Le Panthéon des musiciens

De juillet 2001 à décembre 2001

Halina CZERNY-STEFANSKA - Patrice CAFAXE - Jeanne LORIOD - Suzy LEFORT - Karl-Ulrich SCHNABEL - Pierre d'ARQUENNES - Isaac STERN - Luis Garcia NAVARRO - Micheline OSTERMEYER - Abbé Paul HAVARD - Gabrielle DEVRIÈS - Monte PEDERSON - Georges ROBERT - Marie-Thérèse CHAILLEY - Martha MÖDL - Marcel MULE

 

Halina Czerny-Stefanska
( photo X... )

La célèbre interprète polonaise de Chopin Halina CZERNY-STEFANSKA est décédée à Cracovie, le 1er juillet 2001, à l’âge de 78 ans. C’est elle qui avait en effet joué plusieurs pièces lors de l’édition nationale de l’œuvre intégrale de Frédéric Chopin, enregistrée et publiée à la fin des années soixante en Pologne, notamment le 1er Concerto pour piano et orchestre en mi mineur, op. 11 (1833) avec l’Orchestre philharmonique tchèque dirigé par Smetacek [disque Supraphon (SUP 203.729)]. On lui doit également l’enregistrement des Chants polonais, pour voix et piano, avec Teresa Zylis-Gara chez Erato (STU 71.527). Née à Cracovie le 31 décembre 1922, elle débuta ses études musicales auprès de son père, Stanislaw Czerny, qui l’envoya ensuite à Paris poursuivre sa formation à l’Ecole normale de musique, sous la direction d’Alfred Cortot. De retour en Pologne, elle acheva ses études auprès de Josef Turczynski à Varsovie, et de Zbigniew Drzewiecki à Cracovie. Lauréate en 1949 du 4ème Concours Chopin de Varsovie, ex aequo avec la Russe Bella Davidovich pour la meilleure exécution des mazurkas de Chopin, commença ensuite pour elle une carrière internationale qui la mena principalement aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Angleterre et au Japon. Son répertoire est vaste puisqu’il couvre une période s’étendant de Bach aux contemporains, mais assurément c’est Chopin qui domine. On lui a parfois reproché son interprétation de jouer Chopin jugée trop austère, qui s’écartait de la norme traditionnelle avec beaucoup de sentimentalité. Elle s’efforçait en effet de mieux faire ressortir les intentions révolutionnaires et surtout innovatrices du compositeur, ce qui n’était pas sans intérêt. Elle s’est produite avec l’Orchestre philharmonique de Cracovie, ainsi d’ailleurs qu’avec les plus grands chefs d’orchestre : Zubin Mehta, Georg Solti ou encore Adrian Boult. Membre du jury de plusieurs concours internationaux : Rubinstein à Tel-Aviv, Chopin à Varsovie, Sibelius à Helsinski, ainsi qu’à Paris, Athènes, Leeds, Weimar et Nagoya, conférencière à l’Université Geidai de Tokyo, Halina Czerny-Stefansca, membre du parti communiste dès les années cinquante, considérait que cette période était " la plus grande et meilleure floraison de la culture polonaise ". Egalement professeur de musicologie au Conservatoire de Cracovie, elle était mariée au pianiste Ludwik Stefanski, avec qui elle se produisait lors de récitals à deux pianos. Leur fille Elzbieta Stefanska-Lukowicz est aussi pianiste et claveciniste... Erato a récemment ressorti (1999) en CD, à l’occasion du 150ème anniversaire de la mort de Frédéric Chopin, l’enregistrement des Chants polonais sous le titre de " Chopin, Mélodies, op. 74 ". On trouve également de disponible sur le marché le Concerto pour piano en la majeur, n° 23, de Mozart, sorti en 1994 (Supraphon).

D.H.M.

Le 12 juillet 2001, rentrant du Palais Garnier, où il était premier cor solo et venait de jouer avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris le ballet Le songe d’une nuit d’été (chorégraphie de l’américain John Neumeier), Patrice CAFAXE s’écroulait, terrassé par une crise cardiaque. Il n’avait que 39 ans. Premier prix de cor du Conservatoire de Paris, où il avait été l’élève de Jacky Magnardi, il avait commencé à jouer en soliste indépendant, avant de rejoindre l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Cette mort subite a interrompu une carrière qui s’annonçait brillante, puisque Patrice Cafaxe était de plus en plus demandé par les plus grands concertistes, comme notamment le Festival de Boucard en Berry (1997) ou encore l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, dirigé par Christian Arming, avec lequel il donnait le 4 octobre 2000 au palais de la Musique et des Congrès le Concerto n° 1 pour cor et orchestre en mi bémol majeur, op. 11, de Richard Strauss. C’était en outre un homme d’une grande gentillesse, très apprécié de ses élèves dans les conservatoires où il enseignait. Marié et père de deux garçons, ses obsèques ont eu lieu le 23 juillet à 10h30 à Marolles-en-Brie (Seine-et-Marne) où il habitait.

D.H.M.

Lien vers le site officiel de Jeanne Loriod
Jeanne Loriod
( Avec l'aimable autorisation d'A. Oguse, site de Jeanne Loriod.
© Malcolm Crowthers Photography, 140 Buckingham Palace Road, London SW1. )

Sœur cadette de la pianiste Yvonne Loriod-Messiaen, Jeanne LORIOD, virtuose et promotrice des ondes Martenot, s’est éteinte le 3 août 2001 à Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes), des suites d’une congestion cérébrale. Professeur associé d’ondes Martenot au Conservatoire de Paris et au CNR de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), ainsi qu’à la Schola Cantorum de Paris, professeur de musique de chambre à la Fondation Koussevitsky, cette musicienne de grande classe, même si elle fut à 12 reprises Grand Prix du Disque, était d’une discrétion et d’une modestie excessives. Son nom est inconnu du grand public, et pourtant c’est elle qui a propagé ce nouvel instrument aux riches sonorités, inventé par l’ingénieur Maurice Martenot dans les années vingt. Née le 13 juillet 1928 à Houilles (Yvelines), elle commença, comme sa sœur, des études de piano au CNSM dans la classe de Lazare Lévy, avant de rejoindre celle de Maurice Martenot, où elle put découvrir ce nouvel instrument électronique à clavier de sept octaves dont le son est diffusé par des haut-parleurs. C’est elle qui reçut la première médaille d’ondes Martenot. Elle fit partie dès 1950 d’un quatuor d’ondes Martenot fondé par Ginette Martenot, la sœur de Maurice, mais c’est surtout en jouant en duo avec sa sœur la Turangalîlâ Symphonie de Messiaen qu’elle se fit connaître. Elle a d’ailleurs enregistré cette œuvre, qu’elle a donnée dans la monde entier, à plusieurs reprises, avec notamment Maurice Le Roux (Vega), Prévin (SLS), Osawa (RCA) ou encore Louis de Froment (Forlane, DG). En 1974, Jeanne Loriod créait le " Sextuor Jeanne Loriod " avec lequel elle remportera plusieurs prix et qui suscita de nombreuses œuvres de la part de compositeurs français. Son répertoire comprenait 14 concertos pour ondes Martenot et orchestre, près de 300 pièces dont plusieurs concertos, et 250 pages de musique de chambre. Parmi toutes ces œuvres interprétées citons les Concerto pour ondes Martenot et orchestre d’André Jolivet, Jacques Charpentier, Marcel Landowsky, Jacques Bondon, Raymond Depraz, Jean Bizet, Georges-Léonce Guinot... et également des partitions de Thérèse Brenet, Charles Koechlin, Tristan Murail, Sylvano Bussotti, Edit Lejet, Alain Louvier, Darius Milhaud, Jacques Castérède, Edouard Michael.... Elle a même touché quelque peu au cinéma en participant à l’enregistrement des musiques de Maurice Jarre pour Lawrence d’Arabie, et à la variété en collaborant avec Jacques Brel pour sa célèbre chanson Ne me quitte pas... Parallèlement à sa carrière de soliste, Jeanne Loriod enseignait son instrument et la musique de chambre. Tout naturellement c’est elle qui succéda en 1970 à son maître Maurice Martenot au CNSM et c’est principalement dans cet établissement qu’elle a développé la technique de l’instrument inventé par Martenot. Elle la résume parfaitement dans son ouvrage de référence, intitulé Technique de l’onde électronique, publié chez Alphonse Leduc (3 volumes)... En janvier 1959, Olivier Messiaen déclarait : "  L’onde Martenot réclame des instrumentistes hors pairs. Voilà précisément une musicienne qui réunit toutes les qualités nécessaires : beau phrasé, legato absolu, rythme impeccable, finesse d’oreille, intelligence dans l’interprétation..., j’ai nommé Jeanne Loriod... "

D.H.M.

Le 19 août 2001, a disparu à son domicile de la région parisienne Suzy LEFORT, à l’âge de 78 ans. C’est un cancer généralisé qui l’a enlevée. Attachée de presse de l’Opéra de Paris, du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence et de la principauté de Monaco, elle avait débuté sa carrière comme soprano colorature à l’Opéra de Budapest, sa ville natale qu’elle avait dû quitter en 1956 lors de l’invasion soviétique. Installée en France à cette époque, elle épousait Michel Lefort, frère de Bernard, le baryton interprète du Groupe des Six, de Dutilleux, Messiaen et Jolivet, et était engagée comme attachée de presse du Théâtre des Champs-Elysées, puis du Festival de Versailles. Rolf Liebermann la prendra plus tard à l’Opéra de Paris, et son beau-frère Bernard Lefort, devenu directeur du Festival d’Aix-en-Provence (1973), avant de succéder à Liebermann au palais Garnier, l’engagea à son tour. En 1981, le prince Rainier lui confiait également le poste d’attachée de presse artistique de la principauté de Monaco... Suzanne Szeleky, devenue Suzy Lefort, a été inhumée le 24 août au cimetière principal de Neuilly-sur-Seine, après une cérémonie religieuse célébrée à l’église Saint-Pierre de Neuilly, en présence notamment de ses amis couturiers et bijoutiers qui en avaient fait leur ambassadrice dans le monde, tant émanaient d’elle une grâce et une distinction naturelles.

D.H.M.

Artur et Karl Ulrich Schnabel interprètent Bach
( EMI, collection Références, 2000 )
Karl-Ulrich SCHNABEL, pianiste, pédagogue et compositeur américain d’origine allemande nous a quittés. Il est mort le 30 août 2001 aux Etats-Unis, à l’âge de 92 ans, où il s’était installé en 1939. Peter Serkin, Murray Perahia, Naida Cole, Stéphane Lemelin, Jon Nakamatsu, parmi tant d’autres pianistes de renom lui doivent beaucoup dans leur formation ! Né à Berlin, le 6 août 1909, c’est de ses parents qu’il reçut ses premières leçons à l’âge de 5 ans : son père, Artur Schnabel (1882-1951), célèbre pianiste et pédagogue américain d’origine autrichienne, ancien élève de Leschetizky à Vienne, est l’un des plus grands pianistes du siècle spécialisé dans l’interprétation de la musique de Beethoven et Schumann. Il a notamment réalisé une édition des sonates de Beethoven ; sa mère, la contralto Thérèse Behr (1876-1959), interprète du répertoire austro-allemand, était une cantatrice de grande valeur. Karl-Ulrich étudia ensuite le piano avec Leonid Kreutzer et la composition avec Paul Juon à l’Académie de musique de Berlin à partir de 1922. Lorsque les nazis prirent le pouvoir en 1933, la famille Schnabel se réfugia en Suisse, puis gagna les Etats-Unis au début de la Seconde guerre mondiale. En 1944, Artur Schnabel et ses enfants prirent la nationalité américaine. Installé définitivement dans ce pays Karl-Ulrich y fit toute sa carrière, tout d’abord en se produisant en duo avec son père, puis avec sa femme, la pianiste Helen Fogel. Se consacrant également à l’enseignement de son instrument, il a formé toute une pléiade d’éminents pianistes un peu partout dans le monde. On lui doit enfin un livre intitulé : Modern technique of the pedal, publié en 1950 à New-York. Dans sa discographie on remarque notamment l’enregistrement au début des années soixante-dix chez Harmonia Mundi (HM 424) de l’intégrale des Moments musicaux, op. 94 de Schubert et de la Sonate en la mineur, op. 142 du même auteur ; chez Pathé (COLH 90) le Concerto n° 19 en fa majeur (K 459) de Mozart, et avec sa femme Helen Schnabel, l’enregistrement chez SPA RECORDS (SPA 50) de pièces à quatre mains de Félix Mendelssohn-Bartholdy et de Carl-Maria von Weber. La firme de disques EMI (collection Références) a récemment sorti (2000) un CD consacré à Artur Schnabel et Jean-Sébastien Bach, avec Artur et Karl-Ulrich Schnabel au piano et le London Symphony Orchestra dirigé par Adrian Boult, dans lequel on peut entendre notamment, avec beaucoup d’émotion, le père et le fils jouer le Concerto n° 2 en ut majeur pour deux pianos... L’acteur de cinéma Stefan Schnabel qui a interprète notamment un rôle, avec Sylvia Christel, dans La Veuve de Dracula (Dracula’s Widow) de Christopher Coppola (1988) est le frère de Karl-Ulrich.

D.H.M.


Pierre d'Arquennes et Amable Massis
Paris,1955 : remise de la Croix de chevalier de la Légion d'honneur à Pierre d'Arquennes, par Amable Massis, inspecteur général de la musique
( photo X..., Le Guide du Concert, 13 janvier 1956 )

Pierre d’ARQUENNES, pianiste virtuose et compositeur, est mort à Paris le 8 septembre 2001, où il était né le 17 août 1907. Il était âgé de 94 ans. C’est lui qui avait fondé en 1934, " Le Triptyque ", une association musicale placée sous le patronage de Paul Dukas, Maurice Ravel et Albert Roussel. Depuis près de 70 ans d’existence, cette association a organisé 1467 concerts gratuits, au cours desquels ont été données bon nombre d’œuvres de musiciens contemporains, souvent en première audition (Boulez, Schaeffer, Messiaen, Dutilleux, Desportes, Wolff, Migot, Jolivet, Dallapiccola, Rodrigo...). On lui doit également d’avoir pu découvrir pour la première fois en France de grands interprètes comme l’admirable contralto Kathleen Ferrier, le violoncelliste Janos Straker, le guitariste Julian Bream ou encore le baryton Gérard Sousay. Le dernier concert du Triptyque a eu lieu le 12 mai 2001 en l’église St-Merry (Paris), avec des œuvres de Fauré, Poulenc, Ravel, mais également de Jean Martinon, Georges Hugon et Roger Calmel... Pierre d'Arquennes, qui enseignait le piano, a aussi dirigé l'Ecole Normale de Musique de Paris (1960-1962), entre Jacques Feschotte et Pierre Petit, ainsi que le Conservatoire du onzième arrondissement parisien durant une dizaine d'années. Il a en outre participé à la fondation de l'Académie Charles-Cros. Le 12ème Concours international d’interprétation de la mélodie française, fondé par lui en 1984, doit se dérouler prochainement à Paris, du 14 au 16 novembre 2001. Intitulé « de Gounod à nos jours », il sera consacré aux œuvres de Claude Debussy, Henri Duparc et Ernest Chausson. Cet artiste, amoureux de la musique et des belles choses, fit aussi preuve de beaucoup de courage durant la guerre de 39/45 : il servit en effet de " boîte aux lettres " utilisant Le Triptyque et ses concerts, et lui-même, résistant de la première heure, permit de sauver de nombreux enfants juifs...

Belge de naissance, le marquis de Vriendt, alias Pierre d’Arquennes, s’était installé à Paris entre les deux guerres. Elève d’Alfred Cortot, auquel il succédera à l’Ecole Normale de Musique dans sa classe de piano, il avait quelque temps accompagné Emma Calvé et fréquenté Maurice Ravel. Officier de la Légion d’honneur, commandeur des Arts et Lettres, officier des Palmes académiques, grande médaille de la Ville de Paris, les obsèques de Pierre d’Arquennes se sont déroulées le 14 septembre en l’église Saint-Roch, suivies de l’inhumation au cimetière du Père-Lachaise.

D.H.M.

« On ne sait pas montrer la simplicité. C’est la chose la plus difficile en musique : être simple mais sophistiqué, être grand mais apprécier les points de détail, voir la totalité d’une œuvre du commencement à la fin. [...] On ne peut pas être artiste pendant trente ans, avoir l’applaudissement des gens partout et ne pas redonner quelque chose. On ne peut pas prendre seulement... » Ces pensées d’Isaac STERN, livrées dans les années soixante-dix, résument parfaitement la vie et la carrière de ce géant de " l’instrument du diable ", qui vient de nous quitter dans la soirée du 22 septembre 2001, au New-York Presbyterian Hospital où il avait été admis peu avant pour une insuffisance cardiaque. De réputation internationale, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de plus grand violoniste du siècle, il s’était retiré de la scène pour résider dans une maison perdue dans une forêt du Connecticut. Une opération du cœur l’année dernière l’avait obligé à se reposer. Il vivait là entouré d’innombrables souvenirs accumulés au cours d’une carrière de 70 années consacrée à la musique. Ses Mémoires intitulées Mes 79 premières années, parues en France il y a peine un an (Nil Editions, 360 pages), ont fait le régal de ses nombreux admirateurs. Il faut dire qu’un artiste qui a fréquenté Mitropoulos, Bernstein, Barenboïm, Walter, Casals, Munch, Klemperer et bien d’autres encore, a toujours quelque chose de passionnant à raconter !

Isaac Stern
Isaac Stern
( Photo: merci au
Jerusalem Music Center )

Ce violoniste américain d’origine russe était né à Kremenetz le 21 juillet 1920, dans une famille où l’on vénérait la musique et qui émigra aux Etats-Unis au début des années vingt. C’est sa mère, une chanteuse professionnelle, qui lui enseigne les premiers éléments de musique avant de l’envoyer étudier le violon au Conservatoire de San Francisco dès 1928. Il travaille ensuite avec Louis Persigner, un ancien élève d’Ysaÿe à Bruxelles et de Thibaud à Paris, et Naoum Blinder, et le 18 février 1936 Isaac Stern débute avec l’Orchestre symphonique de San Francisco dirigé par Pierre Monteux, dans le Concerto pour violon de Brahms. Dès lors une prestigieuse carrière s’ouvre à lui : Carnegie Hall (janvier 1943), tournée en Australie (1947), en Europe (1948), en Russie (1956)... Il sera le premier artiste occidental à retourner en Chine (1980) après la Révolution culturelle. Après avoir longtemps joué avec Pablo Casals, il forme en 1961 un trio avec le pianiste Eugène Istomin et le violoncelliste Léonard Rose. Ce célèbre trio, successeur en somme du non moins célèbre ensemble qu’avaient formé en 1905 Cortot, Thibaud et Casals, se produira dans le monde entier et enregistrera de nombreux disques jusqu'à la mort de Rose survenue en 1984. Merveilleux interprète des répertoires classique et romantique, Isaac Stern s’est également beaucoup intéressé aux musiciens de son siècle qui ont souvent écrit à son intention, tel Penderecki ou Rocheberg avec leur Concerto. On lui doit aussi la création du Concerto de W. Schumann, de la Sérénade de Bernstein et de bien d'autres pages de Dutilleux ou encore de Peter Maxwell Davies. S’il aimait Mozart et Brahms, il ne négligeait pas pour autant Bartok et Hindemith. Il affirmait qu’il n’existe pas des musiques, mais une seule musique, qui d’ailleurs est magie. Fondateur du Comité de sauvegarde de Carnegie Hall en 1960, qui prévoyait, ironie du sort !, une " journée Isaac Stern " le 24 septembre prochain avec trois concerts et une exposition sur sa carrière, Isaac Stern à lutté toute sa vie pour favoriser la carrière des jeunes musiciens. On lui est redevable à ce titre de bon nombre d’ateliers de musique de chambre à Carnegie Hall, au Japon et en Israël. Sa discographie (CBS/Sony) est impressionnante (plus d’une centaine de disques) et couvre toutes les grandes œuvres de Bach à Bartok ; on y trouve également cités pêle-mêle : Tchaïkovsy, Sibelius, Prokofiev, Beethoven, Mozart, Brahms, Berg, Dutilleux, Chausson, Fauré, Lalo, Stravinski, Vivaldi, Telemann, Webern... En août 1963 au Festival de Menton, lors d’un concert au cours duquel Isaac Stern, Léonard Rose et Jean-Pierre Rampal jouaient notamment le 5° Concerto brandebourgeois, Bernard Gavoty, alias Clarendon, écrivait dans Le Figaro du 20 août : " Stern joue comme un ange... Que c’est donc beau, un musicien qui néglige son brio au profit de la seule musique ! " Isaac Stern était officier de la Légion d’honneur (1919) et avait reçu en 1984 l’Honors Award du Kennedy Center, ainsi que le Prix Wolf d’Israël (1987).

D.H.M.

Le 11 octobre 2001 à Madrid, le chef d’orchestre espagnol Luis Garcia NAVARRO s’en est allé dans sa soixante et unième année. Directeur de l’Opéra de Madrid depuis sa réouverture après rénovation en 1995, la France lui avait confié en 1989 la direction du Deuxième Festival de Paris. Né le 30 avril 1941 à Chiva, ancien élève des Conservatoires de Valence et de Madrid, Garcia Navarro avait ensuite travaillé la direction d’orchestre à Vienne avec Swarowsky, Oesterreicher et R. Schmid. Premier prix au Concours des jeunes chefs d’orchestre de Besançon en 1967, il avait à cette époque été invité à diriger à Radio France, ainsi qu’à l’Opéra de Paris. Directeur musical de l’Orchestre symphonique de Valencia (1970), puis chef associé de l’Orchestre philharmonique de Noordhollands à Haarlem (1974), directeur musical de l’Orchestre symphonique de la Radio portugaise à Lisbonne (1976), du Théâtre Sao Carlos de Lisbonne (1980), de l’Opéra de Stuttgart (1987), il dirigeait depuis 6 ans l’Opéra de Madrid lorsque la mort le surprit. C’est en 1980 qu’il s’était produit pour la première fois aux U.S.A.... On trouve notamment dans sa discographie des œuvres de Manuel de Falla avec le London Symphony Orchestra et Tereza Berganza : El sombrero de tris picos et El amor brujo, [CD Deutsche Grammophon 4291812], et La vie brève, l’amour sorcier, [2 disques 33 tours Deutsche Grammophon 2707108], de Heitor Villa-Lobos, avec le même orchestre et Narciso Yepès : Concerto for guitar and small orchestre, 12 etudes for guitar, 5 etudes for guitar [CD Deutsche Grammophon 4237002], ainsi que dans la série " Music from Spain ", Preludios e intermedios de zarzuelas, avec l’Orquestra de Camara de Madrid [disque 33 tours Montilla FM51]. Il a également enregistré (1978) le célèbre Concierto de Aranjuez de Joaquin Rodrigo, avec Narciso Yepès (guitare) et le Philharmonia Orchestra, en même temps que la Fantasia para un Gentilhombre [CD Deutsche Grammophon 4153492].

D.H.M.

Micheline Ostermeyer dans sa chambre à l'INSEP, en 1950.
( Photo Pierre Simonet, © INSEP Iconothèque )

Médaille d’or aux lancers du disque (41,92 m) et du poids (13,75 m), médaille de bronze au saut en hauteur (1,61 m) lors des Jeux Olympiques de Londres en 1948, Micheline OSTERMEYER, morte à l’âge de 78 ans, le 16 octobre 2001 à Bois-Guillaume (Seine-Maritime), des suites d’une longue maladie, était également une pianiste virtuose ! Elle vivait retirée depuis peu à Grémonville, non loin de Rouen. Cette grande femme athlétique (1,79m pour 73 kg), privilège assez rare dans le domaine artistique, avait réalisé une parfaite symbiose entre le sport et la musique, tout comme le fit en son temps Georges Dandelot. Née le 23 décembre 1922 à Rang-du-Fliers, d'un père ingénieur et d'une mère mélomane, une petite commune peuplée de 2000 âmes, située dans l’agglomération de Berck-Plage, Micheline Ostermeyer baignait dans la musique dès sa plus tendre enfance : sa mère, musicienne, était en effet la fille de Lucien Laroche (1855-1912). Celui-ci, originaire de Savenay (Loire-Atlantique) où son père enseignait la musique, s’installa un beau jour à Vannes, où il devint compositeur et organiste. Il fondait en 1908 le Conservatoire de musique de Vannes, devenu Ecole Nationale de Musique en 1982. Il n’est pas étonnant qu’à 12 ans elle put donner son premier récital de piano et entrer l’année suivante au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Elève de Lazare Lévy, elle ne pourra cependant remporter le premier prix de piano qu’en 1946, la guerre ayant interrompu ses études. C’est d’ailleurs durant cette période que sa carrière débutait en 1941, par un engagement à Radio-Tunis. Le 21 novembre 1946, Micheline Ostermeyer donnait son premier concert parisien au Conservatoire : Toccata en ut majeur (Bach), Thème et variations (Fauré), 3 Préludes (Debussy), 6e Nocturne (Fauré), Bourrée fantasque (Chabrier) et Sonate (Liszt). Le succès était immédiat et durant une dizaine d’années elle parcourut l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Mariée, mère de deux enfants (Joëlle et Alain), elle dut cependant renoncer durant plusieurs années, à partir de 1958, à ces récitals afin de se consacrer à sa famille. Elle se lança alors dans l’enseignement : tout d’abord au Conservatoire de Lorient, puis à celui de Saint-Germain-en-Laye. Particulièrement meurtrie par la vie avec la perte prématurée de son mari en 1965, Ghazar Ghazarian qu'elle avait épousé en 1952 à Beyrouth (Liban), puis de son fils violoniste, assassiné en 1990 par un voyou, Micheline Ostermeyer reprit ses tournées de concerts en 1990, notamment à deux pianos avec François-René Duchable. Avec ce dernier, elle enregistrait récemment un CD dans des pièces de Brahms, Liszt, Rachmaninoff, Gerchwin, Poulenc... Parallèlement à ses nombreuses activités musicales, elle remporta huit titres de championne de France entre 1945 et 1950 : poids, disque, 80 mètres haies, 60 mètres et heptathlon. Vice-championne d’Europe du 100 mètres et du lancer du poids en 1946, elle tâta également du basket et fut championne d’Afrique du Nord et du Liban. A l’époque, il n’était pas rare de la voir pratiquer un sport juste avant un récital de piano afin de se relaxer ! Reine des Jeux Olympiques, c’est la seule française à n’avoir jamais remporté deux médailles d’or au cours de la même olympiade ! En 1996, les éditions de L’Harmattan (Collection Mémoires du XXe siècle) ont publié une biographie de Michel Blois intitulée : Micheline Ostermeyer ou la vie partagée. Pierre Simonet, responsable de l'iconothèque de l'Institut National du Sport et de l'Education Physique (INSEP) à Paris, lui a consacré un film de 52 mn intitulé « Micheline, la croisée du destin ». Il est également l'auteur de la photo ci-contre, qu'il nous a aimablement autorisé à publier ici. D'autres photographies sont visibles sur le site de l'un de ses admirateurs : perso.wanadoo.fr/colombier/MAmichel.htm. La fille de Micheline Ostermeyer, Joëlle Ghazarian, professeur de français à l'Ecole supérieure d'éducation de l'Institut polytechnique de Portalegre (Portugal), a étudié la musique et l'anthropologie.

Micheline Ostermeyer: extrait d'un film de Pierre Simonet, sur Youtube.

D.H.M.

Abbé Paul Havard, mai 1999, Lisieux
( Photo D.H.M. )

Le 21 octobre 2001, à la résidence Saint-Benoît de Caen (Calvados), s’est éteint des suites d’une longue maladie le Père Paul HAVARD p.s.s., à l’âge de 83 ans. Si la musique n’a pas été son activité principale, elle a cependant tenu dans sa vie une place non négligeable, ne serait-ce que dans la liturgie. Durant ses 60 années de sacerdoce, le Père Havard a toujours choisi avec beaucoup d’attention et de goût les chants d’accompagnement des cérémonies religieuses qu’il célébrait. Il a également enseigné pendant une dizaine d’années la liturgie et le chant aux futurs prêtres du grand séminaire d’Angers.

 

Né le 6 février 1918 à Axel, en Hollande, où sa famille était installée depuis plusieurs années, Paul Havard fut envoyé à l'âge de 8 ans en Normandie chez l'une de ses soeurs aînées, afin de bénéficier d'une éducation française.  Il voulut très jeune rentrer dans la prêtrise. Sans doute fut-il influencé par trois de ses tantes religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve et par les exemples d’un grand-oncle prêtre, le chanoine Paul Havard, et d’une grand-tante, Mère Marie Odile, qui avait été l’une des premières moniales de Sainte-Cécile à Solesmes. Sa vocation religieuse ne se démentit jamais, et en 1929 il entrait au Petit Séminaire de Caen, avant d’intégrer en 1936 le Grand Séminaire de Bayeux, tenu par des Sulpiciens. Il décida alors de rejoindre la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice, qui, s’ils partagent souvent les tâches de l’ensemble du clergé, donnent cependant la priorité à la formation des futurs prêtres. On doit la fondation de cet ordre en 1641 à Jean-Jacques Olier, lors du grand mouvement de rénovation de l’Eglise en France. De nos jours, 350 prêtres de Saint-Sulpice forment la Compagnie qui s’organise autour d’un gouvernement général et provincial (France, Canada, Etats-Unis). Le 3 juillet 1941, à la cathédrale de Bayeux, Paul Havard était ordonné prêtre. Il fit cette année et l’année suivante son noviciat au séminaire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), approfondit ses études de théologie à l’Institut catholique de Paris (1942-43) et obtint la licence en juin 1943.

 

Entre 1943 et 1969, il enseigna la morale fondamentale (1943-44), l’apologétique (1944-45), l’histoire de l’Eglise (1945-69) au Grand Séminaire d’Angers, tout en assurant durant quelque temps la fonction d'économe (1945-54). Il réussit parallèlement à passer les 5 degrés de chant grégorien délivrés par l’Université catholique d’Angers. C’est le chanoine Jeanneteau, professeur de mathématiques supérieures et directeur de l’Institut de musique sacrée, qui lui avait enseigné le chant grégorien au cours des années cinquante. A cette même époque, Paul Havard fréquenta de près Dom Joseph Gajard, maître de chœur de l’abbaye de Solesmes et successeur de Dom Mocquereau. Il put ainsi enseigner également au grand séminaire d’Angers, entre 1960 et 1969, la liturgie et le chant, et exercer les fonctions de maître de chapelle. Au cours de sa période en Anjou, il eut encore la charge de quelques cours de Droit canon à l'Institut Catholique d'Angers.

 

Lors de la tourmente de 1968, le Grand Séminaire d'Angers fermait provisoirement ses portes. Le Père Havard se tourna alors vers son diocèse d'origine, celui de Bayeux, qui l'accueillit à bras ouvert. C'est ainsi que de 1969 à 1984 il exerça son ministère de prêtre dans les paroisses de Saint-Gabriel, Amblie et Lantheuil, près de Creully (Calvados), puis de Bernières-le-Patry, Rully, Chênedollé et Pierres (Calvados). En août 1984 l’évêque de Bayeux et de Lisieux fit ensuite appel à lui comme responsable-adjoint du Séminaire Sainte-Thérèse de l’Hôtellerie, près de Lisieux et pour y enseigner l’histoire de l’Eglise ; matière qui le passionnait et avec laquelle il était très à l'aise. Le Père E. Vallée, aux côtés duquel il travailla durant cette période, écrivit au moment de sa disparition : « Miracle ! Quand Paul le timide, enseignait l’histoire, lui, le secret, le discret, laissait à la porte de la classe sa timidité. Il était alors passionné de son sujet et essayait de le faire partager à ses jeunes. Certains le faisaient avec enthousiasme, d’autres avec quelque mesure. Mais les qualités de l'homme, la profondeur de son intériorité spirituelle, sa discrétion, sa disponibilité ont vite conquis les jeunes. Il flairait l'homme de Dieu qui se donnait de tout son être profond dans son ministère. Paul fut certainement pour beaucoup de ces jeunes qui étaient en recherche un témoin aussi fort que discret. »

 

Après la fermeture du Séminaire de l'Hôtellerie, en juin 1991 le Père Havard fut nommé aumônier de la Communauté de la Providence (Lisieux), spécialisée dans les retraites spirituelles. Huit années plus tard (juin 1999), il prenait sa retraite, se retira tout d’abord à la Maison diocésaine du Sacré-Cœur de Grentheville (près de Caen), puis, en mars 2001 à la Résidence Saint-Benoît de Caen. C’est là que la mort l’a surpris au cours de la nuit du 20 au 21 octobre. Ses obsèques eurent lieu le 25 octobre à 14h30 en la chapelle des Mouthiers-Hubert (Calvados) et la messe concélébrée par Mgr l’évêque de Bayeux et de Lisieux, assisté du Supérieur général de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice et de 21 autres Sulpiciens ou prêtres du diocèse. Dans son homélie, le Père Boyer p.s.s déclarait notamment : « Il avait une vive conscience de son sacerdoce, quelles qu'aient été les modalités selon lesquelles il l'exerça, le plus souvent en travaillant à transmettre cette conscience sacerdotale aux futurs prêtres. »

 

Profondément bon, dévoué et attentif, le Père Paul Havard, qui avait adopté cette parole sacrée lors de son ordination : « Je suis la voie, la vérité, la vie », avait également l’âme d’un artiste : il aimait la musique, mais également l’architecture. Il parcourait sans relâche toutes les routes du Calvados, un appareil photo à la main, afin de fixer tous les édifices religieux de la région, de la moindre chapelle du plus petit village à la basilique de Lisieux, l’une et l’autre ayant autant d’intérêt et de valeur à ses yeux. Ce précieux fonds photographique, composé de 5000 clichés réalisés en quelques 30 années de recherches, a été remis officiellement le 16 février 2004 au Conseil Général du Calvados (Service du Patrimoine).

Denis Havard de la Montagne

Gabrielle Devries
Gabrielle Devries
( Studio Lipnitzki, Paris, collection Muriel Devries )

Gabrielle DEVRIES, violoniste à la " technique sans défaillance ", dont " le phrasé voluptueux " enchantait les mélomanes, est décédée le 4 novembre 2001 à Colombes (Hauts-de-Seine), dans sa 86e année. Le musicologue et critique musical Claude Rostand avait écrit un jour à son propos : " Ce qui frappe le plus chez cette jeune artiste c’est l’exacte appropriation d’une technique à la fois vigoureuse et souple aux différents styles des auteurs qu’elle interprète. On me dira sans doute que je devrais être davantage touché par la séduction d’une sonorité richissime, qui est en effet l’une de ses qualités les plus précieuses, mais une telle sonorité n’est qu’un don du ciel qui ne suffirait pas sans la technique rigoureuse et la sensibilité de l’artiste ".

Née Gabrielle Rossi à Nice le 19 octobre 1915, elle avait commencé à étudier le violon avec sa mère, avant d’entrer au Conservatoire de sa ville natale, puis de rejoindre celui de Paris, où elle eut pour maîtres Marcel Reynal et Gabriel Bouillon. Son coup d’archet chaleureux et sa technique de grande classe lui ouvrirent rapidement une carrière de soliste internationale, saluée par les critiques. Elle reçut ainsi en 1957 le Grand Prix du disque pour l’enregistrement du Duo concertant de Stawinski et de la Deuxième Sonate de Roussel, en compagnie des pianistes Nadine Desouches et Ina Marika. Soliste durant plusieurs années de l’Orchestre Radio-Symphonique de Paris, devenu en 1960 l'Orchestre Philharmonique de la R.T.F., puis en 1964 l'Orchestre Philharmonique de l'O.R.T.F., elle a notamment créé à Paris avec cette formation le 2e Concerto pour violon et orchestre de Pierre Wissmer, sous la direction de Manuel Rosenthal, qu’elle joua également le 4 mars 1959 à Metz avec Jacques Pernoo à la tête de l’Orchestre Municipal, et à Genève avec l’Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Edmond Appia. Le 14 janvier 1959 à la Schola Cantorum de Paris, au cours d’un concert organisé par les "  Amis de la Musique de Chambre " on avait pu l’applaudir en compagnie de la pianiste Nadine Desouches, dans la Sonate pour piano et violon de Milhaud, l’Ode pour piano et violon d’Ivan Devries, et la Sonate pour piano et violon de Martinu. La musicalité des deux interprètes dans l’exécution de ces pièces était soulignée par la presse qui ajoutait qu’elles dialoguaient " avec vivacité et ornant chaque nuance d’intentions délicates ". Ivan Devries, avec qui elle était alors mariée, avait certainement composé tout spécialement à son attention son Ode, admirablement équilibrée, dont la mélodie finement écrite met en valeur le legato du violon ! Gabrielle Devries avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de jouer précédemment cette page de musique de chambre, notamment le 4 janvier 1957 à l’Ecole Normale de Musique, lors d’un concert de musique contemporaine organisé par " Le Triptyque " de Pierre d’Arquennes. Accompagnée ce jour-là au piano par Madeleine La Candela, elle avait également interprété la Sonatine d’Yves de la Casinière. Cette même année 1959, le 5 mai au Théâtre des Champs-Elysées, elle se distinguait encore dans le 2e Concerto en sol mineur, pour violon et orchestre, op. 63, de Prokofiev, avec l’Orchestre Radio-Symphonique et Manuel Rosenthal, concert au cours duquel on put également entendre l’Ouverture de La Cenerentola de Rossini, Thésée de Mihalovici, et la Suite transocéane de Jolivet... Sa discographie est importante, mais la plupart de ses disques datant des années 1950-1960 sont introuvables de nos jours. Citons néanmoins les enregistrements de la 1ère Sonate de Bartok, à Berne du Concerto pour violon et orchestre de Paul Hindemith avec l’auteur, et de la musique pour violon du compositeur mexicain Julian Carillo, qui dirigeait pour la circonstance l’Orchestre des Concerts Lamoureux (Philipps). Pédagogue éminente, elle a formé plusieurs élèves qui lui font honneur.

Mariée au compositeur Ivan Devries (1909-1997) -neveu d’Henri Büsser et arrière-petit-fils de Théophile Gautier-, Gabrielle Devries laisse le souvenir d’une artiste complète et d’une femme chaleureuse. Elle a été inhumée au cimetière de Caucade à Nice, après des obsèques célébrées le 13 novembre en l’église Sainte-Marie-des-Vallées de Colombes, auxquelles ont assisté ses nombreux amis musiciens et sa fille Muriel.

D.H.M.

En pleine gloire à l’âge de 43 ans, le baryton basse américain Monte PEDERSON vient de mourir le 6 novembre 2001, dans une clinique de Munich, fauché par un cancer. Depuis une dizaine d’années, il était attaché à l’Opéra d’Etat de Vienne où on pouvait l’applaudir dans les rôles d’Oreste dans Elektra (Richard Strauss), d’Escamillo dans Carmen (Bizet) ou encore de Jochanaan dans Salomé (Richard Strauss). Né à Washington le 21 août 1958, il débuta sa carrière professionnelle dans les chœurs de l’Opéra de San Francisco, avant de se distinguer en 1990 dans l’Or du Rhin et le Hollandais volant de Richard Wagner. Il se produisit ensuite sur la plupart des grandes scènes mondiales : Chicago Lyric Opéra, Covent Garden, Opéra de Zurich, Scala de Milan, Houston Opera, Metropolitan Opera de New-York, Festival de Salzbourg... En France, on put l’entendre au Châtelet de Paris dans la Damnation de Faust de Berlioz (Mephistophélès), ainsi qu’à l’Opéra-Bastille où il était régulièrement invité, notamment en 1993 avec son rôle du Hollandais, sous la direction de Myung Whun Chung, et l’année suivante dans celui de Jochanaan. En 1998 sa carrière avait prit un tournant important avec l’interprétation de deux œuvres majeures : Tristan et Isolde (Kurwenal) de Wagner, et Billy Budd (John Claggart) de Benjamin Britten. La discographie de Monte Pederson, si elle est peut importante, démontre cependant l’éclectisme de cet artiste trop tôt disparu. On y trouve aussi bien l’opéra en 3 actes Die Gezeichneten (1915) du compositeur autrichien Franz Schreker, avec l’Orchestre symphonique de Vienne sous la direction de Peter Gülke (Sony Music), que l’enregistrement en première mondiale de l’opéra d’un autre compositeur autrichien Alexandre Zemlinsky, Der König Kandaules (1936), d’après le drame " Le Roi Candaule " d’André Gide, avec le Philharmonisches Staatsorchester Hamburg (Capriccio records), ou encore le célèbre opéra en 3 actes Mazeppa (1883) de Tchaïkovski, avec le Gotenburg Symphony Orchestra et Neeme Järvi (Deutsche Grammophon). En pleine force de l’âge Pederson nous a quittés, on se souviendra certainement encore longtemps de sa voix si chaude et puissante...

Georges Robert à l'orgue de l'INJA
Georges Robert à l'orgue de la Salle Marchal de l'I.N.J.A, à Paris VIIe.
( Coll. Agnès Robert )

Georges ROBERT, titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Versailles depuis plus d’une demi-siècle, s’en est allé le 7 novembre 2001, dans sa soixante-quatorzième année. Fils de l’organiste de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon (Finistère), Georges Robert, qui lui-même avait touché l’orgue de cette église durant 70 ans, petit-fils d’Henri Sibout, organiste de Sainte-Catherine d’Honfleur (Calvados), Georges Robert, comme l’a déclaré un jour Pierre Denis [L’Orgue, n° 114, avril-juin 1965], était un " exécutant sans défaillance, [un] poète de l’orgue à l’instar de son maître André Marchal, [et un] interprète soucieux d’approfondir sa connaissance des classiques ". Né le 12 avril 1928 à Saint-Pol-de-Léon, il avait été en premier lieu élève de son père, avant de débarquer à Paris en 1941, à l’âge de 13 ans, pour devenir pensionnaire de l’Institut National des Jeunes Aveugles. Il bénéficia là de l’enseignement dispensé par de véritables Maîtres : Gaston Régulier (piano), Eza (violon), Gaston Litaize (harmonie) et André Marchal (orgue). En 1946, il rejoignait la classe de piano d’Yves Nat au CNSM de Paris, où il décrochait un 1er prix quatre ans plus tard. Egalement élève de Simone Plé-Caussade et de Marcel Dupré, il fut récompensé par un 1er prix contrepoint (1951), un 1er prix de fugue (1953) et un 1er prix d’orgue (1953). L’année suivante, Georges Robert fut nommé professeur de piano à l’I.N.J.A. et y enseigna aussi l’orgue à partir de 1969, tout comme au C.N.R. de Versailles (à partir de 1975) et à la Schola Cantorum de Paris.

Georges Robert, André Marchal et Gaston Litaize
Georges Robert, André Marchal et Gaston Litaize. Février 1974, chez André Marchal, rue Duroc (Paris VIII°), à l'occasion de ses 80 ans.
( coll. Agnès Robert )

En tant qu’organiste d’église, Georges Robert n’a connu qu’un seul instrument : l’orgue Merklin/Gonzalez de l’église Notre-Dame de Versailles, où il avait été nommé en mai 1948. Mais comme virtuose de l’orgue, la plupart des grandes tribunes françaises l’ont accueilli, ainsi d’ailleurs que bien d’autres en Europe et en Amérique du Nord. Lauréat du concours international d’improvisation de Haarlem (1955) et du concours Jean-Sébastien Bach à Gand (1955), 1er prix d’exécution et d’improvisation des " Amis de l’Orgue " (Prix Michel-Richard Delalande) en 1957, soliste à Radio-France, créateur en 1957 de l’Académie d’orgue " Musique et Montagne " à Sarrances, près de Pau, fondateur en 1980 et président de l’Association des Amis de l’Orgue de Versailles et de sa Région, fondateur à Biarritz d’une académie d’orgue dans le souvenir d’André Marchal, membre de la Commission départementale des orgues au Conseil général des Yvelines, correspondant de la Commission supérieure des monuments historiques du Ministère de la culture, membre du jury du Grand Prix de Chartres, Georges Robert était l’un de ses rares musiciens complets à posséder à la fois un 1er prix de piano et un 1er prix d’orgue, ce qui fit de lui non seulement un organiste brillant, mais également un pianiste au toucher précis, et même encore un claveciniste raffiné. Les instruments à clavier n’avaient plus de secrets pour cet artiste subtil. Il a enregistré l’intégrale de l’œuvre pour orgue de François Couperin (1965), celles de César-Franck (1994) et d’Augustin Barié, ainsi que des Musiques françaises et espagnoles, XVIème -XVIIIème siècle, à l'orgue de l'Abbaye de Sarrance en vallée d'Aspe, avec le Choeur Grégorien de Pau, direction : Jean Spaniol (CD Escale à Toulouse ESC 120). Son catalogue, bien que modeste, est cependant représentatif de la musique de son temps : on y trouve une pièce pour piano : Sonate, et des pages pour orgue parues dans la revue " Orgue et Liturgie " : Prélude sur les jeux d’anches, Prélude à l’Introït du 1er Dimanche de l’Avent, Offertoire pour le IIe Dimanche après la Pentecôte, Pour une Elévation, Pour une Communion, ainsi qu’une Messe en cinq pièces (Huguenin)...

Les obsèques de Georges Robert, officier des Palmes académiques, chevalier des Arts et des Lettres, chevalier dans l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, ont été célébrées en l’église Notre-Dame de Versailles, le mercredi 14 novembre, à 11 heures, et l’inhumation, précédée d’une bénédiction, eut lieu à La-Bernerie-en-Retz (Loire-Atlantique), le jeudi 15 novembre, à 11 heures. L’Association des Amis de l’Orgue de Versailles et de sa Région a organisé un service religieux célébré en sa mémoire le mercredi 14 novembre, à 14h30, en l’église Notre-Dame de Versailles. Marié à Chantal Vignon, il laisse trois enfants : Christine, Olivier et Agnès.

D.H.M.

Cliquez pour voir le grand format Orgue de salon 8 jeux Kurt Swenkedel de l'organiste Georges ROBERT. Construit en 1969.

Composition :

Pédale
(32 notes) :
Soubasse dédoublée
en 16, 8, 4 et 2 ouvert.

1er clavier
(56 notes) :
Quintaton 8
Doublette 2
Tierce 1 3/5

2ème clavier
(56 notes) :
Bourdon en bois 8
Montre 4
Plein Jeu

3ème clavier (56 notes) :
Régale en chamade

Tirasses :
- I en 8
- II en 8
- III en 8
- III en 4

Accouplements :
- I sur II
- II sur II

Orgue de salon 8 jeux
Kurt Swenkedel

de l'organiste Georges ROBERT fils

( Cliquez sur l'image pour voir une photo en grand format )
Transmission entièrement mécanique, claviers ivoire, feintes ébène. Buffet chêne clair (massif et plaqué). Largeur : 204 cm, profondeur : 84 cm, profondeur avec pédalier : 151 cm et hauteur : 266 cm.

Marie-Thérèse Chailley
Marie-Thérèse Chailley
( coll. Isabelle Guiard )

Le 7 décembre 2001 à Paris, dans sa 81e année, s’est éteinte Marie-Thérèse CHAILLEY, soliste internationale, professeur d’alto. Cette brillante altiste, dédicataire de plusieurs œuvres de musiciens contemporains, tels Antoine Tisné, Georges Migot, Betsy Jolas ou encore Jacques Chailley, était persuadée, à juste titre, que la technique se doit d’être au service de l’expression dans l’interprétation et non le contraire, comme d’aucuns le pensent à tort ! Née en 1921 d’une famille de musiciens, parmi lesquels on trouve notamment ses parents, Marcel Chailley (violoniste) et Célinie Chailley-Richez (pianiste), ainsi que son frère Jacques Chailley et sa cousine la claveciniste Jeanne Chailley-Bert, Marie Thérèse Chailley fut admise à l’âge de 14 ans dans la classe d’alto de Maurice Vieux au Conservatoire de Paris, où elle obtint dès la première année un premier prix. Après avoir décroché en 1948 le prix du Concours international de Genève, elle débutait ensuite une carrière de soliste, qui la fit se produire avec la plupart des grandes formations orchestrales (Lamoureux, Colonne, Pasdeloup, Orchestre national de l’ORTF...) à travers toute l’Europe. Parmi ses enregistrements, citons les Sonates pour alto et piano de Jacques Chailley et Jacques Castérède (REM 10987), le Concerto en ut majeur, pour alto, orgue et orchestre, de Michael Haydn, avec Marie-Claire Alain et l’Orchestre de chambre Jean-François Paillard (Erato STU 70210), et le Concerto pour alto et orchestre de Bréval (Decca). Il y a encore quelques années elle se produisait toujours en public : la subtilité de son jeu simple et délicat, sa justesse et son phrasé, son expression sincère due à une technique irréprochable faisait d’elle une grande dame de l’alto. L’un de ses derniers concerts eut lieu le 6 avril 1993 à la Salle Cortot (Paris), au cours du 885ème concert de la Société Nationale de Musique (rappelons-le, fondée en 1871 par Saint-Saëns) avec l’interprétation de la Sonate pour alto et piano de Robert Casadesus (et Gaby Casadesus au piano)... Passionnée par son instrument, Marie-Thérèse Chailley a consacré également de longues années à enseigner l’alto au Conservatoire de Boulogne. Elle essayait de communiquer à ses élèves sa philosophie musicale qui veut que, certes la technique est irremplaçable et incontournable, mais elle n’est et ne doit rester qu’un simple moyen pour atteindre l’expression. La technique pour la technique n’est pas de l’art, tout comme le pinceau n’est pas de la peinture, mais y conduit et est nécessaire... Marie-Thérèse Chailley explique longuement sa conception de l’enseignement artistique dans le bulletin 1998 des Amis de l’alto, également visible sur Internet : http://perso.wanadoo.fr/amis.alto/Bulletin98/PA5.htm On lui doit plusieurs ouvrages pédagogiques, tous publiés chez Leduc : Quarante exercices rationnels pour l’alto (1966), Exercices divertissants et pièces brèves pour alto, degré élémentaire (1974), [qui feront l’objet la même année d’un ouvrage complémentaire écrit par Jacques Chailley : Premiers concerts : 12 morceaux faciles pour violon et piano (ou alto et piano), d’après les " Exercices divertissants " de Marie-Thérèse Chailley], Vingt études progressives en doubles cordes pour alto, avec des conseils pour les travailler (1980), et Techniques de l’alto, les exercices au service de l’expression musicale en 2 volumes (1991).

Veuve du Docteur Jean Guiard, elle a été inhumée dans le caveau familial du cimetière de Thorigny-sur-Marne (Seine-et-Marne), à l’issue d’obsèques célébrées le 12 décembre dans l’église de ce village, auxquelles assistaient ses nombreux amis musiciens, ainsi que toute sa famille et ses 4 enfants : Mmes Anne-Marie Bonnel, Catherine Bernard, Isabelle Torikian, et M. Yves Guiard.

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D.H.M.

Martha Mödl
Martha Mödl
( CD EMI Music (1989), La Walkyrie )

La cantatrice allemande Martha MÖDL, célèbre interprète wagnérienne, vient de disparaître à l’âge de 89 ans dans une clinique de Stuttgart au cours de la soirée du 16 décembre 2001, des suites d’une longue maladie. Le chant et le théâtre étaient toute sa vie, et récemment elle montait encore sur scène au Théâtre national de Mannheim, interprétant le rôle de la vieille Comtesse dans La Dame de Pique de Tchaïkovsky, à l’Opéra de Düsseldorf, celui de la Servante dans les Trois Sœurs de Peter Eötvös, et à l’Opéra de Berlin la Nourrice dans Boris Godounov de Moussorgski.

Née à Nuremberg le 22 mars 1912, Martha Mödl vint tard à la musique. C’est en effet à l’âge de 28 ans, alors qu’elle était comptable dans un commerce, qu’elle se découvrit cette passion pour la musique qui la dévorera ensuite toute sa vie. Elève de chant au Conservatoire de sa ville natale, elle partit ensuite se perfectionner à Milan auprès d’Otto Mueller, et débutait en 1942 au Théâtre municipal de Remscheid, tenant le rôle d’Hänsel dans l’opéra Hänsel und Gretel du compositeur allemand Engelbert Humperdinck. Chantant alors le répertoire de mezzo, elle était ensuite engagée à l’Opéra de Düsseldorf en 1945, puis en 1949, après s’être découvert une voix de soprano dramatique, à celui de Hambourg. C’est à ce moment que sa carrière s’envolait et le succès ne cessera jamais d’être au rendez-vous. S’imposant comme une grande dame du répertoire wagnérien, elle en deviendra même la plus grande interprète d’après-guerre au Festival de Bayreuth, après des débuts triomphants en 1951 dans Kundry (Parsifal) et Gutrune (Tétralogie). Ce sera ensuite, jusqu’en 1967, l’interprétation régulière d’héroïnes wagnériennes, comme Brünnhilde ou encore Isolde. A la même époque (1950), elle se produisait dans Carmen au Covent Garden de Londres, dans le rôle de Léonore (Fidélio) à l’Opéra de Vienne (1955), dans le Crépuscule des Dieux (Brünnhilde) au Met de New-York (1957), et s’attachait à l’Opéra de Stuttgart (1953). On l’applaudissait également à la Scala de Milan, à l’Opéra de Paris (Parsifal, mars 1954 ; La Walkyrie et Le Crépuscule des Dieux, 1955), au Festival de Salzbourg et sur bien d’autres scènes mondiales. A partir des années soixante-dix, Martha Mödl se reconvertit dans des rôles de caractères qui faisaient plus appel à ses talents de comédienne, qu’à ceux de cantatrice. Elle ne cessa ainsi jamais de se produire sur des planches, ce qu’elle faisait encore quelques mois avant de disparaître, alors âgée de 89 ans !

Martha Mödl était certes une héroïne wagnérienne, mais elle était également une remarquable interprète de Richard Strauss pour lequel elle a enregistré Elektra (Clytemnestre) avec Karajan et l’Orchestre Philharmonique de Vienne (Melodram), et La Femme sans ombre avec Joseph Keilberth et le Bayerischer Staatorchester (Deutsche Grammophon). Sa discographie est d’ailleurs importante et nous permet heureusement de conserver le souvenir de cette voix curieusement gutturale, qui parvenait à pénétrer l’auditeur jusqu’au plus profond de son être. Parmi ses enregistrements les plus importants il faut citer Fidelio de Beethoven, avec Furtwängler et l’Orchestre Philharmonique de Vienne (Odéon, Emi), Boris Godounov de Moussorgski, avec Eugen Jochum (Munich, 1957, coffret 3 CD Myto Records MCD 953131, juillet 1995) et bien entendu les opéras de Wagner : La Walkyrie, avec Furtwängler et l’Orchestre Philharmonique de Vienne (1954, Emi), Tristan et Isolde, avec Karajan et l’Orchestre du Festival de Bayreuth (1952, Cetra), L’Anneau du Nibelung, avec Joseph Keilberth et l’Orchestre du Festival de Bayreuth (1954, Melodram), Le Crépuscule des Dieux, avec les mêmes (1952, Decca). Néanmoins son enregistrement le plus important, devenu mythique, reste sans conteste le Parsifal de Wagner du 30 juillet 1951 à Bayreuth, avec Wolfgang Windgassen et Hans Knappertsbuch, que Warner Music France a ressorti en 1993 (coffret de 4 CD) et qui a été récompensé de nombreuses fois (10 de Répertoire, 4 clés Télérama, Diapason d’or, Must de Compact, Timbre de platine Opera Inter). Plus récemment est paru en 2000 chez Orfeo/Harmonia Mundi (C 546001B) un CD de l’opéra Gianni Schicchi de Puccini, enregistré le 7 décembre 1973, avec Martha Modl, Dietrich Fischer-Dieskau, et le Bayerischer Staatsoper dirigé par Wolfgang Sawallisch. La maison de disques Gebhardt (distribués par Qualiton) a également sorti en avril 1998 un CD (0001) intitulé " Martha Mödl - Liederabende ",contenant des pièces de Wagner, Schubert et Hugo Wolf, enregistrées en 1955 avec Rainer Von Zustrow (piano) et Joseph Keilberth... La mort de cette artiste nous enlève l’une des dernières divas du XXème siècle, qui avait modestement avoué un jour en réponse à une question sur son refus à enseigner  : "  je n’ai moi-même jamais su comment je m’y prenais pour chanter, comment l’aurais-je transmis aux autres ?... "

D.H.M.

Le Quatuor Mule
Le Quatuor de saxophones Marcel Mule dans les années cinquante. De gauche à droite : Georges Gourdet, André Bauchy, Marcel Mule (assis) et Marcel Josse
( photo X.., Selmer Instruments, Paris )

Le monde du saxophone est en deuil, Marcel MULE n’est plus. Il est en effet décédé le 18 décembre 2001 dans sa 101e année. On doit beaucoup à ce concertiste, ce professeur, cet artiste au grand cœur : c’est lui qui le premier sut utiliser habilement toutes les ressources de l’invention de Sax et la sortir ainsi du ghetto populaire dans lequel elle s’était laissée enfermer depuis son apparition en 1840, c’est lui qui a fondé en 1928 le tout premier quatuor de saxophones, c’est lui qui a rétabli en 1942 la classe de saxophone au Conservatoire de Paris, supprimée depuis 1870, reprenant en cela le flambeau d’Adolphe Sax créateur de la première classe en 1857, et c’est enfin lui, " Monsieur Saxophone ", qui est le père incontesté de l’actuelle école française de saxophone.

Normand de naissance, car né dans l’Orne à Aube le 24 juin 1901, Marcel Mule reçoit ses premières leçons de musique de la part de son père, directeur de la fanfare de Beaumont-le-Roger. Il lui fait découvrir la saxophone à l’âge de 8 ans, ainsi d’ailleurs que le violon et le piano, cependant le jeune Marcel commence par effectuer de sérieuses études générales qui l’amènent à l’Ecole Normale d’Evreux. Il obtient en 1920 son diplôme d’instituteur, suivie d’une nomination à l’école de Beaumont-le-Roger. Appelé sous les drapeaux, il est incorporé dans le 5ème Régiment d’Infanterie de Paris. Il en profite pour se perfectionner au Conservatoire de Paris, notamment auprès de Georges Caussade (harmonie). C’est au sortir du service militaire que sa carrière va véritablement débuter. Il se présente en effet en 1923 au concours d’entrée dans la Musique de la Garde Républicaine, où il est reçu et rapidement occupe la place de soliste. En 1928, il fonde au sein de cette formation le premier quatuor de saxophones sous le nom de Quatuor de la Garde Républicaine. En 1936, Marcel Mule quitte la Garde Républicaine et réforme son groupement pour lui donner le nom de Quatuor de Saxophones de Paris, plus connu ensuite sous celui de Quatuor de Saxophones Marcel Mule. Celui-ci se fait entendre dans de nombreux concerts et récitals à travers toute la France, mais également lors de tournées en Belgique, Hollande, Angleterre, Suisse, Allemagne, Italie et Afrique du Nord. Cette période est extrêmement intense, car grâce à son action artistique Marcel Mule révèle toute la noblesse du saxophone et le hisse au même rang que les autres instruments à vent. En tant que soliste il connaît également d’importants succès, notamment lors d’une tournée triomphante en 1958 aux Etats-Unis, avec le Boston Symphony Orchestra, dirigé par Charles Munch. Le journaliste new-yorkais Louis Biancolli n’hésite pas à cette occasion de parler du " Rubinstein du saxophone " . Il faut dire que quelques années auparavant un autre journaliste français de la revue Musica avait lui qualifié Marcel Mule de " Paganini du saxophone " !

Un autre aspect important de la carrière de Marcel Mule concerne la pédagogie. En 1942, Claude Delvincourt, alors directeur du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, réouvre une classe de saxophones et confie le poste de professeur à Marcel Mule. Là, durant 26 ans, il forme l’élite de l’école moderne et classique du saxophone, avec 80 premiers prix qui partent ensuite enseigner dans toute la France et même de par le monde. L’un de ses élèves, Jean Ledieu, fonde à son tour en 1987 son propre Quatuor de saxophones qui s’impose rapidement et acquiert une audience internationale. Pédagogue exceptionnel, Marcel Mule est en effet universellement reconnu comme le Maître moderne du saxophone, héritier spirituel d’Adophe Sax. Le répertoire de cet instrument s’est considérablement agrandi, notamment dans la musique de chambre. Même si cette musique est peu jouée, on répertorie à ce jour, selon Jean-Marie Londeix, 12000 partitions ! Peu de gens savent que Berlioz, Halévy, Verdi, Ambroise Thomas, Bizet, Saint-Saëns, Massenet, Debussy, Ravel, Milhaud… ont fait un jour appel à lui ! Les nombreuses transcriptions de Marcel Mule ont en outre élargi le répertoire et permettent ainsi d’attirer un public plus vaste. Parmi celles-ci on trouve Sevilla d’Albeniz (Billaudot), les Gavottes de J.S. Bach (Leduc), un Adagio de Boccherini (Leduc), des Préludes, des Nocturnes et des Valses de Chopin (Leduc), un Aria de Jean-Marie Leclair (Leduc), Phaeton de Lully (Leduc), le célèbre Plaisir d’amour de Martini, ainsi que des pièces de Mendelssohn, Mozart (Ave verum, Adagio du concerto en la…), Philidor, Rameau, Rimski-Korsakov (Le vol du bourdon), Schumann, Tartini, Tchaikovski et Weber. Marcel Mule a également écrit plusieurs ouvrages pédagogiques, tous bien connus des jeunes élèves saxophonistes : 18 Exercices ou études pour tous les saxophones d’après Bergiguier (Leduc, 1943), 30 Exercices ou études pour tous les saxophones d’après Soussman, en 2 cahiers (Leduc, 1943), 24 Etudes faciles pour tous les saxophones d’après A. Samie (Leduc, 1946), 53 Etudes d’après Boehm, Terschak et Furstenau, en 3 cahiers (Leduc, 1946, 2 vol.), Etudes variées dans toutes les tonalités (Leduc)…

En 1968, Marcel Mule se retirait définitivement dans sa villa de Sanary-sur-Mer, au pied de la Méditerranée. Le 24 juin 2001 à Hyères, tous ses nombreux amis et anciens élèves s’étaient réunis une dernière fois autour de lui, pour fêter son centenaire : se trouvaient là Guy Lacour, qui fut autrefois saxophone ténor au sein du Quatuor Marcel Mule, Michel Nouaux, Jean Ledieu, Jacques Pierson, Paul Pareille, Jean-Marie Londeix , Roland Audefroy, Jacques Net, Jean Ballion et bien d’autres encore venus de toute la France, d’Espagne, du Canada et des U.S.A. ! Le 18 octobre 2001, la Faculté de musique de l’Université de Laval (Canada) rendait à son tour un fervent hommage au Maître avec un récital donné par un autre de ses anciens élèves, le saxophoniste Rémi Ménard, accompagné du pianiste Eric Paci. Deux mois plus tard, Marcel Mule s’éteignait…

Dédicataire de nombreuses œuvres de compositeurs contemporains, notamment Jean Françaix avec ses Cinq danses exotiques pour saxophone et piano (1961), Pierre Vellones avec son Concerto en fa pour saxophone et orchestre (éd. Lemoine), Henri Tomasi et sa Ballade, et Eugène Bozza et son Concertino, Marcel Mule a également créé avec son quatuor plusieurs œuvres, comme le Petit quatuor de Jean Françaix, le Quatuor de Glazounov, ou encore Jacareros d’Eleuthère Lovgreglio. Il existe heureusement plusieurs enregistrements d’interprétations de Marcel Mule, qui nous permettent d’apprécier " cette sonorité chaude, expressive et miraculeusement homogène " [Florent Schmitt dixit], notamment un disque intitulé " Archives musicales, 1929-1937, Pierre Vellones " (APV 1997-001), un autre édité dans la collection Clarinet Classics (CC 0013-1996) avec des œuvres de Bozza, Ibert, Pierné, Rameau, Ravel, Vellones…., et un triple CD " Le saxophone français " (EMI MUSIC), paru en 1997, contenant 38 pièces de plusieurs compositeurs interprétées par le Quatuor de saxophones Deffayet, Marcel Mule, Jean-Marie Londeix… Roland Bouveresse et Gilles Martin ont également réalisé en 1995 une excellente vidéo intitulée " Entretien avec Marcel Mule " au cours de laquelle le musicien nous livre tout un tas de souvenirs des plus intéressants, et nous fait partager ses idées sur la musique (médiathèque du CNSM de Paris).

Marcel Mule laisse deux fils, Pol et Jacques tous deux également musiciens. Pol, né à Beaumont-le-Roger le 16 juillet 1926, 1er prix de flûte (1944), de musique de chambre (1945), et de direction d'orchestre (1951) au CNSM dans les classes de Gaston Crunelle, Fernand Oubradous et Louis Fourestier, a été successivement chef permanent de l'Orchestre de la Radio de Nice (1962 à 1974) et directeur adjoint du Conservatoire de Marseille (1980), avant d'être nommé directeur du Conservatoire d'Antibes. Pour ses 50 ans de carrière, il n'y a pas un mois, il a dirigé le 23 novembre 2001, au Palais des Congrès de Juan-les-Pins, l'Orchestre Philharmonique de Cannes, dans des œuvres de Bizet, Debussy et Chabrier. Quant à Jacques, né en 1929, 1er prix de flûte (1947), de musique de chambre et de solfège au CNSM, dans les classes de Fernand Oubradous et Yvonne Desportes, il a été nommé en 1955 professeur au CNR de Nancy et soliste de l'Orchestre Symphonique de cette ville. En 1970, il crée avec Dino Tomba, trompettiste, et Pierre Cortellezzi, organiste, tous deux professeurs au CNR de Nancy, le « Trio Récital » qui va donner plus de 1000 concerts en France et à l'étranger.

D.H.M.

 


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