Tony AUBIN - Marc VAUBOURGOIN - Jacques DUPONT (dit JACQUE-DUPONT) - Yvonne DESPORTES - Émile MARCELIN - Jean VUILLERMOZ - Robert PLANEL - Henriette PUIG-ROGET - Eugène BOZZA - Jean HUBEAU - René CHALLAN - Marcel STERN - Henri CHALLAN - Victor SERVENTI - Pierre LANTIER - Henri DUTILLEUX - André LAVAGNE - Gaston LITAIZE - Pierre MAILLARD-VERGER - Jean-Jacques GRUNENWALD
1930
Tony AUBIN (1907-1981)
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Tony Aubin en 1957 ( coll. Alain Bernaud ) DR
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( Page spécifique )
Marc VAUBOURGOIN (1907-1983)
Longtemps chef d’orchestre à la Radiodiffusion française et directeur du service musicologique de l’O.R.T.F., Marc Vaubourgoin est également l’auteur d’arrangements de partitions du XVIIIe siècle, et d’une œuvre musicale renfermant d’admirables pages de musiques pour orchestre ou de chambre.
Né le 19 mars 1907 à Caudéran (Bordeaux), il fut initié à la musique par son père Julien-Fernand Vaubourgoin. Celui-ci, qui avait fait ses études au Conservatoire de Bordeaux, y enseigna par la suite, sa vie durant, le solfège, le piano, l’orgue, la direction d’orchestre, l’harmonie et le contrepoint. Henri Barraud et Louis Beydts comptent parmi ses nombreux élèves1. Il toucha également longtemps les orgues de l'église Saint-Louis de Bordeaux de 1919 à 1952. Le jeune Marc ne pouvait rêver de meilleur professeur de musique pour débuter ses études ! Avec un solide bagage il entrait ensuite au Conservatoire de Bordeaux, puis montait à Paris achever sa formation auprès d’André Gedalge et Noël Gallon (contrepoint et fugue), Charles-Marie Widor et Paul Dukas (composition) au Conservatoire national supérieur de musique de la rue de Madrid. A partir de 1927 il se présentait à plusieurs reprises au Concours de Rome et obtint une mention honorable en 1928, puis un premier Second Prix en 1930, avec les cantates Héraklès à Delphes et Actéon.
Après l’obtention de son prix de Rome Marc Vaubourgoin commença par s’adonner à l’enseignement de la musique et fut notamment directeur du Conservatoire de Nantes entre 1937 et 1943. Son activité pour le développement de la musique dans cette ville, notamment à la tête de l’orchestre de la Radio Rennes-Bretagne, ne fut pas des moindres, à tel point que la Ville de Nantes donnera plus tard son nom à l’une de ses rues dans le quartier de Beaulieu. Les vieux Nantais ont sans doute longtemps gardé le souvenir de la création en juillet 1942, au Congrès de Nantes, sous la direction de l’auteur, de sa suite en 3 mouvements intitulée Impressions de Cornouaille : Saint-Michel de Braspartz, Le marais sous la lune d’avril et Confort. La roue du bonheur. Après la guerre, il menait une carrière de chef d’orchestre et entrait à la Radiodiffusion française. A la tête de l’Orchestre de l’O.R.T.F., il créa de nombreuses œuvres de musiciens contemporains, parmi lesquelles 4 opéras bouffes de Germaine Tailleferre le 28 décembre 1955 : Monsieur Petit Pois achète un château, Le bel ambitieux, La pauvre Eugénie et La Fille d’Opéra (livret de Denise Centore, Billaudot).
En 1954 Marc Vaubourgoin fut nommé responsable du service de musicologie de l’O.R.T.F. A ce titre il va alors se plonger dans l’étude des œuvres méconnues ou délaissées des compositeurs du XVIIIe siècle et bien avant la mode des baroqueux, il sort de l’ombre des pages admirables de Jean-Philippe Rameau. C’est ainsi qu’il a effectué la réalisation d’Hyppolyte et Aricie, tragédie en 5 actes et un prologue (Editions françaises de musique), ou encore l’adaptation des Boréades. Cet opéra, que Rameau était en train de répéter au moment de sa mort en 1764, ne fut entendu en fait que deux siècles plus tard en 1964 sur France-Culture, grâce aux travaux de Marc Vaubourgoin. Cette œuvre fut ensuite créée sur scène au Festival d’Aix-en-Provence le 21 juillet 1982 par John Eliot Gardiner. On a écrit que c’est l’un des meilleurs opéras de Rameau, du moins le plus original (enregistré en 1982, Erato Musifrance 2292-45572-2).
Toutes les activités professionnelles de Marc Vaubourgoin ne l’ont jamais empêché de se consacrer à la composition, domaine qu’il s’efforça de cultiver avec beaucoup de rigueur, comme son professeur de composition Paul Dukas lui avait enseigné. Il est ainsi l’auteur d’un catalogue varié, principalement axé sur la musique instrumental où une riche palette orchestrale se fait jour, même s’il a composé quelques chœurs, mélodies, Trois Chansons de Clément Marot pour chœur a capella, et un ballet inédit : Conte de Noël (paroles de René Dumesnil). On lui doit un Quintette à vent (inédit, 1932), un Trio pour hautbois, clarinette et basson (Selmer, 1936), 2 Symphonies (1938, 1955, Billaudot), un Prélude, Fanfare et Dance pour orchestre (Editions Françaises de Musique, 1945), un Divertissement sur un mode phrygien (1960?), principalement joué par l'Orchestre national sous la direction d'Eugène Bigot, un ballet intitulé Conte de Noël sur un arrangement de René Dumesnil, un Concerto pour piano (Billaudot) et une Sonate pour piano (Editions Françaises de Musique, 1967), des Suites pour orchestre (id.), un Concerto pour basson et orchestre (Editions Musicales Transatlantiques, 1968), un Concerto pour clavecin et orchestre (1968, Billaudot), un Concerto pour trompette et orchestre (Billaudot), Six Pièces pour saxophone alto et orchestre (Billaudot), une Introduction, variation et rondeau pour quatuor de bois solistes (flûte, hautbois, clarinette, basson) et orchestre (Billaudot), et Douze Canons pour 2 bassons (Billaudot, 1978)...
Mort à Paris le 1er avril 1983, Marc Vaubourgoin laissait deux fils, qui tous deux s’adonnèrent également à l’Art : l’architecte Jean-Raphaël Vaubourgoin, né en 1937, qui fit partie de la 34ème promotion de la Casa Velazquez de Madrid (1963-64), et fut reçu premier au concours d’architecte de l'Assemblée nationale en 1967 ; et le peintre Thierry Vaubourgoin, né le 8 février 1944 à Paris, élève à l’Ecole nationale des Beaux-Arts, atelier Maurice Brianchon, Second Grand Prix de Rome en 1967. Assurément, il est des familles où la création artistique est cultivée de génération en génération !
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
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1) Julien-Fernand Vaubourgoin né le 29 décembre 1880 à Bordeaux, décédé dans cette même ville le 25 novembre 1952, est l'auteur de musique de chambre, de mélodies, de 3 Symphonies pour orgue, ainsi que de la musique de chambre, des mélodies, deux opéras dont Gracioza, et deux ballets (Ninetis, Hoa-Tchy) représentés au Grand Théâtre de Bordeaux. L'organiste Christian Robert a notamment interprété dernièrement sa Cantilène vespérale, extraite de la Symphonie n° 2, lors d'un concert le 18 juillet 2001 à la cathédrale de Bordeaux.
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1931
Jacques DUPONT, dit JACQUE-DUPONT (1906 – 1985)
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Jacque-Dupont, vers 1927
(photo Manuel frères) DR.
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Jacques
Dupont, dit Jacque-Dupont, est né le 7 août 1906 dans le dix-septième
arrondissement parisien. Son père Edouard Dupont, originaire de Bourges (Cher),
homme de lettre et publiciste, et sa mère née Hermance Dumas, bonne pianiste
amateur, comptaient parmi leurs amis le pianiste et compositeur Raoul Pugno, l’historien
de l’art et professeur à l’Ecole nationale des Beaux-Arts, Louis de Boussès de
Fourcaud et le peintre Paul Namur. Dans un tel milieu où l’art sous toutes ses
formes est vénéré, le jeune Dupont, mis fort jeune au piano par sa mère, joue
en concert dès l’âge de 8 ans : le 18 mai 1915 au Grand-Théâtre de Dijon, aux
côtés d’un orchestre de 45 musiciens il interprète le 2e Concerto
de Haendel et accompagne le violoncelliste Fernand Poliain dans les Chants
russes de Lalo et le Menuet de Boccherini. L’année suivante, il
entre au Conservatoire de Paris : 1ère médaille de solfège
1917, 1ère médaille de piano 1919, 1er prix de piano 1924
(classe d’Alfred Cortot puis Lazare-Lévy) 1er prix d’harmonie 1925
(classe de Samuel-Rousseau), 2ème accessit de composition 1928
(classe de Henri Büsser, puis Paul Vidal). Egalement élève de contrepoint et
fugue de Noël Gallon, de musique de chambre de Max d’Ollone, de direction
d’orchestre de Henri Rabaud et d’histoire de la musique de Maurice Emmanuel, il
remporte en outre en 1931 le Grand Prix de Rome de composition musicale avec la
scène lyrique L’Ensorceleuse (paroles de Paul Arosa). Cette même année,
il compose un Octuor pour piano, 4 cordes, clarinette, basson et cor
(Prix Halphen), op. 4, dédicacé « à ma mère » qui sera édité en 1934
chez Hamelle.
A
cette époque, au cours de ses études et depuis 1925, il se produit en récital de
piano à Paris. Entre autres le 29 octobre 1926, il est à la Salle des
Agriculteurs dans un récital Chopin, le 13 janvier 1927 au Cercle de l’Union
Artistique il participe à une séance de musique aux côtés de Georges et Joseph
Tzipine, Henri Tomasi et la cantatrice brésilienne Mlle Bidu Sayao ; le 16
octobre 1927, avec le concours de Hélène Sadoven, de l’Opéra-Comique et de la
Scala de Milan, et de Jeanne Vaultier, de l’Opéra-Comique, il tient le piano
lors d’un concert donné sous la direction de Henri Tomasi dans la Salle des
fêtes du quotidien Le Journal, 100 rue de Richelieu ; les 21 et 28
novembre 1928, 10 février 1928 on l’applaudit dans des œuvres de Chopin (Tarentelle,
Fantaisie-Impromptu) et Schumann (Carnaval, Fantasiestücke)
dont la presse spécialisée souligne « la maîtrise technique et le sens
musical de ce remarquable virtuose […] la Tarentelle jouée avec une
délicatesse infinie. » Au Ciné Max-Linder il est tous les soirs « grand
virtuose » dans un récital Chopin pour accompagner le film La Valse de
l’adieu, réalisation (1928) de Henry Roussel avec l’acteur Pierre Blanchar dans
le rôle de Chopin. C’est de cette même année 1928 que date son opus 1, une Grande
fugue en fa mineur pour piano. Plus tard, le samedi 1er février
1930 il se produit pour la 1ère fois en concert avec orchestre à
Paris, Salle Gaveau, avec l’orchestre Pasdeloup dirigé par Henri Tomasi au
cours duquel il interprète Andante spianato et grande polonaise de
Chopin, le Concerto en la mineur de Grieg, le Songe, la Marche
du Roi Théodore (1ère audition) et Cyrnos (2ème audition)
de Henri Tomasi, le Concerto en mi bémol et la Fantaisie hongroise
de Liszt, ainsi que le Conte fantastique (1ère audition)
qu’il a récemment composé. Le 6 avril 1930, sous la direction du même chef, il
joue le Concerto pour piano et orchestre de Liszt, ainsi que l’Etude
en mi majeur de Chopin et la Campanella de Liszt. En ce début des
années trente, rapidement nommé soliste des Concerts Pasdeloup, sa renommée ne
va cesser de grandir auprès du public et la presse ne manquera pas de souligner
les qualités de ce « jeune virtuose ».
A
l’époque de son Prix de Rome on soulignait son « éclatante revanche »
après avoir échoué aux concours de 1929 et 1930, cette récompense étant décernée
à l’unanimité devant Yvonne Desportes (1er Second Grand Prix),
Henriette Roget (2ème Second Grand Prix), René Challan, Emile
Marcelin et Olivier Messiaen, tous les trois non récompensés. Lors du jugement
pour l’attribution des prix, le 4 juillet 1931 à l’Académie des Beaux-Arts, sa
scène lyrique est interprétée par Mme Ritter-Ciampi, MM. Jouatte et Roger
Bourdin avec, au piano, l’auteur et Henriette Roget. « Très bien écrite
[cette partition] témoigne d’une vigueur et d’une justesse d‘accent peu
communes, avec des coins d’un charme exquis, tel le prélude grave où des traits
chromatiques jettent leur dessin évocateur, telles la montée émue qui amène la
berceuse et la puissante symphonie exprimant l’invocation à l’Océan… Et
l’ensemble comporte une qualité de musique vraiment digne de la suprême
récompense. » Arrivé en février 1932 à Rome à la Villa Médicis pour le
traditionnel séjour qu’il effectue jusqu’en avril 1935 avec une interruption en
1934 pour satisfaire aux obligations militaires, il compose durant cette
période plusieurs œuvres, dont Trois mélodies pour chant et piano (Berceuse,
Paul Arosa, La Dernière feuille, Théophile Gautier, Le Papillon,
Lamartine) pour voix élevées et piano, op. 3., Deux Villanelles pour
voix élevées et piano, op. 7, paroles de Maurice Rollinat : Villanelle
du Soir, Villanelle du Diable, Trois Etudes pour piano op. 4
(« Pour la légèreté et l’égalité », « Pour la sonorité et le
style », « Pour les octaves et le rythme »), un Concerto pour
piano et orchestre, op. 2, un Concerto pour violon et orchestre, op.
6 et réduction pour violon et piano (1ère audition le 25 mars 1934
aux Concerts-Pasdeloup), Marche des jeunesses du monde, op. 10 (quatuor),
Six Poèmes sur des paroles de Théophile Gautier, op. 12 (Au bord de
la mer, Souvenir, Carnaval de Venise, Sonnet, Paysage,
Séguedille), La mort de Béatrice Censi (texte d’André Mar,
d’après Shelley) pour soprano et piano, op. 14, un ballet-pantomime à grand
spectacle sur un livret d’Albert Carré Les armes de la femme et une comédie
lyrique en trois tableaux sur un livret de Louis Le Sidaner Paola ou la
reine du carnaval, op. 19. Durant cette période romaine, en mai 1934 dans
la ville éternelle, au cours d’un concert organisé sous le titre de
« Musiciens étrangers au Cercle des Arts et des Lettres », il exécute
ses Trois Etudes pour piano et accompagne ses Deux Villanelles
chantées par Bérengère Carre. Née le 9 mai 1901 à Nice, il l’épouse peu après à
Rome le 7 juillet 1934. En janvier 1928, au Casino municipal de Nice, elle
s’était déjà produite dans une comédie en 4 actes, Viens avec nous, petit,
pièce tirée par Jacques Deval de La Fée Morgane d’Ernest Vaïda.
A
son retour en France, Jacque-Dupont poursuit ses activités de concertiste. Le compositeur
André Fijan relate en ces termes le concert du 29 décembre 1935 à Paris (Salle
des fêtes du quotidien Le Journal) :
« Au jeune
maître Jacques Dupont, premier grand prix de Rome, frais émoulu de la Villa
Médicis et du service militaire, était consacrée la majeure partie de cette
séance. Il y figurait comme virtuose et comme compositeur. Le virtuose est déjà
célèbre, à juste titre. Interprète passionné et passionnant de Liszt et de
Chopin, c'est Liszt et ses Rapsodies qu'il avait choisis ce jour-là, et
je ne crois pas qu'il soit possible de les évoquer avec une compréhension plus
complète, un enthousiasme plus communicatif. Comme compositeur, des œuvres
récentes d'un charme profond : Soirs au Golfe Juan et Villanelles,
sur des poèmes de Rollinat. D'un modernisme raffiné, tout en demeurant simples
et poétiques, ses Soirs au Golfe Juan furent exécutés par le beau
violoncelliste Jean Clément, soliste des Concerts Colonne, dont le jeu ample,
le son puissant firent merveille, aussi, dans le Grave de Sammartini, le
Prélude de Bach et les Airs bohémiens de Sarasate. Les Villanelles
étaient chantées par Mme Claire Barthe […]
qui traduisit, avec la plus jolie voix et le plus délicat sentiment qui soient,
les trouvailles musicales de l'auteur. Le concert débutait par la Sérénade de Beethoven. Au violon, M.
Darrien, ce maître de l'archet, violon solo des Concerts Colonne et de
l'Opéra-Comique ; à l'alto, Mme Lopés, premier prix du Conservatoire ; au
violoncelle, M. Jean Clément. Je n'ai pas besoin de dire quel plaisir je pris à
les écouter. »
Fin
1935 et en 1936, il séjourne à Nice où il termine sa première symphonie, la Censi-symphonie,
op. 13, débutée à Rome, et se produit en public, entre autres le 2 avril 1936
au Casino municipal (« Gala de Jacques Dupont, pianiste »), en mai
1936 au même endroit (Concerto de Liszt avec l’orchestre symphonique de
Nice dirigé par Marcel Minouze, ainsi que des pages de Chopin et accompagnant
au piano Claire Berthe dans des mélodies de Debussy, Duparc, A. de Valbranca et
de lui-même), en février 1937 au Palais de la Méditerranée (Etudes
symphoniques de Schumann, Andante op. 40 de Terestchenko et sa
mélodie : Farandole des Gueules, op. 47), en mars 1936 avec les « Amis
de la Musique de Chambre de Nice » (plusieurs de ses mélodies chantées par
Claire Barthe), le 19 décembre 1936 (séance de musique organisé par l’Artistique)
…
En
juin 1937, il est nommé directeur du Conservatoire de musique de Toulon en
remplacement de M. Grégoire (retraite) poste qu’il occupe jusqu’en 1943. Parallèlement,
il conserve des liens avec la Côte-d’Azur en tant que chef d’orchestre de
l’Association des Concerts classiques du Casino de Cannes (1940 à 1942) et
donne des concerts en France, entre autres le 5 avril 1941 à 17h30 au Théâtre
du Châtelet à Paris avec sa 2e Symphonie sous sa direction,
sa Marche des jeunesses du monde et l’ouverture du Carnaval romain de
Berlioz, ainsi qu’au piano seul sa Tarentelle et son Nocturne en
ut dièse. En 1941, il enregistre des lieder de Schubert et de Beethoven
accompagnant au piano le ténor Jean Giraudeau, mais ce n’est pas son premier
enregistrement : en 1934 il avait déjà gravé pour Pathé la Fantaisie
hongroise pour piano et orchestre de Liszt « dont l’enregistrement
séduira par sa clarté et sa discrétion. » En 1942, c’est la composition de
son op. 18, le ballet Blandine, qui sera suivi plus tard d’autres pages
du même genre : Selection Beach, ballet-jazz (1944), Septentrion
ou le danseur merveilleux (1945), La Clef des songes (1948), Le
Bal des ardents (1951), Fait divers (1952), Amduscias (1954).
Parmi
ses autres compositions de l’époque, l’on se doit de citer son Divertissement
48 pour piano et orchestre. Composée, comme son nom l’indique en 1948,
cette œuvre est écrite pour piano, cordes et batterie (4 timbales,
glockenspiel, célesta, xylophone, tambour) et comprend 5 mouvements :
Préambule, Scherzo, Pause, Romanesque, Perpétuel. Lors d’une interprétation
donnée au Théâtre de Grenoble le 11 mars 1959 par l’Orchestre symphonique du
Conservatoire dirigé par Eric-Paul Stekel, le musicologue Paul Pittion écrivait :
« … on eut le plaisir d’entendre Divertissement 48 de Jacque-Dupont,
interprété par le compositeur lui-même. La concision, l’élégance d’écriture de
cette partition ravirent le public, qui se laissa ensuite emporter par le Final
éblouissant. Quant au soliste, il fut simplement merveilleux d’habilité (le
Final voit la main droite seule, tresser de difficiles arabesques), et aussi la
chaleur d’expression dans une composition qui allie la poésie la plus fraîche à
la fois la plus saine gaieté. Rappelé plusieurs fois, Jacque-Dupont put voir
dans cet enthousiasme le désir du public de l’entendre à nouveau, cette fois
dans un récital d’œuvres modernes ou contemporaines, où son jeu sensible doit
faire merveille. »
A
la fin de la guerre, il collabore durant quelques années avec les Jeunesses
Musicales de France de René Nicoly, avant de coopérer avec Bernard Gavoty dans
ses « Evocations musicales » avec 200 tournées de récitals-conférences
données en France et à l’étranger entre 1947 et 1954, année de sa nomination
d’Inspecteur principal de la Musique à la Direction générale des Arts et des
Lettres. C’est à cette époque, où il produit aussi des émissions artistiques à
la R.T.F et plus tard celles intitulées « Le royaume de la musique »,
comme le souligne le musicologue, organiste et pédagogue Jean-Marie Meignen,
que Jacque-Dupont estime avoir donné environ 1000 concerts et récitals depuis
1936, toujours avec succès. On peut citer son récital de 4 Sonates à
Gaveau le jeudi 2 mars 1950 à 21h., avec Mozart (n° 14 ut majeur), Beethoven
(Les adieux, l’absence et le retour), Chopin (opus 58 si mineur) et Liszt (en
si mineur) qui lui vaut ce compte-rendu élogieux dans Le Guide du
concert :
« Jacque-Dupont,
l’un de nos meilleurs pianistes et compositeur de surcroît, ce que rend plus
subtile la pénétration des œuvres dont il avait fait choix, a obtenu un succès
brillant auprès de son auditoire qui, in fine, ne paraissait plus vouloir
quitter la place. On ne sait qu’admirer le plus de la perfection technique, de
la profondeur du sentiment ou de la puissance d’expression qu’il mit au service
de quatre grandes sonates dont les deux si mineur respectivement de Chopin et
de Liszt si opposées de sentiment. »
En
1962, il est chargé de la coordination technique de l’enseignement musical en
France à la Direction de la musique, de l’art lyrique et de la danse au
Ministère de la culture, et en 1971 il est nommé Inspecteur général de la
musique.
Après
le décès en 1964 à Paris de son épouse Bérengère, il se remarie l’année
suivante à Geneviève Zaigue, née le 14 décembre 1919 à Troyes (Aube). Prix
d’excellence de piano en 1936 au Conservatoire de cette ville, pianiste,
concertiste et pédagogue, elle enseignera longtemps dans cet établissement à
partir de 1942. Après la mort de son mari survenue le 21 avril 1985 à Troyes,
elle fonde à la « Société académique d’agriculture, des sciences, arts et
belles-lettres du département de l’Aube » le « Prix Geneviève et Jacque-Dupont »
destiné à récompenser une personne qui s’est distinguée dans le domaine de la
musique ou de la peinture ; les candidats devant résider dans le
département de l’Aube ou y avoir fait au moins une partie de leurs études
artistiques. C’est l’organiste de Sens (Yonne) Michelle Leclerc qui reçoit la
première fois ce prix en 1993, suivie en 1994 d’Olivier Brut, artiste-peintre
troyen, en 1995 de Sébastien Vachez, guitariste, en 1996 de Philippe Limoge,
percussionniste, en 1998 de François Madurel, musicologue, en 1999 de Serge
Perathoner, compositeur de musique de film, artiste interprète, arrangeur de
chansons. Geneviève Jacque-Dupont est décédée à son tour le 24 avril 2019 à
Troyes.
Jacque-Dupont
laisse un catalogue comportant une centaine d’œuvres écrites à partir de 1928. En
dehors de celles déjà citées, on peut aussi noter les Trois pièces,
op. 8 (1934, Leduc) pour piano ; Révolte, poème symphonique,
op. 5 (1932, Hamelle), Le Diptyque d’Amduscias, symphonie (1954,
Billaudot), Navarrianas pour violoncelle et orchestre, op. 22 (1943,
Salabert), San Martin, l’homme à l’épée de lumière, fresque lyrique et
symphonique sur des paroles de Randal Escalada (1950, Billaudot), Messe de
Saint-François pour soli, chœur, orgue et orchestre, op. 52 (1952) et une
douzaine de musiques de films des années quarante. Un catalogue complet et
détaillé a été dressé par Jean-Marie Meignen et consultable à la Médiathèque Jacques-Chirac
de Troyes où un fonds important Jacque-Dupont a été déposé par sa veuve. Le
label Polymnie a publié trois CD de ses œuvres : opéra Le Roy fol,
Orchestre lyrique de la RTF et Chœurs de la RTF dirigés par Tony Aubin et Saxophonies
pour quatuor de saxophones, par le « Quatuor Jean Ledieu » (POL 990
480) ; Œuvres pour piano : Soirs à Juan-les-Pins, Nocturnes,
Etudes, Impromptus, Scherzos par Denis Pascal et Octuor
avec Gérard Poulet (violon), Yaïr Benaïm (violon), Françoise Gnéri (alto),
Marie-Paule Milone (violoncelle), Dominique Vidal (clarinette), Gilbert Audin
(basson), Vladimir Dubois (cor), Denis Pascal (piano) (POL 580 322) et un
enregistrement de Navarrianas (l’auteur au piano avec André Navarra au
violoncelle) avec La clef des songes pour orchestre et Amduscias
pour orchestre par l’Orchestre National dirigés par Pierre-Michel Le Conte et
Jean Martinon.
En
conclusion, laissons la parole à Bernard Gavoty, qui, dans son ouvrage Pour
ou contre la musique moderne, publié en 1957 avec la collaboration de
Daniel Lesur (Flammarion), dresse un portrait tout à fait juste du musicien : Fantaisiste et
raisonnable, également doté de l’esprit de géométrie et de l'esprit de finesse,
capable d’humour, épris de grandeur, passionné pour les vastes sujets,
Jacque-Dupont est un et divers. Possédant son art comme bien peu le possèdent à
notre époque, jamais cependant son « métier » éblouissant ne l’emporte sur la
pensée qu’il exprime. Ainsi prouve-t-il à sa manière qu’un musicien typiquement
français peut être également un musicien lyrique.
Denis Havard de la Montage
(septembre 2024)
Un entretien avec
Jacque-Dupont en 1950
par Yves Hucher
(in « Le Guide du
Concert », n° 6 du 15 décembre 1950)
Jacque-Dupont
est un grand voyageur. Vous le croyez rue du Laos, il est à Casablanca. Lui
écrivez-vous au Maroc, vous apprenez qu’il est réfugié à Vincennes. Vous le
saisissez enfin ! Las ! le numéro du « Guide » est sous presse et votre «
Entretien » devra attendre 15 jours. Est-il trop tard cependant pour
revenir sur San Martin, la grande fresque lyrique et dramatique, qui
nous a été révélée par les soins de la Radiodiffusion ?
C'est
à ma rencontre fortuite avec Randal Escalada que je dois de m'être intéressé au
héros surnommé « l’homme à l'épée de Lumière ». San Martin était en
quelque sorte son aïeul, et l'écrivain avait tout naturellement le désir de lui
rendre hommage.
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Jacque-Dupont
(photo X...) DR.
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Mais
la forme que vous avez choisie ?
Elle
est venue tout naturellement d'un échange d'idées, et des circonstances aussi.
L'obligeante réponse de la Radio nous offrant une soirée entière sur ses
antennes a précipité la réalisation du projet.
Poème
et musique ont été conçus parallèlement ?
Certainement,
le compositeur suggérant les idées au librettiste, ou inversement. Or, la vie
de San Martin fourmille de situations dramatiques, de moments propices
aux développements musicaux ; la plus grande difficulté fut donc de faire un
choix.
C’est
là tout le problème de la création artistique.
Et
pourtant, commencée à la mi-juillet, à l'instant où Henry Barraud nous
proposait obligeamment la date du 16 novembre, notre ouvrage fut terminé le 30
septembre. Déjà les copistes étaient au travail ; il ne fallut en effet pas
moins de 2 mois pour établir un matériel de près de 5.000 pages, à l'intention
des 110 musiciens et choristes. J'ai donc passé tout l'été, à Vincennes, dans
une réclusion totale.
Mais
vous connaissez l’Amérique du Sud ?
Hélas !
non. Mais je m'y rendrai au printemps prochain.
Une
question insidieuse, si vous le permettez : aviez-vous vu Bolivar ?
J'ai
résisté au désir de connaître l'ouvrage de Milhaud. Ayant une très grande
admiration pour l'ensemble de son œuvre, je ne voulais pas risquer d'être
impressionné par certains passages...
A
propos
de «
passage
», celui de la Cordillère
des Andes ?
Taisez-vous.
C'est un terrain glissant. Je crains bien que Bolivar — je parle du
héros et non de l'œuvre — ne l'ait jamais franchie. Mais laissez-moi plutôt
vous dire ma reconnaissance pour tous ceux qui ont contribué à la réalisation
de notre œuvre...
Je
note bien volontiers votre sentiment à l’égard des interprètes, sans pouvoir
toutefois Insister : nous franchirions une autre et petite « cordillère »,
celle qui sépare l’entretien de la critique. Mais, j’aimerais savoir si c’est
le compositeur que vous êtes, ou le pianiste que vous demeurez, qui a voulu
intégrer à l’orchestre au grand complet, une partie de piano, en particulier
dans la cantilène de Maria, votre héroïne ?
L'un
et l'autre, je pense ; mais à l’instant précis dont vous parlez, c'est plus
exactement la situation dramatique qui justifie le soutien de la voix par le
piano associé à la harpe. En effet, Maria jouait de cet instrument, dans la
maison qui fut le berceau de la sédition. Seule chez elle, elle chantait à la
clarté des chandelles. C'est ainsi que j'ai voulu l'évoquer.
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Jacque-Dupont
(photo X...) DR.
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Je
vous remercie et je souhaite une longue carrière à votre œuvre.
En
mai, San Martin sera accueilli au Théâtre Colomb de Buenos-Ayres.
Vous
y
serez
!
Encore
un changement d’adresse ?
Il
y en aura d'autres ! Je pars en tournée pour l'Afrique du Nord, l'Egypte, le
Liban, le Sud-Est de la France, le Portugal...
Des
projets ?
Pour
Paris, chez Colonne, le 4 mars, mon Divertissement 48 cordes et
batterie, et à la Radio, le 9 avril, « La Fantaisie » pour piano et
orchestre. Et puis...
Et
puis ? Je sens qu’une grande confidence approche !
Oui
! Je suis heureux d'en donner la primeur au « Guide du Concert », Septentrion
!
C’est
une nouvelle adresse ?...
Non.
Un drame antique, ramassé, concentré, dans la manière qui m'est chère,
grandiose et dramatique à la fois.
C’est
donc un opéra ?
Non,
c'est, si vous voulez, la formule extérieure d'Electra, avec un danseur
(Septentrion), un tragédien (Le Messager), un ténor (Philoctète, ami d'enfance
de Septentrion) et le chœur antique chantant à l'unisson.
Voulez-vous
me dire quelques mots du livret et de son auteur ?
Son
auteur est notre cher Maurice Rostand, dont vous allez reconnaître la manière
et l'inspiration. Septentrion, le danseur, est un symbole de la foi et de la
vie. Un incendie vient de ravager Antipolis. Philoctète meurt désespéré. Raz de
marée. La mer gagne le proscenium. Alors Septentrion s'avance et danse sur la
mer déchaînée. Sa maison brûle, ce qui en reste est arraché au sol, flotte
comme une nef et vient s'échouer au bas du promontoire où danse Septentrion.
C’est
un rôle en or pour le danseur !
De
tout le temps que dure l'œuvre (quelques 80 minutes !) Septentrion ne cesse de
danser.
Et
la première aura lieu à Paris ?... Bientôt ?
A
Paris, oui, bientôt, je l'espère !
C’est
en effet une révélation, mais elle complète bien ce que nous savons de vous, de
votre goût de la « fresque ».
La
fresque est un terme qui me paraît excellent, parce qu’il unit à la musique
l'art pictural et que je vois les choses avant de les entendre.
Art
visuel, comme la poésie pour Hugo.
Si
vous voulez. A ce côté visuel, ajoutez le rôle philosophique et humain...
...
et j’obtiens certaines œuvres dramatiques contemporaines, et San Martin,
tout de même plus proche, dans son raccourci saisissant, du théâtre que du
cinéma.
Oui.
San Martin et Septentrion détermineront sans doute mon intention
de me consacrer au théâtre. Ce ne sera d’ailleurs que l’aboutissement logique
de mon évolution, fort lente mais continue. Quoi qu’on puisse en dire le
théâtre satisfait un sens de la « forme » et de la « construction », hors de
laquelle point de salut.
D’où
notre « retour à Bach » !
Sans
doute. D’où aussi probablement Messiaen. De rapprochement de ces deux noms
m’incite à vous dire mon attachement aux choses nouvelles, mais sans effacement
du passé. Donnez la plus grande importance à ce « mais ». Ainsi, l’art
permet-il d’adapter les plus heureuses trouvailles à l’expression
d’émotions qui semblaient tout d’abord inexprimables. L’orchestre moderne peut
évoquer l’universalité de la pensée. Il est aussi regrettable de nier ces
merveilleuses vérités nouvelles, que de renier tout ce qui a servi à notre
enrichissement.
«
Toute la suite des hommes doit être considérée comme un même homme qui subsiste
toujours et qui apprend continuellement ».
Rien
n’est plus vrai ; en tous cas, pour les musiciens.
Je
suis heureux de voir un musicien, et l’auteur de Septentrion, confirmer
la pensée pascalienne. D’ailleurs, Pascal n’a-t-il pas dit aussi : « homme
égale encore musicien », « l’homme qui n’est produit que pour l’infinité » ...
C’est
un mot de la fin, sinon de l’infini !
*
1932
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Détail d'une photo de 1929 classe de composition de Paul Dukas, au conservatoire. ( Photo X. )
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Au début des années 1950 ( Photo X... )
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Au Centre nat. de prép. au CAEM, 1968 (coll. Claudine Clairay-Bonafous ) ( Photo X...) |
Yvonne DESPORTES (1907-1993)
Yvonne DESPORTES (1907-1993), fille du chef d'orchestre et compositeur Emile Desportes (1878-1944), est née à Cobourg (Allemagne) le 18 juillet 1907 et a fait ses études au Conservatoire de Paris avec Noël et Jean Gallon, Maurice Emmanuel et Paul Dukas. Premier Grand Prix de Rome en 1932 avec la cantate Le Pardon. Elle a enseigné le solfège au Conservatoire de Paris à partir de 1943, puis le contrepoint et la fugue dès 1959. Plus de 500 oeuvres sont à son catalogue : sonates, quatuor, quintette, sextuor, octuor pour quatuor vocal et quatuor à cordes, deux symphonies (1958 et 1964), deux concertos pour percussion (1957 et 1960), des variations symphoniques, un concerto pour trompette, des mélodies, des pièces vocales diverses, des opéras (de 1936 à 1965), des ballets (de 1935 à 1961), et de très nombreux ouvrages didactiques. Elle est décédée le 19 décembre 1993 à Paris et était mariée au sculpteur et Grand Prix de Rome (1933) Ulysse GEMIGNANI (1906-1973) qu'elle avait rencontré lors de son séjour à la Villa Médicis.
D.H.M.
Mlle Yvonne DESPORTES
et le Grand Prix de Rome 1932
par Arthur Mangeot
Le féminisme remporte une nouvelle victoire à l'Académie des Beaux-Arts, en la personne de Mlle Yvonne Desportes, qui vient de battre ses camarades du sexe fort, au Concours pour le prix de Rome.
Déjà, Lili Boulanger en 1913, Marguerite Canal en 1920, Jeanne Leleu en 1923, et Elsa Barraine en 1929 avaient pris le chemin de la Villa Médicis, jusque là fermée aux femmes.
La nouvelle « Romaine » est née à Cobourg (Saxe), en juillet 1907, au cours d'un voyage de ses parents en Allemagne. Elle fut ramenée en France dans un panier, un mois après sa naissance et passa sa jeunesse à Pont-l'Evêque, en Normandie, dans la propriété de ses parents. Son père, Emile Desportes, lui donna ses premières leçons de musique et la fit admettre dans une classe de solfège au Conservatoire en 1918. En même temps, elle montrait des dons exceptionnels pour la peinture et, en 1920, Paul Poiret réunissait à la galerie Barbazanges, 120 aquarelles et une quinzaine de toiles, d'une enfant qui n'avait pas treize ans et dont les compositions se signalaient par un don humoristique et une fantaisie surprenante. Mais la musique la possédait également et de 1922 à 1925, elle fut à l'Ecole Normale, élève de Mlle Yvonne Lefébure pour le piano, de Mme Coedès pour le solfège et de M. Georges Dandelot pour l'harmonie. En même temps elle prend part au concours de costumes pour la reprise de Chantecler et elle y obtient le second prix.
En 1925, elle reprend ses études au Conservatoire, où elle obtient successivement un 1er prix d'harmonie en 1925 (classe Jean Gallon), un 2e prix d'accompagnement en 1928 (classe Estyle), un 1er prix de fugue en 1930 (classe Noël Gallon) ; enfin un 2e Second grand prix [de Rome] en 1930, un 1er Second grand prix en 1931, et le 1er Grand prix en 1932, comme élève de M. Paul Dukas.
Elle avait en outre, en 1931, obtenu le 1er prix de composition pour une série d'œuvres comprenant un Quintette pour instruments à vent, sur un thème grégorien, un Sextuor pour quintette à vent et piano, Christine, poème pour chant et orchestre et 3 mélodies : Vilanelle, Double amour, le Passé qui file (Heugel, éditeur). Cette année même, elle écrivait pour les Concours du Conservatoire, une Fantaisie en si bémol pour trombone et Sicilienne et Allegro pour cor.
En Yvonne Desportes, c'est la Musique et la Peinture que la Villa Médicis va accueillir. Puisse-t-elle favoriser l'épanouissement d'une jeune fille aussi douée !
(juillet 1932)
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Yvonne Desportes, vers 1932
(coll. DHM / Musica et Memoria) DR.
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Quelques souvenirs d’un
ancien élève d’Yvonne Desportes
A la fin des années soixante je prenais des
cours auprès d’Yvonne Desportes, surnommée affectueusement « Tante Yvonne »
par ses élèves, afin de me perfectionner pour mon entrée dans les classes d’écriture
du Conservatoire National Supérieur de Musique, où je serai plus tard lauréat
des classes d’harmonie et contrepoint.
Elle m’accueillait chez elle :
parfois à Paris, rue du Général Leclerc (par une porte cochère, on entrait dans
un immeuble que je présume haussmannien ; on traversait l’entrée du
rez-de-chaussée pour déboucher sur une cour dans laquelle une verrière abritait
l’atelier de son sculpteur de mari, cour dont un côté était flanqué de leur
logement) ; parfois dans sa maison de campagne, à Bonnières-sur-Seine (au bord
d’une petite route de bord de Seine ; de l’autre côté de la route, leur jardin
potager, descendant vers le fleuve). Curieusement, Jacques Chailley, qui
m’avait reçu à propos des Exercices de style, habitait à quelques centaines de
mètres, près de Denfert-Rochereau. Elle m’avait un jour confié qu’elle était
royaliste « parce que les rois sont les seuls personnages qui n’ont pas
besoin de mentir pour accéder au pouvoir », ce en quoi elle n’avait pas
tout à fait tort !
Auteure de plusieurs compositions,
elle ne se prenait pas réellement au sérieux et sa musique, parfois exubérante
ou en tous cas joyeuse était à son image. En 1986, habitant alors Béziers, où je
faisais mes débuts comme chef de chœur, afin de la remercier de sa générosité à
mon égard j’avais pu intercéder auprès de la municipalité pour la commande de
son Vin Médecin, une cantate profane pour chœur et orchestre d’harmonie.
Quand les organisateurs du Festival m’avaient demandé de la contacter pour son
hébergement, elle me disait qu’elle n’était pas vraiment folle des hôtels et
que, si je pouvais l’héberger, ça lui ferait très plaisir. C’est ainsi que j’ai
eu l’immense honneur de la recevoir, évidemment sans chichis. Elle m’avait
parlé de son espoir déçu de faire les Beaux-Arts, sa famille ayant refusé
qu’elle entre dans ce lieu de perdition pour jeunes filles de bonnes mœurs...
Elle s’était alors promise, sachant qu’elle ne serait jamais Grand prix de Rome
de peinture, de l’être en musique, et n’était pas peu fière d’être devenue la
femme du premier couple de Prix de Rome, puisqu’elle était mariée au sculpteur
Ulysse Gémignani (Grand prix de Rome 1933). Passionnée également de peinture, en
voyage, elle avait toujours quelques cahiers d’esquisses et sa boîte
d’aquarelles. D’ailleurs elle avait même peint un coin de ma terrasse, souvenir
que j’ai fait encadrer et que je conserve précieusement !
Claude Lévy
Chef de chœur, fondateur (1975) et directeur (1975-2002) de La Cantarela de Béziers
(novembre 2020)
Yvonne Desportes, cette fois en aquarelliste, chez Claude Lévy à Béziers. Photos et aquarelle datent de 1986 (photos Cl. Lévy). La dédicace est bien sur l’original de l’aquarelle: "À mon gentil Claude Lévy en souvenir d'un merveilleux séjour à Béziers. De tout coeur Yvonne Desportes."
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Émile MARCELIN (1906-1954)
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Émile Marcelin ( Photo J. Van Renteroren, Tourcoing, 1946, aimablement communiquée par Mme Marie-Louise Marcelin )
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Émile Marcelin, fils du ténor de l'Opéra Émile Marcelin. Grand Prix de Rome en 1932, avec sa cantate Le Pardon, il a dirigé le Conservatoire de Saint-Quentin (1935) puis celui de Tourcoing à partir de 1942. Musicien délicat, on lui doit de la musique de chambre, des mélodies avec piano ou orchestre, un poème symphonique, une Suite brève pour orchestre (1943), ainsi que la musique du film d'André Sauvage (1934) "La Croisière jaune" écrite en collaboration avec Claude Delvincourt.
D.H.M.
Un article détaillé est en ligne sur ce site, Musica et Memoria.
Jean VUILLERMOZ (1906-1940)
Il est des fatalités tragiques qui transforment l’homme en héros et le font se rapprocher des destinées des divinités antiques. La guerre est une de ces circonstances qui le dévoile dans toute sa réalité et le met à nu, seul face à lui-même : on y croise aussi bien le fourbe que le demi-dieu ... Parmi ces êtres au destin magnifique, tel Jehan Alain ou Jean-Claude Touche en ce qui concerne le monde des musiciens, se tient également Jean Vuillermoz : en 1940, à quelques heures à peine de la signature de l’armistice franco-allemande, il est tué alors qu’il effectue une patrouille dans les rues de Lobsann, une petite bourgade alsacienne peuplée de quelques âmes seulement ; il n’avait pas encore atteint sa trente-troisième année. Sa courte vie ne lui a pas laissé le temps de marquer de son sceau l’histoire de la musique, même s’il est certain qu’un brillant avenir se faisait jour au fil des années.
Son père Louis-Edouard Vuillermoz est né le 13 février 1869 à Quingey, non loin de Besançon (Doubs). Doué pour la musique, il entra bientôt au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris, où il suivit la classe de cor de Jean Mohr et obtint un 1er Prix en 1889. Sociétaire des Concerts du Conservatoire à partir de juin 1894, il fera une carrière de corniste solo aux Concerts du Châtelet et à l’Orchestre de l’Opéra, et enseignera au CNSM. Mort en 1939, il s’était installé en 1904 pour plusieurs années avec sa famille à Monte Carlo. A cette époque Raoul Gunsbourg assurait la direction du Casino, et l’orchestre était conduit par Léon Jehin. C’est là que naît le 29 décembre 1906 Jean Vuillermoz. Le lendemain Léon Jehin donne en première audition Après l’Eté pour cordes de Florent Schmitt et la Fête Napolitaine d’Alexandre Pomé. Revenu à Paris en 1925, Jean Vuillermoz ne tarde pas à intégrer le CNSM où l’avait précédé son père quarante ans auparavant ! Elève de composition d’Henri Büsser, et d’Henri Rabaud, qui assure également la direction de cet établissement depuis 1920, il se présente pour la première fois au Concours de Rome en 1930, mais échoue. Deux années plus tard, il tente à nouveau cette épreuve ; le sujet imposé de la cantate Le Pardon lui permet d’être récompensé par un deuxième Second Prix. Il essaye bien une dernière fois en 1933 de décrocher le Grand Prix, mais cette tentative s’avère vaine...
Sa passion pour le chant le fait nommer second chef des Fêtes du Peuple organisées en 1935. C’est lui qui fonde en 1938 la Chorale Universitaire, mais il doit vite en abandonner la direction l’année suivante pour assurer la défense de son pays en guerre. Il meurt au champ d’honneur le 21 juin 1940, tué par l’ennemi, laissant une veuve, Madeleine Corbin, qui enseignera plus tard le solfège (chant) au CNSM (1947).
Jean Vuillermoz n’a guère eu le temps de produire une œuvre marquante, cependant les quelques compositions qu’il a laissées démontrent une écriture habile et une imagination fertile : un Triptyque pour orchestre, donné à Paris en mai 1932, un Concerto pour cor et orchestre, créé également à Paris le 11 mars 1934, un ballet intitulé Veglione (1937), un autre Concerto pour violoncelle, des Trio avec piano ou à cordes, une Promenade zoologique pour orchestre de chambre...
Frère de Louis Vuillermoz, corniste à l’Opéra-Comique, Jean Vuillermoz semble n’avoir aucun lien de parenté avec Emile Vuillermoz, le célèbre musicographe, compositeur et conférencier. Celui-ci, né à Lyon le 23 mai 1878, mort à Paris le 2 mars 1960, est en effet le fils d’un banquier de Lons-le-Saulnier (Jura).
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
1933
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Robert Planel ( collection Jacqueline Planel )
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Robert PLANEL (1908-1994)
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Parution (avril 2002):
Saxophones, par le Quatuor Jean Ledieu (fondé en 1987)
Fabrice Moretti (soprano), Denis Bardot (alto)
Yann Lemarié (ténor), Jean Ledieu ( baryton)
Roger Boutry, Etincelles
Claude Pascal, Transcription de six fugues de l'Art de la fugue de J.S. Bach, Quatuor de saxophones (1961) et Scherzetto, écrit pour quatuor de flûtes de bambou, transcrit pour quatuor de saxophones par l'auteur.
Jeanine Rueff, Concert en quatuor (1955)
Robert Planel, Burlesque (1939)
( CDpac/Polymnie, POL 490 115
49 bis route de Maisons Blanches, 10800 Buchères
tél. 03 25 41 84 90, fax. 03 25 41 88 04
enregistré à l'UT de Troyes en février 2002 )
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Article détaillé (biographie, oeuvre, enregistrements) par Jacqueline Planel.
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Affiche d'une série de concerts en mai 1973 à l'église des Billettes, Paris ( coll. D.H.M. )
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Henriette PUIG-ROGET (1910-1992)
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Henriette Puig-Roget à la console de l'orgue de Saint-Etienne de Caen, vers 1955 ( photo Pierda )
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Née le 9 janvier 1910 à Bastia (Corse), fille du général Henry Roget, Henriette Roget a fait toutes ses études musicales au CNSM de Paris où elle est entrée à l’âge de 9 ans. Elle obtenait en un temps record 6 premiers prix entre 1926 et 1930 dans les classes d’Isidore Philipp, Jean et Noël Gallon, Estyle, Maurice Emmanuel et Marcel Dupré : piano, harmonie, histoire de la musique, accompagnement au piano, contrepoint, fugue, orgue. Elle est également l’élève de Charles Tournemire qu’elle supplée parfois à l’orgue de l’église Sainte-Clotilde. Premier Second Grand Prix de Rome en 1933, elle est nommée l’année suivante organiste de l’Oratoire du Louvre et de la Grande Synagogue de Paris. Elle restera dans ses tribunes respectivement jusqu’en 1979 et 1952. Engagée également en qualité de chef de chant à l’Opéra de Paris, elle mène parallèlement une brillante carrière de pianiste à la Radio dès 1935, où elle restera jusqu’en 1975.
Organiste, chef de chant, pianiste, Henriette Roget, devenue Madame Ramon Puig-Vinals, était en plus une pédagogue renommée qui enseigna l’accompagnement au Conservatoire de Paris à partir de 1957. Elle a même formé plusieurs générations de pianistes au Japon où elle était partie enseigner en 1979.
En tant que soliste, Henriette Puig-Roget est réclamée par les plus grandes formations, notamment les Concerts de la Société du Conservatoire, les Concerts Straram, les Concerts Colonne, les Concerts Poulet, les Concerts Siohan, l’Orchestre national de l’ORTF et les Concerts de Lisbonne... Dès les années cinquante elle enregistrait sur disques, chez Pathé ou Columbia, à l’orgue avec Louis Martini et André Cluytens, des œuvres de Marc-Antoine Charpentier (Messe à 6 voix, la symphonie Assumpta est Maria et le de Profundis), Nicolas Bernier (Contitebor tibi, domine), Michel-Richard Delalande (De Profundis), Jean-Baptiste Lully (Dies irae), Camille Saint-Saëns (Symphonie n°3, en ut mineur, op.78) et au piano, avec Georges Tzipine : la Première Suite Cubaine, pour huit instruments à vent et piano, de Alejandro Garcia Caturla, et Ritmica n°1, pour quintette à vent et piano, d’Amadeo Roldan.
Son œuvre est variée et recouvre des pièces pour piano, pour orchestre, de la musique de chambre, vocale et religieuse. Bien entendu l’orgue est largement représentée avec notamment un Cortège funèbre (Durand, 1939), des Deploracion para la semana santa, une Toccata severa et un Triathlon qui servit de morceau de concours pour le CNSM en 1977.
Défendant d’Indy, Vierne, Pierné ou Messiaen, dont elle créa les Préludes en 1930, elle était une ambassadrice de la musique française et sa mort arrivée le 24 novembre 1992 à Paris VIIe laisse à tous ceux qui l’ont connue le souvenir d’une grande dame de l’orgue dévouée à ses élèves.
Denis HAVARD de la MONTAGNE
(notice provisoire)
Henriette
Puig-Roget : revue de presse des années 1930
Organiste,
concertiste, pédagogue et compositrice, Henriette Puig-Roget a
marqué le XXème siècle de son empreinte
musicale. Voici quelques articles de presse et de périodiques
relatifs à son Prix de Rome et à ses premières
œuvres publiées.
« Les
quatre autres concurrents prenaient part à l'épreuve
pour la première fois. - Seule parmi eux fut récompensée
Mlle Henriette Roget, née à Bastia le 9 janvier 1910,
élève de MM. Paul Vidal et Henri Büsser. Elle
obtint le Deuxième Second Grand-prix. Sa cantate, chantée
par MIle Jane Laval, MM. Raoul Jobin et Albert Huberty, avec l'auteur
au piano, est l'œuvre d'une musicienne accomplie, qui n'ignore
rien de son art, dont l'écriture est sûre, souple et
distinguée, qui se montre experte dans le développement
d'un thème et la construction d'un ensemble, aux entrées
classiques, mais dont le sens dramatique se résume en une
déclamation plus juste que vraiment émue. Seule,
d'autre part, MIle Roget eut l'idée d'écrire la
berceuse à 5/8, ce qui donne une impression un peu instable à
l'auditeur, lequel sait qu'Eva accompagne rythmiquement son chant du
balancement d'un berceau. »
(Le
Ménestrel,
10 juillet 1931, p. 304)
« MlIe
Henriette Roget, née à Bastia le 9 janvier 1910, élève
de M. Henri Busser et qui avait obtenu le Deuxième Second
Grand Prix en 1930, est donc restée sur cette récompense.
Elle eut comme interprètes Mme Germaine Lubin, MM. Georges
Jouatte et Couzinou, avec, au piano, M. Jacques Dupont et l'auteur.
Son œuvre se distingue, comme celle de son camarade
Vaubourgoin, par des qualités plus musicales que dramatiques,
et c'est pourquoi on s'explique que la réussite de M. Marcelin
l'ait privée de la seconde récompense, qui représentait
le minimum de ce à quoi elle pouvait aspirer. La cantate de
Mlle Roget fut particulièrement intéressante au point
de vue de la qualité de la musique et de la sûreté
de l'écriture, sûreté confinant parfois à
la complexité un peu tourmentée, nuisible au théâtre,
ce qui fut surtout sensible dans la Romance des aveux. Mais au point
de vue musical pur, maints détails de la cantate de Mlle Roget
révèlent une musicienne accomplie, par exemple le
rythme si heureux sur lequel est écrite la Chanson de la
bouteille. Il faut noter aussi le duo, si bien construit et
développé, que Mlle Roget a été la seule
à concevoir. »
(Le
Ménestrel, 8
juillet 1932, p. 288)
«
Ce fut un grand talent d'instrumentiste qui permit à Mlle
Henriette Roget de donner sa signification entière à
l'œuvre pour orgue et orchestre qu'elle a intitulée
Montanyas del Rosello,
et qui, si l'on faisait abstraction d'images visuelles nettement
situables et transposées, prendrait l'aspect d'un Concerto
pour orgue et orchestre. Concerto dans lequel les rapports entre
l'instrument isolé et la multitude orchestrale seraient réglés
par une sensibilité nuancée et subtile et par une
intelligence constructive, ingénieuse à faire se
mouvoir, s'écarter puis se rencontrer, s'interférer les
divers plans sonores. C'était une « première
audition » ; et le jeu de Mlle Henriette Roget lui assurait
toutes ses possibilités de surprise initiale et déjà
d'approfondissement. Avec quelle franchise, notamment, était
allégué et en quelque sorte énoncé le
pédalier de l'orgue ! Art parallèle à celui qui,
dans l'élaboration de l'œuvre elle-même, avait
réservé aux basses un rôle si décisif. »
(Le
Ménestrel,
14 avril 1933, p. 159)
« Le
Premier Second Grand-Prix fut attribué à Mlle Henriette
Roget, née à Bastia le 9 janvier 1910, et qui avait
obtenu en 1931 le Deuxième Second Grand-Prix. Elle eut comme
interprètes Mme Ritter-Ciampi, MM. Louis Arnoult et Ponzio,
avec, au piano, l'auteur et Mlle Gisèle Kuhn. Sa cantate est,
de toutes, la plus riche de musique, mais de musique un peu
indépendante du sujet. Elle témoigne d'une sûreté,
d'une distinction et d'une élégance d'écriture
(assez complexe), d'une solidité de construction qui sont le
signe d'un métier remarquable. Les accents purement
dramatiques, souvent rudimentaires, sont marqués parfois d'un
esprit savoureux, tel le menuet où flotte une courte et
opportune citation de Manon lorsque les paroles évoquent
Guillot de Morfontaine. Pianiste hors de pair, Mlle Roget adopte
volontiers des formules d'accompagnement de nature pianistique, tels
de nombreux « glissandos » qui, répétés
abondamment à l'orchestre, y produiront sans doute un effet
moins heureux quand ils seront traduits par le timbre plus
caractérisé des harpes. Notons que, comme Mlle
Desportes l'an dernier, Mlle Roget a su utiliser la virtuosité
vocale exceptionnelle de Mme Ritter-Ciampi en posant un contre-ut
impressionnant, fort bien en situation, dont l'effet a été
considérable. »
(Le
Ménestrel, 7
juillet 1933, p. 276)
« Mlle
Henriette Roget (élève de M. Henri Busser), née
à Bastia, le 9 janvier 1910, avait obtenu, en 1933, le Premier
Second Grand-Prix. Sa Cantate, interprétée par Mme
Ritter-Ciampi, MM. José de Trévi et Henri Médus,
avec, au piano, l'Auteur, n'a donc pu, malgré la décision
favorable de la Section de Musique, lui assurer cette fois le Premier
Grand-Prix.
Pourtant
jamais Mlle Roget n'avait encore atteint à une pareille
maîtrise. Sa composition comportait un très joli sens de
la couleur et de l'atmosphère, beaucoup de charme et aussi de
force. Sa langue musicale était élégante,
solide, bien que dépouillée de toute lourdeur
d'écriture, et ses développements, qui étaient
bien cette fois de caractère nettement dramatique,
s'affirmaient tous heureux et parfois même saisissants,
notamment dans la progression du duo, amorcé dès les
premières cantilènes des deux principaux personnages,
dans l'hymne triomphal, traité ; en crescendo magnifique, et
dans le trio final que Mlle Roget a certainement réussi mieux
que tous ses camarades. Peut-être lui a-t-il manqué,
pour enlever la récompense suprême, cette vigueur et
cette franchise d'accent toutes masculines qui ont assuré le
succès de M. Bozza. Mais en considérant la valeur
musicale exceptionnelle de Mlle Roget, consacrée par un
impressionnant ensemble de sept premiers prix (piano, orgue,
harmonie, fugue, composition, histoire de la musique, accompagnement
au piano), qui font d'elle une des gloires les plus brillantes de
notre Conservatoire, et les progrès qu'elle a réalisés
au point de vue spécial du Concours de Rome, il semble
impossible qu'elle ne réussisse pas, avec un léger
retard que son jeune âge lui permet encore, à s'imposer
sans conteste l'an prochain. »
Le
Ménestrel, 6
juillet 1934, p. 247-48)
« Une
des logistes, Mlle Henriette Roget nous adresse une lettre de
protestation. - On avait cru pouvoir — et même devoir —
dans l'affaire des Concours du Prix de Rome de Musique que nous avons
exposée hier, mettre en cause deux des concurrents. Or, nous
sommes en mesure, aujourd'hui, d'apporter une protestation aussi
sincère que vigoureuse et précise de l'un de ces
concurrents : Mlle Henriette Roget, qui, par cette protestation,
prend une position très précise.
Mlle
Henriette Roget, qui a été plusieurs fois lauréate
du Conservatoire, particulièrement estimée de ses
maîtres, a été en même temps Premier Second
Prix de Rome en 1933. Sa lettre nous paraît mériter la
plus vive attention et apporte à l'enquête ouverte un
élément nouveau :
« Monsieur,
Bien que je n'y sois pas explicitement nommée, votre article
de ce jour sur le scandale du Grand Prix de Rome me met formellement
en cause, puisque je serais l'un des deux logistes qui auraient
demandé communication de musique hindoue à M. Emmanuel.
Je
tiens donc à vous faire savoir qu'aussitôt après
l'article du Temps
du 12 septembre, j'ai adressé à M. le Ministre de
l'Education nationale une demande d'enquête sur les
irrégularités du Concours de Rome, jugeant que ce ne
sont pas des polémiques de presse qui peuvent traiter des
questions de cette nature.
Cette
enquête vient d'être ordonnée ; il me semble
correct d'en attendre le résultat. En ce qui me concerne, je
vous assure que je désire plus que personne que cette enquête
soit poussée à fond et que j'y aiderai. Je ne saurais
toutefois admettre, même en attendant avec sérénité
le résultat de cette enquête, d'être assimilée
à qui que ce soit, n'ayant absolument rien à, me
reprocher.
Premier
Second Grand Prix en 1933, il se peut que certains songent à
se débarrasser d'un concurrent, surtout quand ce concurrent
est une femme, mais je ne peux accepter qu'on prétende y
parvenir par de la calomnie. Ma conduite a été
constamment correcte et je vous prie de vouloir bien publier cette
protestation dans votre plus prochain numéro.
Veuillez
croire, Monsieur, à l'assurance de mes sentiments distingués.
Henriette ROGET. »
Fort
bien. Mais alors, M. Emmanuel fera-t-il savoir s'il y eut un seul ou
deux concurrents incriminés et désormais quel serait le
second ? Comoedia
qui cherche la vérité avec la plus entière
impartialité ne demande qu'à faire la lumière
sur ce point et tous les autres. »
(Comoedia,
23 septembre 1934, p. 1)
« 3
Ballades françaises de Paul Fort
(H. Roget). — Tantôt brutale et tantôt douce, à
la fois réaliste et pleine et de rêve, La
Chanson du Marin est la première
de ces ballades. L'envoûtement de la mer, ainsi qu'une
soumission résignée à la destinée,
dominent la seconde ballade : La Chanson
Fatale. La dernière, sorte de
litanie de l'avare, se nomme : Chanson
de l'Or. Ces 3 ballades ont été
mises en musique par Henriette Roget il y a un an. Elle a cherché
à faire une œuvre simple et directe, qui exprime
musicalement la portée humaine de ces ballades, sans alourdir
un poème dont les paroles sont très évocatrices. »
(L'Art
musical, 10 janvier
1936, p. 225)
« Ce
qui caractérise les Trois
Ballades françaises, c'est un
accent direct, impérieux, sauvage, qui les défend
contre tout apprêt, toute convention et toute lenteur. Les deux
premières sont des chansons de marin, la troisième une
chanson d'avare, Chanson de l'Or,
et les contrastes ne sont pas seulement dans les vies ; ils sont dans
les élargissements ou les rétrécissements
d'espace, dans les modalités d'horizon et de tempête,
dans les rythmes qui scandent des destins. Par sa fidélité
au texte, — une fidélité non point en surface
mais en profondeur, et qui, autour des mots et du chant, enroule et
déroule, par l'orchestre, une atmosphère de fatalité
et de nature, de réalité et de fantastique, —
Mlle Henriette Roget a rapproché de nous tout cela ; en
l'unité haletante et large d'un triple drame elliptique, que
la musique tout à la fois condense et dilate. »
(Le
Ménestrel,
17 janvier 1936, p. 20)
« La
Prière, pour chœur, quatuor à cordes, harpe et
orgue due à la réputée organiste, Mlle Henriette
Roget, est une composition qui témoigne hautement de
l'élévation de pensée de son auteur. La ferveur
des accents qu'elle contient, le parfum mystique des harmonies qui
les soulignent, y concourent à détacher l'âme de
l'auditeur des contingences terrestres. »
(L'Art
musical, 25
décembre 1936, p. 288)
«
Rythmes,
de Mme Henriette Roget, est une Suite de trois danses (Tarentelle,
Rumba,
Valse)
intitulée par l'auteur Divertissement symphonique. Avouons que
hors la Rumba,
savoureuse et qui atteste un bon métier, l'œuvre est
d'une écriture laborieuse, point toujours sûre, où
la recherche de l'effet, notamment dans la Valse, provoque le retour
à des poncifs qui ne nous touchent plus, et qui manquent
singulièrement de vie. »
(Le
Ménestrel,
29 janvier 1937, p. 37)
« Je
reviens aux premières auditions, le Lamento
pour violoncelle de Mlle Henriette Roget eut pour avocats l'auteur au
piano et Mlle Lucette Peyre à la basse. Après un très
joli début pianistique, l'œuvre devient ensuite
chaleureuse, émouvante et laisse une excellente impression. »
(L'Art
musical, 29 janvier
1937, p. 399)
Collecte
réalisée par Olivier Geoffroy
(août 2019)
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CNSMP, 1928-1929, classe d'orgue de Marcel Dupré. de g. à dr., assis : Joseph Gilles (1er prix, organiste à Paris de Saint-Pierre-de-Chaillot), Gaston Litaize (1er prix 1931, organiste à Paris de Saint-François-Xavier), Olivier Messiaen (1er prix, organiste à Paris de La Trinité)) ; debout : Léon Levif (2ème accessit 1932, organiste à Paris de Saint-Eloi), Tommy Desserre (organiste à Paris du cinéma Gaumont-Palace), Jean Langlais (1er prix 1930, organiste à Paris de Sainte-Clotilde), Rachel Brunschweig (future Mme Hayon) et à l'orgue Denise Roget (1er prix 1930, organiste à Paris de l'Oratoire du Louvre, future Mme Puig).
(coll. Pauline Puig) DR.
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1934
Eugène BOZZA (1905-1991)
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Eugène Bozza ( photo X... )
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Eugène Bozza est né à Nice le 4 avril 1905 d'une mère française et d'un père italien. On retrouve ses origines latines dans un bon nombre de ses œuvres : Rhapsodie niçoise pour violon et piano ou encore la Cantate du centenaire pour le rattachement de Nice à la France, 5 chansons niçoises, quelques Fantaisies italiennes"... Pourtant c'est aussi un homme du Nord avec son Chant de la mine en hommage aux "gueules noires" et au pays minier. L’œuvre que nous laisse Bozza est considérable et le premier catalogue qui est présenté ici n'a pour ambition de prétendre à l'exhaustivité, car j'ai repris des œuvres éditées et celles non éditées que sa femme a bien voulu mettre à disposition. On retrouve donc ici l'ensemble de sa carrière de 1923 à 1991. En 1923 on trouve éditée chez Senart, une œuvre au titre très romantique, Nocturne sur le lac du Bourget, pour violon et piano. Eugène Bozza a alors 19 ans et vient de commencer une carrière de violoniste concertiste international (il a obtenu son premier pris au Conservatoire de Paris en 1923 et il vient d’être engagé comme violon solo de l'orchestre Pasdeloup). C'est donc pour le violon que le jeune "Eugenio" écrit à l'époque. Sur les programmes des spectacles on découvre souvent, non sans un étonnement amusé, une œuvre de lui côtoyant Saint-Saëns, Beethoven, ou Pousseur. Le jeune homme sait ce qu'il veut et il étonne tout le monde quand, en 1930 à 25 ans, il décide d'abandonner sa carrière de violoniste. («En fait,» nous confie sa femme, «il était hanté par le trac.») En fait ce qui l'intéresse c'est d'écrire et de diriger. Il retourne au conservatoire où il obtient en 1931 son prix de direction suivi de celui de composition en 1934. La même année il obtient le premier grand prix de Rome avec sa cantate La légende de Roukmani, il part pour Rome pendant 5 ans, c'est la deuxième phase de sa carrière. A Rome, à la Villa Médicis, haut lieu de la culture et du rayonnement artistique, Bozza donne libre cours à son imagination. Il a le temps d'écrire et il apprend son métier en s'entourant d'artistes. Durant cette période, il aborde des œuvres importantes et l'on sent que l'artiste a muri ; on retrouve Inroduzione et toccata pour piano et orchestre (Eschig 1938) et surtout les Psaumes , toujours non édités, suite pour chœurs, orchestre, orgue et fanfare (1938). De retour en France, il est nommé en 1939 à l'Opéra-comique comme chef d'orchestre. La frénésie culturelle de la capitale, qui vit une période trouble, laisse peu de temps au compositeur mais occupe entièrement le chef d'orchestre. En 1950 il est nommé, provisoirement au départ, à Valenciennes avec une mission de réorganisation du Conservatoire. Il va trouver en cette ville une ambiance agréable, un orchestre de bon niveau, il va y rester jusqu'à sa mort en 1991. Cette troisième phase illustre la multiplicité des œuvres. Il compose entre 1950 et 1991 la majeure partie de son oeuvre : symphonie, oratorio, musique de chambre. Il a su mettre en avant les instruments à vent en écrivant de nombreuses œuvres. Aucun instrument n'est oublié. Aujourd'hui, qui n'a pas eu au moins une fois, au concours de fin d'année, une œuvre de lui! Ce souci pédagogique se traduit encore par les succès de ses études, les fameuses Etudes sur des modes karnatiques ou encore les Graphismes préparation à la lecture des graphismes contemporains. Bozza écrit encore pour ses professeurs ; Leduc édite en 1968 un morceau de trompette et piano, Frigariana, titre qui ne peut se savourer que lorsque l'on sait qu'il est dédié à Henri Frigard, professeur de trompette au conservatoire de Valenciennes...! Il prend sa retraite en 1975, il continue à écrire, cet aiguillon que seul l'artiste ressent et qui le piquera jusqu'à sa mort. Miné par une longue maladie, Bozza s'éteint le 28 septembre 1991 vers minuit ; au même moment la RTBF diffuse un enregistrement de son Scherzo pour quatuor à vent à la demande d'un amateur éclairé. Eugène Bozza le savait : il pouvait reposer en paix, sa musique l'accompagnait ; et pour reprendre un passage de l'apocalypse (un livre sacré qu'il gardait jalousement sur lui) : «Heureux les morts qui meurent désormais dans le seigneur. Oui, dit l'esprit, afin qu'ils se reposent de leurs travaux ; car leurs œuvres les suivent.» (Brahms, Ein Deutsches Requiem, 7, Selig die Toten).
Hervé Lussiez
Remerciement à M. Poinsignon.
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Une autre notice est également disponible dans la rubrique Obituaires.
Jean HUBEAU (1917-1992)
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(photo J. Sarrat/Erato) DR.
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Jean HUBEAU est né le 22 juin 1917
à Paris XXe, fils de Marius Hubeau, industriel parisien, et de Andrée
Foussadier. Pianiste et pédagogue, grand spécialiste de la musique de chambre,
il est rentré à l'âge de 9 ans au Conservatoire de Paris afin d'y étudier le
piano et la composition (classes de Jean et Noël Gallon, Paul Dukas et
Lazare-Lévy). Premier prix de piano et d’harmonie en 1930 à 13 ans, d’accompagnement
l’année suivante, de fugue et de composition à 16 ans, il décroche en 1934, à
17 ans, le premier Second Grand Prix de Rome avec sa cantate La Légende de
Roukmani, puis se perfectionne à Vienne dans la classe de direction
d’orchestre de Félix Weingartner. En 1942 il est nommé directeur du
Conservatoire de Versailles, succédant là à Claude Delvincourt parti prendre la
tête de celui de Paris, et à partir de 1957 jusqu’en 1982 enseigne la musique
de chambre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Remarquable
pianiste ayant joué avec diverses formations de musique de chambre, il laisse
des œuvres instrumentales (Variations pour piano, une Sonate pour
violon et piano, une autre pour trompette chromatique et piano, des Concertos
pour piano, pour violon, ou encore pour violoncelle), vocales (des mélodies,
poèmes chantés, chansons…) et de la musique théâtrale dont 3 ballets : Trois
Fables de la Fontaine, la Fiancée du diable, Un Cœur de diamant ou l’Infante.
Il a enregistré chez Erato les intégrales de la musique de chambre de Fauré et
de Schumann avec le Quatuor Via Nova… Marié en 1944 à Gisèle Robin, Jean Hubeau
est mort le 19 août 1992 à Paris XVIIIe dans sa soixante-seizième année. Sa
sœur, Germaine Hubeau (1892-1966) exerça également une carrière musicale comme
artiste lyrique (contralto).
D.H.M.
Jean Hubeau
vu à travers la presse
« Un
enfant prodige : Jean Hubeau. Un jeune garçon de treize ans, premier prix
d’harmonie et premier prix de piano au concours du Conservatoire national de
Musique, c’est un phénomène assez extraordinaire pour ne pas rester ignoré des
lecteurs de La Jeunesse. Voici en quels termes élogieux le critique musical du
Temps, Henri Malherbe, si délicat et si compétent, apprécie l’événement :
Le
cas de M. Jean Hubeau, qui vient à peine d’atteindre sa treizième année, est
saisissant. Avec sa blouse claire et sans manches et sa courte culotte azurée,
il avait l’air d’un enfant échappé des contes de fées. Simple, sobre, sans
défense, aventuré, il n’est certes pas sujet à faire illusion sur ses dons. Il
nous a donné sans tâtonnements deux exécutions étrangement senties et pensées.
Il est né musicien. Il a reçu de la nature l’harmonie, la mélodie. J’ai
ressenti, à l’entendre, l’une des plus profondes émotions de ma vie. Je vais
essayer, un peu plus loin, de développer le portrait pathétique de cet enfant,
qui possède d’instinct le rythme, la grâce, tout le secret de la construction
musicale
Le
premier prix d’harmonie est échu à M. Jean Hubeau, déjà détenteur d’un premier
prix de piano. Il faut connaître les conditions rigoureuses de d’examen
d’harmonie pour se rendre un compte exact des prouesses du jeune Hubeau. Il ne
s’agit de rien de moins que de réaliser à quatre parties vocales une basse et
un chant donnés. Les concurrents sont enfermés dans une pièce particulière,
sans communication possible avec l’extérieur, de six heures du matin à minuit.
Les compositions sont anonymes et ne portent aucune signature. Ce n’est
qu’après le classement définitif des copies que les jurés apprennent les noms
des candidats, jusque-là gardés secrets sous enveloppe. L’épreuve est donc
entourée de toutes les garanties désirables.
Que
Jean Hubeau ait triomphé dans de pareilles circonstances, cela démontre
indéniablement sa supériorité. Au moment qu’il prenait part à ce concours, il
n’avait pas encore treize ans. C’est la seule fois, depuis la fondation du
Conservatoire, que le premier prix d’harmonie aille à un étudiant si jeune. On
me dit que, lorsque les jurés furent informés de l’âge de leur lauréat, ils
frémirent d’une ardeur enthousiaste. Si, à l’étranger, une vocation se
manifestait sitôt et d’une telle franchise, on ne manquerait pas de s’en
prévaloir dans une publicité tapageuse. Les mécènes, les journalistes, les
imprésarios accourraient de tous côtés. A Paris, le rare événement a été publié
avec indifférence ou sécheresse, sans gloire ni bruit. Je ne résiste pas au
fier plaisir de lui conférer l’importance qui lui sied.
Jean
Hubeau est né à Paris le 22 juin 1917. Elève de Mme Galanti pour le piano, il a
commencé ses études d’harmonie le 1 er octobre 1927, avec M. Noël-Gallon,
professeur incomparable, qu’il n’a plus quitté. Dès l’âge de dix ans, il était
jugé digne d’une première médaille de solfège. Remarquez que là nous n’avons
pas affaire à un petit virtuose d’une précocité théâtrale, — plante vite
épuisée. Jean Hubeau n’a eu un premier prix de piano que par une sorte
d’accident heureux. Ses parents, d’une droiture et d’une générosité
d’intentions que nous devons admirer, ne l’ont poussé qu’aux études musicales
sérieuses. Ils n’ont voulu tirer aucun profit facile des dons d’exécutant de
leur fils.
J’ai
tenu à observer de très près ce sujet d’exception. C’est un enfant du peuple de
Paris, qu’on peut voir courir et jouer sur le trottoir de l’avenue de Saint-Mandé.
Mince comme une lame de fleuret, le visage attrayant, pâli et long, couronné
d’une blonde chevelure bouclée, il parle peu et d’une voix rude. Son regard
bleu, empli de je ne sais quel rêve, vous pénètre. Il est, m’affirme-t-on,
d’une loyauté, d’une bonté extrêmes et toujours en action. Il se montre tantôt
sous l’aspect d’une gravi té concentrée, tan tôt en enfant attardé et qui se
livre à des ébats innocents. Il n’a pas ployé sous les brusques honneurs. Il ne
s’est pas laissé enivrer. II a su garder sa tête. Esprit réservé, exact, orné,
il paraît déjà tout instruit et versé dans les choses de la musique. Entraîné
dans la sphère d’attraction des maîtres, il nous fait croire qu’il est à leur
hauteur, qu’il a pénétré leurs pensées vastes ou complexes. Il est abreuvé et
nourri des sources élevées. Visité des lueurs de la déesse, il s’avance avec
candeur et sécurité vers son destin. Peut-être que, dans l’au-delà, Mozart le
regarde et sourit.
Comment,
avant d’avoir vécu, médité, souffert, cet enfant, alerte à tout ce qui est
musical, a-t-il un si vif sentiment des beautés ? Quels mystères roule-t-il
dans son âme commençante ? De quelle étoile favorable lui sont tombés des dons
si rares ? Il déjoue toutes les théories à son sujet. Libre et naïf, il aborde
de front les plus grandes difficultés. Il en triomphe sans prétendre à briller,
ni à tirer des feux d’artifice. Il plane dès maintenant dans les espaces
sereins. Devant un début de carrière si bien entamée, si nette, si attachante,
on ressent non moins d’orgueil que de crainte. On se prend à souhaiter à un
Jean Hubeau tout un avenir de gloire, sans que rien vienne à la traverse. Qu’il
soit averti, surveillé, fortifié, mais de loin, afin de le laisser s’épanouir
selon son propre instinct. Jusqu’à présent, il a été soutenu et provoqué par un
maître d’une adresse surprenante et qui a ingénieusement élargi et éclairé son
goût en lui distribuant ses belles provisions de savoir. Il a absorbé la
musique par tous les pores. Il a désormais tout ce qu’il faut pour remplir sans
faiblesse la mission pour laquelle il est désigné. Plusieurs points nous inquiètent
néanmoins. L’enfant merveilleux ne cédera-t-il pas aux entraînements prochains
? Ne s’égarera-t-il pas aux fausses lumières du monde ?' Les attendrissements
qu’il fait naître chez les mères enamourées, les éblouissements prématurés où
il jette les écouteuses promptes à s’émouvoir, ne contribueront-ils pas à le
détourner de la route où il s’est engagé d’un pas si ferme ? Nous l’attendons
aux tournants décisifs avec angoisse, car il appartient de près à la race des
élus. »
(La Jeunesse, septembre-octobre 1930, p.
122-124)
« Le
Premier Second Grand-Prix fut décerné (mais d'accord, cette fois, avec la
Section de Musique, puisque Mlle Roget, ayant mérité antérieurement cette
seconde récompense, ne pouvait l'obtenir à nouveau), à M. Jean HUBEAU (élève de
M. Paul Dukas), né à Paris le 22 juin 1917, dont c'était aussi le premier
concours et qui, âgé de 17 ans seulement, en était le benjamin. Sa Cantate fut
interprétée par Mme S. Balguerie, MM. Cathelat et Etcheverry, avec, au piano,
l'Auteur et Mlle Elsa Barraine.
Ce
fut une surprise agréable que de constater chez un aussi jeune concurrent des
dons musicaux aussi rares. M. Hubeau se distingue en effet par une sûreté
d'écriture, une richesse de langue musicale et en particulier de rythmes, une
solidité de construction qui, à son âge, semblent tenir du prodige. Mais toute
sa Cantate était liée au principe rigoureux du développement thématique auquel
la déclamation se trouve étroitement subordonnée, qui domine toujours et
paralyse souvent l'essor lyrique, lequel peut s'exprimer surtout par la
mélodie. C'est pourquoi la nature de M. Hubeau, extraordinairement attachante
au point de vue musical, ne semble pas susceptible, à priori, de permettre
d'espérer en lui un compositeur de théâtre. Sa musique intéresse
prodigieusement ; elle n'émeut pas, parce que la conception même de cette
musique lui impose, au nom d'un principe avant tout constructif, des entraves
qui lui retirent une grande partie de sa force d'expression directe. »
(Le Ménestrel, 6 juillet 1934, p.
247)
« M.
Jean HUBEAU, né à Paris le 22 juin 1917, élève de Paul Dukas, qui avait
remporté en 1934 le Premier Second Grand-Prix, et, depuis, n'avait plus
concouru, est resté sur sa récompense antérieure. Sa cantate eut pour
interprètes Mlle Germaine Cernay, MM. Saint-Cricq et Etcheverry, avec, au
piano, l'auteur et Mlle Elsa Barraine. M. Hubeau, dont on voulut, bien
imprudemment, il y a trois ans, nous persuader qu'il avait du génie (au prix
d'un scandale dont le discrédit et le ridicule retombèrent sur leurs auteurs),
est demeuré un élève pourvu de dons musicaux certains, mais qui ne semble
guère, quant à présent, dépasser le niveau d'un symphoniste avisé et assez
ennuyeux. Bien qu'il abuse un peu du glissando pianistique (ce qui le ramène au
ton neutre d'ut majeur) son écriture est riche et aisée, mais sa déclamation,
qui tend timidement, à plusieurs reprises, vers l'inflexion mélodique, reste
sans grand accent expressif, malgré une belle montée du duo et une conclusion
apaisée, assez heureuse, du trio final. »
(Le Ménestrel, 9 juillet 1937, p.
219)
« A
VINGT-QUATRE ANS M. Jean Hubeau est nommé directeur du Conservatoire de
Versailles.
JEAN
HUBEAU a grimpé lestement l'échelle de la renommée comme il a épuisé en un
temps record les succès scolaires. Médaille de solfège à dix ans, premier prix
d'harmonie et premier prix de piano à treize, premier prix d'accompagnement à
quatorze, premier prix de fugue et de composition à seize, il remporte en 1934,
à dix-sept ans, le second prix de Rome. Citons encore le prix Diémer en 1936,
le prix de Vienne en 1937. Est-ce le seul fait d'un fort en thème ? Une telle
organisation musicale, une telle faculté d'assimilation technique supposent des
dons véritables qui ne demandent qu'à s'épanouir. Pianiste-virtuose tout à fait
remarquable, Jean Hubeau compte à son actif de compositeur un bagage déjà
important : pièces de piano, mélodies avec accompagnement d'orchestre ou de
piano, des choeurs, de la musique de chambre, deux tableaux symphoniques : «
Krishna-Govinda »et « Cortège au Temple » ; enfin le « Concerto en do majeur »
pour violon et orchestre, l'œuvre la plus remarquable de l'auteur. Créé en mars
1941 aux Concerts Lamoureux par Henri Merckel, ce Concerto est apparu comme une
véritable réussite, tout ensemble brillant et solide. Certes, le point de vue
du soliste y est essentiel ; mais le sens de la virtuosité, poussé dans ses
dernières conséquences n'exclut, en aucune façon, la valeur musicale, les
traits véloces, la chanterelle expressive s'y intègrent parfaitement dans un
ensemble où l'orchestration brillante laisse néanmoins l'hégémonie au violon
solo. Le langage n'est nullement agressif, plutôt sage, même, mais l'écriture
éblouissante, une verve rebondissante, une recherche dans le timbre, confèrent
à l'ensemble un caractère acidulé qui fait impression.
Le
don initial, ici exceptionnel, porte en soi sa contrepartie : la trop grande
facilité. Toutefois, ce jeune compositeur de vingt-quatre ans vient d'être
nommé directeur du Conservatoire de Versailles. Quand la France, trop longtemps
le pays de la gérontocratie, se réforme, elle emploie les grands moyens. Il
n'est pas nécessaire de totaliser soixante ans pour avoir du talent ou entrer à
l'Académie ; et le génie ne se manifeste pas que chez les octogénaires.
Que
demande-t-on à M. Hubeau ? Administrer un conservatoire, diriger ses pairs
et aînés en matière d'enseignement musical. Musicien par excellence, les
musiciens le jugeront sur ses actes. »
(Comoedia, 9 mai 1942, p. 1)
Collecté par Olivier Geoffroy
(septembre 2021)
1935
René CHALLAN (1910-1978)
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René Challan ( coll. Annie Challan )
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Frère jumeau d’Henri Challan, lauréat du Prix de Rome en 1933, puis en 1936, René Challan sera également récompensé par cette même distinction. Né le 12 décembre 1910 à Asnières (Hauts-de-Seine), dans la banlieue parisienne, René-Louis-Jean Challan perdit son père à l'âge de 3 ans : Emile Challan, né le 25 avril 1886 à Paris XVIe, alors 2ème classe au 309e Régiment d'Infanterie, périt en effet aux combats dès le début des hostilités, le 24 août 1914 à Wisembach (Vosges)... Après la guerre, René Challan effectua ses études musicales au CNSM de Paris, notamment auprès de Henri Büsser, Jean et Noël Gallon. En 1931, pour la première fois René Challan et son frère se présentaient vainement, tout comme Olivier Messiean, au Concours de Rome. A nouveau candidat en 1934, René remportait cette année un deuxième Second Grand Prix avec la Légende de Roukmani, fantaisie lyrique en un acte de Mme Claude Orly. L’année suivante, avec la scène lyrique Le château endormi de Bernard Simandre, il décrochait cette fois le Premier Grand Prix et partait au début de 1936 rejoindre la Villa Médicis afin d’y effectuer le traditionnel séjour. En mai 1939 René Challan réintégrait Paris, quelque mois à peine avant la déclaration de la guerre de 1939-1945.
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René Challan ( coll. Annie Challan )
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L’essentiel de la carrière de René Challan a été consacré au disque, notamment comme directeur artistique de la section classique de la maison Pathé-Marconi entre 1949 et 1975. L’une de ses plus belles productions, projet auquel il tenait à cœur, fut l’enregistrement au début des années soixante-dix de l’intégrale de l’œuvre de Villa-Lobos par l’Orchestre national de la RTF, dirigé par le compositeur lui-même (10 disques 33 tours VSM C 153-14.090/99). Il n’a pas négligé pour autant la composition musicale et c’est ainsi qu’on lui est redevable d’un opéra-bouffe : Jorgen de Danemark, créé à Metz en 1960, trois Symphonies (1937, 1956 et 1961), dont la deuxième en fa majeur, op. 45 (Editions Transatlantiques), fut donnée au Châtelet de Paris en première audition le 1er février 1959 par les Concerts Colonne, sous la direction de Georges Tzipine, et à propos de laquelle la critique soulignait qu’écrite pour un orchestre volontairement réduit et construite dans la forme traditionnelle, cette symphonie est " dans l’esprit de l’auteur, accessible à la plupart des auditeurs ", six concertos : un Concerto pastoral pour piano et orchestre, op. 20 (1943), enregistré en janvier 1954 par Columbia (FCX 229) avec Samson François et Georges Tzipine, un Concerto pour saxophone (Paris, Leduc, 1944), un Concerto pour violon (Paris, Choudens, 1945), un Concerto grosso pour trois trompettes et timbales (1945) créé par Fernand Oubradous, un autre Concerto pour piano (Paris, Pathé-Marconi, 1954) donné en première audition par la Société des Concerts, le 3 mars 1957 au Théâtre des Champs-Elysées (Samson François, Georges Tzipine,) et un Concerto pour harpe (1956), une page pour quatuor de saxophones intitulée Jacasserie (Paris, Eschig), des Blasons du corps féminin et des mélodies parmi lesquelles : Dedans Paris, deux mélodies pour chant et piano, sur des paroles de Clément Marot (Paris, Eschig, 1938).
On doit également à René Challan quelques beaux enregistrements, notamment des Noëls variés de divers auteurs (PLM AST 1.002 - 25.134) avec l’Orchestre Colonne qu’il dirige et le baryton Michel Dens, ou encore en 1958 des " Chants patriotiques et cocardiers " (PLM 30.305), cette fois-ci à la tête de l’Orchestre du Conservatoire et à nouveau avec Michel Dens, et cette même année un autre disque (PAT CPTMT 130.517) avec l’Orchestre Colonne et les Chœurs Duclos sur le thème " Envoi de fleurs ", contenant des pièces charmantes de Goublier, Delmet ou Codini...
En 1938, René Challan épousait Denise Ziwès, la fille aînée d'Armand Ziwès (1887-1962), alors Sous-Préfet de Bernay (Eure), avant d'être nommé Secrétaire général de la Gironde jusqu'en 1940, époque où il entra dans la Résistance. A la libération, celui-ci fut nommé Préfet du Gers (1945), Secrétaire général de la Préfecture de Police de Paris (1946), Préfet de Police (mars à mai 1947) et enfin Préfet de la Seine-et-Oise à Versailles (mai 1947 à mars 1950). Il avait débuté sa carrière dans l'enseignement, comme instituteur avant la guerre, puis professeur d'allemand et de musique (1918 à 1924), avant de bifurquer dans l'Administration. A sa retraite du corps préfectoral, il fut un temps Maire-adjoint du XVIIIe arrondissement de Paris (1950), directeur de cabinet du ministre André Le Troquer (1954) et président-directeur général de la Sofirad. Tout comme son confrère, le Préfet Louis Amade, il s'adonnait à la composition et à la littérature. On lui doit ainsi des recueils de chansons, des pièces pour piano, des romans historiques et policiers, des contes pour enfants, et un ouvrage intitulé Le jargon de Me François Villon, en collaboration avec Anne de Bercy (Paris, M. Puget, 1954, 2 vol. in-16) qui fut couronné par l'Académie Française.
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Annie Challan ( copyright Annie Challan, avec son aimable autorisation )
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René Challan s’est éteint à Nevers (Nièvre) le 1er août 1978, laissant une veuve, Françoise Cazaux, épousée en secondes noces en 1975 et une fille unique, la harpiste Annie Challan, née de son précédent mariage le 5 novembre 1940 à Toulouse. Elève de Lily Laskine, elle obtenaità l’âge de 15 ans un 1er Prix de harpe au CNSM. L’année suivante, bien que toute jeune elle devenait harpe solo des Concerts Colonne et deux ans plus tard entrait à l’Orchestre de l’Opéra de Paris. C’est elle, en compagnie de Suzanne Cotelle, qui a formé le premier duo de harpes féminines. Avec celle-ci, elle a notamment enregistré chez Pathé-Marconi un Rondino de son père, et également des pièces originales de Daniel-Lesur (Elégie), Gabriel Pierné (Marche des petits soldats de plomb) ou encore de Francis Poulenc (Suite française). On lui doit plus tard la création d’un duo flûte et harpe avec Roger Bourdin. Pédagogue, elle a été nommée en 1971 professeur au CNR de Versailles et en 1976, directrice du Conservatoire municipal de Marly-le-Roi. Elle a été admise en 2002 dans l'Ordre National du Mérite, au grade de chevalier.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
(2002, mise à jour novembre 2017)
1936
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Château de Fontainebleau, 1936, concours d'essai au Prix de Rome, arrivée des candidats (30 avril) : de gauche à droite : Mlle Lucienne Pauly (future Mme Flipo), Victor Serventi, Abed (non candidat, 1er prix d'harmonie, élève de Büsser, à la veille de partir fonder une École française à Constantinople), Henri Dutilleux (2e plan), Henri Challan, Gaston Litaize accompagné de sa femme (2e plan), Georges Friboulet, Marcel Stern (2e plan), Pierre Lantier (3e plan), Marcel Rémy, Mlle Paule Maurice ( Photo Agence Fulgur, Le Guide Musical, avril 1936, coll. D.H.M. )
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Marcel STERN (1909-1989)
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Marcel Stern en 1929
(photo Walery, in la revue Les artistes d'aujourd'hui, 1929, coll. D.H.M.) DR.
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Le
22 mars 1939 à Paris, la Société Nationale donnait en première audition le Divertissement
pour petit orchestre en 3 parties (Fantaisie, Pastorale, Burlesque) de Marcel
Stern, en même temps d’ailleurs que le Prélude et Invention pour piano
et petit orchestre d’Eugène Bozza, un autre tout jeune lauréat du Prix de Rome.
Ce concert marquait les débuts d’une carrière de compositeur que Marcel Stern
entreprit dès son retour de la Villa Médicis, tout en poursuivant également une
brillante carrière de violoniste.
Né
à Paris le 4 novembre 1909, Marcel Stern entre au Conservatoire de musique et
de déclamation de Paris à l’époque où il est dirigé par Henri Rabaud. Il y suit
les classes de solfège de Juliette Marcou (1ère médaille 1924), de
violon préparatoire de Firmin Touche (1ère médaille 1923), de violon
supérieur d’Alfred Brun (1er prix 1928), d’harmonie d’André Bloch (1er
prix 1933), de fugue de Georges Caussade (1er prix 1933), de
direction d’orchestre de Philippe Gaubert (2ème accessit 1934) et de
composition de Henri Büsser (2ème accessit 1934). En 1935, il se
présente au concours de composition de l’Institut, autrement appelé Prix de
Rome, mais le sujet imposé de la scène lyrique, Le Château endormi,
(paroles de Bernard Simande) ne l’inspire guère, décrochant néanmoins un
deuxième Second Grand Prix, derrière René Challan et Pierre Maillard-Verger.
Cette même année au Conservatoire, lors de l’audition de travaux exécutés par
des élèves appartenant aux classes de composition musicale, étaient donnés Le
Moulin, rondeau pour chœur avec accompagnement de piano et de deux hautbois
de Marcel Stern, ainsi qu’une Sonate pour piano de Gaston Litaize, le Quatuor
à cordes de Robert Planel, Cinq Chansons majorquines de Renée Staelenberg
et un Quintette pour instruments à cordes et basson de Henri Challan. Le
23 novembre 1935 à la Salle Chopin, aux Concerts Poulet, son Embarquement
pour Cythère est joué en 1ère audition, sous la direction de
l’auteur. Michel-Léon Hirsch, critique musical, écrit alors dans Le
Ménestrel : [cet opus], ravélien
dans son introduction et roussélien dans son développement, présente l'intérêt
d'une construction solide élevée par un musicien particulièrement instruit et
averti en son métier ; on y trouvera une instrumentation spirituelle et légère,
des sonorités raffinées qui réjouiront les amateurs, guère autre chose. Il est
vrai qu'on ne pouvait souhaiter davantage dans un thème assez connu,
explicitement inspiré par un tableau dont le sujet s'éloigne tant de nos soucis
présents. »
Marcel
Stern se présente à nouveau l’année suivante au Concours de Rome et cette fois
sa cantate Gisèle (paroles de Marie Maindron) lui vaut le Premier Grand
Prix, devant René Challan et Henri Dutilleux. Le musicologue Paul Bertrand écrit
dans Le Ménestrel du 10 juillet 1936 :
Le Premier Grand-Prix a
été décerné à M. Marcel Stern […] Sa cantate (interprétée par Mme Courtin, MM.
Beckmans et Rambaud, avec, au piano, Mme
Renée Staelenberg et M. Emil Stern), vaut par la qualité de la musique, la
sûreté de l'écriture et, à ce qu'affirment les membres de la Section de Musique
de l'Académie des Beaux-Arts, la rare maîtrise de l'orchestration. Le début,
solidement assis et largement développé, oscillant entre les tonalités
voisines, un peu âpres, de si et fa dièse, est d'une jolie couleur, d'un
orientalisme ne sentant nullement la pacotille, mais dont un thème s'apparente
un peu à la Salammbô de Reyer. M. Stern, d'autre part, a eu seul l'heureuse
idée de faire intervenir dans la scène finale une vocalise lointaine de ténor,
qui est d'un assez heureux effet. Il s'est attaché à différencier musicalement
les trois personnages. Mais sa déclamation est un peu ingrate, et l'écriture de son premier duo,
très dialoguant est assez touffue. Sa sensibilité s'exprime mieux par
l'orchestre que par le chant.
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CNSMP, 1930-1931, classe d'harmonie d'André Bloch - de gauche à droite, assis : Suzanne Sohet (1908-1995, future Mme Michel Boulnois), André Bloch (professeur d'harmonie de 1927 à 1940), Jacqueline Boyer (1904-1983), Denise Billard (1911-1988) - debout : Jehan Alain (1911-1940), Marcel Stern (1909-1989), Lucien Duchemin (1909-1993), (Henri)? Sarrazin, Aline Pelliot (1908-1997, future Mme Edmund Pendleton), Lola Bluhm (1911_1992, future Mme Léon Souberbielle)
(Archives de la famille Alain) DR.
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En
janvier 1937 il arrive à la Villa Médicis à Rome pour y effectuer le
traditionnel séjour de trois années comme pensionnaire du gouvernement. Devant
y rester jusqu’en avril 1940, au bout d’une année, il quitte Rome et rejoint
définitivement la France en octobre 1938. En plus de son Divertissement
composé durant son année à la Villa, on lui connaît quelques autres œuvres :
Trois pièces pour trio d’anches, un Quatuor à cordes « conçu
dans un sentiment musical qui sait allier la forme classique à une subtilité
harmonique très séduisante » et Quatre mélodies avec accompagnement
d’orchestre, composées sur des poèmes de Clément Marot et de Paul Verlaine
et « orchestrées finement. »
Durant
ses études musicales, soliste des Concerts Lamoureux dès 1930, il se produit en
public avec cette formation, entre autres le 1er novembre 1930 avec
le Concerto en mi majeur pour piano et orchestre de Bach, ou en récital,
notamment à la Salle Gaveau en avril 1930 avec un « succès… aussi grand
que légitime, car ce jeune violoniste possède déjà les qualités du virtuose
d’avenir : mécanisme impeccable, jolie sonorité, bon goût musical :
Tartini, Mendelssohn, Paganini, Ernest Bloch et Brahms trouvèrent en lui un
excellent interprète » ou encore aux côtés de Emile Stern, son frère
cadet pianiste.
Ce
dernier, né le 28 avril 1913 à Paris, décédé le 31 janvier 1997 à Cannes, avait
également fréquenté le Conservatoire de Paris en même temps que Marcel : 2ème
médaille de solfège en 1927, 1ère médaille de piano préparatoire la
même année, il avait obtenu un 1er prix de piano en 1931 dans la
classe de Marguerite Long. Connu sous le nom d’artiste « Emil Stern »,
il fit plus tard une brillante carrière de pianiste de jazz et de variétés,
compositeur et chef d’orchestre. On le connaît musicien de scène pour Maurice
Chevalier et collaborateur à l’orchestre de Ray Ventura, et après-guerre
travaillant pour des chanteurs à la mode (accompagnateur, arrangeur,
compositeur), tels Charles Aznavour, Edith Piaf ou Dalida. Plus tard, à partir
des années 1950, avec le parolier Eddy Marnay, il compose de nombreuses
chansons pour des vedettes du genre, entre autres Marcel Amont, Bourvil,
Lucienne Delyle, Juliette Gréco, Yves Montand, Nana Mouscouri, Régine, Les
Trois Ménestrels…
Peu
après son retour à Paris en 1938, son Divertissement (Eschig), « conçu
dans une note allègre et de caractère très rythmique », est joué en public,
mais la guerre interrompt pour un temps l’essor d’une carrière qui s’annonce de
bon augure. Les dramatiques événements de cette période lui inspirent une Symphonie
La Libération en mi (Choudens), qui est créée à la Radio le 25 juin 1945,
puis en public par les Concerts Colonne au Théâtre du Châtelet, le dimanche 14
mars 1948 à 17h.45. Lors de cette seconde audition l’orchestre est dirigé par
Paul Paray et l’on peut également entendre à ce même concert trois autres
œuvres majeures : le Concerto pour piano et orchestre de Prokofiev
(piano Lucette Descaves), La Valse de Maurice Ravel et L’Apprenti
sorcier de Paul Dukas. Cette symphonie en mi, commencée dans la
clandestinité et achevée peu après la Libération est de forme classique :
ses trois mouvements sont : 1) - Maestoso, Moderato, Maestoso, où
les deux thèmes sont exposés, le premier au rythme affirmé, et le second plus
mélodique, 2) - Largo molto espressivo, en si bémol mineur, conçu dans
la forme A-B-A : les deux thèmes pleins de désespoir sont traversés par un
troisième motif qui laisse apparaître une lueur d’espoir, 3) - Scherzo,
dans la forme rondo de sonate, avec deux thèmes, en si. Cette œuvre est encensée
par la presse musicale qui souligne plus particulièrement « l’émouvant Lento »
...
Au
cours de cette même année 1945, en septembre à Cannes, Marcel Stern épouse Anny
Blatt, originaire de Mulhouse où elle est née en 1910, célèbre couturière et
créatrice de mode. Sa maison de haute couture de la rue Saint-Honoré à Paris
était rapidement devenue célèbre dès sa fondation en 1933, et son autre société
« Les laines Anny Blatt », créée deux années plus tard, obtenait le
même succès tant en France qu’aux Etats-Unis. De nos jours les pulls de luxe
Anny Blatt sont toujours fabriqués. (https://www.annyblatt.com)
Il
poursuivra ensuite une importante double carrière de compositeur et de
violoniste. Parmi ses œuvres notons aussi un Menuet pour clavecin écrit
« pour Marcelle de Lacour » (c. 1951), deux pièces pour flûte
seule : Bucolique, Iberica (Durand, 1964) et surtout un admirable Concerto
pour piano et orchestre (Choudens, 1968). On lui doit également deux ballets :
Au bout de la nuit pour orchestre et Lune de miel (partition pour
piano, 1964), un ouvrage Vocalise-étude pour voix élevées (Leduc, 1938),
ainsi qu’une quinzaine de musiques de films composées entre 1946 et 1963, parmi
lesquelles il convient de mentionner : Non coupable de Henri Decoin,
avec Michel Simon et Jany Holt (1947), L’amour n’est pas un péché de
Claude Cariven, avec Robert Dhéry, Colette Brosset, Louis de Funès (1952), Les
Hommes en blanc de Ralph Habib, avec Jeanne Moreau, Raymond Pellegrin,
Charles Denner (1955), Le septième siècle de Raymond Bernard, avec
Jean-Bernard Luc, Gérard Oury, Danielle Darrieux, Noël-Noël, Paul Meurisse
(1957), Fernand clochard (film burlesque) de Pierre Chevalier, avec
Fernand Raynaud et Magali de Verneuil (1957), La soupe aux poulets de
Philippe Agostini, avec Claude Brasseur, Guy Bedos, Maurice Biraud (1963)… ;
et plusieurs musiques pour des émissions et séries télé principalement écrites
dans les années 1960 : Défense de vivre, Deux Espagnols, La
Dame à la licorne, La loi allemande, La vie d’un homme, Les chemins de
la liberté, Les Passeurs de la mer, Trois parachutistes, Un
Bon Dieu pour les ivrognes, Quand la liberté venait du ciel… N’omettons pas
encore quelques pages pour la variété : De Bougival à Surenes, on
l’app’lait la môm ‘Bord de l’eau’, paroles de Francis Claude, valse musette
(1947), Dans l’Ile Saint-Louis, valse pour chant et piano, paroles de F.
Viment et H. Lemarchand (Majestic, 1947), Sans souci, chanson, paroles
de H. Lemarchand (1949), Tic-Tac tango pour piano (Barclay, 1955). Enfin,
chez l’éditeur Billaudot, on trouve 3 œuvres de musique légère pour
orchestre : L’Ile heureuse (EFM1497), Polka 64 (EFM1356) et Promenade
en automobile (EFM1284).
En
1967, ce sont Marcel Stern et son frère Emile qui parrainèrent la demande
d’admission à la Sacem (19 avril), en qualité d’auteur mélodiste, d’un certain
Serge Chauvier (déjà admis en qualité d’auteur compositeur), plus connu comme
chanteur sous le nom de Serge Lama.
Décédé
le 2 août 1989 en Suisse, Marcel Stern a été inhumé au cimetière de Mougins
(Alpes-Maritimes) et son épouse Anny Blatt l’a rejoint dans la tombe dix années
plus tard, le 5 octobre 1999.
Son
œuvre est peu jouée de nos jours. Au début des années 2000 on a pu néanmoins
encore entendre sa transcription pour violon et piano de la Rhapsodie
roumaine n° 1, op. 11, de Georges Enesco. Elle était en effet jouée le 22
janvier 2002 au Weill Recital Hall, dans la série « Musique de
chambre », par Mihai Craioveanu (violon) et Mansoon Han (piano), en même
temps que la Sonate pour violon et piano de Ravel, celle en la majeur de
Franck, et les Variations sur La dernière rose de l’été de Heinrich
Wilhelm Ernst ...
Denis Havard de la Montagne
(octobre 2001, mise à jour septembre
2024)
Henri CHALLAN (1910-1977)
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Henri Challan
(Coll. Michel Baron, avec l'aimable autorisation de Mme Jacqueline Challan) D.R. |
Henri CHALLAN (1910-1977) : frère jumeau de René Challan, élève de Jean Gallon et de Henri Büsser au Conservatoire de Paris. 1er Second Grand Prix de Rome en 1936. Professeur d'harmonie au Conservatoire de Paris en 1942. Professeur d'harmonie au Centre National de Préparation au C.A.E.M. (Paris). Oeuvres : mélodies, Sonate pour violon et piano (éd. Leduc, 1936), Suite pour basson et piano (éd. Selmer, 1937), un quatuor à cordes, un quintette pour cordes et basson, une symphonie (éd. Durand, 1942), un concerto pour violon et diverses autres pièces pour orchestre. Très nombreux ouvrages didactiques. Henri Challan a fortement marqué tous ceux qui l'ont connu, et ses élèves conservent un souvenir impérissable de sa personne et de sa pédagogie.
M.B.
Consultez la notice détaillée par D.H.M.
Cours d'écriture musicale tonale par Michel Baron, élève d'Henri Challan (en accès libre).
1937
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Victor Serventi en 1973 ( photo X..., coll. Mme Dominique Serventi ) DR
Autres photos
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Victor SERVENTI (1907-2000)
Le nom de Victor Serventi est attaché de nos jours à son Largo et scherzando, op. 44, pour contrebasse et piano. Cette œuvre, écrite en 1944 (Leduc), assurément la plus connue, est régulièrement donnée en concert de par le monde, et fait l’objet actuellement de deux enregistrements disponibles sur les marchés américain et anglais : CD Bluebell ABCD 018, Entcho Radoukanov, contrebasse, Ingrid Lindgren, piano (1993) et allemand : CD RCLCDS 104, Gerd Reinke, contrebasse, Noriko Shimizu, piano.
Né le 23 juin 1907 à Alger, Victor Serventi entre au Conservatoire de musique de Paris en novembre 1921, dans la classe de piano préparatoire de M. Morpain. Deux années plus tard, après avoir obtenu une 1ère médaille de solfège et une 1ère médaille de piano, il rejoint la classe de piano supérieure de Lazare Lévy, d’où il ressort en 1928 avec un 1er prix. Il entre alors cette même année dans la classe d’harmonie de Jean Gallon (1er prix en 1933), puis dans celle de composition de Büsser et de contrepoint et fugue de Noël Gallon ( 2ème accessit de fugue en 1935, 2ème prix de composition en 1937)1. Parallèlement, à partir de 1934 il se présente à plusieurs reprises au Concours de Rome et en 1937, sa cantate La Belle et la Bête lui vaut le Premier Grand Prix. Il part alors à la Villa Médicis pour y effectuer le traditionnel séjour, mais celui-ci est interrompu par la guerre.
A partir du 1er octobre 1943 Victor Serventi est nommé professeur de rôles au Conservatoire National Supérieur de Musique, poste qu’il occupe durant plus de trente ans jusqu’à sa retraite arrivée le 30 septembre 1977. Simultanément, et durant la même période, il est chef de chant à l’Opéra de Paris.
Retiré dans le Val-d'Oise, où il habitait depuis longtemps, il y est mort le 16 mars 2000 à Margency. Il était marié à la cantatrice Suzanne Juyol, née le 1er janvier 1920 à Paris, décédée le 20 juillet 1994 à Margency également. Considérée comme l'une des plus grandes mezzo-sopranos de sa génération, elle avait fait ses études musicales au Conservatoire de Paris, avant de débuter le 14 mars 1942 à l'Opéra dans le rôle de Margared du Roi d'Ys de Lalo. On la verra plus tard se produire avec succès dans Faust, La Flûte enchantée, La Walkyrie, Siegfried, Carmen, La Tosca, Werther... Sa voix large lui permettait de chanter des rôles réclamant une tessiture plus élevée de soprano lyrique comme Marguerite dans Faust. A l'âge de 40 ans, après s'être produite avec succès au Palais Garnier, à la Salle Favart, à Monte-Carlo, Berlin, ainsi qu'en Belgique, Suisse, Espagne et dans la plupart des grands théâtres de province, elle se retire en pleine gloire. Son enregistrement historique en 1948 de Werther (Charlotte), avec Georges Noré (Werther), les Chœurs et Orchestre Radio-Lyrique sous la direction de Jules Gressier a été réédité en 2000 par Malibran.
Victor Serventi est l’auteur de plusieurs compositions, mais en dehors de son opus 44, on connaît seulement de lui des Variations sur une complainte corse pour piano (1938, Eschig), une Suite pour piano (1942, Eschig) et des Variations pour clarinette et piano (1956, Leduc).
D.H.M.
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1) Nous sommes redevable à Mlle Sophie Toutee, de la bibliothèque du CNSM de Paris, des détails concernant les études de Victor Serventi dans ce vénérable établissement. Nous lui en sommes reconnaissant. [ Retour ]
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Château de Fontainebleau, 1936, concours d'essai au Prix de Rome, premier repas en commun (30 avril) : assis autour de la table, de gauche à droite : Abed (non candidat, 1er prix d'harmonie, élève de Büsser, à la veille de partir fonder une École française à Constantinople), Pierre Maillard-Verger, Marcel Stern, Mlle Paule Maurice, Pierre Lantier, Henri Dutilleux, Gaston Litaize et sa femme qui l'accompagne, Jean-Jacques Grunenwald, Henri Challan, Victor Serventi (de dos), Michel Boulnois (de dos) et Marcel Rémy (de dos). ( Photo Agence Fulgur, Le Guide Musical, avril 1936, coll. D.H.M. )
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LE METIER DE L'OMBRE
Quel spectateur d'une représentation d'opéra a consciemment adressé une part de ses applaudissements au chef de chant?
Chef de chant, c'est un terme assez vague, compris de bien peu de personnes ; même ceux qui en font métier ne se sont peut-être pas toujours posé la question de savoir ce qu'il recouvrait. Un terme tellement vague qu'il m'est arrivé de trouver sur ma feuille d'impôts la mention " chef de chantier ". Et finalement, une partition, c'est aussi un chantier — à rebours ; il faut faire le chemin inverse de celui qu'a suivi le compositeur dans la construction, l'élaboration de l'œuvre.
La responsabilité du chef de chant déborde largement la préparation directe et immédiate de l'ouvrage qui va être monté. Son travail intéresse la pièce toute entière. Un chanteur ne peut aborder un rôle sans avoir approfondi le texte, littéraire et musical, sur tous les plans. Il n'est pas toujours facile de faire dépasser aux chanteurs la barrière de la note, du signe conventionnel, de lui faire comprendre qu'une croche pointée plus une double croche peuvent avoir des significations fort différentes selon la situation, le personnage, l'esprit, humoristique, dramatique, poétique. Autrement, on reste dans le solfège ; et nombreux sont les chanteurs, car ils viennent souvent tard à la musique, qui ont du mal à aller au-delà.
La tâche du chef de chant est délicate ; elle demande surtout du temps, ce temps qui n'est pratiquement jamais accordé. D'abord le temps suffisant pour approfondir soi-même la partition, surtout lorsqu'il s'agit d'une œuvre nouvelle, pour percevoir les rythmes, les grandes courbes, dont vit toute musique, avec son départ, son épanouissement, son aboutissement. Là, l'autorité du chef de chant doit se manifester : l'autorité morale, la conviction, la persuasion, particulièrement avec les chanteurs les plus célèbres, trop souvent sûrs de détenir la vérité, et qui ne prennent plus le temps de retrouver le chemin du texte. Au fond, nous préparons les artistes à pouvoir faire ce que leur demandera le chef d'orchestre, le metteur en scène. Et c'est là le point crucial. Le chef de chant apparaît comme la cheville ouvrière du spectacle ; il devrait être intimement associé au chef d'orchestre. Malheureusement, cela reste, aujourd'hui encore, en France, un idéal très rarement atteint. Trop souvent, le chef de chant travaille entièrement seul, face à ses responsabilités, qu'il prend ou non. Et lorsque le chef d'orchestre arrive, à la fin, il détruit et annihile fréquemment ce travail préliminaire qui recherchait une certaine vérité.
Le vrai chef de chant n'existe plus en France ; c'est un métier parfaitement dévalué. Trop souvent, on lui demande de faire des travaux qui ne le concernent pas vraiment : rideaux, éclairages... Nous devrions prendre exemple sur certains pays étrangers où il est véritablement l'assistant du chef d'orchestre. Je me souviens du chef de chant qui travaillait avec Knappertsbusch : il se tenait dans la salle pendant les répétitions d'orchestre pour évaluer le " dosage " sonore, prenant la baguette lorsque Knappertsbusch voulait se rendre compte par lui-même. Le chef de chant devrait aussi pouvoir intervenir quant au choix des chanteurs. Il doit savoir ce qu'il est possible de leur demander tout de suite ou plus tard. Un conseiller, un guide en quelque sorte.
Comment devient-on chef de chant? Par hasard, par une rencontre, un avis de concours, après des études musicales solides (j'ai d'abord eu mon Prix de Rome). D'ailleurs, il n'existe aucune préparation spéciale pour ce métier, trop souvent confondu avec celui d'accompagnateur. Il ne s'apprend bien que " sur le tas ", dans un théâtre ; et il faut une dizaine d'années pour devenir un véritable professionnel. Les qualités requises? D'abord le sens de l'orchestre (il faut pouvoir restituer, au piano, l'esprit de l'orchestration), et puis un répertoire le plus vaste possible. Mais surtout, posséder l'instinct du chant, connaître les chanteurs et les aimer.
Notre travail est souvent abstrait, mais il fait toujours appel à la sensibilité, aux rapports humains, à la compréhension du texte musical et des interprètes. Nous devons réussir à faire faire à d'autres le travail personnel que nous avons réalisé au préalable. Finalement, le rôle du chef de chant, s'il est très important dans la pratique, exige aussi un grand esprit d'abnégation et beaucoup d'effacement et le tempérament nécessaire pour supporter tout cela. Nous mettons, chaque jour, dans notre travail tout ce que nous sommes, sans aucun espoir de recevoir jamais l'équivalent en retour. C'est un métier qu'il est impossible de faire si on ne l'aime pas. Finalement, après trente-deux ans de carrière, j'ai oublié les souvenirs douloureux : les désillusions, les impatiences, les découragements passagers s'estompent pour ne laisser la place qu'aux moments merveilleux : ceux où j'ai participé à la préparation de Pénélope, d'Ariane et Barbe-Bleue et aussi de Wozzeck, avec Boulez, un des très grands moments de l'Opéra de Paris.
Victor Serventi
(in Panorama de la musique,
n° 11, janvier-février 1976, p. 46)
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Paule Maurice (1910-1967) ( Photo Anthony's, Paris, collection Bernard Lantier )
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Pierre Lantier ( photo Harcourt, Paris, collection Bernard Lantier )
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Pierre LANTIER (1910-1998)
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Signature de Pierre Lantier, 1992
(coll. Max Méreaux) DR.
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Au début du mois d'avril 1998 nous avons appris le décès de Pierre LANTIER, l'un des derniers représentants de cette race de musiciens en voie de disparition, à ce point si discret qu'il ne figure dans aucun dictionnaire de musique ! Il faut dire que nul n'est prophète dans son pays, même si l'on est Prix de Rome (1937) et excellent compositeur. Car Pierre Lantier était en effet un grand monsieur de la musique. Né le 30 avril 1910 à Marseille, après avoir fréquenté le CNSM, où il eut pour maître Henri Büsser, André Bloch, Georges Caussade et Philippe Gaubert, sans cesser d'écrire de la musique, il s'était spécialisé dans l'enseignement (harmonie) et était rapidement devenu un excellent pédagogue aussi bien au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris qu'à l'Ecole normale de musique. Il est à l'origine de la fondation du Concours international d'interprétation Pierre-Lantier. Membre de la SACEM et de la Fondation de France, c'est à Ollioules (Var), à l'âge de 88 ans qu'il s'en est allé le 4 avril 1998, laissant derrière lui une œuvre fort riche à découvrir, tels son admirable Requiem composé en 1969 et sa musique de chambre. Il a ainsi rejoint sa femme, Paule MAURICE, épousée en 1938 à Nice et morte 30 ans plus tôt, elle-même remarquable professeur d'harmonie, avec laquelle il avait écrit un excellent traité d'harmonie adopté par la plupart des Ecoles et Conservatoires de musique. Née le 29 septembre 1910 à Boulogne, décédée le 18 août 1967 à Paris, élève de Büsser, concurrente malchanceuse au Prix de Rome durant les années trente, Paule Maurice est également l'auteur de pages de musique de chambre, dont une suite pour saxophone et piano, Tableaux de Provence, devenue un classique du genre, et de pièces orchestrales avec, entre autres, une Symphonie qui lui valut un prix de composition en 1939 accompagné des plus vives félicitations du jury.
D.H.M.
1938
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Henri Dutilleux en conversation avec Jean Langlais (à gauche) et Gaston Litaize (à droite). En arrière plan : Olivier Messiaen. 1982, cérémonie remise de la Légion d'honneur au grade de commandeur ( © Claude Hilger, avec son aimable autorisation )
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Henri DUTILLEUX (1916-2013)
Originaire de Douai
(Nord), au cours de la guerre de 14/18 et durant trois années
la famille Dutilleux se réfugie à Angers
(Maine-et-Loire) est c'est là que naît Henri le 22
janvier 1916 pendant que son père est en train de se battre à
Verdun. Celui-ci, Paul Dutilleux (1881-1965), est imprimeur ; sa
mère, née Thérèse Koszul (1881-1948) est
la fille de Julien Koszul (1844-1927), d'origine polonaise. Ancien
élève de l'Ecole Niedermeyer à Paris
(1861-1864), il est organiste à Roubaix (Notre-Dame, puis
Saint-Martin) et directeur du Conservatoire de cette ville
(1889-1921). Lié d'amitié avec Fauré et
Saint-Saëns, il compte notamment parmi ses élèves
Albert Roussel et est l'auteur de plusieurs compositions. Paul
Dutilleux et Thérèse Koszul sont eux-mêmes de
bons musiciens amateurs et interprétent chaque semaine des
sonates pour violon et piano de Debussy, Pierné et Franck, en
jouant également en formation de quatuor avec des amis. Bien
que son père souhaite qu'Henri apprenne le violon, celui-ci se
tourne plutôt vers le piano, tout en s'intéressant à
la peinture : son bisaïeul paternel Constant Dutilleux
(1807-1865), peintre et imprimeur-lithographe établi à
Arras, ami de Corot, avait été choisi par Delacroix
pour exécuteur testamentaire. C'est pour cette raison, comme
va le déclarer plus tard notre compositeur (in Le Figaro,
9.XII.1991) qu'il a tout de suite perçu la parenté
entre musique contemporaine et art abstrait.
Revenu en 1919 à
Douai après la guerre, Henri Dutilleux fréquente les
Institutions Sainte-Clotilde puis Saint-Jean et le Lycée de
garçons, tout en entamant à partir de 1924 des études
musicales au Conservatoire de cette ville sous la direction de Victor
Gallois, qui comptera également pour élèves
Georges Prêtre (chef d'orchestre), Claudine Collart (soprano),
Michel Warlop (violoniste de jazz) et Pierre Codée
(violoncelliste). Après avoir « apprécié
l'exceptionnelle qualité d'enseignement de Victor Gallois »
qui lui a fait travailler l'harmonie et le contrepoint, en 1933 à
l'âge de 17 ans, il est admis au Conservatoire de Paris. Dans
cet établissement alors dirigé par Henri Rabaud, il
fréquente tout d'abord les classes d'harmonie de Jean Gallon
et de fugue de Noël Gallon où il obtient respectivement
en 1935 et en 1936 un 1er Prix, puis celles d'Histoire de la musique
de Maurice Emmanuel, de direction d'orchestre de Philippe Gaubert et
de composition de Henri Büsser qui le mène au Concours du Prix
de Rome. Sa première tentative en 1936, lui vaut un 2ème
second Grand Prix avec la cantate Gisèle de Mlle Marie
Maindron, mais l'année suivante bien qu'admis au concours
définitif, il n'est pas primé (cantate La Belle et
la Bête de Mme Claude Orly). En 1938, l'année
d'obtention d'un 2e Prix de composition dans la classe de Büsser, sa
troisième tentative au Prix de Rome est couronnée de
succès : 1er Grand Prix avec la cantate L'Anneau du
Roi de Mme Elise Vollène. Le journal musical Le
Ménestrel écrit à propos de l'audition de
cette œuvre le 2 juillet de cette même année à
l'Académie des Beaux-Arts :
Le Premier Grand-Prix fut donc décerné à M. Henri Dutilleux, né à Angers le 24 janvier 1916, Deuxième Second Grand Prix en 1936, élève de M. Henri Büsser. Sa composition, exécutée par Mlles Germaine Hoerner, Irène Joachim et M. Charles Panzéra, avec, au piano, Mlles Valérie Hamilton et Jacqueline Pangnier, témoigne de qualités réelles, d'abord par l'équilibre heureux, normal, des voix des trois personnages (soprano lyrique, soprano léger, baryton) qu'adoptèrent également ses camarades, sauf M. Lavagne et Mlle Pradelle, qui confièrent le rôle de Salomon à un ténor. L'œuvre commence fort bien : prélude fluide, voluptueux, coloré avec l'aide d'une adroite vocalise, caractères des personnages bien posés, diction simple et juste, avec un sens mélodique certain, commentaire symphonique bien conçu pour l'orchestre et non en fonction du piano, duo intervenant très opportunément au moment pathétique où la Reine cherche à obtenir l'anneau.
En 1936, lors de
l'audition de sa cantate Gisèle, ce même journal
écrivait :
M. Henri
Dutilleux, né à Angers le 24 janvier 1916, élève
de M. Henri Büsser, qui concourait pour la première fois et
était le benjamin de l'épreuve, a obtenu le Deuxième
Second Grand-Prix. Sa cantate, (interprétée par Mlle
Drouot, MM. Charles Paul et Prigent, avec au piano, Mlles Valérie
Hamilton et Pangnier), se distingua par un ensemble de détails
d'une séduction extrême : le début vaporeux,
enveloppé d'arpèges irisés, la distinction des
thèmes, la délicatesse et l'ingéniosité
des successions harmoniques qui prolongent le second duo,
l'attendrissement discret, mais pénétrant, qui se
dégage çà et là, font pressentir une
jolie nature de musicien, qui n'a pas absolument répondu cette
fois à l'objet du concours.
Le 25 janvier 1939,
Henri Dutilleux arrive à la Villa Médicis afin d'y
effectuer le traditionnel séjour de trois années
réservé aux Premiers Grands Prix de Rome, mais quelques
mois plus tard en août, à la déclaration de la
guerre, il est mobilisé comme brancardier dans une base
aérienne près de Paris, où il peut encore
assister aux manifestations musicales qui continuent dans la
capitale. Démobilisé en 1940, l'année suivante
il peut terminer son séjour à l'Académie de
France, non pas à la la Villa Médicis que Mussolini a
confisqué, mais à la Villa Il Paradisio de Nice,
où elle avait choisi de se réfugier durant les années
de guerre. Située dans le quartier de Cimiez et construite à
la fin du XIXe siècle par l'architecte Constantin Scala pour
la baronne Hélène de Zuylen de Nyevelt de Haar (née
de Rotschild), elle accueillera plus tard (1949) le Conservatoire de
musique de Nice jusqu'en 2006 et de nos jours est occupée par
la Direction centrale de l'Education de la Ville de Nice. C'est ainsi
que de Dutilleux termine à Nice le séjour réservé
des Grands Prix de Rome, aux côtés notamment de Pierre
Maillard-Verger, qu'il quitte le 30 avril 1942. De retour à
Paris, cette même année il est nommé directeur de
chant à l'Opéra de Paris, puis entre à la
Radiodiffusion française (1943-1944) avant d'y devenir
directeur des illustrations musicales (1945-1963). C'est grâce
à cette fonction qui lui donne la possibilité de
commander des œuvres à des compositeurs contemporains
d'esthétiques les plus variées, qu'il va garder sa vie
durant une large ouverture d'esprit refusant d'appartenir à
une quelconque chapelle. C'est ainsi qu'il put connaître et
apprécier Berg et le dodécaphonisme, sans en adopter
l'écriture, et qu'il était un grand admirateur de
Charles Trenet, Jacques Brel, Georges Brassens... ainsi que Higelin,
Souchon et Gainsbourg et pour le jazz, Sarah Vaughan, Billie Holliday
et Ella Fitzgerald ! Entre temps, il épouse en 1946 la
pianiste Geneviève Joy (1919-1979) qu'il avait connue lors de
ses études au Conservatoire de Paris.
Sa première
œuvre jouée à Paris en 1941 par l'Orchestre
Pasdeloup dirigé par Delvincourt, est une Sarabande
pour grand orchestre, puis ce sera la création par Charles
Panzéra à la Société des Concerts du
Conservatoire de ses Quatre mélodies pour chant et piano
(décembre 1943) et l'année suivante la composition de
La Geôle pour chant et orchestre, sur un sonnet de Jean
Cassou. Mais c'est en 1948, avec sa Sonate pour piano composée
pour sa femme qui la crée à la Société
Nationale de Musique, qu'il trouve son véritable langage
caractérisé par une musique « organique, en
filigrane » avec une « clarté poétique »
comme il la définit lui-même. A son propos, Bernard
Gavoty, alias Clarendon, écrit dans Le Figaro :
« Il semble que Dutilleux à la tête solide et
française, la facture précise et poétique de
l'auteur de Daphnis [Ravel]. Je le crois parti pour aller
loin. » En 1951, c'est une 1ère Symphonie
qui voit le jour, créée par Roger Désormière
à la tête de l'Orchestre National, suivie d'un ballet Le
Loup en 1953 pour la Compagnie Roland Petit. Sa 2ème
Symphonie dite « Le Double » (1959),
commandée par la Fondation Koussevitski, sera jouée en
première audition mondiale (11 décembre) par Charles
Münch à Boston (USA) et en France, en septembre 1960 au
Festival de Besançon. Lors de cette dernière, on pourra
lire dans la presse que « on pénètre dans
l'oeuvre de Dutilleux comme dans un univers enchanté, par la
porte du rêve » (Clarendon). Rapidement imposé
comme l'un des compositeurs les plus marquants de sa génération,
il conquiert une renommée internationale, malgré une
tendance à la timidité et la discrétion ;
il enseigne la composition à l'Ecole Normale Supérieure
de Musique de Paris de 1961 à 1973 et durant une année
au Conservatoire (1970-1971). Mais c'est dans la composition que
Dutilleux s'épanouit et recueille l'unanimité sur son
nom, se refusant à appartenir à aucune école.
Son œuvre, assez peu abondante, montre beaucoup de rigueur tout
en évoluant au fil des années. C'est ainsi qu'on lui
doit, entre autres et encore une page pour orchestre Les
Métaboles, composée de cinq pièces :
Incantatoire, Linéaire, Obsessionnel,
Torpide, Flamboyant, commandée par l’Orchestre
de Cleveland et créée par Georges Szell le 14 janvier
1965, puis un Concerto pour violoncelle et orchestre intitulé
Tout un monde lointain que lui demande Mstislav Rostropovitch
(création le 25 juillet 1970 au Festival d'Aix-en-Provence
avec l'Orchestre de Paris, sous la direction de Serge Baudot) :
Dès
les premières mesures, on aborde un continent enchanté,
féerique, dont le charme insaisissable naît d'une
intuition de poète, et non plus d'un calcul par ordinateur.
A-t-on raison de dire que l'œuvre s'inspire de Baudelaire ?
Mieux vaut croire que Dutilleux, amoureux des « Fleurs du
mal » et des « Poèmes en prose »,
en a traduit, grâce à une alchimie qui lui est
naturelle, la sensualité triste, la résonance
d'au-delà. Comment cela ? C'est son secret, sachons-lui gré
de ne pas nous donner sa recette, comme tant de ses naïfs
contemporains, et suivons les méandres de son rêve,
pilotés par Rostropovitch qui épouse les songes
capricieux de l'auteur au point de nous faire croire que ce sont les
siens propres.(Le Figaro, 21 octobre 1974)
Vont suivre,
toujours pour orchestre, Timbres, Espace, Mouvement ou «
La Nuit étoilée » (commande du
National Symphony Orchestra de Washington et de son chef Mstislav
Rostropovitch qui créent cette oeuvre le 7 novembre1978) et un
Concerto pour violon « L'Arbre des songes »
(1983) dédié à Isaac Stern (commande de
Radio-France, 1ére audition le 5 novembre 1985 au Théâtre
des Champs-Elysées avec l'Orchestre National de France dirigé
par Lorin Maazel.) Au cours des années 1970, Henri Dutilleux
se tourne vers la musique de chambre ou du moins plus précisément
revient à ses premières amours, puisqu'au début
de sa carrière de compositeur il avait écrit plusieurs
œuvres pour ce genre de formation, notamment Sarabande et
cortège (basson et piano, 1942), Sonatine pour flûte
et piano (1943), Sonate pour hautbois et piano (1947),
Choral, cadence et fugato pour trombone et piano (1950). C'est
ainsi qu'on lui doit principalement un quatuor à cordes
« Ainsi la nuit » terminé en 1977
(commande de la Fondation Koussevitzki) et créé à
Paris par le Quatuor Parrenin le 6 janvier 1977, Trois Strophes
sur le nom de Sacher pour violoncelle (commande de Mstislav
Rostropovitch pour le 70e anniversaire en 1976 du chef d'orchestre
suisse Paul Sacher) et une partition intitulée For
Aldeburgh 85 pour clavecin, hautbois, contrebasse et percussions
(1985) écrite pour le Festival d'Aldeburgh, suivie par un
second volet From Jannequin to Jehan Alain pour la même
formation, qui portent également pour nom Les Citations 1
et Citations 2. Ainsi que le souligne Adélaïde de
Place (1989), « l'oeuvre de Dutilleux est celle d'un
perfectionniste » et Gavoty (1951) « comme
Duruflé, comme Gallois-Montbrun, Dutilleux est un musicien qui
produit assez peu, mais qui ne parle jamais pour ne rien dire »,
sans doute est-ce pour ces raisons qu'il ne laisse qu'une quinzaine
d'oeuvres qu'il juge lui-même importantes, citées dans
ces lignes et qui lui ont valu dès 1967 le Grand Prix National
de la Musique délivré par le Ministère des
Affaires culturelles, avec, pour ces dernières années,
Mystères de l'instant pour 24 cordes, cymbalum et
percussions (créé en 1989 à Zurich, commande de
Paul de Sacher), The Shadows of time, pour orchestre et voix
d'enfants (création en 1997 par Seiji Ozawa), Sur un même
accord, nocturne pour violon et orchestre (2001, à
la demande d'Anne-Sophie Mutter), Correspondances pour soprano
et orchestre (2003), pour la soprano Dawn Upshaw qui en assure la
création à Berlin, sous la direction de Simon Rattle,
et 1ère en France le 16 septembre 2004 au Théâtre
des Champs-Elysées avec la soprano canadienne Barbara Hannigan
et l'Orchestre National sous la direction de Kurt Masur et sa
dernière œuvre Le Temps l'horloge, cycle vocal
dédié à Renée Fleming et Seiji Ozawa,
créé le 6 septembre 2007 au Japon par Ozawa et à
Paris le 7 mai 2009.
Ajoutons enfin qu'il
a composé également des pièces pour piano (Au
gré des ondes, Blackbird, Figures de
Résonnances, Jardin d'enfant, 3 Préludes....),
de la musique pour le théâtre : Les Hauts de
Hurlevents (1945), La Princesse d'Elide de Molière
(1946), Monsieur de Pourceaugnac de Molière (1948),
Hernani de Victor Hugo (1952) ; pour la radio : Le
Général Dourakine, Le Roman de Renart,
Numance, Petite lumière et l'ours ; pour le
cinéma et la télévision : La Fille du
Diable d'Henri Decoin (1945), Le Café du Cadran de
Jean Gehret (1946), Six heures à perdre d'Alex Joffé
et Jean Levitte (1946), Le Crime des Justes de Jean Gehret
(1948), L'Amour d'une femme de Jean Grémillon (1953) et
Les Forces du stade (court-métrage documentaire) de
Marcel Martin (1942).
Henri Dutilleux est
décédé à Paris le 22 mai 2013, la
cérémonie religieuse de ses obsèques a eu lieu
le lundi 27 mai à 10h30 en l'église
Saint-Louis-en-l'Ile de Paris. Le 29 janvier 2005, il avait reçu
le prestigieux Prix Ernst von Siemens et était Grand-Croix de
la Légion d'honneur (2004) . Avec cette disparition, nous
perdons-là une figure marquante de la musique du XXe siècle,
digne héritier d'un Debussy et d'un Ravel.
Denis Havard de la
Montagne
André LAVAGNE (1913-2014)
Doyen des lauréats du Prix de Rome de composition musicale, André Lavagne est un musicien bien représentatif de la tradition fauréenne à laquelle il se rattache par ses compositions : équilibre du discours, recherche de la nuance, raffinement et même parfois pudeur. Son Concerto romantique pour violoncelle et orchestre (P. Noël/Billaudot, 1942), créé et enregistré par Paul Tortelier, sous la direction d’Eugène Bigot à la tête de l’Orchestre Lamoureux, illustre bien cette tendance.
Né à Paris le 12 juillet 1913, André Lavagne reçoit ses premières leçons de musique de la part de son père, Edmond Lavagne. Né en 1880, compositeur, pianiste et professeur de musique dans les écoles de la ville de Paris, on doit notamment à ce dernier, en collaboration avec Georges van Parys et Philippe Parès, l’illustration musicale du film muet de Jacques Baroncelli, La Femme et le Pantin (1928), d’après le roman de Pierre Louÿs1. Sa mère, Renée Gavioli, également musicienne, enseignait le violon. Tous deux organisaient des concerts de musique de chambre, principalement des quatuors avec piano . Pour l'alto et le violoncelle, ils faisaient appel à des professionnels, parmi lesquels figurait l'altiste Eugène Bigot, qui deviendra plus tard le grand chef d'orchestre que l'on connaît. Toute la petite enfance d'André Lavagne fut ainsi bercé par le 1er Quatuor de Fauré !
Après des études générales (latin, grec) effectuées au Lycée Charlemagne, André Lavagne entre au Conservatoire de Paris dans la classe de piano d'Isidore Philipp. Il sera d'ailleurs son dernier 1er prix avant la retraite. Il fréquente également les classes de fugue de Noël Gallon, et de composition de Roger-Ducasse. C’est ce dernier, élève et disciple de Fauré, auteur d’une œuvre de longue haleine et auquel son maître lui confia un jour la réduction pour le piano de son Requiem, qui influence André Lavagne dans sa philosophie musicale : clarté dans l’écriture, liberté dans l’expression, style volontairement dépouillé. Premier prix de piano (1933), puis de fugue et enfin de composition, André Lavagne remporte le premier Second Grand Prix de Rome en 1938 pour sa cantate L’Anneau du roi, écrite sur un texte d’Elise Vollène.
Professeur dès 1935, puis Inspecteur (1941) de l’enseignement musical dans les écoles de la Ville de Paris durant de longues années, secrétaire général de la S.A.C.E.M. (octobre 1942), directeur général de la musique dans les Maisons d’éducation de la Légion d’honneur depuis 1964, où il organisait tous les ans un grand concert avec chœurs, soli et orchestre auquel assista notamment à 14 reprises François Mitterand, vice-président des " Amis du musée de la légion d’honneur ", chroniqueur musical au " Figaro " (1956), et au journal " Rhône-Alpes " (1976), André Lavagne n’a cependant jamais cessé de s’adonner à la composition. Ses premières œuvres datent d’ailleurs de 1928, alors qu’il était âgé de 15 ans !, et peuvent être classées en quatre genres principaux : musique de scène, musique pour orchestre, pièces pour piano, mélodies et chœurs.
Dans le premier genre on relève les opéras Comme ils s’aiment, opéra-comique en 2 actes2 inspiré par " Les petites misères de la vie conjugale " de Balzac, sur un livret de Marcel Belvianes (Heugel, 1939), représenté à l’Opéra-Comique en 1941 sous la direction d'Eugène Bigot, et Corinne (non édité), représenté à Enghien-les-Bains en 1956 ; les ballets Le pauvre jongleur, créé à Paris en 1940 (non édité), et Kermesse, sur un livret de Constantin Tcherkas (P. Noël/Billaudot, 1943), créé à l’Opéra-Comique en 1943, sous la direction d'Eugène Bigot.
Sa musique pour orchestre comporte quelques pièces de grande envergure faisant parfois appel aux voix : Concert dans un parc pour piano et orchestre (P. Noël/Billaudot, 1938), d’après le tableau de Wateau, interprété notamment par Nikita Magaloff, Reine Gianoli, Jean Hubeau, Lucette Descaves et Aline van Barentzen, Endymion (poème symphonique, Josette France), Nox, poème symphonique pour voix et orchestre, sur un poème de Leconte de Lisle, donné en première audition le 5 mars 1938 par l'Association des Concerts Lamoureux, à la Salle Gaveau, par Ariane Herbin et Eugène Bigot (P. Noël, 1942), et enregistré en février 1943 par les mêmes Orchestre Lamoureux et Eugène Bigot, avec Jeanine Micheau, Spectacle rassurant pour voix et orchestre, Poème d’Adonis (Billaudot), Psaume 41 pour soprano, chœur mixte et orchestre (Billaudot, 1962), commandé par les Pères de l'Oratoire à l'occasion du tricentenaire de la mort de Pascal, donné en première audition, sous la direction du R.P. Emile Martin en l'église Saint-Eustache de Paris, en présence des membres de l'ordre de Malte, de l'ordre du Saint-Sépulcre, et de l'Académie Française, Vision de la 4e églogue, pour 19 cordes (Billaudot)... Il faut mentionner ici sa douzaine de partitions de films, écrites entre 1943 et 1960 pour illustrer des documentaires et quelques longs-métrages : Au pays où fleurit l'oranger de Jean Mineur (1943), Féries nocturnes de Paul de Roubaix (1943), Les tous petits de la ferme de Marc de Gastyne (1947), Un chien et Madame de Marcel Martin (1949), Au fil de la Charente de Marc Magnien (1950), L'amour maternel chez les animaux de Jean Mineur (1950), Dakar, escale atlantique de Jean-Jacques Méhu (1951), Un amour de parapluie de Jean Laviron, avec Louis de Funès (1951), Dernières fumées d'Albert Guyot (1956), La guêpe maçonne d'André Stenner (1958), Aventure à Alger de Jacques Chabanne (1960).
Les nombreuses pages pour le piano composées par André Lavagne sont toutes charmantes : on y trouve notamment une Etude baroque : grande étude de concert pour piano (Chapell, 1971), donnée en première audition par Aldo Ciccolini à la télévision, une Valse Caprice composée à la demande de Jeanne-Marie Darré (P. Noël, 1947), Trois préludes (Rouart), et toute une série de morceaux aux noms évocateurs, édités en 1947 chez P. Noël (Billaudot) sous le titre de Boîte de couleurs, où l’auteur s’est efforcé de traduire en musique les couleurs qui portent d’ailleurs déjà en elles une certaine poésie, une certaine expression, une certaine évocation : Arc-en-ciel, Blanc d’azur, Cadmium orangé, Carmin, Indigo, Laque violette, Mauve, Ocre jaune, Pervenche, Pourpre violette, Terre de Sienne, Vert émeraude....
On retrouve dans la production de musique vocale d’André Lavagne ce style volontairement dépouillé, sobre mais profondément équilibré et nuancé, dans la plus pure tradition française. Parmi ses mélodies pour chant et piano, et ses chœurs mentionnons les quelques pages suivantes : Le Jour (3 voix, Salabert), La nuit blanche (chant et piano, Billaudot), Trois mélodies sur des poèmes de Ronsard (id.), Aveu (chant et piano, paroles de Chaumont, Salabert), Sincérité (id.), Jeunesse (id.), Nullina (chant et piano, paroles de Lodovici, traduction de Bernard, Salabert)...
N’oublions pas également de citer ici son Concerto pour la Veillée Pascale, écrit pour orgue avec quintette de cuivres, timbales et chœurs (1967, commande des Pères de l'Oratoire), crée par Jean Guillou à Saint-Eustache sous la direction du R.P. Emile Martin. Ce concerto en 3 mouvements suit la liturgie : 1er mouvement : bénédiction du feu, 2e mouvement : bénédiction de l'eau, 3e mouvement : intervention des chœurs qui chantent le « Lumen Christi ». On doit également à André Lavagne une monographie sur Chopin (Paris, Hachette, 1969, Classiques Hachette de la musique, 96 p.) et un excellent recueil de ses articles du Figaro publiés entre 1958 et 1968, intitulé La semaine du mélomane, des idées remises en cause (Paris, Genève, La Palatine, 1969, 253 p.)
Commandeur de la Légion d’honneur, retraité depuis bien des années dans son appartement parisien, André Lavagne ne reste pas moins très actif à la veille de ses 100 ans. Son âge vénérable ne l’empêche nullement de s’occuper avec zèle, encore récemment, de la musique dans les Maisons d’éducation de la Légion d’honneur, dont, rappelons-le, il assure la charge de directeur général de la musique depuis 1964. Bel exemple d’une verte et juvénile vieillesse, d’un éternel enthousiasme, à l’instar d’un Henri Büsser mort centenaire, qui à plus de 95 ans composait encore, notamment un Magnificat pour soli, chœur et orgue, op. 125 ! André Lavagne pourrait faire sienne la devise adoptée par ce dernier : " Musica me juvat, me delectat " [La musique me réjouit et me charme] !
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE (mai 2003 – juin 2013) 3
- Poème d'Adonis, poème symphonique pour voix et orchestre (1942), fragment, Orchestre Phiharmonique de l'ORTF, années 1970, coll. Jean-Pierre Bigot (DR.)
- Nox, fragment, Janine Micheau (soprano) et l'Orchestre des Concerts Lamoureux sous la direction d'Eugène Bigot, février 1943, Pathé-Marconi, disque 78 tours AFAA #14, coll. Jean-Pierre Bigot (DR.)
- Vision de la 4e églogue, pour 19 cordes, fragment, Orchestre de l'ORTF, coll. Jean-Pierre Bigot (DR.)
Note : Après avoir fêté son centenaire le 12 juillet 2013, André Lavagne s'en est allé dans sa cent-unième année le vendredi 21 mars 2014 en son domicile parisien du square de La Tour-Maubourg. Ses obsèques ont été célébrées le jeudi 27 mars à 14h30 en l'église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou (Paris 7e).
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1) Le réalisateur, qui avait sous titré son film " un roman espagnol ", souhaitait une musique évocatrice, créatrice d’atmosphère. En 1994, la cinémathèque de Toulouse, en collaboration avec l’Orchestre national du Capitole, a présenté une version restaurée de La Femme et le Pantin, avec un nouvel accompagnement musical pour petit ensemble composé par Marco Dalpane qui s’inspira de la musique originale. C’est cette même version que présentait Le Parvis de Tarbes le 1er décembre 2001. [ Retour ]
2) Comme ils s'aiment, dont le rôle principal est écrit pour Jeanine Micheau, soprano colorature au contre-mi exceptionnel, fut reçu à l'Opéra-Comique en 1937 par un comité de lecture présidé par l'administrateur des théâtres lyriques, Jacques Roché. Ce comité comprenait 40 membres, dont 2 machinistes. Le Front Populaire exigeait en effet que toutes les corporations de l'opéra puissent donner leur avis sur le choix des œuvres ! Quant aux 38 autres membres, tous musiciens, l'éventail allait de Gustave Charpentier à Darius Milhaud, en passant par Albert Roussel, Henri Rabaud, Florent Schmitt, Arthur Honegger, Max d'Ollone... L'ouvrage fut reçu à l'unanimité à la grande surprise de son auteur ! Lors de sa première représentation Jacques Rouché eut l'idée de réunir 3 compositeurs joués pour la première fois à l'Opéra-Comique : Claude Delvincourt (Le bal vénitien), Paul Pierné (un ballet) et André Lavagne. [ Retour ]
3) Nous remercions vivement M. André Lavagne d'avoir bien voulu nous livrer quelques souvenirs. [ Retour ]
Gaston LITAIZE (1909-1991)
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Gaston LITAIZE à l'orgue de l'Institut National des Jeunes Aveugles de Paris ( coll. Simone Litaize )
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( page spécifique )
1939
Pierre MAILLARD-VERGER (1906-1968)
|
Pierre MAILLARD-VERGER. Détail d'après une photo de groupe dans la classe de composition de Paul Dukas en 1929, au conservatoire. ( Photo X. )
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Article sur cette page spécifique.
Jean-Jacques GRUNENWALD
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Jean-Jacques Grunenwald aux claviers du grand orgue de l'église St-Sulpice (Paris). ( Photo A. Seeberger )
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