1961) et de Douai (1961-1971). Parmi eux, nommons ici Michel Alabau, Patrick Delabre, Josiane Dubois, Yves Devernay, Jérôme Faucheur, Philippe Lefèbvre, Jean-Philippe Mesnier, Marie-Agnès Grall-Menet… Sa philosophie de la musique peut se résumer dans ces mots qu'elle prononçait en 1961 : "Pour moi, il n'y a pas ''la musique d'orgue'' et l'autre! Il y a ''La Musique''. Et celle-ci m'étant aussi indispensable que l'air que je respire, j'assiste le plus possible aux concerts qui sont donnés dans ma région. Pour moi, l'orgue n'est qu'un moyen d'exprimer la musique, mais un moyen que je chéris tout particulièrement, au point d'y consacrer toutes mes forces et tout mon temps…" [L'Orgue, n° 100, octobre-décembre 1961]

Interprète, concertiste, pédagogue, Jeanne Joulain s’est également toujours livrée à la composition dès l’âge de 16 ans. Son catalogue comporte une trentaine de numéros d’opus répartis dans tous les genres : de la musique pour orchestre (Antigone, Le rêve d’une mère, une Symphonie concertante pour orgue et orchestre), pour piano (Boîte à musique, Introduction et danse, plusieurs Préludes…), pour orgue (In memoriam Louis Vierne, Variations sur "Jesu dulcis memoria", Prélude et fugue sur le nom d’Antoine Drizenko, 5 Pièces pour une Messe en l’honneur de la sainte-Vierge, une Messe pour tous les temps, 15 Pièces d’orgue de difficulté progressive…), de la musique de chambre (Cortège pour trompette et orgue, Patchwork pour deux orgues, Trio pour flûte, cor et piano), des œuvres pour la voix : 15 Mélodies pour voix et piano (1936-1944, son opus n° 1), Poème nordique, pour 4 voix de femme et piano, 5 Motets pour chœur, une cantate biblique : Booz pour soli, chœur et orchestre, une Messe en mi "à la mémoire de Maurice Duruflé" pour contre-ténor et orgue, une Messe pour le Jubilé de l’an 2000 pour baryton, assemblée et orgue (1999, son dernier opus n° 27), deux comédies musicales : Le chant du Coq et Trois heures chez Lafleur, une reconstitution des Treize versets de vêpres improvisés par Pierre Cochereau… En dehors de quelques pièces publiées par les éditions de "Musique Sacrée-l’Organiste", de la Schola Cantorum et par Chantraine, la plupart reste inédite à ce jour. Jeanne Joulain a très peu enregistré, seulement quelques oeuvres sur les orgues de Saint-Ouen de Rouen et de Saint-Maurice de Lille.

Chevalier des Arts et des Lettres, Médaille Pro Eclesia et Pontifice, Jeanne Joulain s’est éteinte en son domicile lillois. Ses obsèques ont été célébrées le 5 février en l’église Saint-Etienne de Lille, avec Jean Guillou au grand-orgue, suivies de l’inhumation au cimetière du Petit-Saint-Jean d’Amiens. A la suite de sa disparition, Etienne Delahaye lui a consacré une intéressante étude biographique, intitulée "Pour l'amour de la musique, Jeanne Joulain (1920-2010)", in la revue L'Orgue (n° 290, 2010-II).

Denis Havard de la Montagne

Lina DAUBY (24 août 1912 – 21 février 2010) : article détaillé.


Illustre diva, la mezzo-soprano Giulietta SIMIONATO s'est éteinte le 5 mai 2010 à Rome (Italie) dans sa maison de la Via Trigoria, âgée de 99 ans. Dotée d'une "voix exceptionnelle par sa longueur, sa puissance, son agilité, sa couleur" (Jean Gourret), elle fit longtemps partie de la troupe de la Scala dès avant guerre. Carmen, qu'elle chantera plus de 200 fois, sera l'un de ses grands succès, ainsi que les rôles de mezzo-colorature de Rossini (Rosine du Barbier de Séville, Isabelle de L'Italienne à Alger, Tancréde, Cendrillon, Isolier du Comte d'Ory) et du répertoire classique de son registre, notamment des opéras Verdi (Amnéris d'Aïda, Azucena du Trouvère Perziosilla de La Force du destin, Ulrica du Bal masqué, Eboli de Don Carlos), Donizetti ( Jayne Seymour d'Anna Bolena), Bellini (Adalgisa de La Norma)… Elle s'était produite à l'Opéra de Paris, en mai 1965, aux côtés de La Callas, dans La Norma. Au cours de cette décennie et de la précédente, les plus grandes scènes mondiales l'ont réclamée : le Met de New York, le Covent Garden de Londres, la Monnaie de Bruxelles, le Colon de Buenos Aires, l'Opéra de Chicago, ceux de Vienne, Berlin, Mexico, Salzburg… A partir de 1950, elle entretint une longue amitié avec Maria Callas (depuis1950) et c'est à elle que l'on fera appelle pour occuper le poste de Présidente d'honneur de l'Association Maria Callas lors de sa fondation en 1992 par Bruno Tosi.

Giulietta Simionato
Giulietta Simionato
( photo X... ) DR

C'est à Forli, ville moyenne d'Emile-Romagne, dans le nord-est de l'Italie, que naît le 12 mai 1910 Giulietta Simionato. Ses dons musicaux et son goût pour le chant apparaissent très tôt et elle débute bientôt des études musicales auprès d'Ettore Lucatello à Rovigo, avant de les poursuivre avec Guido Palumbo à Padoue. Elle apparaît pour la première fois en public à Montagnana dans le rôle de Lola de Cavalleria Rusticana et peu après, en 1928, à l'Opéra de Padoue dans Rigoletto (Madeleine). En 1933, elle remporte le 1er prix (sur 385 concurrents) d'un concours de chant organisé par le Théâtre communal de Florence, qui va l'engager pour la création de l'opéra Orseolo d'Ildebrando Pizzetti (4 mai 1935). Peu après (novembre 1935), embauchée par la Scala de Milan, elle fait ses débuts avec un petit rôle : la Mère supérieure dans Suor Angelica de Puccini, mais durant plusieurs saisons elle est cantonnée dans des rôles secondaires et ne parvient pas à percer. Ce n'est qu'en 1947 que sa carrière démarre véritablement avec Cosi fan tutte (Dorabella) et surtout Mignon, le 2 octobre, qui lui vaut la célébrité. Cette même année elle se produit à Edimbourg dans Les noces de Figaro (Chérubin) et en 1953 au Covent Garden dans La Norma, Aïda et Le Trouvère. Les Etats-Unis l'accueillent en 1953 à l'Opéra de San Fransisco, l'année suivante à celui de Chicago et en 1959 au Metropolitan Opera de New York (Le Trouvère). En 1962, elle crée à la Scala L'Atlandide de Manuel de Falla et reprend le rôle de Valentine dans Les Huguenots de Meyerbeer, aux côtés de Joan Sutherland et Franco Correli ; cette reprise et son interprétation restent légendaires.

Une voix homogène, avec une tessiture particulièrement large et une technique parfaitement maîtrisé, le tout ajouté à un sens inné de la comédie lui permettaient de jouer et de chanter tous les rôles, aussi bien ceux des opéras italiens du XIXe siècle que d'autres de Monteverdi, Haendel, Mozart, Berlioz, Bartok, Strauss ou encore Honegger. Avec 117 œuvres à son répertoire et plus de 80 représentations par an sur toutes les plus grandes scènes du monde, Giulietta Simionato est alors en pleine gloire, mais elle se retire volontairement afin de se consacrer pleinement à son mari, le médecin italien Cesare Frugoni (1881-1978), épousé peu avant (en 1965). Le 1er février 1966, à la Scala Piccola, elle fait ses adieux à la scène en chantant Servilia de La Clémence de Titus. Un précédent mariage (en 1940) avec Renato Carenzio, un violoniste de la Scala, s'était rapidement révélé malheureux et ce n'est que bien plus tard qu'elle put enfin trouvé l'homme de sa vie, comme elle le déclarait elle-même. Elle ne rechantera qu'à une seule reprise : en 1979, au Festival de Salzbourg, lors d'un hommage à Karl Böhm au cours duquel elle chantait l'Air de Cherubin Voi che sapete de Mozart. Cette même année, elle épousait en troisièmes noces l'industriel en pharmacie Florio De Angeli qui la laissera veuve en 1996.

Giulietta Simionato a beaucoup enregistré dès la fin des années 1940 : Cavalleria rusticana, Don Carlo, Le Trouvère, Aïda, Falstaff, Un Bal masqué, Rigoletto, La Force du destin, Le Barbier de Séville, Tancrède, L'Italienne à Alger, Cendrillon, La Favorite, Anna Bolena, Norma, Suor Angelica, Il Tabarro, La Gioconda, Adrienne Lecouvreur, Les Troyens, Carmen, Medée, Les Huguenots, Werther, Orphée et Eurydice (Gluck), Gli Orazi ed i Curiazi (Cimarosa)… Parfois, certaines œuvres ont été gravées à plusieurs reprises et quelques-uns de ses enregistrements sont régulièrement réédités. Il y a une dizaine d'années, le label Opera d'Oro a sorti dans sa collection "récitals" deux CDs offrant une compilation des meilleures interprétations "arias and scenes" de Giulietta Simionato (OPD 2034 et 2108) et en 2006, le label Dom un CD contenant des extraits de ses premiers enregistrements entre 1949 et 1952…

Les funérailles de Giulietta Simionato ont été célébrées le 11 mai à Rome, en la chapelle des Chevaliers de Malte.

D.H.M.

Le 5 mai 2010 à Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime) est décédé l"organiste et claveciniste Xavier GUERNER, âgé de 89 ans. On a un jour écrit qu'il "joue avec tant de foi, d'amour, de pénétration, qu'on est bientôt envoûté…" [Raymond Lyon]. Défenseur de l'orgue à traction mécanique et de l'orgue classique français, sans être pour autant farouchement opposé à l'électricité et aux autres factures qui peuvent apporter une "extrême subtilité du toucher", il pensait, avec juste raison, que toutes les factures ont le droit de cité, apportant chacune leur richesse avec un répertoire approprié.

Xavier Guerner
Xavier Guerner à l'orgue de l'église Notre-Dame de Surgères
(Charente-Maritime) en juillet 2005
( photo Jean Guilcher ) DR

C'est à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 8 septembre 1920, que voit le jour Xavier Guerner, dans une fratrie de 6 enfants. Très tôt attiré par la musique, parallèlement à une formation en psychologie, kinésithérapie et philosophie il l'étudie à la Maîtrise de la cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation de Nancy, sous la houlette de l'abbé Alexandre Roussel et de Constant Pernin, respectivement maître de chapelle et organiste. Suppléant de ce dernier durant la guerre, il est ensuite nommé en 1947 à l'orgue de la chapelle Notre-Dame-de-l'Annonciation du couvent des Dominicains de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris 8e). Cet instrument, un Merklin de 1878 (relevage ultérieur Cavaill-Coll-Pleyel) avait été autrefois joué par d'autres organistes de renom : Eugène Lacroix, René Vierne, Joseph Bonnet, Joseph Ermend-Bonnal, Philippe de Bremond d'Ars. En cette fin des années quarante, Georges Jacob et le R.P. François Florand touchaient également cet orgue et Olivier Alain était le maître de chapelle. Bon harmoniste et au fait des questions de facture, en 1955 Xavier Guerner apporte lui-même des modifications de jeux à l'orgue des Dominicains, afin de le faire évoluer vers un style plus classique. A l'époque, il s'en explique de la sorte :

"La transformation complète de l'orgue de la chapelle des Dominicains a été pensée de façon à pouvoir satisfaire différentes préoccupations : le respect du texte, la grandeur, la liberté dans l'expression, la recherche des coloris. Toute la musique ancienne pourra être fidèlement interprétée, mais un Final symphonique sonnera comme dans une cathédrale. Les Pleins-Jeux de Muhleisen évoquent déjà de façon étonnante les orgues de Silbermann — Bach sera le mieux servi. M. Chéron, qui a lui aussi une connaissance profonde de la facture classique, réharmonise tous les autres jeux. Nous devons également à M. Muhleisen (Strasbourg) une Tierce conique d'une rare finesse, et à M. Chéron (Le Mans) un Larigot, ainsi qu'un Cromorne particulièrement réussi. Mieux que toute propagande : l'audition directe. A partir du mois de décembre, chaque Samedi à 19h.30 (fin des Complies), les organistes, les mélomanes, les curieux pourront entendre l'orgue pendant un quart d'heure environ. Ils pourront ensuite, s'ils le désirent, essayer les différents jeux."

De 1958 à 1965, il fut titulaire de la Messe télévisée, diffusée à l'époque depuis la chapelle des Dominicains.

En 1984, année de la restauration complète effectuée par le facteur Xavier Silbermann, Xavier Guerner se retire des Dominicains laissant son poste de titulaire à Jacques Kaufmann. Toutefois, il conserve son autre poste d'organiste et maître de chapelle de Notre-Dame de Saint-Mandé (Val-de-Marne), où il avait succédé en 1960 à Robert Steinmetz, jusqu'à sa retraite arrivée en 1990. C'est grâce à son action qu'en 2008 eut lieu la restauration complète de cet orgue par le facteur Olivier Chevron. Au début des années soixante, il avait également tenu quelque temps l'orgue de Notre-Dame-du-Travail de Plaisance à Paris 14e, un Merklin sur lequel il avait dû effectuer en 1963 un dépannage d'urgence et une remise en harmonie.

Au cours de sa carrière Xavier Guerner eut l'occasion d'enseigner le chant à l'Institut Sévigné de Saint-Mandé (Pensionnat de Sœurs de la Sainte-Famille, actuel collège Saint-Michel de Picpus) et surtout l'orgue en tant que suppléant de Jean-Jacques Grunenwald à la Schola Cantorum de Paris (1957-1961). Ses exigences pédagogiques reflétaient bien sa propre personnalité artistique : clarté et précision, l'orgue étant un instrument polyphonique au service de l'écriture ; inanité de certaines fausses traditions ; nécessité de posséder un minimum de connaissances en facture afin d'être en adéquation avec l'interprétation ; et surtout ne jamais oublier que la virtuosité n'est qu'un moyen et non un but. Le compositeur Georges Rabol (1938-2006) compte parmi ses élèves.

On doit à Xavier Guerner plusieurs enregistrements : des fragments de la Messe solennelle à l'usage des paroisses et de La Messe à l'usage des couvents de François Couperin, en 1955 à l'orgue du Prytanée militaire de la Flèche (Les Mélomanes Français, MF 3003), les chorals de Bach BWV 606 "Von Himmel hoch, da komm' ich her" et BWV 619 "Christe, du Lamm Gottes" (et deux cantiques spirituels interprétés avec la mezzo-soprano Eva Bruck, Europe musique DG003 et Guilde européenne du microsillon, GEM137, 1957), la Toccata et fugue en ré mineur "dorienne" BWV 538 de Bach (Club des amateurs du disque CAD5064), des Improvisations de son crû (in le disque "De la Renaissance au baroque", Disques du Solstice, cassette CRY82, 1988) et des enregistrements à l'orgue historique de Saint-Benoît-sur-Loire (45 tours), à celui de Notre-Dame-du-Travail de Plaisance (1986, 45 tours) et à l'instrument de Notre-Dame de Saint-Mandé (avec Maurice Mehl et Jérôme Tonnellier, Mipido France). On lui doit également une participation à l'Office de saint Juvénal avec chœur (Erato), ainsi qu'un CD enregistré en 1994 lors d'un récital d'improvisations à l'orgue et au clavecin (évocations baroques et romantiques), donné en l'Eglise réformée d'Auteuil de la rue Erlanger (Paris 16e), au profit de l'Association des "Enfants du Mékong" (production privée Marc Bayle Organisation) : à l'orgue : Voluntary (do majeur), Pastorale (fa majeur), Berceuse romantique (sol majeur), Variations sur un choral (sol majeur), Mini concerto (si bémol majeur), au clavecin : Chacone (mi majeur), Air varié (la majeur), Pavane (si mineur), et clavecin et orgue : Ritournelle (ré majeur).

Xavier Guerner est décédé dans sa 90e année, dans l'Ile de Ré, où il s'était retiré depuis 2002. Ses obsèques se sont déroulées le 12 mai 2010 en l'église Notre-Dame de Saint-Mandé avant son inhumation au cimetière d'Herbeville (Yvelines).

Denis Havard de la Montagne
(avec l'aimable collaboration de MM. Jean Guilcher et Marc Bayle)

 


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