Excellent musicien, ce compositeur discret a toujours fuit la notoriété pour mieux se consacrer à sa passion : l’enseignement de la musique. Directeur des Conservatoires de Lille, puis de Toulouse durant 31 ans, il y enseignait également l’harmonie et l’écriture. A Toulouse, il a su poursuivre avec talent l’œuvre de rénovation qu’avait commencée son prédécesseur Aymé Kunc et rendre ainsi le conservatoire de cette ville l’un des plus réputés du pays. Au rigorisme parfois excessif d’Aymé Kunc, il parvint à substituer cette bonhomie méridionale qui n’empêcha pas cependant la qualité. Henri Bert, l’un de ses successeurs, rapporta vers 1985 cette anecdote : " Edmond Gaujac aimait autant la pêche que l'enseignement. Des histoires, bons mots et naïves réparties émaillent les conversations des musiciens de Toulouse et d'ailleurs. Qui ne connaît l'histoire de la statue de Marianne qu'il disposait habilement devant la fenêtre de son appartement avec un air penché et coiffée d'un béret basque, pour que l'appariteur de service affirme à tout un chacun : "Chut, ne dérangez pas M. le Directeur, il a l'inspiration". M. le Directeur était... à la pêche ! Mais un jour, M. l'Inspecteur le croisa à son retour de promenade, la canne à pêche sur le dos et la vérité se répandit jusqu'à Paris !... "
Né à Toulouse le 10 février 1895, dans une famille de condition modeste, il fut mis en apprentissage chez un luthier à l'issue de sa scolarité. Très tôt passionné par la musique, il fréquenta les cours du soir du Conservatoire de Toulouse, et obtenait à l'âge de 16 ans les prix de solfège, de cor et d'harmonie. Entré en 1911 au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris, dans la classe d'harmonie de Xavier Leroux, il dut néanmoins suspendre durant quelques années ses études musicales à partir de 1914, au moment où il s'engagea dans l'armée. Son comportement héroïque durant la Grande Guerre lui valut la Croix de Guerre. Une fois les hostilités terminées, Edmond Gaujac reprenait ses études au CNSM et obtenaitt les prix d'excellence d'harmonie, de fugue, ainsi que de direction d'orchestre dans la classe de Vincent d'Indy. Afin de subvenir à ses besoins il décrochait à cette époque un poste de corniste à l'Orchestre des Concerts Colonne, alors dirigé par Gabriel Pierné. Il se présenta la première fois au Concours de Rome en 1924 et sa cantate Les Amants de Vérone fut couronnée par un premier Second Grand Prix. Trois ans plus tard, il parvenait à gagner le Grand Prix ; la scène lyrique Coriolon l’avait davantage inspiré ! Il partit ensuite à la Villa Médicis où il séjourna de janvier 1928 à avril 1931, et dès son retour en France il fut nommé directeur du Conservatoire de Lille. Son action musicale dans cette ville fut particulièrement intense, notamment à la tête de l'Orchestre de Radio-Lille, dont il assura la direction à partir de 1934. De cette époque datent ses premières compositions que d’aucuns qualifient de " belle facture, dans un langage où l’on reconnaît l’influence de Gabriel Fauré. " : Vocalise pour violon, alto, flûte, hautbois ou trompette en ut, avec accompagnement de piano (C. Gras, 1936), Scherzetto pour piano (C. Gras, 1937), Pastorale pour piano (C. Gras, 1938), Impulsions pour piano à deux mains (Durand, 1939)...
En 1945, Edmond Gaujac quittait le nord de la France pour aller recueillir la succession Aymé Kunc à la tête du Conservatoire de Toulouse, poste qu’il occupera jusqu'à sa mort arrivée 17 années plus tard, en 1962.
Le catalogue de ses nombreuses œuvres écrites tout au long de sa vie concerne bien des genres différents. On y trouve en effet des pièces pour orchestre : Esquisses provençales, Symphonie romantique, Fantaisie..., des scènes lyriques : Vénus et Adonis..., un grand oratorio intitulé Sainte-Germaine de Pibrac, dont 6 fragments furent donnés aux Concerts Colonne le 16 décembre 1935, des mélodies, et de la musique de chambre, parmi laquelle plusieurs pages pour saxophone : Funambulie, 3 pièces pantomimiques pour saxophone alto et piano (Billaudot, 1985) et Rêves d’enfant, petite suite pour quatuor de saxophones (Billaudot, 1989). Cette dernière œuvre a été enregistrée à plusieurs reprises, notamment au cours des années 1970 par le " Quatuor Deffayet " [disque 33 tours VSM C 069-16 369, avec d’autres pièces de Boutry, Challan, Clérisse, Decruck, Françaix, Planel et Vellones], et en 1989 par le " Quatuor Emphasis " [cassette]... Le compositeur Jean-Marie Depelsenaire (1914-1986), auteur de nombreuses pages de musique de chambre et d’un petit oratorio Les Sept dernières paroles du Christ, pour baryton solo, ténor solo, basse solo, chœur à 4 voix mixtes, orgue ou orchestre (Editions musicales transatlantiques, 1961) est l’un de ses nombreux anciens élèves...
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
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1) Nos vifs remerciements vont à Mme Nicole Jacquemin, bibliothécaire du C.N.R. de Toulouse, qui a eu l'amabilité de nous fournir certains détails nous faisant défaut. [ Retour ]
Henri TOMASI (1901-1971)
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(photo Lipnitzki) DR.
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Henri-Frédien Tomasi est né le 17 août 1901 à
Marseille. Fils de Xavier Tomasi (1876-1956), facteur des postes à Marseille et
flûtiste amateur, et de Joséphine Vincensini, il est ainsi issu d’une famille
corse de Penta-di-Casinca. Entré en 1908 au Conservatoire de sa ville natale où
il obtient notamment un 1er Prix d’harmonie en 1916, il poursuit ses
études musicales après la guerre au Conservatoire national supérieur de musique
de Paris à partir de 1921. Là, il y suit les classes de Charles Silver
(harmonie), Georges Caussade (contrepoint et fugue), Paul Vidal (composition)
et Vincent d’Indy (direction d’orchestre). Sorti de cet établissement en 1928
après avoir obtenu l’année précédente un 1er prix de direction
d’orchestre et un 1er Second Grand Prix de Rome avec la scène
lyrique Coriolan (paroles de Guy de Téramond) – le 1er Grand
Prix ayant été décroché par Edmond Gaujac et le 2ème Second Grand
Prix par Raymond Loucheur – il poursuit sa carrière de chef d’orchestre, déjà
débutée en 1926, à la tête d’un orchestre symphonique que le quotidien Le
Journal, organisateur de manifestations musicales de grande tenue, avait créé
cette même année,
En 1931, il est engagé comme chef d’orchestre
lors de la création de « Radio-colonial », poste qu’il occupera
durant plusieurs années, et l’année suivante, il rejoint la toute nouvelle société
de concerts de chambre « Le Triton » (trois tons), fondée par Pierre-Octave
Ferroud avec le concours de Henry Baraud, Emmanuel Bondeville, Jean Rivier et
Filip Lazar. Celle-ci fut très active durant près d’une décennie pour stimuler
la création et la diffusion d’œuvres contemporaines de musique de chambre. Rappelé
sous les drapeaux en août 1939, comme adjudant (chef de fanfare) au 203e
Régiment d’infanterie alpine et démobilisé en juillet 1940, il s’installe un
temps à Marseille, pouvant ainsi reprendre ses activités de chef auprès de l’Orchestre
National de la Radio française alors déplacé en zone non occupée, avant d’être
engagé en 1946 à l’Opéra de Monte-Carlo comme 1er chef.
En 1957, il décide de mettre fin à ses
activités de chef qui l’avait mené au cours de sa carrière à se rendre à
travers le monde, entre autres en Extrême-Orient avant la guerre, afin de se
consacrer davantage à la composition. Depuis 1921, date du début de sa
production avec des pièces pour piano : Fantoches et Pièces
brèves (2 Suites), il n’avait en effet jamais cessé de composer. C’est
ainsi qu’on lui doit plus de 200 œuvres dans tous les domaines : des musiques
pour orchestre, concertantes, de chambre, pour un seul instrument, pour la voix
avec accompagnement, des chœurs a cappella ou avec accompagnement, des opéras
et opéra-comiques, des cantates, ballets, messes, ainsi que des musiques pour
le cinéma, la télévision ou la radio. Parmi toutes ses œuvres, ce sont ses opéras
L’Atlantide en 4 actes et 9 tableaux, d’après le roman de Pierre Benoit
(création le 26 février 1954 au Théâtre municipal de Mulhouse, puis en première
audition à Paris aux Concerts Lamoureux, le 27 février 1955, sous la direction
de l’auteur) et Miguel Manara en 4 actes et 6 tableaux, écrit sur un
livret de L. Milosz (première audition à Paris aux Concerts Pasdeloup, le 12
décembre 1954, sous la direction de l’auteur) qui restent attachés au nom de
Henri Tomasi… Voir catalogue complet en ligne dans le site officiel consacré à
Henri Tomasi par son fils Claude : https://www.henri-tomasi.fr/catalogue-des-oeuvres/
Décédé le 13 janvier 1971 à Paris IXe à l’âge
de 70 ans, ses obsèques furent célébrées à Avignon. La dessinatrice et peintre Odette
Camp, qu’il avait épousée à Paris en 1928, lui survivra quelques années avant
de s’éteindre à Louveciennes en 1979, elle aussi à l’âge de 70 ans.
La ville de Bastia a donné son nom à son Conservatoire
à Rayonnement Départemental qui s’appelle dorénavant « Conservatoire de Corse
Henri Tomasi ».
D.H.M.
(notes provisoires , août 2021)
Les grandes œuvres de
la musique contemporaine française en 1948, par Gaston Dufy
Henri Tomasi, musicien
méditerranéen
D’origine corse mais né
sur la rive opposée, à Marseille, en 1901, Henri Tomasi s’est révélé l’un des
compositeurs les plus doués de sa génération. Esprit novateur, musicien d’âme,
harmonisateur subtil et orchestrateur aux multiples combinaisons des timbres,
son chant exhale le lyrisme des nostalgies, des passions fouettées par l’air
marin de toutes les rives méditerranéennes. Nourri par l’enseignement du
Conservatoire National, il y fut un brillant élève de Vincent d’Indy et
Philippe Gaubert entr’autres, obtint le second Grand Prix de Rome en 1927 et la
même année inaugurait sa carrière de chef d’orchestre. Depuis vingt années, sa
réputation s’est internationalisée et a monté parallèlement avec celle de
compositeur. A celle-ci je consacre ces lignes.
Son
bagage comprend plus de soixante ouvrages importants, Messe, une Symphonie,
plusieurs Poèmes symphoniques, Ballets, Concertos, un Requiem et de nombreuses
mélodies.
CYRNOS
Sa
première œuvre caractéristique date de 1929. Cyrnos est un poème
symphonique pour orchestre et piano principal. Il naît en Corse aux environs de
Bastia en un petit village surplombant la mer et se laisse inspirer par l’âme
collective d’une race qui s’exhale avec sincérité du joyeux tumulte d’une
tarentelle ou de la tristesse douloureuse d’un Vocero. Il se penche avec amour
sur cette ile embaumée, s’en empare et symbolise l’âme corse.
VOCERO
Poème
Symphonique
Egalement
écrite en Corse, cette partition illustre un drame du pays qui de nos jours
tend à passer à la légende. En voici l'argument : « En Corse, quand le stylet a
fait une victime, celle-ci est transportée dans sa demeure et déposée sur la Tola.
Le glas annonce aussitôt la nouvelle, Ies parents envahissent la chambre
mortuaire où commence la Gridatu, vocifération se
traduisant par des lamentations coupées de brûlants serments de vengeance, le
tout saccadé par des coups de crosse de fusil. Les pleureuses se prennent la
main, et d'un rythme qui s’accélère, elles dansent autour du corps la ronde
funèbre du Caracolu
que suit bientôt un morne silence. Une vocératrice entonne alors le Vocero.
Son chant débute par un soupir, se poursuit par des litanies passionnées et
s’achève, enfin par un appel à la vengeance. » Cette partition extrêmement
puissante chargée d’une orchestration aux couleurs violentes et somptueuses,
est conçue en un vérisme stylisé et idéalisé, et ces scènes haletantes soudées
en une gradation cohérente et fort musicale.
TAM-TAM
Poème
symphonique
Ce
Poème symphonique évoque un drame de la brousse. Il est suggéré par la pièce de
M. Julien Maigret. La partition comporte outre l’orchestre un mezzo soprane et
un chœur de voix d’hommes. « Il fait lourd. Ciel sombre à bandes rougeâtres du
jour qui se termine. Un blanc, chef de poste, seul de sa race parmi les noirs
de l’Oubanghi, est en proie au cafard. Par des paroles maladroites il a blessé
sa compagne noire. Celle-ci l’avertit du danger qu’il courre en se moquant des
mœurs qu’il ne comprend pas. Autour du couple, le rythme de « Tam-Tam »
obsédant et entrecoupé de chants et de cris commence à inquiéter l’homme blanc.
Pour endormir sa vigilance, la femme noire lui chante une mélopée de son pays.
A ce signal, le « Tam-Tam » se rapproche de plus en plus menaçant et dans
un cri, la tribu se jette sur l’homme blanc qui, malgré sa défense, est exécuté
rapidement. Une longue plainte s’exhale dans le silence de la nuit africaine.
Il fallait un sacrifice aux dieux nègres. »
Le
compositeur a créé sur cet épisode une ambiance sonore d’un relief saisissant,
réussissant sans faire emprunt au folklore africain une œuvre d’une remarquable
densité, solidement construite où sonorement plane le mystère.
DANSES DE RÊVE
Suite
symphonique
En
quatre parties : Berceuse, Cortège, Séduction et Sortilèges, cette
suite que vantait Louis Aubert en ces termes « .... prenantes par leur force
expressive, leur éclat et leur vie rythmique, j’ajoute que la substance
musicale en est riche. » Primitivement écrite pour un ballet, en voici la
donnée : « Don Juan devenu lépreux après une vie de débauches, s’est réfugié
loin du monde. Un matin, la jeune Girolama, émerveillée par les roses du
jardin, entre pour en cueillir une. Au même moment, Don Juan surgit. Epouvantée
d’abord, elle est rassurée par les paroles du monstre qui lui permet de
revenir, promettant de ne plus se montrer. Cependant, les jours suivants,
Girolama souhaite de revoir Don Juan et l’appelle. Il paraît, et comme elle
prend devant lui une rose qu’elle porte à ses lèvres, il souhaite d’être à la
place de la fleur. Poussée par la pitié, Girolama donne un baiser au monstre
transformé aussitôt en un jeune amant radieux. » Par endroits, un rythme
espagnol nous rappelle que l’aventure se passe en Ibérie, et tout au long de
l’œuvre, la lumière d’Espagne illumine la partition.
Parmi
ses autres importants ouvrages, signalons un Capriccio pour violon et
orchestre qui offre au violoniste de métier assez sûr pour l’aborder,
l’occasion de faire briller à la fois ses qualités de virtuosité et de sonorité,
grâce aux heureux contrastes de sa matière musicale.
Son
Concert
Champêtre pour hautbois, clarinette et basson en cinq mouvements
est plein d’entrain, d’une étonnante jeunesse. Enfin, sa Symphonie
en ut, écrite en 4 parties, est ardente et vaste. Les thèmes superposés
atteignent parfois une puissance dramatique et toujours l’allant et la
franchise du langage soutiennent l’intérêt constant. L’attaque mystérieuse du Scherzo
et le lumineux épanouissement du choral sont d’un prodigieux effet.
Henri
Tomasi, actuellement chef d’orchestre à Monte-Carlo, dirigera la saison cet été
au Grand Casino de Vichy et au début de l’hiver est engagé pour conduire le
Concertgebouw à Amsterdam. Son activité dans les deux domaines reflète l’une
des qualités de ses œuvres : la vie intense.
(in Images musicales, Pâques 1948)
collection et numérisation DHM
Entretien
en 1950 d’Yves Hucher avec Henri Tomasi
Un enfant
heureux ce doit être « Claudinet », entendez le tout jeune Claude Tomasi
– cinq ans. Il a déjà son « coin », Le Coin de Claudinet, Douze
pièces faciles pour Piano, écrites par Papa, illustrées par Maman. Mais,
hélas ! il va bientôt devoir aller à l’école ! et… renoncer aux voyages !
– En effet, me dit
Henri Tomasi, je mène une vie errante, tantôt à Monte-Carlo…
– où vous
êtes premier chef d’orchestre à l’Opéra.
– …tantôt
à Vichy…
– où vous dirigez,
durant la “saison”, l’Opéra et les concerts…
– Ajoutez
à cela que je suis invité chaque année, au Concertgebow d’Amsterdam, à
Hilversum et à Genève, que je sillonne la province, le Luxembourg, la Hollande
et la Suisse…
– …et que
vous devez penser aussi au public parisien, toujours heureux de vous revoir, de
vous entendre et de reprendre contact avec vos œuvres.
– Je
crois que c’est nous qui ne pouvons nous passer de ce contact nécessaire et de
cette ambiance dans laquelle nous devons nous retremper après avoir vécu six
mois de l’année… ailleurs.
– Et que
pensez-vous de ces publics divers que vous fréquentez ?
– Beaucoup
de bien. Ils sont divers, mais toujours sincères et spontanés. Les efforts
entrepris ces dernières années pour le développement et la décentralisation de
la culture musicale se font déjà sentir, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
– Et que
dirigez-vous le plus volontiers ?
– Mais
tous les classiques, bien entendu, et à l’étranger plus volontiers encore que
chez nous, les œuvres françaises qui tiennent une place de plus en plus grande.
– Et quels
sont vos projets pour cette saison ?
– A
Paris, l’Opéra doit reprendre Les Santons…
– …dont le
cinéma nous a donné une remarquable reproduction qui, je veux l’espérer, a été projetée
sur les écrans de province…
– …et à
l’Opéra-Comique, nous reverrons, je pense, la Rosière du Village. J’ai
terminé deux ballets : La Féerie Laotienne sur un livret de José Bruyr
et la Nuit obscure de Saint Jean de la Croix.
Ici, ce
n’est plus moi qui interromps la phrase commencée, mais l’inévitable téléphone.
J’en profite pour jeter un coup d’œil sur le bureau. Devant un pupitre où
règne, seule, en pleine lumière, une grande page qui contient le canevas de
l’œuvre en chantier, est ouvert un manuscrit : les signes sont rapides, à peine
esquissés et pourtant parfaitement lisibles. Tout est clair, aéré, net, propre.
On sent l’ennemi du “truquage”, de l’effet facile, c’est là le manuscrit de
quelqu’un qui dit ce qu’il a à dire, sans préméditation, ni effort, ce qui ne
veut pas dire sans préparation ni travail. Mais la conversation téléphonique
est achevée. Mon indiscrétion est découverte, ce qui m’évite une question
indiscrète !
– C’est là,
la partition de Miguel Mañara, d’après le Lithuanien Milosz.
– un opéra
?
– Quatre
actes et six tableaux.
– Pour
cette année ?
– Ne
soyons pas si exigeants !
– Et quels
sont vos projets immédiats ? Ne venez-vous pas de diriger l’Orchestre Lamoureux
?
– Oui,
après avoir en le plaisir de prendre contact avec la belle jeunesse qui
bénéficie des concerts éducatifs de Colonne. Quel enthousiasme spontané et
quelle foi compréhensive !
– Mais vous
repartez ?
– Oui,
pour Monte-Carlo. Je serai ici au début de mars, pour régler une série
d’enregistrements : le Concerto de trompette, le Concerto d’alto,
le Vocero, Tam-Tam…
– Donc,
nous vous garderons un bon moment ?
– Pas
trop. Car je dois penser aussi aux grandes semaines internationales de musique
qui vont se dérouler, cette saison, à Vichy, et simultanément au théâtre et au
concert. Ce sera, je crois, une très grande saison.
– Nous vous
entendrons bien cependant à la radio ?
– Oui,
le 2 mars, je donnerai, avec l’Orchestre National, un concert de musique
moderne dont la 1ère audition de mon nouveau Concerto pour saxophone.
Par ailleurs, Jean Fournet fera entendre mes Fanfares liturgiques le 4
mars, aux Concerts Lamoureux.
Nouvelle
interruption ! Ce n’est plus le téléphone ! C’est une charmante visiteuse qui
répond au nom de « Folette »…
– Une
petite chienne perdue que nous avons recueillie à Marseille.
A ce nom,
un souffle a passé dans la pièce… Je me souviens qu’Henri Tomasi est Corse, et
nous évoquons « son » pays qui n’est pas son pays natal puisqu’il vit
le jour à Marseille… Il me dit son regret de ne pas être marin, et je pense à
Debussy, à Roussel, à Jean Cras. “Follette” vient de mettre une patte sur un
tronc d’arbre… pardon, sur le tam-tam qui prend sa place dans l’orchestre
lorsque l’on joue l’œuvre qui en a reçu le nom. Notre entretien se poursuit, debout,
car de cette évocation de la mer, nous nous sommes levés pour contempler une
imposante collection de bateaux. Naviguons ! Naviguons !
« C’est
vers »… ce beau pays, « énorme et délicat «
« Qu’il
faudrait que mon cœur en peine naviguât … »
O Verlaine,
pardon ! Mais entre le moyen-âge et la Corse, entre la musique de tes vers et
certains accents du musicien à qui je parle de toi, il y a tant de liens !
– Ceux-là
sont mes maîtres, me dit maintenant Henri Tomasi. Voyez : Vidal,
Caussade, Gaubert.
– De
celui-ci, j’évoque justement en cet instant les Quatre poèmes de la Mer,
pour lesquels j’ai une prédilection.
Or tout
s’enchaîne, tout semble s’appeler et se répondre dans le bureau de ce musicien
pour qui le paysage est un état d’âme, Odette Camp-Tomasi n’est-elle pas un
peintre de très grand talent, qui nous parle, elle aussi, de la Corse, de la
mer, de la beauté d’un paysage entrevu ou longuement contemplé ?
Et soudain,
je songe qu’il va falloir prendre congé, et que nous commençons à peine à
bavarder. Je pose cependant toutes mes questions, celles que l’on prépare… et
les autres…
Et si vous
voulez les connaître et entendre les réponses, reportez-vous au numéro du Guide
du 6 février 1932. Le moins de trente ans qu’était alors Henri Tomasi avait
déjà répondu à ces questions, et José Bruyr était le souriant bourreau… Or,
Henri Tomasi n’a pas changé. Certes, il ne dit plus qu’il « rêve » de
théâtre, ni qu’il « s’est essayé » à écrire un opéra. Mais il a
toujours pour Ravel et Florent Schmitt les mêmes mots, pour la mer et la
musique, les mêmes amours, et sur le visage le même sourire, la même jeunesse,
et la même flamme …
(in Le
Guide du concert, 24 février 1950)
collection et
numérisation DHM
Entretien
en 1954 de Claude Chamfray avec Henri Tomasi
Henri
Tomasi… Le teint halé d’un marin. Une pointe d’accent méridional. Le regard
clair et légèrement voilé du rêveur. L’allure vigoureuse de l’homme qui aime le
contact direct avec la nature sauvage.
Ce Corse
d’origine qui n’a jamais voyagé qu’en imagination, a pourtant écrit plusieurs
œuvres musicales aux sujets exotiques. Mais contrairement à d’autres
compositeurs, il n’a point cherché à utiliser des thèmes originaires des pays
étrangers. Sa musique n’est pas à base folklorique. Le folklore, il le crée à
sa façon. Il le fait naître de son imagination, évitant ainsi la banalité de
ces musiques de bazar et d’exposition coloniale.
L’Atlantide en est un
nouvel exemple. Cette Atlantide qui vient d’être créée à Mulhouse (après
avoir été inconsidérément évincée à Paris malgré l’assentiment de deux membres
du Comité de l’Opéra) et qui remporta un tel succès dans cette ville, qui ne
compte pourtant que 100.000 habitants, que deux représentations supplémentaires
vont être ajoutées à la série de quatre qui avait été prévue. Puis L’Atlantide
ira en Suisse, à Lyon, à Nancy… Bien entendu, c’est sur le nouvel opéra d’Henri
Tomasi que la conversation s’amorça.
– Une
question nécessaire bien qu’elle manque d’originalité : quand et comment
avez-vous eu l’idée de mettre L’Atlantide en opéra ?
– Il y a
longtemps que j’avais remarqué les possibilités qu’offrait à un musicien ce
roman de Pierre Benoit. L’idée d’en faire une œuvre lyrique remonte au temps où
je lisais cette œuvre pour la première fois. Or, ayant été demandé pour écrire
la musique des Agriates – dont l’action se situe en Corse – je
m’étonnais un jour devant Pierre Benoit que L’Atlantide n’ait pas encore
fourni le sujet d’un opéra. J’appris ainsi qu’un compositeur avait voulu utiliser
le roman à cette fin. « Mais on avait fait ouvrir la bouche à Antinéa.
C’est une erreur », me dit l’écrivain ! Je réfléchis alors au moyen de
traiter le personnage principal sans le faire chanter. J’imaginais un compromis
: le ballet étant un genre actuellement en pleine vogue, pourquoi ne pas
confier le rôle à une danseuse ? Je soumis mon projet à Pierre Benoit, qui
l’accepta. Ceci se passait il y a deux ans et demi. Peu après, j’étais victime
d’un accident qui m’obligeait à une immobilité prolongée. Je venais d’achever Don
Juan de Mañara, et profitai de ce repos forcé pour travailler à L’Atlantide.
– A en
juger par son audition à la radio, vous avez introduit dans cet opéra une
importante partie symphonique, et qui se suffit à elle-même puisque l’on n’est
aucunement gêné par l’absence du spectacle – pas même par l’absence de celui de
la danse.
– Dans
cette partition, j’ai voulu, d’une part, traduire la psychologie des
personnages, d’autre part, créer un climat sonore mystérieux et sensuel. Les
récitatifs sont rapides. Mais les chanteurs chantent, car c’est là une œuvre
lyrique ; et il y a une trame symphonique en quelque sorte naturelle. Le ballet
des djinns, la valse dans la crypte, le tournoiement qui entraîne Saint-Avit
dans le crime : tous ces passages sont symphoniques et je compte tirer de
L’Atlantide une suite pour orchestre qui ne nécessitera aucune modification du
texte initial.
– Les
retours de thèmes que j’ai constatés correspondent-ils, dans votre œuvre, à des
retours de personnages ?
– Je ne
suis point partisan du procédé employé par Wagner. Il est, à mon sens,
invraisemblable d’habiller un personnage toujours avec le même thème. Les états
d’âmes changent. Donc mes thèmes aussi. Quand je les reprends, c’est sans
insistance. Je fais parler Morhange un peu comme le Père de Foucault, avec
austérité. Ceghir est oriental, mais j’ai évité d’appuyer ce trait. Saint-Avit
est représenté par une musique passionnée. Tanit, elle, est par essence plus
près du folklore puisqu’elle est une esclave. Chez Antinéa, j’ai marqué le
caractère africain et mystérieux, mais je n’ai pas voulu la situer dans le
temps. Bref, le côté thématique est traité à la manière de Bizet dans Carmen.
– Opéra que
vous admirez, je suppose ?
– Pour
moi, Carmen et Pelléas réunis représentent le modèle-type de
l’opéra parce qu’on y trouve la passion, la sensibilité et un
« climat » . Ce sont là mes œuvres de chevet.
– Il y a
précisément antinomie entre votre volonté d’exprimer la psychologie de vos
personnages de théâtre, ce qui implique une musique intérieure et de couleur un
peu sourde, et votre orchestration toujours lumineuse et colorée. Est-ce ici le
Méditerranéen qui réapparaît ?
– Sans
aucun doute. J’ai passé mon enfance en Corse et en Provence et les impressions
poétiques qui m’ont marqué à cette époque ont laissé des empreintes
persistantes. Or les demi-teintes n’existent pas là-bas. Il n’y a que la pleine
lumière et des ombres profondes. Point de demi-teintes. C’est pourquoi je
n’aime pas les « moitié-moitié » comme l’on dit dans le « Nord ».
J’aime au contraire la musique claire. Pour moi cet art se compose de trois
éléments : rythme, mélodie et climat sonore. Je cherche toujours leur synthèse.
Autre conséquence de mon besoin de clarté : le désir de m’exprimer dans un
langage concis. A l’origine L’Atlantide comportait cinq heures de
musique. A la création, elle n’en avait plus que trois. Depuis, je l’ai encore
allégée en supprimant un fragment qui durait vingt minutes.
– Avez-vous
une nouvelle œuvre en chantier ?
– J’écris
en ce moment Sampiero Corso, opéra sans folklore.
– Il me
semble que vous vous refusez à utiliser des thèmes populaires dans vos œuvres ?
– Je ne
veux pas être obnubilé par le folklore. Ce qui m’intéresse, c’est le côté
humain ou historique des personnages et sujets que je traite.
– Même
lorsque vous écrivez un ballet ? Dans Noces de Cendres, par exemple,
récemment créé à Strasbourg et que le Festival de Vichy présentera cette saison
?
– Dans
ce ballet, J’ai traité la guerre par un scherzo. Le thème de la femme qui en
revit les atrocités, exprime une lassitude dramatique. Là aussi, j’ai voulu
créer un climat sonore en peignant les horreurs de la guerre, un peu comme
l’avait fait Goya.
– Et
maintenant, quels sont vos projets ?
– Écrire
Nuits de Provence, qui formera une suite de quatre Nocturnes. Ce seront
des impressions poétiques : Les Saintes-Marie avec leur camp de gitanes
; Les Baux avec leurs troupeaux traversant les collines par une nuit
étoilée ; La Nuit de la St-Jean, sorte de ronde qui, cette fois,
utilisera un thème populaire tandis que pour Les Antiques j’ai imaginé
le passage des Légions romaines.
– J’en suis
à me demander qui domine en vous, du musicien psychologue ou du poète ?
– J’aime
la musique dramatique ; mais je me sens porté vers des évocations poétiques.
– Pourtant
vous avez composé ce qu’on dénomme de la « musique pure » : des
Concertos, de la musique de chambre…
– Savez-vous
qu’il est difficile de savoir où s’arrête la « musique pure » ? Voyez
Beethoven avec sa Symphonie Pastorale. Voyez Ravel et Debussy… Le point
de départ d’une œuvre musicale peut être un paysage, ou le mystère qui se
dégage d’un être humain. En ce qui me concerne, ce sont des sensations que
j’absorbe et que je transforme en musique. La lecture d’ouvrages littéraires
excite mon imagination. Quand je lis Giono ou Bosco, je transcris immédiatement
leur texte, en musique. Partout, même en voyage, même dans le train, je compose
de la musique…
– Il est
une question que je me suis souvent posée à votre égard : comment un chef
d’orchestre peut-il être un compositeur original et se soustraire à la
pénétration inévitable de la musique qu’il dirige ? Comment peut-il éviter de
devenir un plagiaire inconscient ?
– Dans
mon cas, il n’y a pas de secret mon manque de mémoire explique tout !
– Voici donc
un travers bienfaisant et qu’on souhaiterait trouver chez bien des compositeurs
! D’autant que si vous oubliez vite vous devez retenir momentanément avec
facilité puisque vous dirigez souvent par cœur. Mais, au fait, votre activité
de chef d’orchestre ?
– Elle
continue. Je pars tout à l’heure pour Mulhouse. De là j’irai à Alger. Puis je
dirigerai une série de concerts en Hollande.
– Comment
trouvez-vous donc le temps de composer ?
– Pour
écrire, je me retire dans quelque coin perdu de Corse ou de Provence…
Décidément,
Henri Tomasi est un poète invétéré !
(in Le
Guide du concert, 12 mars 1954)
collection
et numérisation DHM
1928
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Raymond Loucheur vers 1956 ( photo Lipnitzki )
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Raymond LOUCHEUR (1899-1979)
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Raymond Loucheur vers 1955 ( photo X... ) DR
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Article sur une page spécifique.
1929
Elsa BARRAINE (1910-1999)
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Elsa BARRAINE. Détail d'après une photo de groupe dans la classe de composition de Paul Dukas en 1929, au conservatoire. ( Photo X. )
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Née à Paris le 13 février 1910, fille d'Alfred, violoncelliste soliste de l'orchestre de l'Opéra et membre de la Société des Concerts du Conservatoire, Elsa Barraine a fait toutes ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris avec Georges Caussade, Jean Gallon et Paul Dukas. Premier Grand Prix de Rome en 1929 avec sa cantate la Vierge guerrière (Jeanne d'Arc), triptyque saint sur un poème d'Armand Foucher, elle fut successivement chef de chant à la Radio (1936), directrice de la maison de disques Chant du Monde (1944) et professeur au CNSM (1953). En 1969 elle était nommée professeur d'analyse dans ce dernier établissement et en 1972 inspecteur à la Direction de la musique au Ministère de la Culture, chargée des théâtres lyriques nationaux. Symphoniste talentueuse, on lui doit de la musique pour orchestre (3 Symphonies, une Fantaisie pour piano et orchestre, une Suite astrologique pour petit orchestre...), de la musique pour la scène (Le Roi-bossu, Le Mur, La Chanson du mal-aimé, Les Paysans...), de la musique de chambre et instrumentale (Quintette à vent, Suite juive pour violon et piano, Musique rituelle pour orgue, gongs et xylorimba...) et de la musique chorale : Hymne à la lumière pour soprano et orchestre, Poésie ininterrompue (cantate sur des poèmes de Paul Eluard), Cantate du Vendredi saint sur un texte de Pierre Emmanuel... Ellle est morte le 20 mars 1999 à Strasbourg.
D.H.M.
Le Prix de Rome d'Elsa
Barraine vu par Le Ménestrel
« L'Académie
des Beaux-Arts s'est réunie le 30 juin, sous la présidence de M. Forain,
assisté de MM. Ch.-M. Widor, secrétaire perpétuel et Cordonnier,
vice-président, en vue de l'attribution du Grand Prix de Rome de Composition
musicale.
A.
la Section de Musique (composée de MM. Alfred Bruneau, Gustave Charpentier,
Georges Hue, André Messager, Gabriel Pierné, Henri Rabaud), qui se trouvait au
complet, avaient été adjoints MM. Alfred Bachelet, Henri Bûsser et Marcel
Samuel-Rousseau.
La
cantate choisie était une scène lyrique de M. René Puaux : Héraclès à Delphes.
Hercule, s'arrêtant à la croisée des chemins dont l'un descend vers la plaine
thébaine et l'autre monte vers le Parnasse, se trouve aux prises avec la
Volupté et la Vertu. Bien entendu, cette dernière triomphe et conduit le héros
sur le chemin du Parnasse. Cette cantate conçue, selon le rite traditionnel,
pour trois personnages, présentait toutefois cette particularité assez rare de
comporter une seule voix d'homme et deux voix de femmes. Tous les candidats,
sauf un, ont fait d'Hercule un ténor. Un seul (M. Vaubourgoin) a écrit le rôle
pour baryton aigu. Aucun d'eux n'a cru devoir adopter la voix de basse, qui eût
convenu particulièrement au héros grave et sage et eût de plus présenté
l'avantage d'assurer à l'ensemble vocal un fondement plus solide et un meilleur
équilibre. Quant aux voix de femmes, les candidats ont adopté, en majorité, le
soprano pour la Volupté et le mezzo bu le contralto pour la Vertu. Pourtant,
Mlle Barraine et M. Franck ont préféré l'ordre inverse. […]
Mlle
Elsa BARRAINE, née à Paris en 1910, élève de MM. Paul Dukas et Henri Büsser,
qui concourait pour la première fois, a obtenu d'emblée un deuxième second
Grand-Prix. Sa cantate fut interprétée par Mlles Elsa Ruhlmann, Estève et M.
Thill, avec, au piano, M. Robert Casadesus et l'auteur. Cette toute jeune
fille, qui possède déjà une singulière sûreté d'écriture, est en outre douée,
de toute évidence, d'une nature fine, sensible, qui ne s'extériorise encore
qu'incomplètement, mais qui est pleine de promesses. Cette nature un peu
mélancolique, d'un charme assez fauréen, apparaît dès le prélude de la cantate
(qui oscille autour de la mystérieuse tonalité d'ut dièse mineur) et s'exprime
ensuite avec plus de délicatesse que d'envergure, les voix étant soutenues par
un accompagnement plus pianistique qu'orchestral (trémolos, arpèges, accords
plaqués très souvent syncopés) qui affecte un certain caractère d'intimité
d'une séduction réelle. »
(6
juillet 1928, p. 304)
« Le
20, juin, l'Académie des Beaux-Arts s'est réunie sous la présidence de M.
Cordonnier, assisté de MM. Ch.-M. Widor, secrétaire perpétuel et Sicard,
vice-président, en vue de l'épreuve annuelle pour l'attribution du Grand Prix
de Rome de Composition musicale. A la Section de Musique (composée de MM. Alfred
Bachelet, Alfred Bruneau Gustave Charpentier, Georges Hue, Gabriel Pierné,
Henri Rabaud), qui se trouvait au complet, avaient été adjoints MM. Max
d'Ollone, Maurice Ravel et Paul Vidal. C'est devenu, depuis quelques années, un
lieu commun de se lamenter, presque à chaque concours, sur l'insignifiance ou
l'absurdité du texte de la Cantate. En raison de la pénurie troublante, et de
plus en plus accusée, des envois de manuscrits, l'Académie des Beaux-Arts doit
se contenter généralement d'élucubrations d'une invraisemblable faiblesse, sur
lesquelles les infortunés concurrents sont ensuite obligés de pâlir pendant un
mois, ce qui ne peut d'ailleurs qu'accroître leur mérite quand ils réussissent
à les animer d'un semblant de vie. Le texte imaginé cette année par M. Armand
Foucher et intitulé La Vierge guerrière, triptyque saint, dépasse vraiment
toute mesure. Trois scènes : 1°A Domrémy, sous le hêtre aux Loges-les-Dames,
Jehanne fait paître ses moutons blancs et chante une pastorale en filant sa
quenouille ; 2° « Une douce lumière » naît derrière le théâtre (sic).
L'Archange Saint-Michel paraît « dans son éclatante auréole », se dit l'envoyé
de Dieu, révèle à Jehanne son rôle providentiel par un discours qui contient
entre autres cette perle : « Pars à Vaucouleurs » (resic). Il la convie à «
quitter père et pays », à délivrer Orléans ; à conduire le Dauphin à Reims et à
retourner ensuite aux combats. 3° A la cour de France, c'est la scène qui
traîne dans tous les manuels classiques ; Jehanne reconnaît par une intuition
divine Charles VII, qui se dissimule parmi les courtisans ; scène que-M. Armand
Foucher agrémente de trouvailles bien personnelles. Jehanne, en effet, se
présente au Roy en lui déclarant bravement :
...
Je suis ycelle
Jehanne
d'Arc la Pucelle.
Car
Jehanne s'exprime en vieux français alors que, sans qu'on puisse deviner
pourquoi, Charles VII lui répond en français moderne (s'il est toutefois permis
de s'exprimer ainsi). L'archaïsme de la langue employée par Jeanne d'Arc a eu
peut-être pour but de fournir aux concurrents un texte plus musical, ainsi
qu'on en peut juger par ces citations :
Non
plus que meschiefs hommes d'armes,
ou
encore :
Cy,
dans votre retrait
Vous
ouïrez mainttrait
Dialogue
de Jehanne et du Roy : « La Pucelle » baise la main de Charles et reçoit
l'étendard. Réapparition de l'archange... pour prendre part au trio final : En
avant ! Front unique contre les ennemis « du Droit et de la Justice » (Déjà !).
Ce
texte présentait au moins un avantage : puisqu'il était inexistant, sans
signification ni mystique, ni dramatique, il laissait à l'Académie des
Beaux-Arts la liberté, d'ailleurs quelque peu embarrassante, d'apprécier
également ceux des candidats qui l'avaient doté d'une signification théâtrale
dont il était dépourvu et ceux qui, sans tenir aucun compte de ce texte,
n'avaient cherché qu'un prétexte à musique.
C'est
à ce dessein qu'a obéi, parce que son tempérament personnel l'y portait, Mlle
Elsa BARRAINE, née à Paris en 1910, élève de MM. Paul Dukas et Henri Busser,
qui l'an dernier avait obtenu d'emblée un Deuxième Second Grand Prix et à
laquelle, cette année, l'Académie des Beaux-Arts a fort justement décerné le
Premier Grand Prix. Sa cantate, chantée par Mlle Jane Laval, MM. Paulet et
Roger Bourdin, avec au piano M. Maillard-Verger et Fauteur, confirme une nature
que la cantate de 1928 avait déjà révélée pleinement. Cette nature est d'ordre
essentiellement musical et non dramatique ; une sensibilité très contenue donne
naissance à une substance musicale surtout cérébrale, mais de haute qualité,
d'une séduction d'autant plus vive qu'elle s'enveloppe d'une écriture complexe,
mais aussi sûre que distinguée, où domine souvent un chromatisme plus raffiné
qu'expressif. Le prélude et l'apparition de l'archange donnent notamment lie à
quelques mesures extrêmement remarquables. Quant au trio final, très « écrit »,
il se termine par un decrescendo inattendu, conception qui, dans l'ensemble du concours,
resta exclusivement personnelle à Mlle Barraine. Dépourvue de toute intention
théâtrale, sa cantate, sans aucun rapport avec le sujet, s'imposait par la
seule valeur intrinsèque de sa musique, qui s'exprime d'ailleurs dans la langue
la plus actuelle. Le triomphe de cette jeune musicienne, dont le talent ne se
développera sans doute que dans le cadre de la musique pure, est de nature à
montrer la juste valeur des criailleries de ceux qui (esclaves d'un esprit de
chapelle, heureusement périmé, mais dont la malfaisance fut autrefois certaine)
s'attardent encore à reprocher à l'Institut de favoriser exclusivement, par le
maintien de la cantate de concours, l'emploi des « déplorables formules de
musique de théâtre en usage pendant là première moitié du XIXe siècle ». Il ne
saurait pourtant être question de substituer à la cantate de Rome un mouvement
de symphonie ou de quatuor. Le concours de Composition du Conservatoire a été
institué dans ce but, et l'Institut doit rester attaché à la forme théâtrale qui,
si elle ne représente peut-être pas toujours l'expression la plus élevée de la
Musique, possède au point de vue social une valeur supérieure et une force de
rayonnement prépondérante, parce qu'elle s'adresse au coeur de la foule et non
au cerveau d'une élite. »
(5
juillet 1929, p. 307-308)
Documentation recueillie par O. Geoffroy
(octobre 2020)
Sylvère CAFFOT (1903-1993)
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Sylvère Caffot, dit René Sylviano ( Coll. Gilles Caffot )
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Pseudonyme : René SYLVIANO. Article spécifique.