Prix de Rome 1820-1829

Simon LEBORNE - Victor RIFAUT - Joseph LEBOURGEOIS - Hippolyte DE FONTMICHEL - Edouard BOILLY - Louis ERMEL - Maximilien SIMON - Théodore LABARRE - Auguste BARBEREAU - Albert GUILLION - Adolphe ADAM - Claude PARIS - Paul BIENAIMÉ - Jean-Baptiste GUIRAUD - Alphonse GILBERT - Guillaume ROSS dit DESPRÉAUX - Julien NARGEOT

1820

Simon LEBORNE (1797–1866)

Discours de Charles Poisot (Dijon, 1822 – Dijon, 1904), pianiste, compositeur, musicographe et pédagogue, directeur du Conservatoire de Dijon, prononcé le 26 mai 1866, à la 21e séance de la Société des Compositeurs de Musique (fondée à Paris en 1862).

Messieurs et chers Confrères,

Chargé par le Comité de prononcer l'éloge de notre collègue Le Borne [décédé le 2 avril 1866 à Paris], je remplirai ma tâche avec douleur, car la perte de celui qui fut mon maître me cause un vide que rien ne peut combler ; toutefois une consolation m'est donnée : c'est de tracer devant vous le portrait d'un véritable artiste, qui sut allier à l'amour du travail la noblesse et l'élévation du caractère.

De tels hommes sont rares à notre époque ; leur vie est un enseignement dont nous devons profiter. — Aimé-Ambroise-Simon Le Borne naquit à Bruxelles le 29 décembre 1797. Fils d'un artiste dramatique, ses premières années se passèrent à Versailles, où il reçut, dès l'âge de neuf ans, les premières notions de musique par les soins d'un estimable horloger, nommé Deshayes. Attaché à l'orchestre du théâtre en qualité de violoncelle, Deshayes donna des leçons de violon à l'enfant, qui devait plus tard se développer d'une manière si remarquable. En 1808, d'après les conseils de son camarade Dauverné, le jeune Le Borne se présenta chez un ancien chanteur de la chapelle du roi Louis XVI, Desprez, qui, par philanthropie, tenait chez lui, sous le patronage des autorités de Versailles, une école gratuite de musique vocale destinée aux jeunes garçons. Ce digne homme reconnut beaucoup d'intelligence dans l'enfant qui lui était présenté, et il l'admit au nombre de ses élèves d'autant plus volontiers qu'il découvrit en lui une charmante voix de soprano. — Sous cet excellent maître, Le Borne fit des progrès tellement rapides, qu'au bout de huit ou dix mois d'études, il l'emporta sur ses rivaux en obtenant le premier prix au concours. Vers la fin de 1810, son père, fixé à Paris par un engagement au théâtre de l'Odéon, rappela sa famille auprès de lui. C'est alors que le jeune Le Borne quitta Versailles, muni d'une lettre de son professeur, qui le recommandait à Sarrette, alors directeur du Conservatoire de Paris. Après avoir passé un examen devant le comité d'enseignement, composé à cette époque de Gossec, Méhul et Cherubini, il fut jugé capable d'entrer dans une classe de solfège, et en conséquence admis, le 5 janvier 1811, chez M. Thibault, répétiteur, auquel succéda M. Charles. L'année suivante, ses études de solfège étant terminées, il entra (26 octobre 1812) dans la classe d'harmonie de Berton, suppléé alors par Dourlen. Après avoir suivi le cours de cet excellent professeur, il fit partie de la classe de composition de Cherubini et reçut de ce célèbre et éminent artiste sa première leçon de contre-point le 19 octobre 1813.

Mais Sarrette, qui s'intéressait beaucoup aux élèves, s'était imaginé que Le Borne, fils d'un comédien, devait embrasser la carrière dramatique. Conséquemment, il l'avait engagé à suivre les classes de déclamation, où il étudia successivement sous la direction de Mlle Berville, puis sous l'illustre Fleury. Cependant, le goût de l'art musical l'emportant sur celui du théâtre, le jeune Le Borne profita du changement apporté dans l'administration du Conservatoire par les événements de 1814 pour abandonner les éludes dramatiques. Après la réorganisation de l'établissement, M. Perne, administrateur, le fit nommer répétiteur de solfège en 1816, puis entrer dans la classe de vocalisation de M. Henri, et dans celle de chant tenue par Garaudé. Tout en travaillant sa jolie voix de ténor, Le Borne, sur les instances de son père, débuta à l'Odéon dans l'emploi des jeunes amoureux. C'était en 1817 ; une affection de poitrine vint interrompre ses travaux, et il renonça pour toujours à la carrière théâtrale pour s'occuper exclusivement de composition.

Cherubini le jugea capable de se présenter au concours de l'Institut dès 1818. Il n'y eut pas de premier prix cette année-là ; mais l'Académie lui décerna le second sur une cantate à une voix de M. Vinaly, intitulée : Jeanne d'Arc. Le 1er janvier 1820, Le Borne fut nommé professeur titulaire d'une classe de solfège au Conservatoire, et la même année il remporta le premier grand prix de l'Institut avec une cantate de Vieillard intitulée : Sophonisbe. Élève et professeur en même temps, il partit pour Rome en vertu d'un congé que lui accorda M. de La Ferté. De retour à Paris après trois ans de voyages en Italie et en Allemagne, il reprit ses fonctions au Conservatoire et donna des leçons de chant. Eu 1827, il composa, avec Batton et Rifaut, la musique du Camp du Drap d'or, opéra en trois actes de M. Paul de Kock, qui fut représenté sur le théâtre Feydeau le 23 février 1828. Le poème nuisit au succès de l'ouvrage. On remarqua toutefois, parmi les morceaux échus en partage à Le Borne, l'introduction du premier acte, un air chanté par Mme Boulanger, et le finale du troisième acte. Cet insuccès ayant, comme toujours, inspiré peu de confiance à messieurs les poètes, Le Borne attendait vainement le résultat de promesses illusoires, lorsque M. Carafa, avec lequel il s'était lié en Italie, lui proposa d'écrire plusieurs morceaux dans la Violette, trois actes de Planard. Plein de reconnaissance pour celte marque d'amitié et glorieux de collaborer avec un artiste de cette valeur, M. Le Borne composa quatre morceaux, dont deux seulement furent conservés à la scène : ce sont le finale du premier acte et le grand finale du deuxième. Ce dernier est considéré comme un des bons morceaux de l'ouvrage. En 1828, Le Borne épousa une des filles de M. Lefebvre, auteur de la musique de plusieurs ballets, et bibliothécaire de l'Opéra. L'année suivante, il succéda à son beau-père dans cette place, qu'il occupa jusqu'à sa mort. Le 15 juin 1833, il fit représenter à l'Opéra-Comique un ouvrage en deux actes de M. Féréol, intitulé : Cinq ans d'entr'acte. Cette partition eut du succès. On y remarqua principalement l'ouverture ; au premier acte, l'introduction, un duo, un air de basse ; au deuxième, l'entr'acte, un duo, un petit air avec solo de hautbois et un grand morceau d'ensemble. En 1834, Le Borne fut nommé conservateur de la musique de la chapelle du roi, et en 1843, sous la direction de M. Auber, il reçut le titre de bibliothécaire de la musique du roi, titre qu'il perdit en 1848 ; mais il retrouva une position analogue lors de l'organisation de la chapelle impériale. A la fin de 1835, Le Borne avait fait ses adieux au théâtre par un acte intitulé : Lequel? paroles de MM. Ancelot et Paul Duport. L'ouvrage n'eut pas beaucoup de représentations, et cependant l'ouverture, l'introduction des couplets, un quintette, furent remarqués par les artistes et le public. L'année suivante, Le Borne, ayant été nommé professeur de contre-point et fugue en remplacement de Reicha, se livra entièrement aux travaux théoriques, et cette résolution fut immuable, lorsqu'en 1839 on joignit à son enseignement celui de la haute composition. L'école Le Borne a produit des élèves nombreux et distingués. Nous citerons particulièrement M. Stamaty, l'habile professeur de piano ; MM. Savard et Duprato, professeurs au Conservatoire ; Bousquet, Maillart, Léonce Cohen, Barthe, grands prix de l'Institut ; de Lajarte et Debillemont, compositeurs dramatiques; César-Auguste Franck, organiste de Sainte-Clotilde ; Hocmelle, organiste du Sénat ; Soumis, excellent accompagnateur ; Verrimst, Blaquière, Godard, etc. Sur les instances de l'éditeur Troupenas, Le Borne prépara, en 1847, une nouvelle édition du Traité de Catel avec des additions fort importantes. Cet ouvrage, adopté par le Conservatoire, a paru chez Brandus en 1848. Depuis lors, notre cher maître s'est occupé d'un travail analogue de révision sur le Traité de Cherubini. Il est mort au moment de finir sa tâche. Ce qu'il laisse entièrement achevé, c'est un grand Traité d'harmonie très développé en trois forts volumes, et le Recueil des basses, chants donnés et partimenti composés annuellement depuis 1843 à 1865 pour les concours du Conservatoire. Décoré tardivement en janvier 1853, après trente-trois années de bons et loyaux services, Le Borne vivra toujours dans le cœur de ses élèves reconnaissants. Son mérite modeste est préférable à bien des gloires tapageuses de notre époque.

CHARLES POISOT


1821

Victor Rifaut, par Court.
Victor Rifaut
d'après un tableau de Joseph Court, 1822 (DR)

Victor RIFAUT (1799-1838)

"Compositeur soigneux, exact et instruit" [Revue de Paris, 1834], ce musicien, mort prématurément, n’eut pas le temps de se faire une place au sein du monde de la musique en ce premier tiers du XIXe siècle, d’autant que Berlioz, dont on connaît l’influence par ses compositions, mais également par ses écrits, ne l’aimait guère, disant de lui que c’était "un médiocre pianiste" ! Dans ses Mémoires, l'auteur de la Symphonie fantastique livre les raisons de sa rancœur : admis en 1827 à la seconde épreuve de composition du Prix de Rome, avec la scène lyrique à grand orchestre Orphée déchirée par les Bacchantes "…le médiocre pianiste chargé d’accompagner ma partition, ou plutôt d’en représenter l’orchestre sur le piano, n’ayant pu se tirer de la Bacchanale, la section de l’Institut, composée de Cherubini, Paër, Lesueur, Berton, Boieldieu et Catel, me mit hors de concours, en déclarant mon ouvrage inexécutable." Rappelons cependant que Rifaut était à l’époque pianiste répétiteur à l’Opéra-comique, et que Berlioz, ayant déjà subi un premier échec au concours de 1826, ne pouvait admettre ce nouveau revers sans tenter d’en faire porter la responsabilité par un tiers ; ce n’est qu’à la cinquième présentation qu’il décrocha enfin le 1er Grand Prix (1830) !

Né le 11 janvier 1799 à Paris, fils de Pierre Rifaut, contrebasse à l’Orchestre de l’Opéra (à partir de 1805), et de Félicité Gillebert, Victor Rifaut reçoit ses premières leçons de musique de la part de son père. Celui-ci, habitant alors 13 rue du Cadran, est également contrebasse à la Chapelle du Roi à l'époque de Lesueur, Cherubini et Plantade, et est mis à la retraite lors de la Révolution de juillet 1830 (remplacé à l'Opéra par Durier) mais parvient à trouver un nouvel emploi dans l'orchestre du Théâtre du Gymnase dramatique du boulevard Bonne-Nouvelle où on le trouve encore en 1837. Il réside à présent 17 passage Saulnier, dans le 9e arrondissement parisien. Le 16 août 1811, Victor est admis à l’âge de 13 ans au Conservatoire de Paris. Tout d’abord élève de solfège (encouragements reçus en 1812) et de piano de Louis Adam (1758-1848, pianiste, organiste, compositeur et professeur au Conservatoire durant 45 ans), il suit ensuite les cours d’harmonie et de composition de Henri Berton (1767-1844), obtenant un 1er prix d’harmonie en 1814. En 1820, il se présente au grand concours de composition de l’Institut de France (Prix de Rome) et obtient un Second Grand Prix avec la cantate Sophinibe (paroles de Pierre Vieillard), derrière Leborne. L’année suivante, il décroche le 1er Grand Prix avec la cantate Diane et Endymion (paroles de J.A. Vinaty). Il est le seul candidat à être récompensé cette année-là et effectue le traditionnel séjour à la Villa Médicis du 20 décembre 1821 au 31 décembre 1823, entrecoupé de séjours à Naples, ainsi qu’en Allemagne (Munich, Dresde) et en Autriche (Vienne). Pensionnaire en même temps que le peintre normand Joseph Court (1797-1865), Prix de Rome 1821 pour Samson et Dalila, celui-ci réalise en 1822 à Rome un portrait en pied de Rifaut assis à sa table de travail devant une partition manuscrite. Ce tableau est conservé de nos jours au Musée des Beaux-Arts de Rouen que Court dirigea de 1853 à sa mort.

Accompagnateur à l’Opéra-comique à partir de 1820, à son retour d'Italie il reprend ces mêmes fonctions en 1824, avant d’être nommé deux années plus tard chef du chant et pianiste répétiteur, Gilbert de Pixérécourt étant directeur, Lemetheyer régisseur général, et Frédéric Kreubé chef d'orchestre. A cette époque, ce théâtre installé rue Feydeau, aux termes de l'ordonnance royale du 30 mai 1824, est placé sous l'autorité de S.E. le Ministre de la Maison du Roi, et sous la surveillance immédiate de M. le Duc d'Aumont, premier Gentilhomme de la Chambre de sa Majesté. Le 1er octobre 1833, il succède à Halévy dans sa classe d’harmonie et d’accompagnement pratique pour les femmes au Conservatoire de Paris, poste qu’il occupe jusqu’à son décès. Curieusement, Berlioz pose sa candidature pour lui succéder, mais Cherubini, alors directeur de cet établissement, refuse considérant qu’il ne sait pas jouer de pianoforte, ce qui est indispensable pour exercer convenablement l'enseignement de l'accompagnement ; c'est Emile Bienaimé (1802-1869, deuxième Second Grand Prix de Rome 1826) qui obtient le poste. Aux côtés de Cherubini, Paër, Habeneck, Berton, Kuhn, Gebauer, Ponchard, Meifred et Meyerbeer, à partir du 22 mars 1836 (succédant à Vaslin) Victor Rifaut fait partie du Comité d'enseignement, chargé des examens et des concours du Conservatoire de musique.

"Rifaut ne manquait ni de science, ni de verve mélodique ; il trouvait même des idées originales ; mais il eut le malheur de ne rencontrer que des poèmes médiocres". Sans doute faut-il chercher ici son manque de succès auprès du public et l'oubli dans lequel ses œuvres ont été rapidement rejetées. Son catalogue comporte une dizaine d'ouvrages pour le théâtre (drames lyriques ou opéra-comiques) :

- Le Duel ou une loi de Frédéric (3 actes), livret de Pélissier-Laqueyrie et Desessarts d'Ambreville, Opéra-Comique, 4 juillet 1826 (Duvernois, 1826),
- Le Roi et le Batelier (1 acte), en collaboration avec Halévy, livret de Saint-Georges, Opéra-Comique, 3 novembre 1827,
- Le Camp du drap d'or (3 actes), en collaboration avec Batton et Leborne, livret de Paul de Kock, Opéra-Comique, 23 février 1828,
- Un Jour de réception ou le Rout de province (1 acte), livret de Dupin, Opéra-Comique, 6 novembre 1828,
- Teresa, drame en 5 actes mêlé de musique dont une ballade de Rifaut chantée par Féréol, paroles d'Alexandre Dumas et Anicet Bourgeois, Opéra-Comique, 6 février 1832,
- André ou la Sentinelle perdue (1 acte), paroles de Saint-Georges, Opéra-Comique, 9 décembre 1834, avec Thénard (André) et Mme Rifaut (Lanra), Paris, Marchant, éditeur, 1834, sans doute sa meilleure production,
- Gasparo ou les derniers Lazzaroni (1 acte), livret de Vanderbuch et de Forges, Opéra-Comique, 14 janvier 1836,
- Wallace ou le Ménestrel écossais (3 actes), drame lyrique de Catel, livret de Fontanes (O.C., 1817), révision de la partition, notamment écriture du finale du 1er acte et des couplets du second c. 1836 (plus tard terminée par Ernest Boulanger pour le 3e acte), reprise en 1844 à l'Opéra-Comique, Il est aussi l'auteur de nombreux arrangements ou adaptations d'opéras alors en vogue :
- Emeline, opéra-comique en 3 actes d'Hérold, livret de Planard, morceaux détachés pour voix avec accompagnement de piano ou harpe (Janet et Cotelle, 1829),
- Les Deux nuits, opéra-comique en 3 actes de Boieldieu, livret de Bouilly et Scribe, arrangement pour voix et piano ou harpe (Janet et Cotelle, 1829),
- Jenny, opéra-comique en 3 actes de Carafa, livret de Saint-Georges, arrangement pour voix et piano (Veuve Leduc,1829),
- La Fiancée, opéra-comique en 3 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano (Troupenas, c.1829),
- Fichier MP3 Danilowa, opéra-comique en 3 actes d'Adolphe Adam, livret de Vial et Duport, arrangement pour voix et piano (Schonenberger, 1830),

Danilowa, opéra en 3 actes d'Adolphe Adam, accompagnement de piano par V. Rifaut.Danilowa, opéra en 3 actes d'Adolphe Adam, accompagnement de piano par V. Rifaut.Danilowa, opéra en 3 actes d'Adolphe Adam, accompagnement de piano par V. Rifaut.

Danilowa, opéra en 3 actes d'Adolphe Adam, morceau détaché avec accompagnement de piano par V. Rifaut, n° 3, Ronde
( Paris, Schonenberger, 10 boulevard Poissonnière, 1830, coll. D.H.M. ) DR
Fichier MP3 Fichier audio par Max Méreaux (DR)
 
- Joséphine ou le Retour de Wagram, opéra-comique d'Adolphe Adam, livret de Gabriel et Delaboullaye, arrangement pour voix avec accompagnement de piano (Janet et Cotelle, 1830),
- Le Diable à Séville, opéra-comique en 1 acte de Gomis, livret de Cavé, ouverture réduite pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, c.1830),
- Le Nozze di Lammermoor, opéra en 2 actes de Carafa, paroles de Balocchi, réduction pour chant et piano (Perriot, 1830),
- Fra Diavolo, opéra en 3 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, c.1830),
- La Bayadère amoureuse ou le Dieu et la Bayadère, opéra avec ballet et pantomime, en 2 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano (Troupenas, 1830),
- Le Grand Prix ou le Voyage à frais commun, opéra-comique en 3 actes d'Adolphe Adam, livret de Gabriel et Masson, 8 morceaux détachés pour piano (Lemoine, 1831),
- Le Philtre, opéra en 2 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano, avec ouverture réduite pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, 1831),
- La Langue musicale, opéra en 1 acte d'Halévy, livret de Saint-Yves, arrangement pour voix et piano avec ouverture pour pianoforte avec accompagnement de flûte ou de violon ad libitum (Schlesinger, c.1831),
- Les Deux familles, opéra en 3 actes de Théodore Labarre, livret de Planard, arrangement pour voix et piano avec ouverture pour piano avec accompagnement de violon ad libitum (Schott, c.1831),
- Le Pré aux clers, opéra-comique en 3 actes d'Hérold, livret de Planard, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, 1832),
- La Médecine sans médecin, opéra-comique en 1 acte d'Hérold, livret de Scribe et Bayard, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, c. 1832),
- Le Serment ou les Faux-monnayeurs, opéra en 3 actes d'Auber, livret de Scribe et Mazères, arrangement pour voix et piano (Troupenas, 1832),
- Fausto, opéra en 4 actes de Mlle Louise Angélique Bertin, réduction pour le clavecin (Janet et Cotelle, 1832),
- Gustave ou le Bal masqué, opéra historique en 5 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, c.1833),
- Ludovic, opéra-comique en 2 actes d'Hérold et Halévy, livret de Saint-Georges, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Schlesinger, c.1833),
- Le Chalet, opéra-comique en 1 acte d'Adolphe Adam, livret de Scribe et Duveyrier, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour piano avec accompagnement de violon ad libitum (Schonenberger, 1834),
- Lestocq, opéra-comique en 3 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano avec une ouverture réduite pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, c.1834),
-Fiorella, opéra-comique en 3 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour piano et violon (Pleyel & Fils aîné, c.1834)
- Actéon, opéra-comique en 1 acte d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano avec une ouverture pour piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, 1835),
Mme Rifaut
Mme Rifaut, rôle de Christine de Suède
dans Les Deux Reines (1835),
gravure par Alexandre Lacauchie
( BNF, musique ) DR
- Le Cheval de bronze, opéra féerie (ballet) en 3 actes d'Auber, livret de Scribe, arrangement pour voix et piano, avec ouverture pour le piano avec accompagnement de violon ad libitum (Troupenas, c.1835),
- La Marquise, opéra-comique en 1 acte d'Adam, livret de Saint-Georges et Leuven, arrangement pour voix et piano (Schoenenberger, c. 1835),
- Les Chaperons blancs, opéra-comique en 3 actes d'Auber, livret de Scribe, ouverture réduite pour le piano avec accompagnement de violon ou flûte ad libitum (Troupenas, c.1836),
- L'Ambassadrice, opéra-comique en 3 actes d'Auber, livret de Saint-Georges et Scribe, arrangement pour voix et piano, avec une ouverture réduite pour le piano avec accompagnement de violon ou flûte ad libitum (Troupenas, c.1837).

On lui connaît également un air italien gravé à Vienne Non so dir se pena sia qui "prouve ce qu'il eût fait si les paroliers l'avaient mieux servi" et une fantaisie pour piano et harpe, Les pages, écrite en collaboration avec Auguste Panseron (Paris, Panseron, Janet et Cotelle, c.1821).

Tonon Gontier
Tonon Gontier, beau-père de Victor Rifaut
( d’après lithographie de Rulman ) DR

Domicilié 11 rue de la Boule-Rouge (Faubourg Montmartre) puis 2 rue Riboulet, Victor Rifaut est frappé en 1837 d'une "longue et douloureuse maladie" qui perdure durant plusieurs mois, l'oblige à abandonner ses activités au fil du temps et le conduit au tombeau à l'âge de 39 ans, le 2 mars 1838. Il est mort à Orléans, 10 boulevard de la Reine, où il s'était retiré avec sa femme Jeanne-Emélie Belloste, épousée le 30 août 1826 à Paris. Cantatrice à l'Opéra-Comique où elle avait débuté en septembre 1832 dans Le Maçon d'Auber, elle était connue sous le nom de "Mme Rifaut", ne manquant "ni de talent ni de grâce" et sachant surtout "se mettre avec un goût exquis" [Biographie des acteurs de Paris, 1837]. "Sa voix est d'une pureté et d'un timbre délicieux" [Journal politique… de Toulouse, 23 juin 1840]. Elle était née à Milan (Italie) en 1809, fille de Georges-Tonon Belloste et d'Elisabeth-Marie Bosquier-Gavaudan qui s'étaient épousés dans cette ville le 8 décembre 1809, appartenant alors tous deux à la troupe de théâtre de Mlle Raucourt chargée d'organiser des représentations françaises en Italie. Devenue veuve à l'âge de 30 ans Mme Rifaut se remaria à Louis-Antoine-Lucien Gasson, rentier, avec lequel elle vécut à Paris, rue de Passy. C'est là, qu'elle est décédée le 28 janvier 1881 à l'âge de 72 ans. Elle était issue par sa mère d'une importante dynastie d'artistes musiciens : les Gavaudan. Elisabeth, dite « Rosette » (c. 1784-1844) et sa sœur Aglaé (future Mme Frédéric Kreubé en 1814, ancien chef d'orchestre du Théâtre Feydeau) étaient toutes deux chanteuses à l'Opéra-Comique et au Théâtre Feydeau au début du XIXe siècle, son frère Jean-Sébastien-Fulchran Bosquier-Gavaudan (Montpellier, 1776 – Paris, 1843) fut durant longtemps l'un des principaux acteurs du Théâtre des Variétés, surnommé le « Talma de l'opéra-comique », son oncle Jean-Baptiste-Sauveur Gavaudan (Salon-de-Provence, 1771 – Paris, 1840), chanteur à l'Opéra-Comique, et ses trois tantes : Anne-Marie-Jeanne (1764-1810) « ainée », Adélaïde (1767-1805) « cadette » et Emilie également chanteuses à l'Opéra de Paris ; tous étaient respectivement petits-enfants ou enfants de Denis Gavaudan, Maître de musique et organiste du Grand Couvent de Nîmes. De cette même famille descendra plus tard le célèbre biologiste Pierre Gavaudan (1905-1985), professeur à la Faculté des sciences de Poitiers où il eut pour élève le professeur Luc Montagnier (Prix Nobel 2008). Quant au père de Mme Rifaut (Tonon-Georges Belloste, 1785-1841), originaire de Boulogne-sur-Mer, plus connu sous son nom de scène « Gontier », il fut un acteur des plus fameux de Paris, se produisant au Théâtre du Vaudeville puis à celui du Gymnase (1821). Il était un des interprètes favoris de Scribe. On raconte que la perte de la mémoire l'obligea à une retraite prématurée en avril 1832. Il était fils de Gaétan-Nicolas Belloste, avocat au Parlement de Paris, parti pour l'Amérique et d'Agnès Gontier, lui-même petit-fils du célèbre chirurgien Augustin Belloste (1654-1730).

A l'Opéra-Comique, Mme Rifaut, entre autre, participe à la création de plusieurs rôles : Teresita dans Le Portefaix, opéra-comique en 3 actes, paroles de Scribe, musique de José-Melchior Gomis (10 juin 1835), Christine de Suède dans Les Deux Reines, opéra-comique en 1 acte, paroles de MM. Frédéric Soulié et Arnould, musique de Monpou (6 août 1835) et d'Angela de l'opéra bouffon Cosimo en 2 actes, paroles de MM. Saint-Hilaire et Paul Duport, musique d'Eugène Prévost (13 octobre 1835). Puis, après avoir quitté ce théâtre en 1837, elle se produit sur des scènes de province : en 1838, à Rouen avec La Prison d'Edimbourg (opéra-comique de Scribe, Planard et Carafa), en 1840 à Toulouse, où, comme première soprano comique, elle débute le 22 juin dans Le Chalet (opéra-comique en 1 acte, de Scribe et Adolphe Adam) et le 1er acte de La Dame blanche (opéra-comique en 3 actes de Scribe et Boiledieu), en 1842 au Grand-Théâtre de Marseille (attachée à la troupe de M. Clérisseau), puis en 1843 à Montpellier dans l'emploi de première chanteuse légère, en 1844 à Perpignan avec La Part du Diable (opéra-comique de Scribe et Auber) avant d'être engage en mai 1844 par le Théâtre français de la Haye comme "première Dugazon chantante", où elle débute dans Le Domino noir (opéra-comique en 3 actes de Scribe et Auber), Les Diamants de la couronne (opéra-comique en 3 actes de Scribe et Auber) et Le Pré aux clers (opéra-comique en 3 actes de Planard et Hérold). Elle chante ensuite dans Le Maître de Chapelle, opéra-comique en 2 actes de Gay et Paer (juin), Jean de Paris (août), L'Ambassadrice, opéra-comique en 3 actes de Scribe, Saint-Georges et Auber (décembre), Actéon, opéra-comique en 1 acte de Scribe et Auber (janvier 1845) et Le Panier-fleuri, opéra-comique en 1 acte de Leuven, Brunswick et Ambroise Thomas (mars 1845).

Victor Rifaut et son épouse eurent une fille et un fils : Caroline et Edmond Rifaut. Ce dernier, officier (chef d'escadron de gendarmerie), chevalier de la Légion d'honneur (1871), né le 25 novembre 1832 à Paris, décédé le 13 mai 1917 à Antibes (Alpes-Maritimes) épousa en 1864 à Compiègne (Oise) Caroline de Klott (1842-1896), fille d'un ancien officier polonais. Elle lui donna 6 enfants qui ont laissé une descendance encore représentée de nos jours dans les familles Rifaut, Vigo, Queignec, Vacheron et Bertrand. Parmi celle-ci, citons les trois derniers garçons en descendance directe : le Père Claude Rifaut, prêtre religieux salésien de Saint Jean Bosco actuellement (en 2014) en poste au Collège Bon-Accueil de Toulon, fils de René Rifaut (1905-1962) et de Marthe Trebosc, et, en Allemagne, les deux frères Nicolas (1979) et Marc (1981) Rifaut, fils de Guy Rifaut (1929-1993) et de Karin Gottlicher (professeur de Français en Allemagne).

Denis Havard de la Montagne



1822

Joseph LEBOURGEOIS (1799-1824)

Voilà encore un jeune artiste dont le destin ne lui a pas permis de donner le meilleur de lui-même, le Roi des Aulnes l’ayant enlevé dans la fleur de l’âge, à 21 ans.

Signature de Jean-Jacques Lebourgeois
Signature du père de Joseph Lebourgeois apposée sur son acte de naissance, le 6 ventôse an 10 à Versailles
( A.D. Yvelines )

C’est le 4 ventôse de l'an X (23 février 1802)1 à Versailles, au début du Consulat, que Joseph-Auguste Lebourgeois vint au monde. Son père2 Jean-Jacques Lebourgeois, né le 25 novembre 1741 à Versailles et mort dans cette même ville le 7 septembre 1814, touchait alors les claviers de l’orgue de Notre-Dame de Versailles depuis août 1785. Il avait succédé à son maître, Nicolas Paulin, dont il avait obtenu la survivance en 1771. Il était également l’un des derniers organistes du roi dans sa Chapelle de Versailles avant sa fermeture en 1792. Il y enseignait le chant et le clavecin aux Pages et compte au nombre de ses élèves Alexandre Boëly, le futur organiste de St-Germain-l’Auxerrois. Veuf d’un premier mariage en octobre 1796, Jean-Jacques Lebourgeois convola rapidement en secondes noces avec Geneviève Le Nourichel, fille de Jacques Le Nourichel et de Marie-Catherine Bardé, qui lui donna au moins deux enfants : Joseph et Jacques.3

Le château de Versailles en 1782, à l'époque où Jean-Jacques Lebourgeois obtenait la survivance à l'orgue de Nicolas Paulin.
La chapelle royale du château de Versailles au XVIIIe siècle, oeuvre de Mansart et de Cotte. Julien Mathieu, premier professeur de Pierre Lebourgeois y sera maître de musique entre 1769 et 1792.

Joseph Lebourgeois débuta son apprentissage de la musique auprès de son père et de l’un de ses amis autrefois maître de musique à la Chapelle royale, à l’époque où lui-même tenait les orgues : Julien Mathieu.4 Anobli par le roi en février 1788, ce dernier était violoniste aux 24 Violons et au Concert de la reine. Auteur de nombreux motets, dont un Te Deum pour la naissance du dauphin en 1781, ainsi que de pièces de musique de chambre, il publia également des ouvrages pédagogiques qu’utilisa sans aucun doute son jeune élève : 6 Etudes pour la double corde et 6 Sonates faciles à l’usage des jeunes élèves. Admis par la suite au Conservatoire de Paris, Joseph Lebourgeois fréquenta la classe de piano, où il reçut un 2e prix en 1819 et un 1er prix en 1821, puis celles d’harmonie de Victor Dourlen et de composition de Jean-François Lesueur.5  Candidat en 1822 au concours de composition musicale de l’Institut, sa cantate Geneviève de Brabant lui permit d’enlever le premier Grand Prix de Rome ; elle fut exécutée au mois d’octobre de cette année lors d’une séance de l’Académie des Beaux-Arts. Devenu pensionnaire du gouvernement, il rejoignit la Villa Médicis à Rome en mars 1823, mais n’eut guère le loisir de profiter des bienfaits qu’offre la Ville éternelle aux artistes, car il fut surpris par la mort le 29 janvier 1824 ; il n’avait pas encore atteint sa vingt-deuxième année !

Malgré son jeune âge, Joseph Lebourgeois a eu le temps d’écrire quelques compositions vocales et instrumentales laissées à l’état de manuscrit. Parmi celles-ci, figure un opéra laissé inachevé dont l'existence nous est connue par le rapport qu'avait lu le peintre d'histoire Etienne Garnier à la séance publique de l'Académie royale des Beaux-Arts à l'Institut de France, le 1er octobre 1825 :
« Il nous reste à parler des travaux de M. Le Bourgeois, jeune compositeur qu'une maladie nous a enlevé le 29 janvier [1824], à l'âge de vingt-deux ans. Il travaillait à un opéra italien : l'acte qu'il a laissé présente des airs, des duos, des morceaux d'ensemble ; il est resté au milieu du final. Ce fragment d'opéra est conduit avec unité ; les différents morceaux sont conformes aux intentions des personnages ; on y trouve un chant naturel et expressif, inspiré par une heureuse mélodie qui part du cœur et plaît dans tous les temps. Ce jeune pensionnaire sentait parfaitement que l'harmonie bien liée et bien adaptée à des chants heureux, qu'elle est faite pour animer et soutenir, doit se garder surtout d'en absorber le motif par de vains accords trop méthodiquement calculés. Son instruction et ses qualités morales, autant que ses talents, lui avaient acquis l'amitié de ses camarades, et l'estime même des étrangers. »

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
(2002, modifications 2007 et 2018)

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1) Fétis, qui est un des rares auteurs à mentionner Lebourgeois dans sa Biographie universelle des musiciens... (Paris, Didot, 1860-1880, 10 volumes), rapporte que d'après les registres du Conservatoire il est né en mars 1799 et d'après ceux des inscriptions au concours de l'Institut, au mois d'octobre de la même année. En outre, il lui attribue par erreur les prénoms de Pierre-Auguste. Ses allégations ont été reprises depuis par d'autres auteurs, mais la découverte récente de l'acte de naissance de l'intéressé dans les Archives de l'état-civil de Versailles atteste de la véracité des éléments mentionnés dans notre texte. Les témoins présents pour la déclaration de naissance effectuée à la Mairie de Versailles (le 6 ventôse de l'an 10), sont " le citoyen Joseph Lebourgeois, rentier, demeurant rue de Labondance, n° 3, grand oncle de l'enfant" et "Dame Madeleine Germaine Durup, veuve de Jacques Martin Jollivet, demeurant à Paris, faubourg et ancienne barrière St Jacques, n° 181, grande tante de l'enfant." [ Retour ]

2) Jean-Jacques Lebourgeois était fils de Jean-Joseph "marchand papetier" à Versailles, et de Germaine Jollivet. Il avait épousé en premières noces Françoise-Pélagie Paulin, fille de son professeur, l'organiste Nicolas Paulin. [ Retour ]

3) Jacques-Martin Lebourgeois, né le 15 février 1798 à Versailles, également organiste, succéda en 1814 à son père à Notre-Dame de Versailles. Il semble avoir quitté Versailles au tout début des années 1830. [ Retour ]

4) Julien-Amable Mathieu est né à Versailles le 31 janvier 1734 et mort à Paris le 6 septembre 1811. Fils de Michel Mathieu (1689-1768), également violoniste à la Chapelle du Roi, Julien Mathieu obtenait le 21 septembre 1765 la survivance d'Antoine Blanchard comme maître de musique de la Chapelle du Roi. Ce fut, avec François Giroust, le dernier maître de musique de la Chapelle. Il fut également le professeur de Marrigues. [ Retour ]

5) Jean-François Lesueur comptera plus tard parmi ses nombreux autres élèves : Berlioz et Gounod. [ Retour ]

Hippolyte de Fontmichel, Le Chevalier de Canolle, opéra comique en trois actes (1836).
Réduction pour chant et piano par Victor Cornette (1796-1868,
alors membre de l'orchestre de l'Opéra-Comique).
Paris, H. Lemoine, 1836/coll. BnF-Gallica (DR.)
Partition au format PDF
Fichier MP3 Extrait : morceau détaché n° 2, Couplets
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)

Hippolyte DE FONTMICHEL (1799-1874)

Curieux personnage digne d’un roman balzacien, que ce musicien pittoresque, né d’ailleurs la même année que le célèbre romancier. Compositeur, organiste, chef d’orchestre, fin latiniste, fils d’un garde de la porte du roi Louis XVI, il finit par se retirer dans sa région natale, la Provence, pour s’occuper de travaux agricoles. Son fils, Gaston, conseiller général de Grasse et maire de la commune de Saint-Vallier-deThiey (Alpes-Maritime) a même donné son nom à une avenue de Mandelieu-la-Napoule.

Né à Versailles1 (Yvelines) le 20 mai 1799, Hippolyte-Honoré-Joseph Court de Fontmichel est issu d’une vieille famille de Cabris, non loin de Grasse, où elle est attestée depuis le XVI° siècle. Son père, Joseph de Fontmichel, garde de la porte de Louis XVI, avait été autrefois le premier élève de l’Ecole normale supérieure originaire du département du Var, avant de devenir maire de Grasse sous l’Empire et la Restauration. Il avait épousé sa nièce, Marie-Françoise-Antonie Court d'Esclapon, fille unique de son frère aîné. Cette famille porte pour armes : d’or à un arbre arraché de sinople, sommé d’un pigeon d’argent, becquetant le fruit de l’arbre ; au chef de gueules chargé de trois étoiles d’or2. Passionné de musique pour laquelle il était visiblement doué, il entrait à l’Ecole royale de musique et de déclamation3 en octobre 1819, l’année même où François Benoist recueillait la succession de Nicolas Séjan dans sa classe d’orgue. Dans ce prestigieux établissement, alors dirigé par François Perne, et dépendant du ministère de la Maison du Roi, enseignaient à cette époque Dourlen et Daussoigne-Méhul (l’harmonie), Fétis (le contrepoint), Berton, Lesueur et Boieldieu (la composition). Parallèlement il prenait des leçons particulières auprès d’Hippolyte Chélard, un ancien Prix de Rome (1811) qui ira bientôt chercher la notoriété en Allemagne. En 1822 il se présentait au Concours de composition de l’Institut et était couronné par un deuxième Second Grand Prix de Rome, pour sa cantate Geneviève de Brabant. Ne pouvant bénéficier du séjour dans la Ville éternelle aux frais de l’Etat, offert seulement aux titulaires de Premier Grand Prix, de Fontmichel décida de partir pour l’Italie à ses frais. C’est ainsi qu’il fit représenter à Gênes son opéra Amadeo il Grande, et à Livourne, un autre opéra de sa composition : I due Forzati. De retour en France, il s’installa quelque temps dans sa famille et parvint à donner en avril 1834 à Marseille El Gitano ou Le voile rouge, opéra en 4 actes sur des paroles de M. de Partonneaux, mais ce nouvel opéra n’eut pas le succès escompté et l’engagea à essayer les scènes parisiennes. Le 6 août 18364, l’Opéra-Comique programmait son nouvel opéra-comique en trois actes, Le Chevalier de Canolle5, écrit sur des paroles de Sophie Gay, qui tenait un Salon renommé à Paris6. Accueilli froidement par le public parisien et la presse lors de sa création, Hippolyte de Fontmichel décida de se retirer définitivement à Grasse pour se consacrer à ses domaines agricoles. S’il mit son projet à exécution, il ne put cependant se résoudre à abandonner totalement la musique et c’est ainsi qu’on lui doit encore la musique des chœurs des Amalécites, de Châteaubriand7, ainsi qu’un opéra italien en cinq actes, Amleto (1860), qui ne sera d’ailleurs jamais représenté, et quelques romances qu’il s’amusait à écrire pour se délasser des travaux des champs. Président du Conseil de fabrique de la cathédrale de Grasse où il tenait très régulièrement l'orgue, ainsi d'ailleurs qu'au Couvent de la Visitation où pendant les cérémonies religieuses il lui arrivait d'improviser des airs d'opéra, il a également composé des œuvres religieuses8.

Marié le 17 février 1830 à Beaucaire (Gard) avec Albertine de Forton (1811-1837), fille du marquis de Forton, puis en secondes noces, le 21 février 1841 à Avignon, à Caroline de Roys de Lédignan de Saint-Michel (1820-1863), Hippolyte de Fontmichel a notamment eu de ce second mariage un fils : Gaston (1849-1916). Engagé volontaire en 1870, conseiller général de Grasse, maire de Saint-Vallier-de-Thiey, celui-ci est le grand-père d’Hervé de Fontmichel, né en 1936, avocat au barreau de Grasse, chargé de cours à la faculté de droit de Nice, qui a été durant de longues années vice-président du Conseil régional de Provence-Alpes-Côtes-d’Azur, vice-président du Conseil général des Alpes-Maritimes et maire de Grasse. Il est décédé en août 2011, laissant 4 fils, dont l'avocat parisien Alexandre de Fontmichel et le maître de conférence en droit privé à l'Université de Versailles Saint-Quentin Maximim de Fontmichel. De son premier mariage une fille vint au monde : Marie de Fontmichel (1835-1920), qui épousa en 1855 à Grasse le magistrat Joseph d'Avon de Sainte-Colombe (1824-1886).

Mort à Paris dans son appartement de la rue Vivienne, le 19 octobre 1874, Hippolyte de Fontmichel a été inhumé à Grasse, en la chapelle familiale de Saint-Jean de Malbosc.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
(2001, mise à jour : février 2020)

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Signature de Honoré Court
Signature de Honoré Court apposée le 3 prairial de l'an VII sur l'acte de naissance de son petit-fils, enregistré à la Mairie de Versailles
( coll. A.D. des Yvelines )
1) Hippolyte de Fontmichel est bien né à Versailles, comme le mentionne Vapereau dans son Dictionnaire des contemporains (Paris, Hachette, 1870), contrairement à d'autres auteurs qui le font naître par erreur à Grasse. La découverte récente de son acte de naissance nous permet de dire qu'il est né le 20 mai 1799 (1er prairial de l'an 7), "fils du citoyen Joseph Court Fontmichel, propriétaire, et de la citoyenne Marie Marthe Court". La déclaration en Mairie fut faite le surlendemain par " le citoyen Jean Antoine Jobart, officier de santé, place de la Loi, n° 6, assisté du citoyen Honoré Antoine Marie Court, propriétaire à Grasse, département du Var, aïeul de l'enfant, et de la citoyenne Marie Louise Lheritiée, épouse du citoyen Claude Bigot, marchand parfumeur, place de la Loi n° 1er, et l'enfant enregistré sous les prénoms de "Honoré Joseph". [ Retour ]

2) Gustave Chaix d'Est-Ange, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, Evreux, 1903-1929, 20 vol. in-8. [ Retour ]

3) Sous la deuxième Restauration le Conservatoire national supérieur de musique prit ce nom. [ Retour ]

4) Une trentaine d'années plus tard, Auber s'inspira du même sujet pour son opéra-comique Le Premier jour de bonheur, dont la première eut lieu le 15 février 1868 à l'Opéra-Comique également. [ Retour ]

5) Le 27 mai 1816 avait déjà été donnée au Théâtre de l'Odéon (Paris) une comédie en 5 actes et en prose de Joseph-François Souque, intitulée Le Chevalier de Canolle, ou épisode des guerres de la Fronde (Paris, Firmin-Didot, 1817, in-8, VIII-118 p.). L'auteur (1767-1824), qui avait publié sa pièce sous le nom de M. de Saint-George, avait été auparavant secrétaire d'ambassade en Hollande sous le Directoire, secrétaire-général du département du Loiret sous l'Empire et député à la première Chambre en 1814. Il s'occupa ensuite de littérature. On lui connaît une autre comédie : Orgueil et Vanité, jouée au Théâtre français en avril 1819 (de Feller, Biographie universelle..., 1834). [ Retour ]

6) Madame Sophie Gay organisait des soirées littéraires dans son Salon parisien. Pour la réception de Lamartine à l'Institut, elle fêta l'événement le 10 avril 1830 en invitant la Malibran à chanter. [ Retour ]

7) C'est François-Joseph Fétis, dans sa Biographie universelle des musiciens... (Paris, Didot, 1860-1881, 10 vol)., qui donne ce détail. [ Retour ]

8) Note de M. Hervé de Fontmichel, que nous remercions pour son aide précieuse. [ Retour ]


Hôtel particulier Court de Fontmichel à Grasse
(© photo D.H.M., août 2016)

1823

Édouard BOILLY (1799-1854)

Edouard Boilly enfant, miniature peinte par son père.
(© Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais,
photo M. Beck-Coppola) DR.

Avec ce musicien, qui notamment arrangea en 1853 (Paris, Richault) pour piano à quatre mains la Sérénade en ré majeur, op.8 (1793) de Beethoven composée pour violon, alto et violoncelle, nous abordons ici le monde des peintres et graveurs puisqu’il était fils de Louis Boilly auquel on doit près de cinq milles portraits. Celui-ci, né à La Bassée, dans le Nord de la France, le 5 juillet 1761, était issu lui-même d’un sculpteur sur bois, Arnould Boilly. Il s’installa à Paris en 1784 et se spécialisa dans le portrait, avant de peindre les mœurs et coutumes de son temps puis de se livrer à la lithographie. On lui doit de très nombreuses œuvres actuellement exposées dans la plupart des musées français, ainsi qu’à Copenhague, Berlin et Londres. Parmi celles-ci citons le Sacre de Napoléon, un portrait de Lucile Desmoulins, celui de L’Acteur Chenard en costume de sans-culotte et un autre de Boieldieu...[1] Décédé à Paris le 4 janvier 1845, Louis Boilly avait eu d’un premier mariage[2] six enfants, parmi lesquels Simon, né à Paris le 24 novembre 1792, mort le 28 octobre 1876 à Toulouse, colonel d'artillerie, père d’Eugène Boilly. Ce dernier, né à Toulouse le 21 janvier 1828, peintre d’histoire et de portraits, exposa au Salon (Paris) en 1859 et 1866. D’un second mariage avec Adélaïde Leduc (1795), Louis Boilly eut plusieurs autres enfants dont Julien, l’aîné, né le 30 août 1796 à Paris, mort le 14 juin 1874, élève de l’Ecole des Beaux-Arts (1814), qui exposa au Salon de 1827 à 1865 et qui est l’auteur, entre autres ouvrages, d’un portrait de son père conservé au Musée de Lille ; Edouard, né en 1799, qui fait l’objet de cette notice, et Alphonse, né à Paris le 3 mai 1801. Décédé au Petit-Montrouge (Hauts-de-Seine) le 8 décembre 1867, graveur au burin sur acier, Alphonse Boilly a laissé plusieurs œuvres de qualité, dont un Jésus et la femme adultère, d’après Le Titien et une Marie-Thérèse-Antoinette, infante d’Espagne et dauphine de France, d’après Tocqué.

Portrait de François Boieldieu (1775-1834) par Louis Boilly. Celui-ci enseigna la composition à Edouard Boilly.
( Musée de Rouen )

Né le 15 novembre 1799 à Paris, Edouard Boilly commença tout naturellement à étudier la peinture et la gravure au sein de sa famille. C’est sans doute lui « E. Boilly » que Bénézit[3] signale à Paris en 1817, comme graveur au burin amateur, auteur d’un portrait du R.P. Charles de Condren, d’après Cl. Mellan ? Attiré davantage par la musique que par la gravure ou la peinture, après avoir fréquenté le collège de Versailles, il entra au Conservatoire de Paris et suivit notamment les cours de contrepoint et de fugue de Fétis (1er prix en 1822). Elève par la suite de Boieldieu, que son père immortalisa sur une toile, il se présenta au concours de l’Institut en 1823 et obtint le premier Grand Prix avec sa cantate Pyrame et Thisbé[4]. Au cours du traditionnel séjour à la Villa Médicis, suivi de voyages à Naples et en Allemagne qu’il effectua de janvier 1824 à décembre 1826, il composa notamment, la première année, un Te Deum à grand choeur et grand orchestre. Lors de la séance publique annuelle de l'Académie royale des Beaux-Arts, le samedi 1er octobre 1825 à l'Institut de France, le peintre d'histoire Etienne Garnier, rapporteur de cette séance, déclarait :


« M. Boilly mérite de justes éloges pour le travail qu'il a envoyé. Ce sont les prémices d'un beau talent. Il a composé un Te Deum à grands chœurs, d'un bel effet. Ce cantique d'actions de grâces que, dans les jours solennels, tout un peuple vient rendre dans nos temples, en faisant entendre les accents de la reconnaissance et de la félicité publique, exige une musique grande, noble, et pleine d'enthousiasme. Le jeune compositeur s'en est pénétré. Il a trouvé d'heureux traits de chant. Il a souvent rendu avec dignité et simplicité le sens de plusieurs versets. Il n'a peut-être pas été aussi heureux dans celui de Judex crederis. Ses effets d'harmonie sont heureux. Sensible au pouvoir qu'exercent la gradation des sons et leur union sur le sens auditif, il a cherché à en suivre la marche et la progression d'une manière à peu près semblable aux impressions de l'harmonie ou de l'opposition des couleurs sur le sens de la vue. Si de rapports doux, et d'un mélange presque insensible, il peut naître un effet suave, un contraste trop brusque peut aussitôt détruire cet heureux accord : de même, le chant le plus mélodieux perd à l'instant tout le charme du premier motif, s'il vient à s'égarer dans une modulation étrangère au ton principal. »


La seconde année (1825), il envoya à l'Institut des fragments d'un opera-buffa, qui, à la séance publique annuelle suivante (samedi 7 octobre 1826), fit l'objet de ce commentaire lu par le nouveau rapporteur, l'archéologue et helléniste Philippe Le Bas :


« M. Boilly, dans une introduction italienne, en morceau d'ensemble, et dans un beau trio comique, montre beaucoup de grâce, et à la fois du charme et de la légèreté ; mais, dans cette légèreté même, et dans ce caractère bouffon, on voit (et c'est un mérite) qu'il saisit avec avidité tous les endroits qui peuvent prêter au sentiment, et lui permettre de parler au cœur ; car le rire et l'ironie du poète, ainsi que ses spirituels double-sens, n'ont guère de prise pour la musique, qui n'est, au vrai, que l'accent naïf de l’âme. Car, si l'on demandait quel est le plus plaisant des compositeurs, on se serait assuré de plus faire rire par cette singulière question, que tous les compositeurs d'opéras-comiques ne font rire par leur chant et leur harmonie, qui se rattachent toujours à un élan du cœur, à un plaisir de l’âme ; mais si l'on demande quels sont les compositeurs les plus pathétiques, les plus entraînants par le sentiment et l'admiration qu'ils causent, tout le monde concevra la question, et chacun s'empressera d'y répondre. Aussi M. Boilly a-t-il adroitement métamorphosé en sensation de joie, d'allégresse musicale, tout ce qui, dans les paroles, n'était que rire comique, plaisanterie purement d'esprit et raillerie bouffonne. »


Edouard Boilly regagna Paris au début de l’année 1827 et voulut vivre de son art, mais ses compositions n’eurent point de succès. Il dut se résoudre à donner des leçons de piano, notamment au lycée Louis-le-Grand, et à s’occuper à nouveau de dessin et de gravure. Il fut également quelque temps répétiteur de Fétis dans sa classe de contrepoint au CNSM. Il est mort à Paris le 15 janvier 1854.

 

Auteur de plusieurs opéras-comiques perdus de nos jours, on lui connaît cependant un ouvrage en un acte, Le bal du sous-préfet, qui fut représenté avec un certain succès à l’Opéra-Comique le 7 mai 1844, ainsi que quelques romances et autres pièces légères éditées en 1829 à Paris chez Bresler, 24 rue de la Paix : L'approche de l'hiver, paroles de J. Dévil, Le Ménestrel écossais, paroles de Villiers, Viens mon idole dans ma gondole, paroles de E. de Fontan (barcarole), un autre arrangement pour piano à 4 mains : le Quintetto KV452 de Mozart, un accompagnement de harpe pour l'ariette J'ai perdu mon Euridice (acte 3) de l'Orphée et Euridice de Gluck, W41 (Paris, Cousineau), et restée à l'état de manuscrit la séguidille La Manola, pour soprano ou ténor et piano, paroles de Théophile Gautier.

Denis Havard de la Montagne

(avril 2001, mise à jour : août 2018)



[1] Les lecteurs intéressés peuvent utilement se reporter au Dictionnaire des peintres, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays d’Emmanuel Bénézit (3 vol. 1911-1921, continué et mis à jour en 8 vol., 1948-1955). La Librairie Gründ a réédité en 1999 ce monumental ouvrage avec une mise à jour importante.

[2] Le 11 juillet 1787 à Arras, avec Magdeleine Deligne, née le 27 novembre 1763 à Arras, morte le 5 juin 1795 à Paris.

[3] op. cit.

[4] Nouvelle orientale, le drame de Pyrame et Thisbé, a fait l’objet par la suite d’une adaptation par Ovide qui l’a rendu célèbre durant tout le Moyen-Âge. Il a également inspiré le Roméo et Juliette de Shakespeare et Théophile de Viau (1590-1626) en tira une pièce de théâtre qui fut représentée la première fois à Paris en 1617. Cette nouvelle raconte l’histoire tragique d’un couple d’amants qui s’aiment depuis leur plus tendre enfance et dont les parents s’opposent à leur union. Ils finiront par se donner la mort et leurs cendres seront réunies à tout jamais dans une urne...


Fichier MP3 Edouard Boilly, La Manola, séguidille pour soprano ou ténor et piano, paroles de Théophile Gautier (manuscrit autographe, BNF/Gallica). Fichier audio par Max Max Méreaux avec transcription pour clarinette et piano (DR.). Partition du manuscrit au format PDF.

Louis ERMEL (1798-1871)

Louis Ermel à la Villa Médicis, vers 1825. Portrait peint par
François Bouchot (1800-1842), prix de Rome de peinture 1823.
(coll. Académie de France à Rome - Villa Médicis,
avec son aimable autorisation)
Reproduction interdite sans autorisation écrite.

Né le 27 décembre 1798 à Gand, à l'époque où la Belgique appartenait à la France, Louis-Constant Ermel est issu d'une famille d'artisans d'art, de musiciens et d'artistes[1]. Son grand-père paternel Jean-Joseph Ermel, né à Havré, près de Mons, le 28 février 1719, mort à Mons le 21 avril 1842 exerçait la profession de facteur d'orgues et de clavecins, après avoir été quelque temps bassoniste au Théâtre de Gand, et son grand-maternel Jean-Baptiste Tency, né à Bruxelles le 8 mars 1746, décédé à Gand le 19 avril 1811, celle de peintre de marine. Son père, Symphorien Ermel[2], originaire de la région de Mons, était quant à lui pianiste, chanteur, compositeur de musique et facteur de pianos établi à Gand. On lui connaît notamment un Recueil d'airs et de romances avec accompagnement de piano ou harpe, op. II (Paris, Momigny), un Chant guerrier avec piano et lyre (chez P. Porro), Six romances avec accompagnement de piano ou harpe (chez Weissenbuch). L'Annuaire dramatique belge pour 1843 nous apprend que « personne ne chantait la romance avec plus de goût et de pureté ; sa méthode d'enseignement était excellente et éprouvée, et nombre de nos pianistes les plus brillants dans les classes distinguées de la société étaient ses élèves. Ermel a également écrit la musique et souvent les paroles de plusieurs aria qu'on entend quelquefois chanter, et qui plaisent, sinon par la fougue et la verve du compositeur, du moins par la vérité et les grâces de l'expression et du sentiment. » Ses oncles, Eugène Ermel (1752-1811) et Jacques Ermel (1763-ap.1842)[3] furent tous deux aussi facteurs de pianos et d'orgues, le premier à Mons et l'autre à Bruxelles.

 


Premières mesures de l'Introduction de la cantate Pyrame et Thisbé de Louis Ermel, 1er grand prix de Rome 1823
(manuscrit autographe, coll. BnF/Gallica) DR.
Fichier MP3 Fichier audio de l'Introduction par Max Méreaux (DR.)

C'est ainsi que Louis Ermel reçut ses premières leçons de musique de son père et « put, à peine âgé de huit ans, tenir le piano dans un trio de Haydn. »[4] Un frère aîné l'avait précédé dans l'étude de la musique, Auguste Ermel, né le 5 janvier 1795 à Saint-Symphorien. Professeur de piano à Bruxelles, il mit fin à ses jours par pendaison, le 8 novembre 1840 dans un hôtel d'Anvers. En 1819, afin de parfaire ses études musicales Louis Ermel entra au Conservatoire de Paris et dès cette première année obtint un 1er prix d'harmonie. L'année suivante il décrochait un 2ème prix de piano dans la classe de Joseph Zimmermann, avant de recevoir le premier prix en 1821, ainsi qu'un accessit de contrepoint et fugue dans celle de Frédéric Eler. Devenu élève de composition de Jean-François Lesueur, il concourut en 1823 pour le Prix de Rome et remporta le second 1er grand prix avec la cantate Pyrame et Thisbé, sur des paroles de J.-A. Vinaty. A cette occasion la Société royale des Beaux-Arts et de Littérature de Gand lui remit une médaille d'or « comme expression de satisfaction de ce qu'il venait d'obtenir à l'Institut royal de France. »[5] Arrivé à la Villa Médicis en janvier 1824 pour le traditionnel séjour à Rome comme pensionnaire du gouvernement avec un traitement annuel de 3600 francs, il composa la 1ère année une Messe solennelle à grands choeurs et en 1826 un fragment « Scène avec choeur » d'un opéra seria Sansone, ainsi qu'une Ouverture et une tragédie lyrique intitulée Artaxerce. Il voyagea à travers l'Italie puis en Allemagne et de passage à Vienne, où il avait été invité par le Grand-duc de Toscane rencontré à Florence, il fit exécuter devant la cour impériale sa grande Ouverture de concert.

 

La Messe fit l'objet d'un commentaire élogieux de la part du rapporteur, le peintre d'histoire Etienne Garnier, lors de la séance publique de l'Académie royale des Beaux-Arts du samedi 1er octobre 1825 à l'Institut de France :

 

   « M. Ermel a envoyé une messe solennelle à grands chœurs, digne de figurer parmi les beaux morceaux de musique sacrée, par la franchise du plan, la grandeur du style, la noblesse du chant et la sévérité des principes, autant que par l'élégance de la mélodie, et le naturel des séries harmoniques. Il sait conduire ses modulations de manière que l'oreille ne puisse perdre le motif ; et lorsqu'il le ramène, c'est avec un charme nouveau qui augmente la grâce et la force de l'expression. Nous ne ferons ici qu'une citation.

   Le premier morceau du Gloria in excelsis est un chœur d'anges, qui semble exécuté par des voix célestes. Les versets qui suivent, sont traités avec un caractère de mélodie et des oppositions harmoniques très remarquables : mais au dernier verset, Tu solus altissimus, développé par une fugue expressive et large, que semble chanter un chœur nombreux d'adorateurs, le compositeur rappelle, avec une heureuse facilité, ce premier chœur d'anges Gloria in excelsis, qui, étendant sa mélodie aérienne sur toute cette péroraison de chant fugué, forme un double chœur, de caractère et de chants différents, sans sortir de l'unité générale.

   Dans ce bel ouvrage, le dessin de chacun des morceaux se rattache toujours à une idée première, et n'offre point de disparates. Si l'on pouvait reprocher quelque chose à ce jeune compositeur, ce serait peut-être une trop grande abondance d'idées, que l'expérience saura bien régulariser ; et à son âge celui qui fait plus, pourra aisément faire moins. »

 

Quant à L'Ouverture, Sansone et Artaxerce, ces oeuvres furent jouées l'année suivante au cours de la séance publique annuelle de cette même Académie, le samedi 7 octobre 1826 à l'Institut de France et le rapporteur de cette année, l'archéologue et helléniste Philippe Le Bas déclarait :

 

« M. Ermel, dans son Ouverture et sa scène italienne, à grands chœurs, intitulée Samson, prouve de belles études et de grands progrès. Dans la distribution de ses motifs musicaux, il sait faire que son chant acquiert, à la seconde, à la troisième fois qu'on l'entend, une grâce et une expression que, au même point, comme de raison, il n'avait pas dès la première. On sent qu'il a voulu que sa mélodie, périodiquement ramenée et avec d'ingénieuses gradations, fût semblable à la roue qui s'échauffe en tournant ; son ardeur se communique à tous les motifs secondaires qui l'approchent.

   Pour ne plus parler maintenant que de la scène de Samson, il y a, dans les mouvements de l'action musicale, ces balancements ingénieux et adroits, cette fluctuation d'intérêt de chant et d'harmonie, qui mène et ramène l'auditeur de la crainte à l'espérance, de la peine au bonheur. Il en est de même dans sa tragédie lyrique d'Artaxerce, qu'il vient de terminer dans son voyage d'Allemagne. »

 

Plus tard, en octobre 1828, l'Ouverture fut à nouveau donnée à l'Institut de France pendant la séance annuelle pour la distribution des prix de composition musicale, ainsi que nous rapporte la Revue musicale (t. 4, p. 250) :

 

   « L'ouverture de M. Ermel a obtenu un succès d'enthousiasme. Le public, et surtout les artistes présents à cette séance, ont admiré l'élégance de style et la correction de ce charmant ouvrage, qui réunit la grâce Rossinienne à l'énergie entraînante de l'école allemande. M. Ermel peut, dès à présent prétendre aux plus grands succès ; nous le recommandons aux directeurs des théâtres lyriques ; dans leur propre intérêt plus encore que dans celui du jeune compositeur. »

 

Le Figaro du dimanche 5 octobre 1828, publiait de son côté :

 

   « Séance de l'Institut, pour la distribution des Prix de composition en musique : Lorsque nous avons rendu compte il y a quelque temps de la décision de l'Institut concernant les prix de composition en musique, nous avons émis le vœu d'entendre à la séance solennelle une ouverture composée par un lauréat de Rome. M. Quatremère de Quincy, qui est le surintendant de ces sortes de cérémonies, a bien voulu acquiescer à notre demande ; nous le remercions d'autant plus volontiers de sa condescendance, que notre réclamation, tout entière dans l'intérêt de l'art, n'avait pour but de protéger aucune coterie. M. Ermel, élève de M. Lesueur est celui, des jeunes pensionnaires de Rome qui a réuni les suffrages, et son ouverture a été exécutée.

   Ce morceau vient de révéler (à notre grande satisfaction, et nous dirons presqu'à notre grand étonnement) un véritable génie qui n'attend, pour prendre sa place parmi nos compositeurs favoris, qu'une occasion et des encouragements. M. Ermel a su réunir dans ce petit chef-d'œuvre des chants suaves à une étonnante vivacité de style et la prudence d'un contrapuntiste consommé à l'énergie brûlante d'un jeune enthousiaste. Enfin, pour nous servir de l'expression d'un de nos plus illustres compositeurs « Il n'est point de maîtres qu'un tel ouvrage ne puisse honorer. » Courage M. Ermel l'Institut, qui avait couronné vos premiers essais, vous a ouvert généreusement la carrière aujourd'hui. Puissent les théâtres lyriques imiter cet utile exemple, et donner accès à votre jeune muse pour trouver une compensation aux mauvais succès de MM. tels et tels, que nous n'avons pas besoin de nommer. [...] »

 

De Vienne, Louis Ermel envoya également à l'Institut une Messe à grand orchestre « dédiée à la Société royale des Beaux-Arts de Gand » ; la classe de musique de cette Société la fit exécuter solennellement dans l'église Saint-Michel le dimanche 27 août 1827 à 10h30, sous la direction de M. Gabriels, maître de chapelle. Dans l'annonce de cette manifestation, P. Van Huffel, président de ladite Société mentionnait : « Les autorités constituées honoreront cette solennité de leur présence et le public pourra s'assurer que les Gantois se distinguent également dans toutes les parties des sciences et des arts. »[6] A Naples, il fit paraître une mélodie pour chant et piano forte : L'Amor felice, ode sur les paroles de G.P. (Reale Litografia Musicale) et un Second Rondeau brillant précédé d'une Pastorale (Bernardo Girard, éditeur, 177 rue du Tolède, Naples)[7]. On connaît aussi l'existence d'un [premier] Rondeau brillant « pour piano forte, extrait du premier Concerto, dédié à Mr. Zimmerman, professeur à l'Ecole Royale de musique, et composé par son élève L.C. Ermel, pensionnaire de l'Ecole française », semblant être resté à l'état de manuscrit et conservé de nos jours à la Bibliothèque du Conservatoire de musique Giuseppe Verdi de Milan.

 

Au cours de cette même année 1827 il regagna Paris et collabora à la publication de la Première Messe solennelle à grand orchestre, « composée et dédiée à Mr le duc de Gramont, pair de France, capitaine des Gardes, lieutenant général, par [Jean-François] Lesueur, surintendant de la Musique du Roi, chevalier des ordres royaux de St Michel et de la Légion d'honneur, membre de l'Institut, professeur de composition à l'Ecole royale, avec accompagnement d'orgue ou de piano par Ermel, pensionnaire du Roi à Rome » (Paris, chez J. Frey, place de la Victoire, n° 8).

 

Une fois dans la capitale, voulant aborder le théâtre, comme bien d'autres lauréats du Prix de Rome il tenta vainement de faire jouer l'un de ses ouvrages à l'Opéra, le directeur refusant de recevoir l'oeuvre d'un jeune compositeur, même couronné par l'Institut de France. L'on sait qu'il soumit au moins sa partition Artaxerce à l’administrateur Raphaël du Plantys, prédécesseur de Lubbert, qui ne donna pas suite. Elle avait été composée sur la tragédie en 5 actes d'Etienne Delrieu (Paris, Théâtre-français, 30 avril 1808). Cet opéra entièrement terminé et prêt à entrer en répétition ne sera jamais représenté. S'agit-il de cette même oeuvre ou d'un autre opéra, de nos jours perdu semble-il, dont il est question en 1829 dans ces lignes de Fétis ? :

 

   « [...] Un poème a été confié à M. Hermel (sic), dont nous connaissons déjà quelques morceaux qui dénotent un compositeur de mérite. Voici assurément bien des chances de succès à l'Opéra-Comique, et pour le public l'espérance d'avoir quelques bons ouvrages. Nous voyons avec plaisir que l'on a enfin senti la nécessité d'encourager les jeunes gens, et de leur offrir les moyens de se faire connaître : trop longtemps on les a rebutés par des obstacles et des dégoûts de tout genre ; il est temps enfin qu'on leur ouvre une libre carrière ; c'est à eux qu'est réservé de succéder aux talents déjà mûrs qui exploitent la scène de l’Opéra-Comique. Il faut donc les accueillir et les laisser développer les germes d'un talent naissant et qu'on laisserait étouffer en lui interdisant la publicité. »[8]

 

L'année suivante, à nouveau Fétis déplorait la frilosité des directeurs des théâtres à monter des oeuvres lyriques des jeunes musiciens :

 

   « [...] Trois choses sont à examiner dans le travail qu’il faut faire sur les théâtres lyriques. La première est le principe de la liberté absolue de ces théâtres, la seconde, l’application de ce principe aux théâtres de la capitale ; la troisième, la création de ressources nouvelles dans les départements. Mais afin de rendre sensible la nécessité des améliorations demandées depuis longtemps, il est indispensable de dire quels étaient les maux auxquels il faut porter remède ; c’est ce que je vais essayer de faire avec ordre. Parlons d’abord de l’Opéra, qu’on désigne toujours sous la dénomination insignifiante et fausse d'Académie royale de musique.

   Une ordonnance du roi a décidé que des poèmes d’opéras reçus seraient délivrés par l’Institut aux compositeurs couronnés et pensionnés au retour de leurs voyages dans les pays étrangers. La seule chose qu’on avait oubliée en faisant cette ordonnance, était de régler les moyens par lesquels l’Institut se procurerait ces poèmes qu’il devait distribuer ; aussi n’en eut-on point, et l’ordonnance ne fut point exécutée. Un article de cette même ordonnance voulait que l’opéra qui aurait été confié au musicien lauréat, serait représenté dans un délai déterminé. Or, il arriva que pour profiter du bénéfice de cet article, quelques jeunes compositeurs s’étant procurés des poèmes par leurs propres efforts, et en ayant écrit la musique, se firent délivrer par l’Académie des beaux-arts une déclaration de leurs droits, et forts de cette pièce, ne doutèrent point qu’ils ne parvinssent à faire représenter leurs ouvrages sur notre première scène lyrique. Par surcroit de précaution, il avait été décidé que la partition de ces débutants serait non-seulement examinée par un jury composé de membres de l’Institut, mais même entendue solennellement avec une partie des chœurs et de l’orchestre, comme si le grand prix que leur avait décerné l’Institut n’était point un certificat suffisant de capacité. Enfin, après bien des efforts, dont le moindre avait été de composer la musique, voilà donc nos jeunes gens en possession d’un poème reçu quelquefois à trois ou quatre reprises différentes, d’une musique reçue après une épreuve patente ; et de plus, d’une ordonnance royale qui prescrit l’ordre de représenter l’ouvrage dans un temps déterminé ! Vous croyez peut-être que rien ne peut plus s’opposer à ce que les vœux de ces jeunes artistes soient comblés ? Détrompez-vous ; ils n’ont jamais été plus loin du but de leurs travaux. Ecoutez la conversation de M. Lubbert, directeur de l’Opéra, avec M. Ermel, l’un d’eux.

   « Je désire savoir, monsieur, quelle époque vous avez choisie pour faire commencer les répétitions de mon ouvrage ?Aucune.Mais il y a bien longtemps que j’attends. — Eh bien ! ne vous fatiguez pas ; continuez. — Ma pièce est reçue.Je le sais.Ma musique l’est également.Je ne le nie pas.L’Institut et une ordonnance du roi décident que je dois obtenir mon tour. — Détrompez-vous, monsieur ; votre pièce fût-elle reçue dix fois, votre musique le fût-elle cent, y eut-il vingt ordonnances en votre faveur, je vous déclare que votre opéra ne sera pas joué, parce qu’il ne me convient pas qu’il le soit. »

   Voilà qui est clair et qui n’a pas besoin d’être commenté. [...]»[9]

 

Page de couverture du recueil Trois Te Deum à grand orchestre de Jean-François Lesueur, dans lequel pour le second Louis Ermel a réalisé l'accompagnement de piano ou orgue
((Paris, 1829, J. Frey, coll. BnF/Gallica) DR.

A cette époque, on devait à Louis Ermel en 1828 la publication à Paris, chez Henri Lemoine (éditeur marchand de musique, rue de l'Echelle, n° 9) d'un Rondeau polonais, précédé d'une introduction pour le piano, dédié à Mme la baronne de la Bouillerie (édité également en Italie, par Bernardo Girard à Naples) et d'un Rondeau toccata composé pour le piano, dédié à Mme la vicomtesse de l'Espine ; en 1829 d'une Fantaisie et variations pour piano et cor, sur un thème de Ch.-M. Weber, op. 4, avec parties arrangées séparément pour violon, flûte ou hautbois (Au bureau d'abonnement, rue de l'Echelle, n° 4), jouée le jeudi 18 février 1830 au 4e concert de l'Athénée musical à l'Hôtel de Ville de Paris, ainsi qu'une collaboration à une deuxième partition de son maître de composition Jean-François Lesueur : un Te Deum à grand orchestre, pour lequel il composa l'accompagnement de piano ou orgue, toujours édité chez Frey, dans un recueil contenant Trois Te Deum du même auteur, « dédiés à Mr le duc de Duras, pair de France, premier gentilhomme de la Chambre du roi... » (l'accompagnement des deux autres étant dû à Eugène Prevost, autre jeune élève de Lesueur et lauréat du Prix de Rome également).

 

Afin de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille il finit par se tourner vers d'autres horizons : le chant choral et l'enseignement du piano. Et, dès les années 1840 il rejoignait la « Commission de surveillance de l'enseignement du chant dans les Ecoles communales de Paris » où était alors appliquée la méthode Wilhem, le fondateur en 1833 du mouvement des Orphéons et Sociétés chorales. Au fil des années, Barbereau, Gide, Auber, Carafa, Clapisson, Halévy, Niedermeyer, Bazin, Gounod, A. Thomas siégeront aussi au sein de cette Commission. En avril 1850, au cours de la réunion générale de l'Orphéon au Cirque des Champs-Elysées sept ou huit cents chanteurs exécutèrent, entre autres oeuvres, Le Retour dans la patrie (Qu'il va lentement le navire), un choeur à 4 voix d'hommes, sans accompagnement, avec coda pour soprani et 4 voix d'hommes ad libitum de Louis Ermel, paroles de Béranger (Paris, chez Perrotin, 1866). En 1855, les 17 et 18 juin aux Fêtes de Lille (Nord) où avait lieu un concours des Sociétés chorales, on le trouvait en tant que membre du jury aux côtés d'Adolphe Adam. En 1864, une importante campagne orphéonique était organisée avec des concours de Sociétés chorales, de musiques d'harmonie et de fanfares un peu partout en France. En effet, le 1er mai à Bar-le-Duc (Meuse), le 8 mai à Saint-Denis où Léo Delibes était aussi de la fête comme membre d'un des jurys (la ville de Saint-Omer remportait alors le prix d'honneur : une couronne de 500 francs) et le 3 juillet à Amiens, Louis Ermel figurait parmi les jurés. En juillet 1870, on pouvait encore le rencontrer au sein du jury (présidé par Pasdeloup) aux concours de chant des Ecoles communales de la ville de Paris (rive droite) auxquels participaient 77 écoles, formant un total de 2161 élèves, avec pour épreuves l'exécution d'un choeur, la lecture d'un solfège à deux voix pour les enfants et à quatre voix pour les adultes, une dictée vocale et des questions théoriques. Entre temps, pour l'Exposition universelle de 1867 à Paris, il était nommé membre du Comité du festival international pour les grandes fêtes artistiques, aux côtés d'Ambroise Thomas, Berlioz, Kastner, Bazin, Royer, Camille de Vos, Delsarte, Boulanger et Vervoitte.

 

Auteur d'un Solfège choral transpositeur, « destiné à faciliter l'enseignement du chant sans accompagnement, par les exercices fondamentaux d'intonation dans tous les tons et toutes les mesures » (Paris, Brandus et Dufour, 1862, in-8°), écrit alors qu'il était membre de la Commission de surveillance du chant dans les écoles communales de la ville de Paris, cette publication eut une grande importance pour les sociétés chorales alors en pleine expansion. Elle obtint en 1862 une médaille à l'Exposition universelle de Londres. Cependant, ce n'est pas le seul ouvrage pédagogique que publia Louis Ermel. On lui doit en effet dans ce domaine trois autres publications à Paris : Solfège transpositeur pour l'exercice fondamental des gammes et intervalles dans tous les tons (chez Meur V. Massus, 1856, in-8°, 16 p.), Six morceaux caractéristiques pour l'étude de vibrations sonores du piano (imp. Thierry, 1867, in-fol.) et Simplification de l'enseignement simultané de la lecture musicale et du chant choral élémentaire par la transposition vocale sans changement de clé (Brandus et Dufour, s.d., in-8°, 8 p.).

 

Egalement sociétaire de l'Association des artistes musiciens dès sa création en 1843 par le baron Taylor et élu à plusieurs reprises membre du comité, il participait intensivement à ses activités de prévoyance et de bienfaisance, mais aussi aux manifestations musicales qu'elle organisait et parmi lesquelles on se doit de citer le Requiem de Berlioz Saint-Eustache en 1852.

 

Néanmoins il n'abandonna pas pour autant la composition emportant quelques succès dans son pays d'origine : en 1834, avec la cantate Le Drapeau belge il obtenait un 2e prix au concours organisé à Gand pour le 4ème anniversaire de la Révolution belge lors des journées de septembre 1830 ; 36 partitions avaient été soumises au jury composé de Fétis, Daussoigne, Niedermeyer, le baron Pellaert et Suol et le 1er prix fut décerné à Jules Buschop, de Bruges. Le 6 mars 1835 on donnait au Théâtre de Liège son opéra-bouffe en un acte Le Testament, représenté trois années plus tard en 1838 au Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles. En 1840 à Gand un Stabat Mater mis au concours lui valut la médaille d'or décernée par la Société royale des Beaux-Arts. Cette oeuvre,  exécutée le 24 octobre 1841 par la Société des Choeurs et les élèves du Conservatoire de musique accompagnés par un orchestre de quatre-vingts musiciens lors de la Fête flamande, remporta un vif succès et le lendemain, M. L. Sloedens, co-directeur du Messager de Gand, en donna l'appréciation analytique suivante dans son journal :

 

   « Cette composition poétique du moyen-âge a été parfaitement comprise par le lauréat, qui a eu à vaincre surtout la grande difficulté de devoir reproduire constamment les mêmes idées. Il a supérieurement saisi l’esprit de la partie narrative qui se rapporte au tableau de la Mère douloureuse placée sous la croix de son fils jusqu’à son expiration : Dum emisit spiritum.

   La seconde partie est une prière, commençant par les mots : Eia Mater, fons amoris, O Mère, source d’amour ! et se terminant par la manifestation du vœu de pouvoir participer à la gloire du Paradis : Paradisi gloria.

   L’expression de la musique a permis à l’auditeur qui en suivait attentivement le sens de distinguer, autant que le permet le langage instrumental, les différents caractères de la phrase poétique. La divine Mère pleurant au pied de la croix ; les coups de verges sillonnant le corps de son fils, son agonie et sa mort furent tour à tour exprimés d’une manière saisissante par la musique, qui semblait s’éteindre avec le dernier soupir du Rédempteur.

   Le compositeur a su, dans la prière, tirer le plus heureux parti du hautbois, et la phrase : Eia Mater, fons amoris, si souvent reproduite, chantée sans accompagnement et savamment variée, a fait une impression inexprimable. La partie finale a dignement répondu à l’attente du public, et nous laissons à d’autres le soin de décrire les sensations qu’éprouvait l’auditoire, lorsque le chœur entonna la prière à la Vierge, pour implorer sa protection, au jour du Jugement.

   Chaque partie de cette belle œuvre, qui suffirait pour assigner à l’auteur une place distinguée parmi les compositeurs dont la Belgique s’honore, a été accueillie par les applaudissements souvent réitérés de l’assemblée entière. »[10]

 

Premières pages du choeur Source ineffable de lumière, paroles de Racine, musique de Louis Ermel, 1er prix au Concours musical de 1847
( in Recueil des compositions couronnées, Paris, 1847, Librairie administrative de Paul Dupont, coll. BnF/Gallica )

A Paris, membre de la « Société académique des Enfants d'Apollon » qui organisait au moins un concert annuel, il se produisait notamment dans celui de l'Ascension 1853 (jeudi 5 mai) : « [...] Un adagio à grand orchestre avec piano, composé et exécuté par M. Ermel, a offert aussi une nouvelle preuve de la bonne direction musicale de la Société, dont M. Ermel est un des membres les plus distingué [...] »[11] En 1845, il était le président du Comité de musique de cette Société. Vers la même époque, le 12 mars 1847, face à cinq cents autres concurrents il remportait le 1er prix, partagé avec Alphonse Gilbert (organiste de Notre-Dame-de-Lorette), Nicou-Choron, Jules Tariot (élève de Reicha), Auguste Chollet et Alexandre Leprevost (organiste accompagnateur à Saint-Roch) du concours des chants religieux et historiques à l'usage des orphéons et des écoles primaire, organisé par arrêté ministériel du 3 novembre 1845 par M. de Salvandy, ministre de l'instruction publique. La Revue et gazette musicale de Paris du 6 juin 1847 nous apporte quelques détails sur son oeuvre intitulée Source ineffable de lumière (Racine), exécutée le dimanche 30 mai dans la salle du Conservatoire :

 

   « [...] Il n'en sera pas de même du morceau de M. Ermel sur le Lever du soleil, de Racine, car c’est là une œuvre trop forte, trop compliquée, trop magistrale, pour ne pas exiger des musiciens consommés, de vrais artistes. Ce qui la distingue de toutes les autres compositions, c’est la conception générale, c’est le parti pris depuis la première note jusqu’à la dernière, c’est la conduite régulière et savante du chœur, d'où se détache à certains moments un quatuor de voix qui s’entrelacent avec tout l’art possible. On assure qu’à la première audition de ce morceau, les membres du jury furent tous d’avis qu’il devait être sorti de la main d’un grand maître étranger, et plus tard il se trouva que cet étranger, que ce grand maître, était tout simplement un ancien prix de Rome, qui n’a pas même fait jouer son petit acte à l’Opéra-Comique. Faut-il en accuser l’ordre de choses ? ou bien M. Ermel, peu soucieux de se produire au théâtre, s’est-il volontairement réduit à une carrière moins brillante, mais plus sûre ? Nous l’ignorons, et, après avoir entendu le grand et beau morceau de sa composition, nous ne saurions dire non plus s’il avait la vocation théâtrale ; ce morceau prouve seulement qu’il connaît parfaitement et qu’il pratique supérieurement toutes les ressources de l’art d’écrire. Cela ne fait pas les succès au théâtre, mais cela n’y nuit pas non plus. MM. Barbot et Bataille, mesdemoiselles Grimm et Printemps, chantaient le quatuor. Quand l’Orphéon possédera des talents et des voix de celle qualité, ce ne sera plus l’Orphéon, mais le Conservatoire. Du reste, en couronnant le morceau de M. Ermel, les membres du jury ont été les premiers à déclarer qu'ils lui donnaient un prix à cause de son mérite absolu, et point du tout en vue d’une destination quelconque. [...] »

 

A ce même concours, une autre de ses compositions, Le plus saint des devoirs, celui qu'en traits de flamme (paroles de Florian), était également récompensée par une mention.

 

L'année suivante, en juillet 1848 Louis Ermel s'inscrivait à nouveau au Concours des chants nationaux ouvert au même ministère et obtenait dans la catégorie « morceaux pour l'orphéon » une médaille de bronze (récompense unique) pour Gloire à toi, noble France !, paroles de Fournier. Une seconde oeuvre par les mêmes auteurs était aussi présentée, Hymne triomphal à la liberté, mais elle fut « déclarée hors ligne par le jury » composé entre autres de Carafa, A. Adam, F. Halévy, F. David, Auber et Alfred de Musset. Plus tard, en avril 1864, il décrochait le 1er prix au Concours de composition musicale ouvert par l'Union des Arts de Marseille et « avait eu la généreuse inspiration de prier l'Union des Arts de verser la valeur du prix à la caisse de secours de l'Association des artistes musiciens, présidée par le baron Taylor. »[12]

 

Une autre composition d'Ermel nous est aussi connue par quelques lignes parues dans la Revue parisienne, Sylphide (t. IX, 2 mars 1844, p. 233) : « [...] dans la jolie salle de M. Moreau-Sainti, se donnait le concert de M. Ermel : l'orchestre de l'Opéra-Comique y exécutait une ouverture et une symphonie du Bénéficiaire ; nous n'avons que des éloges à donner à ces deux morceaux dont la facture est excellente [...] » L'Ouverture est probablement celle de 1826, quant à la Symphonie, la partition semble être égarée de nos jours.

 

Le Constitutionnel, journal du commerce, politique et littéraire, édition de Paris, du samedi 9 mars 1844, nous livre cependant d'intéressantes précisions sur cette oeuvre :

 

   « Concert donné par M. Ermel, dans la salle de la rue de Latour-d'Auvergne, dimanche 3 mars [1844].

   Nous ne pouvons passer sous silence une solennité musicale à laquelle nous avons assisté dimanche dernier. Elle était offerte par un de ces jeunes et brillants lauréats que l'Institut envoie à Rome tous les ans, et qui trouvant, au retour, toutes les positions prises, toutes les portes fermées, obsédés pourtant par ces fraîches et fécondes idées qui fermentent toujours dans la tête des grands artistes, cherchent à se dérober à l'obscurité dont on les environne, et s'efforcent d'arriver au grand jour de la publicité.

   M. Ermel a fait plus et mieux que de jouir en paix de son triomphe académique. Il a perfectionné son éducation musicale ; il a profondément étudié toutes les ressources de son art, et, en fin de compte, il lui a paru que, dans la double voie des effets d'ensemble et de l'emploi des divers instruments, il s'en fallait beaucoup que les grands, maîtres eussent posé des bornes infranchissables. Il a donc introduit des combinaisons et des dispositions nouvelles à l'aide desquelles chaque espèce d'instruments, classée à part dans l'orchestre, et jouissant ainsi d'une plus grande puissance de simultanéité, n'intervient dans l'exécution que pour lui imprimer le caractère qui lui est propre ou ajouter à l'effet général.

   Après les succès obtenus par M. Ermel, tant en France qu'en Belgique, sa patrie, nous attendions beaucoup de lui. Le résultat a dépassé nos espérances. La symphonie exécutée, dimanche dernier, devant un auditoire principalement composé d'artistes et d'amateurs, tous juges compétents à différents degrés, a excité à plusieurs reprises les transports d'un véritable enthousiasme. Cette belle composition est divisée en quatre, parties : la première est un allegro en ut mineur d'un caractère grandiose ; l'entrée de piano en grands accords sur des solos de violons et violoncelles est d'un effet saisissant et qui tout d'abord a vivement captivé l'attention des auditeurs. — Dans l'adagio qui suit le chant passe alternativement dans les différents orchestres, et à chaque fois, le piano y apporte des broderies nouvelles d'un charme inexprimable. — Le troisième morceau, la partie principale de l'œuvre, est un scherzo fugué en ut mineur pour les instruments à cordes et le piano. Puis, vient un chant large en mi-bémol, joué par le piano, tandis que les instruments à vent imitent le rythme du scherzo. Après la reprise du scherzo en fugue plus serrée, revient le trio en la-bémol, joué cette fois par les instruments à vent avec accompagnement de piano. Ce motif ramène celui du scherzo, qui lui-même est suivi du trio exécuté par tous les violons avec réponse de l'orchestre des cuivres, pendant que les instruments à vent et le piano jouent le scherzo à l'unisson. C'est la conclusion de cette partie de la symphonie, dont l'effet a été immense et qui a excité les plus vifs applaudissements. — Le rondo final est d'un caractère plus léger, mais il a été exécuté avec tant d'entrain et de verve par l'orchestre qu’électrisait le succès du précédent morceau, que le public s'est levé en masse pour applaudir le compositeur et ses dignes interprète. — Nous ne saurions trop le redire, le résultat de cette tentative n'est pas seulement très honorable pour M. Ermel ; il doit aussi et surtout l'encourager, le raffermir dans l'excellente voie où il est entré ; et, dès aujourd'hui, la France peut compter un grand symphoniste de plus.

   L'espace nous manque pour mentionner comme nous le désirerions et comme ils le méritent, les artistes qui ont contribué à donner de l'éclat à cette matinée musicale. Nous aurions voulu parler avec quelque détail du beau trio de Beethoven, si brillamment exécuté par MM. Soler, Garimand et Romeden. Jamais peut-être le violoncelliste Offenbach n'avait été si justement et si unanimement applaudi, et M. Albertini a chanté deux airs du Châlet et de La Marquise [opéras-comiques d'Adolphe Adam] de manière à justifier pleinement les espérances que fonde sur lui la direction de l'Opéra-Comique. »

 

En 1866, trente-trois ans après avoir décroché le Prix de Rome, le 11 juillet au Conservatoire de Paris il était membre du jury, avec Aubert, E. Boulanger, Duprato, Gevaërt, G. Kastner, A. Maillard, Reyer et Semet, du concours de composition musicale pour ce prix. Un seul prix fut décerné cette année-là à Emile Pessard avec la cantate Samson et Dalila, paroles d'Edouard Vierne. Les 4 autres candidats malchanceux se nommaient Henri Ketten, Jules Ducot, Benjamin Godard et Georges Hess.

 

Le 3 juin 1871 à trois heures du matin, à l'âge de 72 ans Louis Ermel disparaissait en son domicile situé 9 rue Neuve-Saint-Etienne à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Longtemps domicilié à Paris (12 rue de Taranne en 1822, puis 166 faubourg Saint-Martin, 5 rue de l'Echiquier, 28 rue Montholon et enfin 10 rue de Valenciennes), il s'était réfugié en Auvergne lors de la guerre franco-allemande de 1870 et du siège de Paris, sans doute sur invitation de son fils aîné. Celui-ci, Frédéric Ermel, né le 20 mars 1834 à Paris, ingénieur civil, chef de la fabrication des billets à la Banque de France, professeur à l'Ecole Centrale, avait en effet été envoyé à Clermont-Ferrand en 1870 pour l'installation d'un atelier de fabrication pour les billets de 25 et 50 francs[13]. La veuve de Louis Ermel, Adélaïde Gerdret, fille du directeur en chef du service de l'habillement de la Grande Armée, mort en 1812 durant la campagne de Russie[14], épousée le 19 septembre 1831 à Paris, lui survécut durant 16 années avant de s'éteindre à son tour le 24 mars 1887 en son domicile parisien du 97 avenue de Clichy.

Denis Havard de la Montagne

(août 2018)



[1]   Sur cette dynastie, voir notamment le Dictionnaire des facteurs d'instruments de musique en Wallonie et à Bruxelles du 9ème siècle à nos jours, par Malou Haine et Nicolas Meuus (Pierre Mardaga, éditeur, Bruxelles, 1986).

[2]   Symphorien-Joseph-Boniface Ermel, né le 14 mai 1761 à Saint-Symphorien, près de Mons, décédé le 21 avril 1842 à Gand, marié le 2 juillet 1792 à Gand à Anne-Marie Tency.

[3]   Jacques Ermel est le père de Bernard Ermel (1807-?), accordeur de pianos à Bruxelles, lui-même père d'Alexis Ermel (1834-1912), compositeur, pianiste de S.M. le Roi des Belges et directeur de la Société vocale d'Ixelles.

[4]   Biographie nationale publiée par l'Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, t. 6, Bruxelles, 1878, p. 622.

Signature autographe, 1867 (DR.)

[5]   Edmond de Busscher, Précis historique de  la Société royale des beaux-arts et de littérature de Gand , Gand, 1845, p. 106.

[6]   E. de Busscher, op. cit., p. 107.

[7]   Un exemplaire de cette partition est conservé à la Bibliothèque du Conservatoire de musique San Pietro a Majella de Naples.

[8]   Revue musicale, tome 5, 1829, p. 542.

[9]   Ibid., 2ème série, tome 3, numéro du 4 septembre 1830. Le directeur de l'Opéra cité dans ce texte est Emile Lubbert (1794-1859) qui dirigea cet établissement de 1827 à 1831, après Raphaël du Plantys (1776-1854) qui l'administra de 1824 à 1827.

[10] Rapporté in E. de Busscher, op. cit ., p. 156.

[11] Revue et gazette musicale de Paris, 22 mai 1853, p. 186.

[12] Ibid., 24 avril 1864, p. 134.

[13] Frédéric-Symphorien Ermel, décédé le 13 novembre 1923 à Paris XVIIe, chevalier de la Légion d'honneur (L0900064) par décret du 9 août 1877, marié le 12 décembre 1867 à Paris XIe avec Julie Pigelet, a laissé une postérité actuelle issue de sa fille Marie-Louise Ermel (1878-1962) dans les familles Homberg, Masse et Creuillenet.

[14] Adélaïde-Augustine-Alexandrine Gerdret, née le 11 mai 1811 à Hambourg (Allemagne), fille de Jean-Baptiste Gerdret (1762-1812) et de Antoinette Dunoyer.



Maximilien SIMON (1797-1861)

On sait très peu de choses sur ce musicien qui obtint un premier Second Grand Prix de Rome en 1823. D’aucuns le confondent même avec un homonyme, l’organiste des Petits-Pères (église Notre-Dame des Victoires) à Paris, un certain Prosper-Charles Simon qui tint cette tribune de 1826 à 1866. Bordelais de naissance, celui-ci n'a cependant aucun lien de parenté avec notre Prix de Rome dont la famille était messine.

Reçu avec signature autographe de Maximilien Simon concernant son brevet de nomination au grade de Chevalier de l'Ordre Impérial de la Légion d'honneur, 16 septembre 1860
( LH 2522/74 )

Né à Metz, rue des Huilliers, le 18 ventôse de l’an V de la République (8 mars 1797), du mariage de François Simon « maître de langues » et de Marguerite Canot, on peut supposer que Maximilien-Charles Simon puisse être apparenté à Louis-Victor Simon[1], né également à Metz le 12 novembre 1764, venu à Paris au moment de la Révolution, où il s’était fait connaître en mettant en musique la célèbre chanson Il pleut, il pleut, bergère, presse tes blancs moutons !, sur des paroles de Fabre d’Eglantine avant que celui-ci devienne député de Paris à la Convention, secrétaire et ami de Danton, ce qui le conduira à l’échafaud en 1794 ! Premier violon, puis administrateur du Théâtre Montansier en 1796, selon Fétis Louis-Victor avait fait représenter des opéras-comiques : La Boiteuse (1791, L’Apothicaire (1793) et La double récompense (1807). Un lien de famille avec le magistrat et archéologue messin Victor Simon[2], né le 3 mars 1797 à Metz, n’est pas également à exclure…

 

Maximilien-Charles Simon intégra le Conservatoire de musique de Paris à une date inconnue, mais sans doute quelques années avant l’obtention de son Prix de Rome. Elève de Lesueur, il se présenta au Concours de composition musicale de l’Institut en 1823 avec la scène à une voix Pyrame et Thisbé, écrite sur des paroles de J. A. Vinaty. Son œuvre lui valut un premier Second Grand Prix, derrière Boilly et Ermel. Il se représenta à ce concours à plusieurs reprises, notamment en 1826, aux côtés de Berlioz, mais ni lui ni son illustre acolyte ne furent primés cette année.

Signature de François Simon
Signature de François Simon apposée sur l'acte de naissance de son fils Maximilien, enregistré à l'état-civil de la ville de Metz (section 5) le 19 ventôse de l'an V de la République
( Archives municipales de Metz )

Sans grand risque d'erreur, on peut identifier Maximilien-Charles Simon au compositeur Charles-M. Simon, auteur de quelques partitions conservées de nos jours à la Bnf, parmi lesquelles on trouve une romance La Rupture avec accompagnement de guitare (Paris, 1825, Au magasin de musique de La Lyre moderne, collection « Le souvenir des ménestrels », publication contenant une collection de romances inédites ou nouvelles), une autre mélodie intitulée Le Départ du Guernadier, romance sentimentale chantée par Mlle Flore dans le vaudeville Les Cuisinières (comédie en un acte, mêlée de couplets, par MM. Brazier et Dumersan, représentée à Paris sur le Théâtre des variétés le 14 avril 1823), avec accompagnement de guitare (à Paris, chez Mme Joly, marchande de musique sous l'arcade de l’Institut ou rue de Seine, n° 24), un Thème varié pour flûte avec accompagnement de deux violons, alto et basse (Paris, Richault), 3 Airs variés pour la guitare avec accompagnement d'alto ou violon, op. 5 (Paris, Richault) et un Manuel des guitaristes, « recueil d'airs, valses, marches, rondeaux et romances, choisis parmi les meilleurs compositeurs, soigneusement doigtés et arrangés d'une manière facile et brillante » (Paris, Mme Joly). On ne sait si Simon continua de se livrer à la composition, mais, ce qui est certain c’est qu’il n’embrassa pas une carrière musicale étant entré dans l’administration comme « Inspecteur des Postes du département de la Seine ». C’est à ce titre d’ailleurs qu’il fut nommé chevalier de l’Ordre impérial de la Légion d’honneur par décret du 16 août 1860, sur proposition du Ministre des Finances, et intronisé le 8 septembre de la même année par Auguste Stourm, Conseiller d’Etat, directeur général des Postes, tout comme lui messin d’origine. Un an plus tard, Maximilien Simon rendait l’âme le 20 septembre 1861 à l’âge de 64 ans, laissant une veuve en la personne de Victoire-Aglaé Fernel, qu'il avait épousée à Paris, le 10 février 1834 (Saint-Germain-l'Auxerrois). Née dans la capitale le 18 janvier 1799, elle était fille de Pierre-Ambroise Fernel, marchand drapier originaire de Breinon (Yonne) et de Marie-Françoise Curner. On ignore pour l'heure si Maximilien Simon eut des enfants, mais on lui connaît par contre un neveu : Charles Simon, chef de bataillon au 7ème de ligne, officier de la Légion d'honneur.[3]

Denis Havard de la Montagne

(2003, mise à jour : août 2018)


[1]   Décédé le 26 avril 1820 à Paris, il est fils de Louis Simon et d'Agnès Perrin.

[2]   Mort en 1865 à Metz, il est fils de François Simon, licencié en médecine, maître chirurgien à l'hôpital militaire de Metz, et de Marie-Anne Collinet.

[3]   Né à Paris le 8 juin 1827, décédé le 16 septembre 1901, il est fils de Charles Simon et de Maria-Magdalena Faÿ. Il avait épousé le 31 janvier 1872 à Riom (Puy-de-Dôme) Marie-Aimée Fayollet.


Maximilien Simon, Le départ du Guernadier, romance sentimentale avec accompagnement de guitare, 1823
( Paris, chez Mme Joly, marchande de musique/ Bibliothèque d'Etat de Bavière à Munich )
Fichier MP3 Fichier audio par Max Méreaux (DR.)


Théodore Labarre, vers 1840
(lithographie de H. Grévedon, impr. Lemercier à Paris/coll. BNF-Gallica) DR.
Théodore LABARRE (1805-1870)

Théodore, François, Joseph Berry-Labarre vint au monde à Paris, le 2 germinal an XIII (23 mars 1805), sous le nom de Générelly. Son père Jean-Pierre Berry-Labarre (1773-1863), issu d’une riche famille d’industriels et propriétaires terriens de Roanne et Saint-Just-sur-Loire (Loire), était régisseur du château de Saint-Leu-la-Forêt (Val-d’Oise), alors propriété du prince Louis Bonaparte, roi de Hollande, (frère de Napoléon Ier) et de sa femme la princesse Hortense de Beauharnais. Ceux-ci avaient fait rapatrier de Montpellier où il était inhumé le corps de Charles Bonaparte pour l’enterrer dans le parc du château. On raconte que le duc de Bourbon, devenu propriétaire du château après le retour au pouvoir de Louis XVIII en 1815, projetait de « jeter à la voirie » les restes du père de Louis et Napoléon Bonaparte. C’est alors que Jean-Pierre Berry-Labarre, avec l’aide du curé de la paroisse, ancien capitaine de dragons, firent exhumer en 1819 le cercueil pour le transporter dans l’église du village. Cet acte coûta sa place à Labarre : il fut renvoyé par le duc de Bourbon. Quant à sa mère, Anne Sophie Générelly (1783-1864) lyonnaise d’origine, que Labarre ne put en effet épouser qu’en 1809 à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), elle occupait la fonction de « dame d’annonce », autrement dit dame de compagnie de Hortense de Beauharnais, reine de Hollande, belle-fille de Napoléon Ier qui l’avait adoptée en 1796 et mère en 1808 de Napoléon III. Ainsi dans leur enfance Théodore Labarre et le futur Empereur des Français eurent assurément le loisir de se croiser, voire de s’adonner à quelques jeux ; plus tard, Napoléon III, une fois élu président de la République en 1848, puis devenu Empereur en 1852, fera de Théodore Labarre son musicien particulier et le nommera « inspecteur-accompagnateur de la musique de la chapelle royale » au Palais des Tuileries.

 

Il est probable que Hortense de Beauharnais qui se livrait à la musique et à la composition de romances, eut quelque influence sur le jeune Théodore dans son attirance pour la musique. Il deviendra plus tard un artiste virtuose de la harpe, jouissant d’une réputation internationale, mais aussi « artiste spirituel, gai et très obligeant. » Chevalier de la Légion d’honneur (décret du 13 août 1862), Théodore Labarre mourut le 10 mars 1870 au Palais des Tuileries où il résidait, après avoir subi huit jours auparavant par le docteur Mallet « la douloureuse opération de la taille » (lithotomie) ; ses obsèques furent célébrées le 11 mars en l’église Sainte-Marie-des-Batignolles. On raconte que durant les derniers temps, « il était devenu misanthrope et professait pour tout ce qui n’était pas son art la plus superbe indifférence. » C’est sans doute pour cette raison que sa femme, la célèbre cantatrice Antoinette Lambert (1815-1906) « dont le talent égalait la beauté », épousée le 23 mars 1839 à Paris, se retira au cours des années 1860 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) où elle professa le chant, avant d’y décéder une quarantaine d’années plus tard. C’est son père, Charles Lambert (1791-1865), 1er prix de piano au Conservatoire de Paris, compositeur, qui lui avait donné les premières de musique, tout comme il le fit à son autre fille, Honorine Lambert (1816- ?). Celle-ci se produisait en concert à partir de l’âge de 9 ans et fut élève de Frédéric Klakbrenner puis se perfectionna avec Liszt et Chopin. Elle fit une carrière de pianiste distinguée, puis se retira en 1861 à Meaux (Seine-et-Marne) pour y professer le piano et le chant.

 

François-Joseph Fétis, l’un des professeurs de contrepoint de Théodore Labarre au Conservatoire de Paris, donne d’intéressants détails sur la carrière musicale de son élève dans sa Biographie universelle des musiciens, (8 vol., Firmin-Didot, 2ème édition 1860-1865), complétée en 1878 par Arthur Pougin (2 vol.) :

 

Théodore Labarre, Caprice n° 1 de la Grande Etude pour la harpe, composée de huit Caprices, op. 30,
revue et doigtée par Alphonse Hasselmans, professeur de harpe au Conservatoire national de Paris
( Paris, C. Joubert, coll. Brigham Young University, Provo, Utah, USA )
Fichier MP3 Fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Grand format

« Dès son enfance on lui fit étudier la musique comme un délassement ; car il n’était pas destiné à faire sa profession de cet art. La harpe fut l’instrument qu’on lui mit entre les mains ; il n’était âgé que de sept ans lorsque Cousineau lui en donna les premières leçons. Il continua de s’y exercer sous la direction de ce maître jusqu’en 1814. A cette époque il devint élève de Bochsa, qui, trouvant en lui les plus rares dispositions, lui fit faire de rapides progrès. Après le départ inopiné de cet artiste pour l’Angleterre, en 1816, Labarre continua ses études de harpe auprès de Naderman jusqu’en 1820, mais il n’en reçut que de rares leçons. En 1817, ses parents prirent la résolution de faire servir ses talents à sa fortune, et pour achever son éducation d’artiste, ils le firent entrer comme élève au Conservatoire, où il apprit auprès de M. Dourlen les éléments de l’harmonie, puis il devint élève d’Eler, pour le contrepoint. Après la mort de ce maitre, il continua ses études sous la direction de l’auteur de cette notice (en 1821), et dans le même temps Boieldieu lui enseigna le mécanisme des formes de la composition idéale. Bien qu'il ne fût âgé que de dix-huit ans, Labarre se présenta au concours de l’Institut, en 1823, pour le grand prix de composition musicale. Le sujet du concours était la cantate de Pyrame et Thisbé, composée de plusieurs récitatifs, airs et duos. Des mélodies d’un goût élégant, un bon sentiment dramatique, une harmonie piquante, distinguaient l’œuvre de Labarre : le second prix lui fut décerné. Nul doute qu’il eût obtenu le premier l'année suivante, si les succès qu’il trouvait déjà dans son talent sur la harpe et dans ses compositions pour cet instrument ne lui avaient fait prendre une autre direction.

 

En 1824, il se rendit en Angleterre, où son habileté le fit bientôt remarquer. Des concerts donnés chaque année à Londres ; d'autres, dans des lieux de plaisance, tels que Bath et Brighton ; enfin des voyages en Irlande et en Écosse étendirent sa réputation, et le placèrent à la tête des harpistes de la Grande-Bretagne. Dans les intervalles des saisons, il revenait en France chaque année, et après avoir donné des concerts à Boulogne ou dans d’autres villes, il allait passer quelques mois à Paris. Dans un de ses voyages, il visita la Suisse, dans un autre, il se rendit à Naples, où il excita autant de surprise que d’admiration, au théâtre de Saint-Charles. La harpe entre ses mains avait acquis une importance plus grande, un caractère plus élevé, une variété d’effets, enfin une énergie qu’elle n’avait point auparavant. Sa musique pour cet instrument avait paru d’abord trop difficile : peu d’amateurs et même d’artistes étaient assez habiles pour la jouer ; ce défaut relatif nuisit à son succès dans les premiers temps. Quelques jeunes gens formés à son école, tels que MM. Léon Gatayes et Godefroy, la popularisèrent enfin. Il est peu de harpistes aujourd’hui qui ne la recherchent.

 

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Extrait de la romance La jeune aveugle (Paris, E. Troupenas, 1830) de Théodore Labarre (1805-1870), deuxième Second Grand Prix de Rome en 1823 avec sa cantate Pyrame et Thisbé. Chef d'orchestre à l'Opéra-comique et de Louis Napoléon Bonaparte, professeur de harpe au CNSM, Labarre est l'auteur d'opéras, de ballets, de nombreuses pièces pour la harpe, d'une quantité de romances à succès et d'une Méthode complète pour la harpe, éditée à Paris en 1844.
( Lithographie de Engelmann, Coll. D.H.M. )
Grand format
Revue musicale, 13 février 1830 (DR.)

Des romances charmantes, qui ont obtenu des succès de vogue, avaient commencé la réputation de Labarre pour la musique vocale ; ses amis ne doutaient pas que s’il essayait son talent à la scène, il n’y réussit à merveille ; mais il était difficile de trouver un poème favorable à son talent. Malheureusement il crut l’avoir rencontré dans Les deux Familles, drame en trois actes dont il composa la musique, et qui fut représenté le 11 janvier 1831 au théâtre Ventadour. Cette pièce ne réussit pas, et la musique, qui subit toujours en France le sort du livret, fut entraînée dans sa chute. Considéré sous le rapport de l’art, cet ouvrage n’avait pas réalisé les espérances des amis de Labarre. On y trouvait de jolies mélodies, des détails pleins de goût, mais non la hardiesse de pensée qu’on attendait du jeune compositeur. Je ne puis rien dire de L’Aspirant de marine, opéra-comique en deux actes, joué au théâtre de la Bourse (mai 1834), n’ayant point entendu cet ouvrage. La Révolte au Sérail, ballet en trois actes, joué à l’Opéra dans le mois de décembre 1833, fut écrit avec beaucoup de rapidité ; néanmoins on y trouve des morceaux d’un très-bon effet.

 

Après un séjour de quelques années à Paris, Labarre retourna à Londres. Il s’y livra avec succès à l’enseignement. En 1837, il devint l’époux de Mlle Lambert, jeune et jolie cantatrice qui possédait un talent plein de grâce et d'expression. Il vécut alors pendant quelque temps à Paris. Après que Girard eut quitté la direction de l’orchestre de l’Opéra-Comique pour passer A l’Opéra, Labarre lui succéda dans cette position, en 1847. Le 9 août 1845, il avait fait pour ce théâtre Le Ménétrier ou les deux Duchesses, opéra en trois actes, dont la musique, bien écrite et bien instrumentée, renfermait des morceaux pleins de mélodie et de distinction ; mais la faiblesse du livret en empêcha le succès. En 1849, Labarre quitta la direction de l’orchestre de l’Opéra-Comique. En 1851 il était à Londres, mais après le coup d’État du mois de décembre de la même année qui fit succéder l’empire à la république en France, il revint à Paris et obtint la direction de la musique particulière de l'empereur Napoléon III. Au mois de novembre 1853, il a fait jouer à l’Opéra Jovita ou les Boucaniers, ballet en trois tableaux, et au mois de janvier 1855 il a donné au même théâtre La Fonti, ballet en six tableaux.

 

Cet artiste a publié environ cent œuvres de musique de harpe, parmi lesquels on remarque : 1° Trios pour harpe, cor et basson, op. 6, Paris, Pacini. — 2° Duos pour harpe et piano, œuvres, 3, 5, 9, ibid., œuvres 43, 47, 48, 49, 59, 54, Paris, Troupenas. — 3° Duos pour harpe et violon (avec de Bériot), sur divers motifs des opéras d’Auber, de Rossini et d’autres compositeurs, ibid. — 4° Duos pour harpe et cor, no 1, 2, 3 ; Paris, Naderman. — 5° Nocturnes id., n° 1, 2, 3, Paris, Pacini. — 6° Duo pour harpe et hautbois (Souvenirs de la Dame blanche), Paris, Janet. — 7° Solos, fantaisies, rondeaux, etc, pour la harpe, op. 8, 10, 11, 12, Paris, Pacini ; op. 25, 26, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 44, 46, 50, 51, 56, 60, 63, 66, 70, 72, 73, 75, 77, 82, Paris, Troupenas ; op, 90, 911 92, 93, Paris, De Lahante.

 

Parmi les plus jolies romances de Labarre, on cite : Le Contrebandier, La Jeune Fille aux yeux noirs, La pauvre Négresse, La jeune Fille d’Otaïti, Méphistophélès, La Tartane, Cora ou la Vierge du Soleil. Il en a publié plusieurs recueils en albums. Enfin, on a de lui une Méthode complète pour la harpe, ouvrage excellent en son genre, et aussi remarquable par le plan que par l’exécution. »

 

Et dans son complément, Pougin ajoute :

 

« Nous compléterons le répertoire de ce compositeur en mentionnant les trois ouvrages suivants : 1° Pantagruel, 2 actes, joué une seule fois à l’Opéra, le 24 décembre 1855 ; 2° Graziosa, ballet en un acte, Opéra, 25 mars 1861 ; 3° le Roi d'Yvetot, ballet en un acte, Opéra, 28 décembre 1865. Un fait singulier empêcha la seconde représentation de Pantagruel : l'empereur Napoléon assistait au spectacle dans lequel cet ouvrage fit cette apparition, et l’on s’avisa, un peu tard, que la commission de censure, dite commission d’examen, avait laissé subsister, dans le livret, certains passages qui prêtaient à des allusions politiques fâcheuses ; il n’en fallut pas davantage pour exciter le courroux du souverain, et malgré la situation d’inspecteur-accompagnateur que Labarre occupait à la chapelle impériale depuis 1852, Pantagruel fut condamné sans rémission. Quant au Roi d’Yvetot, on assura que Labarre n’était point l’auteur de la musique de ce ballet, et qu’il n’était en cette circonstance que l’arrangeur et le prête-nom d’un amateur titré : M. le prince Richard de Metternich.

 

Labarre avait succédé en 1867 à Prumier, comme professeur de harpe au Conservatoire. Peu d’années après, il se chargeait de faire la critique musicale dans un journal nouvellement fondé, Paris illustré. Mais, il mourait presque subitement, le 9 mars 1870, avant d’avoir pu donner son premier article, et l’on me confiait la tâche qu’il avait assumée. »

 

Pour compléter ce portrait, précisons que Théodore Labarre est aussi l’auteur de quelques compositions religieuses, parmi lesquelles on peut citer : une Messe en la, pour voix piano et orgue ; un Agnus Dei en la bémol, pour 4 voix ; un autre Agnus Dei en sol, pour chœur à 4 voix et orchestre ; un Benedictus en mi bémol, pour 2 voix et piano ou orgue ; un Credo pour chœur à 5 voix et piano ou orgue ; un Kyrie en fa, pour chœur à 4 voix et orgue ; un O Salutaris, pour 4 voix et orgue ; un Gloria, pour chœur à 4 voix et accompagnement d’orgue, un motet « Attende Domine » pour ténor solo et chœur à 4 voix avec accompagnement d’orgue…

 

Denis Havard de la Montagne

(juillet 2023)




1824

Auguste BARBEREAU (1799 - 1879)

Notice détaillée, avec illustration et extrait audio sur cette page spécifique.



1825

Albert GUILLION (1801-1854)

Né à Meaux en 1801, Albert Guillion étudia la musique à la Maîtrise de la cathédrale de Paris, sous la direction de Pierre Desvignes, avant d'entrer au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris, tout en étant contrebassiste à l'Opéra-Comique. Elève notamment de Fétis (contrepoint et fugue) et de Berton (composition), il se présenta au Concours de Rome en 1824 et reçut un premier second Grand Prix, derrière Auguste Barbereau, pour sa cantate Agnès Sorel. Il récidiva l'année suivante et décrocha cette fois-ci le Grand Prix avec sa cantate Ariane à Naxos, qui fut exécutée lors de la séance publique de l'Académie des Beaux-Arts en octobre 1825. Pensionnaire du gouvernement à la Villa Médicis à Rome en 1826 et 1827, il se fixa ensuite à Venise, où il écrivit notamment en 1830 un opéra Maria di Brabante, joué avec succès au Théâtre de la Fenice. Peu de temps après il abandonna la musique pour se consacrer, en Italie, à l'agriculture et à l'élevage du vers à soie et édifia, près de Trévise, une usine de dévidage des cocons fonctionnant à la vapeur. On doit également à Albert Guillion de nombreuses innovations dans la culture de la terre, qui ont fait l'objet de publications au sein de la Société impériale et centrale d'agriculture de France, la Société d'économie politique de Saint-Petersbourg et de plusieurs autres Sociétés d'agriculture italiennes. Il est mort subitement à Venise dans le courant du mois d'avril 1854.

D.H.M., décembre 2001

Notice plus complète et exemple audio sur cette page spécifique.

Adolphe ADAM (1803-1856)

Adolphe Adam, d'après Maurin
( B.N.F. )

Fichier MP3 Adolphe Adam, morceau n° 3 "Couplets", extrait de l'opéra comique Le Chalet,
représenté pour la première fois à Paris le 25 septembre 1834 à l'Opéra-Comique.
(Paris, H. Lemoine, coll. Max Méreaux) DR.
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)

Son cantique intitulé Noël, connu aujourd'hui sous le nom de Minuit, Chrétiens
(partition, couverture, extraits audio).

Consultez aussi un article biographique détaillé sur cette page spécifique.




1826

Claude PARIS (1801-1866)

Voici encore un musicien totalement oublié des dictionnaires, sur lequel on sait peu de choses. Seuls Fétis au XIXe siècle, ainsi que Vapereau dans son Dictionnaire des contemporains (1870), qui par erreur le prénomme Jean-Claude et le fait naître le 19 septembre 1808, ainsi qu'Adolphe Adam dans ses Souvenirs d’un musicien (1868) le mentionnent.

 

Signature de François Paris
Signature autographe de François Paris apposée en 1801 sur l'acte de naissance de son fils Claude
( DR )

Né à Lyon le 15 ventôse an IX (6 mars 1801), Claude-Joseph Paris descend d'une dynastie de musiciens originaires de la capitale. Son grand-père paternel, Jean-Claude Paris, né vers 1740 est "musicien à Paris" et son père, Amand-François, né en 1767, exerce la même profession à Lyon, où il s'est installé rue Grenette, probablement dans les années 1790. Quant à la famille de sa mère, née Françoise Jacquaud en 1778, son père et son frère exercent le métier de "apprêteurs de bas"... C'est son père qui initia le jeune Claude à la musique, avant qu'il ne rejoigne plus tard le Conservatoire de Paris où il fréquenta notamment la classe de composition de Lesueur. En 1825, il se présentait au Concours de Rome et obtenait un premier Second Grand Prix avec sa cantate Ariane dans l’île de Naxos. L’année suivante, il décrochait le premier Grand Prix avec sa cantate Herminie. Durant son séjour à la Villa Médicis, il fit jouer en 1829 au Théâtre San Benedetto de Venise un opéra-bouffe en un acte L’Allogio militaire [Le Logement militaire], à propos duquel Fétis, dans sa « Revue musicale », écrivait : « On y a remarqué de la facilité, du chant et de l’habilité à manier l’orchestre ; mais on s’accorde à reprocher à M. Paris de trop fréquentes imitations du style de Rossini. L’ouvrage a eu du succès... » A son retour à Paris une messe de Requiem de sa composition fut donnée le 29 janvier 1830 à Notre-Dame-des-Victoires. Sans doute s'agissait-il de la partition composée en 1827 durant son séjour à la Villa Médicis, intitulée plus précisément : Requiem à trois voix avec choeur et grand orchestre. De même, le 1er octobre 1831 lors de la séance publique annuelle de l’Académie royale des Beaux-Arts, consacrée aux auditions de la cantate du premier prix de Rome et des œuvres des pensionnaires de l’école française à la Villa Médicis, on put entendre l’ouverture de Themira, une tragédie lyrique composée par Claude Paris. François-Joseph Fétis, très exigeant avec ses élèves de composition au Conservatoire et dont les jugements sévères sur ses contemporains sont connus, apporte cette critique dans sa « Revue musicale » du 8 octobre 1831 : « L’ouverture de Themira [...] est peu remarquable par la nature des idées ; mais on y trouve de l’habitude, du faire, en un mot, de l’école. Nous désirons que M. Paris s’habitue à une manière plus élevée. Les premiers essais de ce jeune homme annonçaient de la portée ; dans ses dernières productions, il nous a semblé qu’il cherchait des voies plus vulgaires afin d’obtenir des succès faciles ; nous pensons que c’est là une erreur qui lui serait très nuisible ».

 

Durant ces débuts de la Monarchie de Juillet, il compose aussi la musique du drame en cinq parties de Léon Halévy et Francis Cornu, Indiana, qui est représenté pour la première fois au Théâtre de la Gaîté le 2 novembre 1833, avec Eugénie Sauvage (rôle d'Indiana) et M. Jemma (Sir Ralph), puis la musique d'un autre drame en cinq actes et sept tableaux, La Guerre des servantes, d'Emmanuel Théaulon de Lambert, Jules Alboise du Pujol et Charles Harel, créé le samedi 26 août 1837 au Théâtre de la Porte Saint-Martin.[1]

 

On lui connaît également plusieurs autres opéras-comiques : La Veillée, créé à la Salle Ventadour en 1831, Une Quarantaine au Brésil, donné à Dijon en 1847, Le Cousin de Denise, représenté en 1849 au Théâtre Beaumarchais... Chef d’orchestre au Théâtre du Panthéon, Claude Paris se livra aussi à l’enseignement du piano à Paris, notamment au pensionnat du Sacré-Cœur et au collège Sainte-Barbe. Domicilié 5 rue Castex, dans le quatrième arrondissement parisien et à la fin de sa vie 30 rue du Château-d'Eau dans le dixième, c'est là qu'il est mort le 25 juillet 1866. Il laissait une veuve, Célestine Rouvillois, alors âgée de 54 ans. Fille de Jean-Jacques Lerouvillois et de Marie-Adélaïde Richard, il l'avait épousée religieusement le 13 août 1831 en l'église Saint-Paul-Saint-Louis de la rue Saint-Antoine. A sa disparition, on pouvait lire dans Le Ménestrel (édition du 2 septembre) ces quelques lignes l'annonçant : « [...] Né en 1801 à Lyon, C. Paris vint fort jeune à Paris, et écrivit, avant son départ pour Rome, la musique d'un fort joli ballet, représenté sur le théâtre de la Porte Saint-Martin, en 1824, avec succès. De retour en France, il s'essaya à l'Opéra Comique ; mais découragé par les difficultés que tout homme nouveau doit surmonter pour s'ouvrir le théâtre, il se livra à l'enseignement du piano. »

 

Denis Havard de la Montagne

(novembre 2001, dernière mise à jour : décembre 2017)



[1]   Il convient de noter que pour ces deux compositions musicales seul le patronyme « Paris » est mentionné, sans précision du prénom. Néanmoins, tout laisse à penser qu'il s'agit bien de Claude Paris en n'excluant pas cependant qu'il puisse s'agir d'un homonyme.

Fichier MP3 Claude Paris, musique de ballet du Festin de Balthazar, drame sacré en cinq actes, mêlé de choeur et à grand spectacle, paroles de Francis Cornu et Gustave Robillard, représenté le 15 mai 1833 à Paris, au Théâtre de l’Ambigu-comique (in Wiener Pfennig-Magazin für piano-forte, rédigé par Carl Czerny, 1er vol., Wien, Tobias Haslinger, 1835).
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)


Émile BIENAIMÉ (1802-1869)

On assure qu’Emile Bienaimé mit vingt ans pour rédiger les trois volumes de son Ecole de l’harmonie moderne, traité complet de la théorie et de la pratique de cette science depuis ses notions les plus élémentaires jusqu’à ses derniers développements (grand in-8°, Paris, Harand, 1863). Cet ouvrage de référence à l’époque, même s’il est devenu obsolète de nos jours, est un véritable témoignage du sérieux et de la vaste connaissance de son auteur.

Né le 6 juillet 1802 à Paris, Paul-Emile Bienaimé est fils de l'architecte Théodore Bienaimé (Amiens, 11 janvier 1765 – Paris, 14 décembre 1826) et de Marie Haumont. Ancien élève de Durant et de Thibaut à l'Académie royale d'architecture (grand prix 1793), Théodore est notamment l'auteur de la décoration intérieure du Théâtre Favart (1799), de la reconstruction au début du XIXe siècle du château de Jouy-en-Josas (Yvelines) et d'un canal de plus de 200 mètres à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), avant de devenir l'architecte officiel d'Elisa Bonaparte, princesse de Lucques et de Piombino. Egalement Inspecteur des Bâtiments civils, l'un de ses derniers ouvrages sera la restauration en 1823 de l'église Saint-Germain-des-Prés… Notre musicien serait aussi, d’après Fétis, de la même famille qu’un certain Bienaimé-Fournier, horloger mécanicien à Amiens, qui inventa en 1824 un nouveau métronome. Cet appareil n’eut cependant guère de succès en raison de son prix élevé, bien qu’il fut à l’époque approuvé par le Conservatoire de musique et fit l’objet d’une Notice du métronome perfectionné de Bienaimé, publiée en 1828 chez Ledieux-Candia, à Amiens (16 pages)...

Emile Bienaimé fréquenta enfant la Maîtrise de la cathédrale de Paris, située dans l’Hôtel de Gaillon, 8 rue Massillon. En ce temps là, les enfants étaient admis dès l’âge de 7 ou 8 ans et y demeuraient élèves jusqu’à 18 ans. Pierre Desvignes était le maître de chapelle de cette église, et François Lacodre, dit Blin tenait les orgues. Il apprit là, comme tous les autres adolescents de son âge, le calcul, l’histoire, le latin, l’écriture, le dessin et l’instruction religieuse, et bien évidemment plus la musique et le chant... Parmi les jeunes mâitrisiens figurait à cette même époque un certain Alphonse Gilbert, qu'il va bientôt retrouver au Conservatoire de Paris et qui deviendra son beau-frère par son mariage avec sa sœur Amélie Bienaimé (Paris, 29 mai 1808 – Paris, 20 mai 1867), artiste peintre, élève de Ingres et de Redouté…

Admis au Conservatoire de Paris, Emile Bienaimé y suivit notamment les classes d’harmonie de Dourlen (2ème prix d’harmonie et d’accompagnement en 1822) et de contrepoint de Fétis. Il se distingua d’ailleurs particulièrement dans cette dernière discipline en remportant en 1825 un premier prix au concours pour la composition d’une fugue à quatre parties. L’année suivante il se présentait au Concours de Rome avec la cantate Herminie qui fut couronnée par un deuxième Second Grand Prix.

Notre-Dame en hiver. Eau-forte par Charles Pinet
( Coll. D.H.M. )

Le 5 mars 1827, Bienaimé, déjà maître de musique à la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, succédait à ancien maître Pierre Desvignes, mort le 21 janvier, au poste de maître de chapelle. Il eut alors l'opportunité de monter quelques unes de ses compositions de musique religieuse, notamment un Requiem à grand orchestre qu’il donna à la tête d’un orchestre de 120 musiciens, le 21 janvier 1830 lors du service solennel pour Louis XVI et Marie-Antoinette. Il fit également partie des tout premiers musiciens fondateurs, avec le violoniste François Habeneck, de la Société des Concerts du Conservatoire, créée le 15 février 1828 par un arrêté du ministre des Beaux-arts. Le premier concert avait eu lieu le 9 mars suivant, mais se retira de cette institution le 2 novembre 1848, après avoir participé à de nombreux concerts au sein du personnel chantant (ténor). La Révolution de 1830 ayant amené la suppression de ses postes à l’église métropolitaine, dont il fut congédié, il se consacra alors entièrement à l’enseignement au Conservatoire, où il avait été recruté dès 1825. Tout d’abord répétiteur d’une classe de solfège, avant d’être nommé professeur 4 années plus tard, il enseignait ensuite aux femmes l’harmonie et l’accompagnement pratique (1838), jusqu'à sa retraite arrivée en 1864. Le 17 janvier 1869 Emile Bienaimé s’éteignait subitement en donnant une leçon de musique dans le lycée parisien Louis-le-Grand de la rue Saint-Jacques ! Il laissait une veuve, Eugénie Giraud, âgée de 67 ans, de laquelle il avait eu un garçon : Félix Bienaimé, né en 1828, qui, tout comme son grand-père fera une carrière d'architecte à Paris.

Comme compositeur, on doit à Emile Bienaimé des mélodies et autres pièces pour les salons comme cette chanson Le Soldat Suisse (Paris, Au magasin de musique de J. Frey), un grand nombre de morceaux de musique religieuse, dont plusieurs Messes solennelles, et une Ouverture à grand orchestre, interprétée notamment le 25 décembre 1831 sous sa direction, lors de la séance annuelle de la Société libre des Beaux-arts, dont il était d’ailleurs membre. On lui doit aussi des ouvrages pédagogiques : Cinquante études d’harmonie pratique (1844, Paris, Troupenas, grand in-4°), recueil de basses chiffrées adopté à l’époque par les conservatoires de Paris, Bruxelles et Liège, et son Ecole de l’harmonie moderne, ainsi qu’une étude sur Claude Montal, facteur de pianos (aveugle), sa vie et ses travaux, écrite en collaboration avec Tahan et Pierre-Armand Dufau, avec une préface et une introduction de Michel Möring (1857, Paris, Firmin-Didot frères, fils et Cie, in-fol., oblong, VIII-102 pages) et un rapport fait à la Société libre des beaux-arts, au nom de la section musique, sur un mécanisme inventé par M. Le Père, pour accorder soi-même son piano à l’aide d’un moyen indépendant de l’oreille (Annales de la Société libre des beaux-arts, années 1838-1839) Il avait enfin entrepris la rédaction d’une magistrale Histoire du piano depuis son origine jusqu'à nos jours, qui fut interrompue par la mort subite de son auteur.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE


1827

Jean-Baptiste GUIRAUD (1804-1864)

Signature de Jean Guiraud (père)
Signature autographe de Jean Guiraud, père de Jean-Baptiste (1804) DR.

Fils de Jean Guiraud, instituteur à Bordeaux (Gironde) et de Jeanne Gossuron, Jean-Baptiste-Louis Guiraud est né dans cette ville le 18 nivôse an XII (9 janvier 1804) au domicile de ses parents, 1 rue Dieu. Doué pour la musique, il entre au Conservatoire de Paris, où il suit notamment les classes de contrepoint et fugue d'Antoine Reicha, ainsi que celle de composition de Jean-François Lesueur qui le mène au Concours de composition musicale de l'Institut. C'est ainsi, qu'en 1826, la même année que Berlioz, il se présente à cette épreuve pour la première fois. Si l'auteur de la Symphonie fantastique est éliminé dès les premières épreuves, Guiraud est quant à lui reçu et obtient ensuite le 1er Second Grand Prix avec la cantate Herminie sur un texte de J.-A. Vinaty. Le Journal des Savans de 1836 rappelle l'ensemble des épreuves de ce Grand Prix  : 1° - un contrepoint à la douzième , à deux et à quatre partie ; 2° - un contrepoint quadruple à l'octave ; 3° - une fugue à trois sujets et à quatre voix ; 4° - une cantate composée d'un récitatif obligé, d'un cantabile, d'un récitatif simple, et terminée par un air de mouvement. L'année suivante, il concourt à nouveau, toujours en compagnie de Berlioz parmi les autres candidats. Cette fois, ce dernier passe les premières épreuves éliminatoires, mais sa cantate Orphée déchirée par les Bacchantes (paroles de Berton) ne reçoit aucune récompense alors que Guiraud remporte l'épreuve et reçoit le 1er Grand Prix. Berlioz dans ses « Mémoires » écrira plus tard que ce fut de la faute du « médiocre pianiste » charger d'accompagner sa partition lors de l’exécution des cantates à l'Institut (le 6 octobre 1827) qu'il n'obtint aucun prix cette année-là. Fétis, dans sa Revue musicale (t. II, 1827) dit que si l'oeuvre de Guiraud est perfectible, on y perçoit néanmoins de l'imagination et du talent naturel, précisant : « une bonne déclamation dans le récitatif ; des chants naturels, élégants et qui prouvent qu'il a le sentiment de ce qui convient aux voix : une harmonie bien modulée, sans excès de transition ; enfin, un orchestre brillant sans bruit, voilà les qualités qui ont valu à M. Guiraud les suffrages de ses juges et les applaudissements du public », en ajoutant qu' « il y avait cependant dans le choix du sujet de la cantate, et surtout dans la manière dont le poète l'avait conçue, des difficultés assez grandes pour embarrasser, non seulement un élève, mais un maître consommé dans la pratique de son art » et concluant plus loin que « c'est sous le poids des conditions désavantageuses qu'on vient de dire, que M. Guiraud a écrit son ouvrage ; en avoir triomphé, comme il l'a fait, prouve qu'il est né pour l'art qu'il cultive, et qu'on peut tout attendre de lui. Une chaleur peu commune règne dans tout l'air final. N'ayant pu rythmer le chant de cet air, il a placé habilement le mouvement cadencé dans l'orchestre, et a dissimulé par là un défaut considérable, qui n'était pas le sien. Le désordre de la bacchanale qu'il fait entendre sur les derniers vers (Eurydice, attends-moi !...) fait aussi beaucoup d'effet. Il est un autre point sur lequel je dois le féliciter ; c'est de ne s'être point fait le copiste des formes à la mode, et d'être resté dans le sentiment qui lui est propre...»

Durant ses études au Conservatoire, Guiraud, en compagnie de Baptiste Tolbecque et d'Alphonse Gilbert, compose la musique de l'opéra-comique en un acte Charles V et Duguesclin (paroles de Vial, Carmouche et S...) dont la première a lieu le 3 octobre 1827 au Théâtre de l'Odéon. A cette époque, tous les trois sont employés au sein de l'orchestre de ce théâtre : Guiraud est violoniste, Tolbecque alto et Gilbert violoncelliste. Quelques années auparavant, il avait déjà publié deux premières ?uvres légères : des romances sur des paroles de Dumeillard (pseudonyme d'Alexandre-Adolphe Legrand) : Le Bal ! et Allons aux Champs (Paris, 1822, chez l'auteur, 53 rue Montmartre),

Théâtre français d'Orléans, ouvert en 1819
Théâtre français d'Orléans, ouvert en 1819, détruit par le feu en 1866
( © The Historic New Orleans Collection  )

En mars 1828, Jean-Baptiste Guiraud arrive à la Villa Médicis et après le séjour réglementaire de pensionnaire de l'Académie de France à Rome au cours duquel il compose, entre autres, un opéra italien intitulé Ruggero e Dradamante, il revient à Paris au début des années 1830 et tente vainement de se faire représenter au théâtre. C'est à cette époque qu'il épouse la pianiste Adèlaïde Croisilles, née le 11 novembre 1813 à Paris, ancienne élève du Conservatoire de Paris (1er prix de solfège 1825, de piano 1826, d'harmonie et accompagnement 1828) alors accompagnatrice de déclamation dans cet établissement depuis 1828 et accompagnatrice à la Société des Concerts. Sa soeur Esther Croisilles (née en 1805) est 1er prix de piano du Conservatoire de Paris en 1822, et son frère, violon solo de l'Opéra-Comique et de la Société des Concerts, Jules Croisilles (1816-1902), ancien élève de Baillot au Conservatoire de Paris (1er prix 1836) et un temps page de la Chapelle royale de Louis XVIII et Charles X, marié à Marie-Antoinette Noverre de Séricourt, est le bisaïeul de l'actuelle chanteuse et actrice Nicole Croisille, née le 9 octobre 1936 à Neuilly-sur-Seine. Mais voyant qu'il ne parvient pas à faire carrière dans la capitale, il s'expatrie avec son épouse à La Nouvelle Orléans (USA), où ils arrivent, semble-t-il, le 25 novembre 1836 à bord du bateau « Barque Salem ». Quelques années plus tard, en 1842, on trouve le couple installé dans cette ville, 64 Ursuline Street. Rapidement Jean-Baptiste Guiraud se fait une renommée d'excellent professeur de musique et parallèlement représente les pianos Erard et Pleyel. Tous deux sont également attachés à l'orchestre du Théâtre français d'Orléans, lui comme violoniste, elle comme pianiste, où le répertoire comporte bon nombre d'opéras français et italiens ; le 1er violon, un ancien élève de Baillot, Amédée Félix-Miolan (1813-av.1878, frère de la cantatrice Caroline Carvalho) en est alors le chef d'orchestre, avant de bientôt céder la baguette à Eugène Prévost, un compatriote installé peu après à La Nouvelle Orléans et également lauréat du Prix de Rome (1831). On dit que c'est sous l'impulsion de Jean-Baptiste Guiraud qu'est introduit le saxophone à La Nouvelle Orléans, dès son invention en 1840 par Adolphe Sax, qui va vite devenir l'un des principaux instruments des formations de jazz en Louisiane. Notre musicien fréquente également le salon de musique de la rue Royale de Jeanne Boyer, excellente pianiste et premier professeur de Louis Moreau Gottschalk (1829-1869) alors âgé de 10 ans, avant son départ pour Paris en 1842, après s'être produit en public, le 5 avril 1841 au Théâtre d'Orléans avec une Fantaisie pour le piano. Son époux, Gabriel Boyer (+1867 à 77 ans), venu de France en 1831, est le directeur de la très prisée « Day and boarding School for Young Gentlemen » de la rue Conti, où elle-même enseigne la musique ; leurs soirées mensuelles mondaines sont courues des notabilités néo-orléanaises. On rapporte que Guiraud ne pouvait entendre Gottschalk jouer du piano sans verser de larmes, notamment lorsqu'il accompagnait la célèbre soprano Julie Calvé quand elle se produisait dans cette ville !

Mais, le 20 mai 1848 sa jeune épouse âgée de 35 ans meurt à La Nouvelle Orléans, laissant un fils, Ernest, âgé alors de 10 ans, auquel il va donner une solide formation musicale. C'est ainsi qu'en 1849, il emmène son fils à Paris afin de lui faire découvrir le milieu artistique dans lequel baigne la capitale. Là, il découvre notamment l'Opéra-Comique où son oncle maternel est 1er violon.

De retour à la Nouvelle Orléans, Jean-Baptiste Guiraud reprend son enseignement et en avril 1853 au Théâtre d'Orléans il a la satisfaction de pouvoir assister à la première de l'opéra Le Roi David écrit par son fils Ernest Guiraud, alors âgé de 15 ans ; l'orchestre est conduit par Eugène Prévost. C'est à cette époque, qu'il l'envoie s'installer définitivement à Paris chez son oncle Croisilles afin de poursuivre ses études musicales au Conservatoire qui le mèneront à son tour à l'obtention du 1er Grand Prix de Rome en 1859.

Entre temps, Jean-Baptiste Guiraud, alors veuf, se remarie à Anaïs Delpuget, née en 1821, qui lui donne trois autres enfants nés à La Nouvelle Orléans : Jeanne-Berthe Guiraud le 12 novembre 1851, Maurice Guiraud le 21 novembre 1856 et Maxime Guiraud le 2 septembre 1860. Mais, Jean-Baptiste décède peu après dans cette même ville, le 13 août 1864 à l'âge de 60 ans. Sa veuve disparaîtra à son tour bien plus tard, le 6 décembre 1905 à la Nouvelle Orléans ; elle était âgée de 84 ans et avait dû se résoudre à vendre sa propriété le 8 mai 1872 quelques années après le décès de son mari. Aucun des enfants de ce second mariage ne semble avoir fait carrière dans la musique : Jeanne, décédée le 5 janvier 1939 à La Nouvelle Orléans à l'âge de 87 ans épouse en 1878 Stephen Decatur Pool jr. (1847-1892), originaire du comté de Pasquotank (Caroline du Nord), éditeur d'un journal à La Nouvelle Orléans et fils du Colonel de l'Armée des Confédérés durant la guerre civile Stephen Decatur Pool (1819-1901) ; Maurice, « employé » à la Nouvelle Orléans y réside encore en 1913 ; quant à Maxime, mort le 9 août 1925 dans cette même ville, marié en 1899 à Salomé Kern, il y exerce la profession de cigarettier. De nos jours, les descendants de Jeanne Pool entre autres, qui eut 6 enfants de son mariage, sont les représentants américains de leur digne aïeul bordelais au sein des familles Pool et Herbert.

Si Jean-Baptiste Guiraud a écrit peu d’œuvres, ou du moins elles n'ont pas survécu au temps, et son nom oublié de tous, faisons la grâce à ce lauréat du Prix de Rome de reconnaître qu'il a joué un rôle important dans l'enseignement et le développement de la musique en Louisiane.

Denis Havard de la Montagne

Alphonse GILBERT (1805-1870)

Lorsque le 21 septembre 1841 la Commission de réception nommée par le Ministre des Travaux publics, au sein de laquelle figuraient notamment Cherubini, Berton, Auber, Halévy, Spontini et Carafa, reçut le grand-orgue de 32 pieds construit par Cavaillé-Coll père & fils, Alphonse Gilbert prêta son concours et toucha l’instrument en même temps que la plupart des organistes renommés de la capitale.

Né le 2 février 1805 à Paris, Louis-Alphonse Gilbert débuta ses études musicales à la maîtrise de Notre-Dame, alors placée sous la direction musicale du maître de chapelle Pierre Desvignes. Sans doute y était-il entré dès l’âge de 7 ou 8 ans, pour n’en sortir qu’à 18 ans, comme le prévoyaient les statuts de juillet 1807. Cette maîtrise comprenait 12 enfants dont la vie était bien réglée : lever à 6 heures, étude de la musique le matin, puis l’après-midi jusqu'à huit heures, calcul, histoire, instruction religieuse, latin, écriture et dessin... Ils étaient logés dans l’hôtel de Gaillon, 8 rue Massillon. C'est là qu'il fit la connaissance de son futur beau-frère, Emile Bienaimé (1802-1869), lui-même jeune maîtrisien. En octobre 1822 il fut admis au Conservatoire, où, entre autres, il suivit les cours de contrepoint de Fétis et de composition de Berton. En 1827, sa cantate Orphée lui valut un deuxième second Grand Prix de Rome. Après avoir poursuivi quelque temps ses études de composition auprès de Berton, dans l’espoir de pouvoir décrocher un premier prix au Concours de Rome, ses tentatives étant restées vaines, il quittait définitivement le Conservatoire en 1831.

Par la suite, violoncelliste à l’orchestre du Théâtre de l’Odéon, il touchait également les orgues de l’église Notre-Dame de Lorette située dans le neuvième arrondissement parisien. Construite entre 1823 et 1836 par l’architecte Hippolyte Lebas, qui s’inspira de l’église Sainte-Marie-Majeure de Rome, cette église bénéficia d’un grand-orgue, construit par le facteur Aristide Cavaillé-Coll, qui fut reçu en 1838. Il comportait alors 47 jeux répartis sur 3 claviers de 54 et 37 notes et un pédalier de 21 notes. Alphonse Gilbert, l'un des quatre organistes, avec Séjan, Fessy et Lefébure-Wély qui avaient inauguré l'instrument en octobre 1838, en fut le premier titulaire jusqu'à sa mort. En ce lieu, il eut l’occasion de collaborer durant plusieurs années avec César Franck qui tint l’orgue de chœur de 1845 à 1853, avant de rejoindre l’église Sainte-Clotilde. Le mariage de ce dernier avec Félicité Saillot-Desmousseaux fut d’ailleurs célébré dans cette église le 22 février 1848.

Compositeur distingué, en mars 1847 à Paris, lors d'un concours de composition, il fut notamment récompensé par un premier et second prix décernés par le jury (présidé par Auber) de la Commission des chants religieux et historiques, instituée par le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes, pour deux de ses œuvres : O moment solennel, ce peuple prosterné (paroles de Fontanes) et J'ai révélé mon cœur au Dieu de l'innocence (paroles de l'auteur). L'année suivante, il remportait une médaille de bronze au concours de composition des chants nationaux destinés à être exécutés dans les fêtes publiques (ouvert par arrêté du même Ministre du 27 mars), pour Les Forgerons, "hommage aux travailleurs", pour chœur et solo (paroles de l'auteur). Environ 800 morceaux (paroles et musique) avaient été envoyés au Ministère! On lui doit également un Solfège à une voix (1865) et un Solfège à deux voix, sans accompagnement (3e édition, chez E. Girod, Paris, 1865).

Le 5 août 1834 à Paris, Alphonse Gilbert avait épousé Amélie Bienaimé. Née à Paris le 29 mai 1808, fille de Théodore Bienaimé et de Marie Haumon. Artiste peintre, elle avait été élève d'Ingres et de Redouté. On lui connaît Une vue des environs de Rome et deux aquarelles : Bouquet de dahlias et de géranium blanc ; Bouquet de tulipe, géranium rouge, rose et pensée. Elle est décédée à Paris le 20 mai 1867. Par cette union, Alphonse Gilbert devenait le beau-frère d'Emile Bienaimé, lauréat du Prix de Rome deux années avant lui. De ce mariage vint un fils : Victor Gilbert, né le 4 octobre 1835 à Paris. Employé de banque, marié en 1867 avec Hélène Baze, fille de Jean-Didier Baze (avocat) et d'Adélaide-Corinne Dowling, celui-ci mourut le 15 mars 1880 à Paris.

Quant à Alphonse Gilbert, il est décédé à l'âge de 65 ans, le 12 décembre 1870 en son domicile parisien de la rue Saint-Sulpice.

Denis Havard de la Montagne
(2012, mise à jour : novembre 2017)


1828
La Dame d’honneur, opéra-comique en un acte représenté pour la 1ère fois le 4 octobre 1838 à l'Opéra-Comique. Extrait, morceau n° 4, chanté par Mlle Zoé Prévost (1802-1861), soeur du Prix de Rome Eugène Prévost
(coll. BNF/Gallica)
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Guillaume ROSS dit DESPRÉAUX (1802 - 1865)

Berlioz, commentant la première représentation, le 4 octobre 1838 au Théâtre de l’Opéra-Comique de l’ouvrage en un acte, La Dame d’honneur, de Despréaux, sur un livret MM. Edouard Monnais et Paul Duport, écrivait un jour 1 :

« La musique de M. Despréaux est d'une nature beaucoup plus simple que le poème de MM. Duport et de Monnais; je l'ai donc parfaitement saisie et goûtée d'un bout à l'autre. Les morceaux sont tous écrits dans le style que comportait le ton général de la pièce; les voix et les instruments y sont employés avec goût et une sage réserve; l'harmonie est pure; la mélodie a peut-être des formes un peu écourtées; les modulations y sont rares, mais bien motivées et préparées toujours avec un sentiment fort délicat des rapports des tonalités diverses. Le meilleur morceau, ce me semble, est un trio finissant en quatuor, dans lequel Jansenne chante avec âme une phrase charmante, bien accompagnée par les violoncelles ».

Ce gentil vaudeville, qui raconte l’histoire du chevalier de Vaudreuil, amoureux d’une jeune veuve désargentée, que son oncle empêche d’épouser, était ce jour là interprété par MM. Jensenne (chevalier de Vaudreuil), Riquier (vicomte de Marbœuf), Henri (Lajolais) et Mmes Augusta (madame de Nangis) et Prévost (Marguerite). Si l’histoire, assez compliquée du reste, ne fut pas goûtée par les critiques musicaux, notamment par Berlioz qui avoue être « dans l’impossibilité de raconter d’une façon intelligible la pièce nouvelle » et par le journal « La France musicale » 2, qui affirme que « le poème est volatile, aérien ; c’est une véritable illusion  », la musique en est cependant appréciée par l’auteur de la Damnation de Faust. Et pourtant, Berlioz qui, on le sait, dut s’y reprendre à cinq fois pour décrocher le Premier Grand Prix de Rome (1830) !, pouvait légitimement en vouloir à Despréaux : à deux reprises, en 1827 et 1828, il lui avait ravi la place au Concours de Rome.

Malgré cela, cet artiste n’a guère fait date dans l’histoire musicale. On sait peu de choses le concernant ; sans Fétis et sa Biographie universelle des musiciens, dans laquelle il lui consacre quelques lignes, Despréaux serait sans doute à jamais retombé dans l’oubli. Mais, de récentes recherches approfondies nous on permis d'en savoir davantage sur la vie et les origines de cet artiste.

Signature autographe de Jean Ross, père de Guillaume (1802)
DR.
Portrait de “Mlle Despréaux”, soeur de Guillaume
DR.

Auvergnat de naissance, Guillaume Despréaux, de son vrai nom Guillaume Ross pour l’état-civil, est né « le troisième jour complémentaire de l'an 10 de la République française » (20 septembre 1802) à Clermont-Ferrand. Son père, Jean Ross, né vers 1760, musicien et acteur de profession, était connu sous le nom de « Despréaux ». En 1803, à la naissance de Marie-Catherine-Rosalie Ross, une sœur de Guillaume, déclarée le surlendemain, le 3 vendémiaire an XII (26 septembre 1802), à la Mairie de cette même ville, on relève que les deux témoins sont aussi des artistes : Jean-Baptiste Guilleminot, « maître de musique à l'orchestre, âgé de cinquante huit ans » et Thierry Terrier, « artiste dramatique, âgé de quarante ans, toux deux habitants de cette commune. » Quelques années plus tard, Jean Ross et son épouse, née Louise Boissel, sont en Belgique. Il est alors directeur de spectacles, attaché au Théâtre d'Anvers et c'est dans ce pays, à Mons, que naît une autre sœur de Guillaume, Louise-Rosalie Ross, le 20 janvier 1810. Celle-ci, à peine âgée de 10 ans, fit ses premiers pas sur la scène en juin 1820 dans une représentation que le célèbre comédien Talma donnait au Théâtre d'Anvers (rôle de Joas dans Athalie). Charmé de l'intelligence qu'elle déployait, il fit venir à Paris la famille Ross et dès le 14 décembre 1820, Louise-Rosalie reprenait son rôle dans Athalie, cette fois dans la capitale. Elle entrait ensuite dans la classe de comédie du Conservatoire de Paris, où elle obtenait un 1er prix en 1826. Dans cet établissement, elle rejoignait ainsi son frère aîné, où celui-ci suivait alors les cours de composition de Fétis et de Berton. Connue sous le nom de Mlle Despréaux, puis de Mme Allan-Despréaux, après son mariage célébré à Paris le 18 août 1832 avec l'acteur du Théâtre du Gymnase Auguste Allan qu'elle avait rencontré surs les planches, elle fera par la suite une brillante carrière à la Comédie française et au Théâtre français de Saint-Pétersbourg, jusqu'à son décès survenu jeune, le 22 février 1856 à Paris. On lui doit la création de nombreux rôles, notamment dans des pièces d'Alfred de Musset, d'Octave Feuillet et de Scribe.3

En 1824, Guillaume Despréaux fut engagé au Théâtre du Gymnase-Dramatique de la rue Bonne-Nouvelle, où l’on jouait principalement des vaudevilles d’Eugène Scribe. Cette salle de spectacle, dont la façade actuelle date de 1887, avait été construite en 1820 par les architectes Rougevin et Guerchy. De 1824 à la Révolution de 1830, elle porta le nom de Théâtre de Madame, en l’honneur de la Duchesse de Berry qui la patronnait. A l’époque où Despréaux jouait la comédie au Gymnase-Dramatique, la direction en était assurée par Charles Delestre-Poirson, et les acteurs, parmi lesquels figuraient Virginie Déjazet et Léontine Fay, interprétaient de charmants vaudevilles, tels Le Mariage enfantin, La Petite lampe merveilleuse, Caroline, Le Plus beau jour de la vie

En 1827, Despréaux se présentait une première fois au Concours de Rome. Parmi les postulants se trouvait un certain Berlioz, qui, non admis l’année précédente à l’épreuve éliminatoire (fugue à 4 voix), concourait à nouveau et qui notera plus tard dans ses Mémoires4 :

« L'époque du concours de l'Institut étant revenue, je m'y présentai de nouveau. Cette fois je fus admis. On nous donna à mettre en musique une scène lyrique à grand orchestre, dont le sujet était Orphée déchiré par les Bacchantes. Je crois que mon dernier morceau n'était pas sans valeur; mais le médiocre pianiste (on verra bientôt quelle est l'incroyable organisation de ces concours) chargé d'accompagner ma partition, ou plutôt d'en représenter l'orchestre sur le piano, n'ayant pu se tirer de la Bacchanale, la section de musique de l'Institut, composée de Cherubini, Paër, Lesueur, Berton, Boïeldieu et Catel, me mit hors de concours, en déclarant mon ouvrage inexécutable. Après l'égoïsme plat et lâche des maîtres qui ont peur des commençants et les repoussent, il me restait à connaître l'absurdité tyrannique des institutions qui les étranglent. Kreutzer m'empêcha d'obtenir peut-être un succès dont les avantages pour moi eussent alors été considérables; les académiciens, en m'appliquant la lettre d'un règlement ridicule, m'enlevèrent la chance d'une distinction, sinon brillante, au moins encourageante, et m'exposèrent aux plus funestes conséquences du désespoir et d'une indignation concentrée. »

Despréaux fut récompensé par un 1er Second Grand Prix et Berlioz non primé. L’année suivante tous deux se représentaient à nouveau. Herminie se couvrant des armes de Clorinde, épisode du Tasse versifié par le poète A. Vieillard, était le sujet imposé. Ironie du sort !, Berlioz pour la seconde fois se trouva classé derrière Despréaux qui remporta le 1er Grand Prix. Il rapportait alors dans ses mêmes Mémoires5:

« Au milieu du troisième air (car il y avait toujours trois airs dans ces cantates de l’Institut; d'abord le lever de l'aurore obligé, puis le premier récitatif suivi d'un premier air, suivi d'un deuxième récitatif suivi d'un deuxième air, suivi d'un troisième récitatif suivi d'un troisième air, le tout pour le même personnage); dans le milieu du troisième air donc, se trouvaient ces quatre vers :

Le Souper du mari
(Bibliothèque d’Etat de Bavière, Munich)

Dieu des chrétiens, toi que j'ignore,
Toi que j'outrageais autrefois,
Aujourd'hui mon respect t'implore,
Daigne écouter ma faible voix .

J'eus l'insolence de penser que, malgré le titre d'air agité que portait le dernier morceau, ce quatrain devait être le sujet d'une prière, et il me parut impossible de faire implorer le Dieu des chrétiens par la tremblante reine d'Antioche avec des cris de mélodrame et un orchestre désespéré. J'en fis donc une prière, et à coup sûr s'il y eut quelque chose de passable dans ma partition, ce ne fut que cet andante. »

Guillaume Ross dit Despréaux partit à Rome effectuer le traditionnel séjour à la Villa Médicis, où il arriva au début de janvier 1829. Parmi ses envois de Rome, un Requiem et un Dies Irae furent particulièrement remarqués. De retour à Paris, il se lança dans la composition d’ouvrages destinés au théâtre, notamment un opéra en 1 acte intitulé Le Souper du mari, sur des paroles de Charles Desnoyers et de Hippolyte Cognard, « dédié à son père » qui fut représenté pour la première fois le 23 janvier 1833 à l’Opéra-Comique (Paris, Vve Auguste Leduc), puis, un autre opéra La Dame d’honneur, déjà mentionné au début de cette étude.

Par la suite, bien que l'on retrouve son nom comme critique musical, notamment dans la Revue musicale de Fétis, il semble avoir abandonné la composition ou du moins très peu produit. En effet, alors marié depuis le 1er août 1833 à Paris avec Clorinde Hotteaux, née dans la capitale le 16 mars 1808, fille d'André Hotteaux, plumassier-fleuriste, et d'Elisabeth Périn, on le trouve déjà employé dans le commerce de fabrication de fleurs que ses beaux-parents tiennent à leur domicile, 59 rue Meslay. Puis en 1836, ceux-ci l'autorisent légalement, avec leur fille, d'exercer « une branche d'industrie spéciale ayant de l'analogie et du rapport avec leurs affaires », à savoir « l'achat et la revente d'étoffes de soie et de coton propres à la fabrication de fleurs », sous le nom de « M. et Mme Hotteaux ». Cette autorisation sera renouvelée devant notaires à deux reprises : le 24 février 1844, puis le 9 septembre 1847.6

Guillaume Ross-Despréaux est mort « rentier » à son domicile du 45 de la rue Basse ; dans le 16ème arrondissement parisien, le 14 juin 1865, à l'âge de 62 ans. Son épouse trépassait quelques mois plus tard, le 1er septembre 1865 à 58 ans.

Denis Havard de la Montagne
(2002, mise à jour : avril 2017)

1 Revue et gazette musicale de Paris, 7 octobre 1838.

2 7 octobre 1838, article signé « J. M. »

3 Sur cette comédienne, voir E.-D. de Manne et C. Ménétrier, Galerie historique de la Comédie française pour servir de complément à La Troupe de Talma..., Lyon, N. Scheuring, éditeur, 1876, pp. 136-144, et La Grande encyclopédie..., Berthelot, 31 volumes, Paris, H. Lamirault, 1885-1902, t. 2, pp. 249-50.

4 Mémoires 1803-1865 (rédigées à partir de 1848), Paris 1870, Calmann-Lévy. Tome I, chapitre XIV.

5 ibid., chapitre XXIII.

6 Gazette des tribunaux, journal de jurisprudence et des débats judiciaires, éditions des 6 mars 1844 et 26 septembre 1847.

Julien NARGEOT (1799–1891)

Théâtre des Variétés
Théâtre des Variétés, Paris, boulevard Montmartre, à l'époque où Julien Nargeot y était chef d'orchestre
( Aquarelle Christophe Civeton, 1829, collection BNF Richelieu )
Julien Nargeot
Julien Nargeot, vers 1870
(coll. DHM) DR.

Violoniste, chef d’orchestre, auteur d’opérettes et de chansons, Pierre Julien Nargeot est né à Paris le 7 juillet 1799, fils de Denis Nargeot, domicilié 8 quai de la Mégisserie, employé à l'Etat-Civil de Paris (mort en 1823) et de Marie-Anne Cior1. Son frère aîné, Jean-Denis Nargeot (1795-1871), élève de Royer et de Benoist, fera une carrière de graveur en taille douce, notamment comme graveur de dessins au Journal des dames et des modes (1831 à 1837), ainsi que portraitiste et illustrateur de livres. Le fils de ce dernier, Adrien Nargeot (1837-ap.1898), élève de Charles Gleyre et de Jean-Auguste Dubouloz, sera également un graveur reconnu après avoir obtenu en 1860 un 2e Grand Prix de Rome de gravure en taille douce. On lui doit, entre autres, plusieurs eaux-fortes de musiciens (Ambroise Thomas, Adelina Patti, Marie Sass).

Julien Nargeot fit ses études musicales au Conservatoire de Paris où il entra en octobre 1813 à l’âge de 14 ans dans la classe de solfège d'Hippolyte Desbuissons, puis dans celle de François Bodin. En même temps, il fréquentait la classe de violon de Simon Mialle (1814), avant d’entrer l'année suivante dans celle de Baillot et plus tard dans celle de Kreutzer. Il sera aussi élève de contrepoint et fugue de Barbereau et de Reicha, et de composition de Lesueur. En 1826, il obtenait un 1er prix de contrepoint et fugue et en 1828 un deuxième Second Grand Prix de Rome avec la scène à une voix Herminie de Vieillard. Il n’y avait pas eu de Premier Grand Prix décerné cette année, seuls deux candidats furent récompensés : Berlioz, qui se présentait pour la 3ème fois et Nargeot.

Entré à l’orchestre de l’Opéra-Comique durant ses études au Conservatoire, Julien Nargeot fit ensuite carrière à l’orchestre du Théâtre-Italien puis, à partir du 31 janvier 1826, à celui de l’Opéra. Quelque temps alto avant d’être nommé 1er violon aux cotés de Baillot, Urhan, Tilmant, Tolbèque et Barbereau, il restera dans cette institution jusqu’au 1er septembre 1839, moment où il devint chef d’orchestre du Théâtre des Variétés du boulevard Montmartre. On donnait dans cette salle de spectacles de joyeux vaudevilles et des bals qui attiraient un public parisien avide de divertissements. Alors placé sous la direction de Jouslin de la Salle, bientôt remplacé (1840) par Leroy, c’est surtout à partir de Nestor Roqueplan (1841 à 1847), avant qu’il ne fut administrateur de l’Opéra (1847), de l’Opéra-Comique (1857) et enfin du Châtelet (1869), que le Théâtre des Variétés prit un réel essor, avec l’introduction de pièces de Lockroy (Le Chevalier du Guet, 1840, On demande des professeurs, 1845, Les Trois coups de pieds, 1851), Alexandre Dumas (Halifax, 1842), Théophile Gautier (Le Tricorne enchanté, 1845), Labiche (Oscar XXVIII, 1848, Madame veuve Larifla, 1849, Un Monsieur qui prend mouche, 1852), Alfred de Musset (L’Habit vert, 1849), George Sand (La Petite Fadette, 1849) et d’opérettes d’Offenbach (La Femme à trois maris, 1853, Pépito, 1853).

C’est ainsi que Nargeot écrivit un grand nombre de chansons, airs, quadrilles, rondes, insérés dans ces pièces, notamment dans Le Tricorne enchanté de Théophile Gautier (1845) et Le Lion empaillé de Léon Gozlan (3 octobre 1848), une comédie-vaudeville dans laquelle figure la « chanson de table » Drinn, drinn, drinn, chantée par Lafon et qui eut à l'époque un grand succès populaire, de même que les airs du vaudeville en un acte L'amour qu'c'est qu'ça de Clairville, Thiboust et Delacour, joué en décembre 1876 au Théâtre-Parisien.

Drinn, drinn, qui fut l'air de marche populaire de la Garde nationale de 1848, a été certainement l'un de ses plus grands succès, c'est du moins ce que l'on comprend au travers d'une anecdote rapportée par le journal Le Ménestrel du dimanche 4 mars 1849 :

Drinn, drinn, drinn.
Drinn, Drinn, Drinn, chanson de table, 1848
(coll. Bibliothèque de la Ville de Paris)

L'autre soir,— ou plutôt l'autre jour, car il était deux heures du matin, — deux hommes sortaient d'un bal, et cheminaient ensemble.

Tout à coup, un ouvrier attardé se mit à entonner dans la rue cet éternel drinn drinn.

Cet air me porte sur les nerfs ! dit l'un des deux hommes à son compagnon de route.

Il est pourtant bien joli, répondit l'autre. L'éditeur Brûlé est en train de gagner dix mille francs avec cette bagatelle.

Je lui en fais mon compliment sincère, mais j'en rougis pour mon pays.

Pourquoi cela ? Savez-vous que l'inventeur du drinn drinn a plus de mérite à mes yeux que Meyerbeer, Halévy e tutti quanti ?

Oh comme vous y allez ! Si M. Nargeot vous entendait il saluerait jusqu'à terre, mais il rirait bien.

Il aurait tort ; moi je préfère cette mélodie simple et franche à maintes cantilènes gourmées, empesées, collet-monté, de nos grands maîtres. Au moins ce drinn drinn se grave immédiatement dans toutes les mémoires. C'est ainsi qu'un motif devient populaire.

Voilà le grand mot lâché !.. Populaire !.. Quand ils ont prononcé ce mot, ils ont tout dit, et ils ne savent pas seulement ce que ce mot, cette affreuse chose : air populaire, recèle d'ennuis et de catastrophes dans ses flancs !

Vous détestez donc les airs faciles ?

Je les abhorre ! Je les maudis !

Et vous aimeriez mieux les mélodies d'opéra bien savantes, bien compliquées ?

Oui, monsieur : au moins il faut se mettre quatre pour les retenir : vos fabricants de motifs populaires ne savent pas que de malédictions les attendent ici-bas. Qui dit populaire dit banal ; ainsi ont commencé la valse de Robin des bois, la Grâce de Dieu, l'air de la polka, l'hymne des Girondins. Tous les salons se sont emparés de ces mélodies, tous nos vaudevillistes se sont rués sur elles ; du fond des théâtres elles ont inondé nos rues, nos carrefours, pour aller ensuite mourir ignominieusement au sein des orgues de barbarie!.. Aujourd'hui c'est le tour du drinn drinn. Au spectacle, en soirée, dans nos bals public et privés, le soir, le matin, la nuit, le jour, dans la ville, dans les faubourgs, sans cesse et toujours, j'entends cet infâme drinn drinn ! J'en ai la fièvre, j'en ai des crises nerveuses ! Demain, après-demain peut-être, cet air que j'exècre, cette chose atroce, recevra l'humiliant baptême de l'orgue de Barbarie ; alors je quitte mon pays et je pars pour la Californie !...

Justice du ciel ! comme vous haïssez ce pauvre drinn drinn !

Pardi ! c'est moi qui l'ai composé...

Comment!., vous seriez?...

Je suis M. Nargeot, chef d'orchestre du théâtre des Variétés.

En 1853, Nargeot quitta les Variétés pour entrer comme alto à l’orchestre de la Chapelle impériale que Napoléon III venait de rouvrir aux Tuileries, après 23 ans de fermeture, François Auber en assurant la direction et Narcisse Girard dirigeant l’orchestre. C’est sans doute ce dernier d’ailleurs, qu’il avait connu à l’orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire où tous les deux étaient entrés dès la première année de sa création (1828), en qualité d’alto et de violon, qui le fit entrer à la Chapelle. Cependant ce n’était pas la première fois qu’il était attaché à la Chapelle : en avril 1830, il avait succédé à Jadin, mis à la retraite, comme maître des pages de la Chapelle de Charles X, mais cinq mois plus tard, après la Révolution de Juillet, Louis-Philippe supprimait la musique de la Chapelle royale alors dirigée par Lesueur et Cherubini. A la même époque (1827), Nargeot avait également fait partie de l’éphémère orchestre du Gymnase musical fondé par Jean-Louis Decourcelle, un peintre et flûtiste amateur, désireux de faire entendre des œuvres nouvelles des jeunes compositeurs. Composé d’une quarantaine de musiciens, parmi lesquels Urhan, Vogt et Gebauer, cet orchestre, dirigé par Théophile Tilmant, disparut en 1832 à la suite d’une mésentente entre ses sociétaires.

Le 21 octobre 1863, âgé de 64 ans, Nargeot démissionna de la Société des Concerts du Conservatoire dont il était membre depuis 35 ans. Il passa le reste de sa vie à composer, à essayer de faire représenter ses opérettes sur des scènes des boulevards parisiens et mourut à Paris, le 30 août 1891 à l’âge avancé de 92 ans, en son domicile de la rue de la Tour. Ses obsèques furent célébrées le surlendemain en l’église Notre-Dame-de-Grâce de Passy.


La Coupe d’or, chanson
(coll. DHM) DR.
Le Petit neveu de Jocrisse, scène comique
(coll. DHM) DR.

Si l’on trouve dans le catalogue de Julien Nargeot quelques morceaux de musique instrumentale composés dans sa jeunesse, notamment son opus 1 qui est un Air varié pour violon avec accompagnement de piano (Paris, Schoenenberger) et son opus 4 une page pour violon également : Plaisir d’Amour (Paris, en vente en 1854 au bureau de L’Univers musical), il a principalement illustré musicalement un grand nombre de pièces de théâtre, vaudevilles et autres scènes comiques avec des chansons : Le Chant, la belette et le petit lapin, paroles de E. Clément (1840), L'Audience du juge de paix, paroles de Ch. Delange, exécutée par Mlle Flore au Théâtre des Variétés (1844), Monsieur mon filleul, paroles du même (1845), Rondes des Zouaves (1855), Le Petit neveu de Jocrisse, paroles de Daniel Same (Paris, Cartereau), La Coupe d'or, paroles de Paul Perigot, C'est les bêt's qu'ont le l'plus d'esprit, paroles de Jaime fils (Paris, Choudens), L'Auvergnat au harem, paroles de Marc Constantin (Paris, Huré, 1862), et composé bon nombre d’opéras bouffes et d’opérettes qui n’eurent que peu de succès : Le Petit Messelin (Folies-Nouvelles, 1855), Trois Troubadours (Folies-Nouvelles), Un Monsieur bien servi ! (Jocrissiade de C. Delange, Folies-Nouvelles, 1856), J. Pifferari (opéra bouffe en un acte, à deux personnages, poème de A. de Jallais, Champs-Elysée, 1858), Les Ouvrières de qualité (vaudeville en 1 acte, paroles de J. Duflot, publié dans le journal Magasin des Demoiselles, n° 8 du 25 mai 1858), Le Docteur Frontin (Champs-Elysées, 1861), Les Contrebandistas (Théâtre féerique, 1861), La Volonté de mon oncle (Vaudeville, 1862), Un Vieux printemps (Théâtre du Luxembourg, 1865), En revenant de Mexico, paroles de J. A. de Sorant [pseudonyme de Joseph-André de Rostan], interdit par la censure puis autorisé sous le nouveau titre de : Les Exploits de Sylvestre (Théâtre Saint-Germain, 14 avril 1866), Dans le Pétrin (folie-opérette en un acte, paroles de M. de Sorant, Folies-Marigny, 31 août 1866), Jeanne, Jeannette et Jeanneton (paroles de E. Abraham et M. Constantin, Folies-Marigny, 1876)...

Félix Savard, dans Le Messager des Théâtres du 2 septembre 1866, rendait compte ainsi de la première de Dans le Pétrin :

Dans le pétrin, folie-opérette, 1866
(coll. Bibliothèque musicale de l'Université de Chapel Hill, Caroline du Nord, USA)
Fichier MP3 Fichier audio de l’Ouverture par Max Méreaux (DR.)

« Les Folies-Marigny exercent réellement une influence attractive sur les masses ; on y vient et l'on y revient, et là, peut-être plus encore qu'ailleurs, les soirs de « première » on tout à fait des allures de solennité.

Les voitures se glissent, par autorisation spéciale, entre les bosquets fleuris de M. Alphand ; le fanal du théâtre a des feux plus empourprés ; le gaz, des clartés plus étincelantes, et les sergents de ville mettent des gants blancs. La foule envahit le contrôle, on refuse du monde, il y a de la presse à la queue et toute la presse dans la salle : les critiques les plus influents, — y compris le somnolent Sarcey, — taillent leurs bonnes plumes de Tolède, les gandins astiquent leurs lorgnettes. On frappe les trois coups, on commence...

Tenez, voilà ce qui vient de paraître... La pâtissière a des écus, — un mari, et, avec cela, des velléités immodérées du faire « cascader, cascader sa vertu. » Pendant l'absence du terrible Mogolistan, — j'aurais autant aimé Afghanistan ou Bélouchistan, qui est allé à Cancale recueillir l'héritage d'un oncle, sa moitié, qui s'est parfaitement consolée de son départ, garde la boutique et se laisse conter fleurette par un jeune cocodès, fils d'un fabricant de faux-cols et possesseur de 813 fr. 47 cent. de rente ; lequel va passer toutes ses soirées dans ses châteaux, — le château d’Asnières et le Château-Rouge. Soudain, voilà Mogolistan qui revient comme jadis le sire de Framboisy ; il rapporte avec lui, de Cancale, quelques moules... à biscuits, et, en fait d'huîtres, une écaillère qu'il a laissée à la cantonade, et dont il compte faire une pieuvre à son usage et à celui de ces « petits Messieurs... C'est naturel, du reste, cette femme doit avoir l'expérience de cette sorte de mollusque... Bref, surpris par ce retour imprévu, Balandar, — c'est l'amoureux,— fuit dans le pétrin, pour en ressortir bientôt après travesti en pâtissier : il fait accroire à Mogolistan qu'il lui a volé la recette d'un certain gâteau qu'il a signé, et le force ainsi à le garder chez lui... Joignez à cela l'écaillère que l'on ne voit toujours pas, et vous aurez le plus joli petit ménage à quatre que l'on puisse rêver... Alors on, chante un trio et... c'est fini !

Cette saynète est lestement troussée ; le dialogue est vif, les couplets sont gentils et nombreux, mais,— oh ! il y a un mais! — cela manque un peu trop de dénouement ; pour cette folie, il fallait une fin insensée, quelque chose de plus incohérent qu'un trio ; mais je sais l'auteur homme d'esprit, il nous servira le dénouement à part, — à la prochaine occasion.

La musique de M. Nargeot n'a pas peu contribué au succès de cette pochade : elle est charmante, vous devez bien le penser, comme tout ce que fait l'auteur de tant et tant de mélodies populaires, de Drinn ! Drinn !, de l'Amour, que' qu' c'est qu' ça? etc. Il n'y a pas de prétention dans tous ces petits motifs, et pourtant ils sont tous d'une excellente facture. Le duo : « Triste exilé, loin de sa pâtissière, l'air : « Sont-elles bien fraîches, vos huîtres? », le duo : « Je serais cent fois plus féroce », avec la jolie phrase : « Répète encore » et le trio final sont des plus finement traités.

La pièce est très joyeusement enlevée par les interprètes qui se démènent en vérité avec la même conviction que si c'était arrivé... M. Maxnère débite comme un petit volcan les phrases qu'on lui met dans la bouche ; il y a du tact dans tout ce qu'il fait, et, de plus, il chante avec goût. M. Hippolyte Vernier rend bien aussi le personnage du mari malheureux chez lui et heureux ailleurs, et Mme Boisselot est une Arthémise échevelée qui ne manque ni de comique ni d'originalité, et qui me semble déjà être au diapason de la maison. »

De son mariage en 1824 avec Justine Jadin (c.1807-1892), l'une des filles du compositeur, pianiste, violoniste et pédagogue Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853), Julien Nargeot eut au moins un fils et une fille. Mais, il eut la douleur de perdre son fils militaire. Louis-Auguste-Ernest Nargeot, né le 17 septembre 1825 à Paris, soldat de 2e classe au Régiment étranger, 3e Bataillon, 1ère Compagnie, matricule 1925, était en effet entré à l'hôpital militaire de Géryville (commune appelée de nos jours El Bayadh, chef-lieu de la wilaya d'El Bayadh, Algérie) le 9 février 1868, où il mourut le 14 du même mois « à onze heures du matin par suite de pneumonie bilieuse. » Quant à sa fille, Louise Nargeot, née le 3 avril 1846 à Paris, elle épousa le 19 juillet 1866 à Paris, Louis-Philippe Deméric, chef de bureau à la Société Générale, cousin germain de la la contralto Emilie Glossop (1830-1901), plus connue sous son nom de scène de « Emilie de Méric-Lablache »2

D'un précédent mariage, célébré en 1821 à Londres, avec Marie-Antoinette Ravier, Julien Nargeot avait eu deux autres fils : Pierre Nargeot (1820-1882), rédacteur au Ministère des Travaux publics à Paris, mort célibataire à Mont-de-Marsan, et Gustave Nargeot (1822-1850). Également militaire comme son demi-frère, ce dernier subit le même sort : incorporé au 9e Régiment de Hussards, il rendit l'âme à l'âge de 25 ans à l'hospice de Mayenne le 20 avril 1850, où il avait été admis cinq jours auparavant. C'est lui qui, avant son incorporation, avait entrepris des études musicales au Conservatoire de Paris obtenant un 1er prix de solfège en 1835 dans la classe d'Alkan aîné. Alors âge d'une quinzaine d'années, il s'était déjà produit en public le jeudi 16 mars 1837 à la Salle Saint-Jean, dans un concert organisé par son père : en compagnie de Julia Cior « pianiste habile, élève de Zimmermann », il avait exécuté au piano un morceau à quatre mains [Petit courrier des dames, journal des modes, 20 mars 1837, p. 128].

Nargeot avait été l'un des 46 signataires de l'acte de fondation de l'Association des Artistes Musiciens créée en février 1843, sur initiative du baron Taylor. Il était immatriculé sous le n° 4 dans cette Société d'assistance mutuelle qui en comptait plus de 7000 vers 1890. Active jusqu'à la fin des années trente, elle était destinée à donner des secours et des pensions aux artistes et aux amateurs, répondant ainsi à la précarité du statut social du musicien. Berlioz et Liszt, entre autres, faisaient partie du comité.

Le quotidien Le Figaro du 31 août 1891, dans l'annonce du décès de Pierre-Julien Nargeot, nous apprend en outre qu'il était « allié à la famille de M. Freycinet, ministre de la guerre3. »

Denis Havard de la Montagne
(sept. 2004, mise à jour : mars 2017)

1 Il est probable que Julia Cior, pianiste et harpiste, qui se produit au piano en 1837 avec un fils de Julien Nargeot (voir infra), appartient bien à cette famille. Sans doute est-elle une nièce de Marie-Anne Cior. De même, un certain Jean-Charles Cior, né le 30 avril 1819 à Paris, 1er prix de basson en 1851 du Conservatoire de Paris, musicien de 3e classe de la Garde Impériale en 1856, fils de Pierre-Joseph Cior, tailleur d'habits, et de Françoise Reynier, doit également faire partie de cette famille.

2 Louis-Philippe Deméric, né le 13 avril 1832 à Sedan, mort en 1897, était fils de Hector Deméric (1804-1884), natif de Toulon, Maréchal des logis au 8e Régiment de chasseurs à cheval (ex 13e) en garnison à Sedan en 1832, et de Marie-Louise Prévot. Hector, fils de Joseph Bonnaud Deméric (c.1767-1831), natif de Martinique, musicien au Régiment irlandais Berwick à Landau (Palatinat) en 1791, puis musicien au 14e Régiment d'infanterie légère en 1804 et enfin professeur de mathématiques à Strasbourg, et de Marie-Marguerite Federlen (c.1770-1845) avait quant à lui 2 frères, dont le docteur Victor de Méric (c.1811-1876), chirurgien au Royal free hospital de Londres et l'un des fondateurs de l’hôpital français de cette ville, et 2 sœurs, parmi lesquelles la cantatrice Joséphine (1801-1877), célèbre soprano à l'Opéra qui eut ses heures de gloires sous le nom de « Mlle Deméri » ou « Joséphine de Méric ». Mariée en premières noces à Joseph Glossop, garde du corps de Sa Majesté britannique, puis à Alexandre Timoléone, elle eut une fille : Emilie Glossop qui, à son tour fit une brillante carrière mondiale de cantatrice. Elle avait épousé en 1854 Nicolas Lablache, artiste, un fils du célèbre chanteur Luigi Lablache (1794-1868).

3 Charles-Louis de Saulces de Freycinet, né le 14 novembre 1828 à Foix (Ariège), décédé le 14 mai 1923 à Paris, fils de Casimir-Frédéric, directeur des impôts indirects à Montauban, et de Anne-Nancy Mallet . Polytechnicien, sénateur de la Seine en 1876, Ministre des Travaux publics (1877-1879), Président du Conseil à 4 reprises entre 1879 et 1892, Ministre de la Guerre en 1889 et 1890, membre de l'Académie française en 1890. Il avait épousé en 1858 à Bordeaux, Jeanne-Alexandrine Bosc (1837-1923), fille de Félix Bosc, riche négociant bordelais, et de Cécile Frontin , qui lui donna une fille unique : Cécile de Freycinet (1859-1942). Le lien familial entre Pierre-Julien Nargeot et le Ministre Freycinet, s'il est bien réel est néanmoins très éloigné : une petite-fille (Pauline James) de son beau-frère (Louis Jadin, artiste peintre) avait en effet épousé en 1889 un petit-fils (Albert de Freycinet, Officier de cavalerie) d'un oncle (Louis de Freycinet, Officier de marine, contre-amiral) du Ministre.


1829

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