Henri MARÉCHAL - Charles LEFÈBVRE - Gaston SERPETTE - Gaston SALVAYRE - Paul PUGET - Antonin MARMONTEL - Léon EHRHART - André WORMSER - Paul HILLEMACHER - Paul VÉRONGE DE LA NUX - Amédée DUTACQ - Claudius BLANC - Clément BROUTIN - Samuel ROUSSEAU - Henri DALLIER - Georges HÜE
1870
Henri MARÉCHAL (1842-1924)
Henri Maréchal ( cliché H. Manuel, vers 1900 ) Né le 22 janvier 1842 à Paris, Henri Maréchal, bien que tout d’abord attiré par la poésie, a étudié le solfège auprès d’Emile Chevé et d’Edouard Batiste, le piano avec Chollet et l’harmonie avec B. Laurent. Suivant les conseils d’Alexis de Castillon il entrait ensuite dans la classe de composition de Victor Massé au Conservatoire de Paris qui le conduisit en 1870 au Premier Grand Prix de Rome avec sa cantate Le Jugement de Dieu. Il reçut également dans cet établissement l’enseignement de François Benoist (orgue) et d’Alexis Chauvet (contrepoint, fugue). A propos de ce dernier qu’il considérait comme un " maître incomparable ", Maréchal écrivit un jour qu’ " au point de vue du mécanisme, Chauvet était un virtuose accompli ; en outre sa manière toute personnelle de comprendre le texte était d’une intelligence supérieure. "
A son retour de Rome, il débuta par un poème sacré : La Nativité (1875) mais il se consacra ensuite principalement au théâtre. On lui doit ainsi Les Amoureux de Catherine (1876, Opéra-Comique), La Taverne des Trabans (1876), L’Etoile (1881), Déidamie (1893), Calendal (1894), Pin-Sin (1895), Daphnis et Chloé (1899), Le Lac des Aulnes (1907)... Cependant, il n’a pas négligé d’autres genres de musique dans lesquels il a agréablement composé des musiques de scène : L’Ami Fritz (1876), Les Rantzau (1882), Crime et châtiment, une pièce pour orchestre : Esquisses vénitiennes (1894), un drame sacré : Le miracle de Naïm (1887), une page pour quatre voix et orchestre intitulée Les vivants et les mortes (1886), des mélodies, des pièces pour piano (Impromptu, Tourment, Deux marches) ou pour piano et violon (Rapsodie) ou encore pour piano et alto (Elégie), des scènes chorales (Chansons du Midi, Provence, Le Voyage) et également des motets parmi lesquels on note un Agnus Dei à 3 voix, un Kyrie à 3 voix, un Ave verum avec solo de baryton et un O Salutaris, tous publiés à Paris, chez Lemoine et fils. Il a également laissé plusieurs livres de souvenirs : Rome : souvenirs d’un musicien (1904), Paris : souvenirs d’un musicien (Librairie Hachette, 1907) et Lettres et Souvenirs, 1871-1874 (1920). On lui doit enfin une Monographie universelle de l’Orphéon consacrée aux sociétés de chant (Paris, 1910) et de brillants articles lorsqu’il assura un certain temps la chronique musicale du Figaro.
" Sa silhouette d’artiste aux cheveux longs, mis à l’ancienne mode, et surtout sa bonne humeur et ses qualités de fin causeur l’avaient rendu populaire aux concours du Conservatoire, où il faisait partie du jury comme inspecteur de l’enseignement musical. " [Louis Bethléem]. Henri Maréchal est mort à Paris, le 12 mai 1924. Il avait épousé en 1878 Jeanne Scellier et son père avait été autrefois caissier de M. Péragallo, agent général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Henri Maréchal, Air du Guet, thème provençal attribué au Roi René (1409-1480), quintette pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson (Paris, Au Ménestrel, Heugel, 1920).
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Charles LEFEBVRE (1843-1917)
Charles Lefebvre, professeur au Conservatoire, Offertoire pour orgue ou harmonium (in Les Maîtres contemporains de l’orgue, pièces inédites pour orgue ou harmonium recueillies et publiées par l’abbé Joseph Joubert, vol. 2, Paris, Editions Maurice Sénart, 1912) ( Fichier audio par Max Méreaux )
Charles Lefebvre (1843-1917),
Grand Prix de Rome 1870,
professeur de la classe
d'Ensemble instrumental au
Conservatoire de Paris ( photo Benque )
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Novembre 1903, réunion du jury de la section "choeur pour 4 voix d'hommes sans accompagnement" du Concours international de musique organisé par la revue Musica : Théodore Dubois (Prix de Rome 1861, membre de l'Institut, directeur du Conservatoire de Paris) et Auguste Chapuis (organiste, professeur d'harmonie au Conservatoire de Paris) au piano, entourés (de gauche à droite) de Laurent de Rillé (président des Orphéons de la Ville de Paris), Gabriel Parès (chef de musique de la Garde Républicaine), Louis Bourgault-Ducoudray (Prix de Rome 1862, professeur d'histoire de la musique au Conservatoire de Paris), Charles Lefèbvre (Prix de Rome 1870, professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris), P. Marcel (professeur de chant), Edmond Laurens (compositeur), Jean-Louis Lassalle (artiste lyrique, professeur de chant au Conservatoire de Paris), M. Duteil d'Ozanne (chef d'orchestre et directeur de l'Euterpe), A. Goullet (critique musical) et Henri de Curzon (critique musical à la Gazette de France). ( Musica, 1904, coll. D.H.M. ) |
1871
Gaston Serpette ( photo X..., Musica 1904, coll. D.H.M.) DR La mort de Gaston Serpette, décédé le 4 novembre [1904] – le jour même où il atteignait sa cinquante-huitième année – a causé dans le monde musical une véritable stupeur. Nombreux étaient ceux qui, lui serrant la main à la répétition générale de Monsieur de la Palisse, l’avaient félicité pour sa bonne mine et sa santé. Son trépas a créée chez tous une profonde affliction. Chez Gaston Serpette, le musicien et l’homme étaient également aimés et estimés : le premier pour son grand talent, le second pour sa grande courtoisie […] Nous regrettons en lui un ami et un collaborateur.
Gaston Serpette était né à Nantes le 4 novembre 1846. Il avait fait de complètes études, aussi bien en littérature et en droit qu’en musique. Il passa même sa licence en droit . Le musicien eut bientôt, chez lui, raison du jurisconsulte. En 1871, Serpette obtient le premier grand-prix de Rome avec une cantate intitulée Jeanne d’Arc, dont M. J. Barbier, auteur d’un drame de ce nom, avait écrit les paroles.
Il semblait que Gaston Serpette dût être un symphoniste ou un musicien d’opéra. Son génie facile et gracieux opta pour l’opérette. Cela n’alla point sans scandale, ni sans causer le désespoir des membres de l’Institut, surtout qu’un des envois de Rome faits par Serpette fut justement une opérette. Celle-ci fut jouée au piano, par Paul Puget, devant Gounod, Ambroise Thomas et tous les membres de l’Académie . Durant cinq années, le vicomte Delaborde se plaignit amèrement, dans son rapport sur les envois de Rome, que Serpette " eût mal tourné ".
Le public, qui n’en jugea pas ainsi, fit toujours au compositeur dissident le plus grand succès . Serpette aura beaucoup contribué à prouver que l’opérette, malgré la facilité joyeuse de son genre, peut valoir autant par ses qualités strictement musicales que par la bouffonnerie des sujets.
Les œuvres théâtrales de Gaston Serpette sont nombreuses. Parmi les plus populaires, il nous faut citer : La Branche cassée, Le Manoir de Pic-Tordu, Le Château de Tire-Larigot, Adam et Eve, Les Demoiselles du Téléphone, La Dot de Brigitte, Madame le Diable, Madame Satan, Le Carnet du Diable, La Bonne de chez Duval, etc…
Son œuvre pour piano et chant n’est pas moins considérable ni moins appréciée.
Gaston Serpette était une des physionomies les plus connues du Tout-Paris artistique et mondain, où la finesse de son esprit était très goûtée. Ce Tout-Paris l’a accompagné à sa dernière demeure, et s’est retrouvé à la messe que ses amis ont fait dire pour le repos de son âme, le vendredi 11 novembre, à l’église de la Trinité.
Ce Parisien parisianisant avait cependant quitté Paris durant plusieurs années. Il fut un moment chef d’orchestre à Londres. Il ne réintégra Paris que pour aller s’installer aux environs d’Alger, où il avait acheté des vignobles. Durant un de ses voyages entre Alger et Marseille, une vague l’avait renversé sur le pont du navire, si malheureusement qu’il s’était brisé la jambe. Il en garde une légère claudication.
Au moment de sa mort, il mettait la main à une opérette en trois actes, pour les Variétés, sur un livret de M. Paul Gavault.
D. B.
[Dominique Boulay]
Musica, décembre 1904
Gaston Serpette, La mort des amants, pour voix de baryton et piano, sonnet de Charles Baudelaire, partition dédicacée "à Madame Alice Chazot" et chantée par le baryton belge Lauwers
(Paris, Richault et Cie, 1879/coll. Biblioteca Nacional de Espana).
Fichier audio par Max Méreaux, avec transcription de la partie vocale pour clarinette (DR.)
1872
Gaston SALVAYRE (1847-1916)
Gaston Salvayre, vers 1878 ( photo Provost, Toulouse, in Le Midi Artiste, 30 mars 1879 ) DR
Dédicace de Gaston Salvayre sur sa partition de l'opéra Le Bravo créé à Paris, au Théâtre-Lyrique, le 18 avril 1877. Réduction pour piano par l'auteur, édition Lemoine, 1877 ( coll. France Ferran ) DEVOIR DE MÉMOIRE 1Qui était le musicien Gaston Salvayre ? Un artiste reconnu, bien de son temps, trop de son temps sans doute. La rigueur mathématique de la maîtrise de l’orgue, l’influence de son mentor Ambroise Thomas, académique dans son enseignement et ses compositions, n’en ont pas fait à l’instar de Debussy, un de ces navigateurs solitaires prêts à se lancer hardiment vers des horizons nouveaux.
Alors qu’il est tout jeune étudiant au Conservatoire municipal de Toulouse, sur la voie de la providence se présente Ambroise Thomas – la personnalité musicale la plus influente de la seconde moitié du 19ème siècle en France.
Comme son aïeul, le voiturier Gervais Salvayre, parvenu à une certaine aisance grâce à un travail acharné, Gaston Salvayre sera un laborieux menant de front plusieurs activités : l’élaboration d’ouvrages lyriques, une carrière de chef de chœur ou d’orchestre sans oublier la critique musicale.
Curieusement, c’est aux Etats-Unis que l’on trouve trace aujourd’hui de sa musique religieuse et profane, certaines de ses œuvres bénéficiant même de livrets anglais2. La plupart de ces partitions dorment dans des bibliothèques françaises, mais qui ira les en extirper ? Comme l’observe le philosophe Michel Serres :
‘Les Français ont toujours entretenu un rapport très ambigu à leur propre culture :
ils l’aiment, mais ils la détestent. Si vous voulez écouter de la musique française, allez donc aux Etats-Unis…’
Il est à parier que le jeune musicien, ses études couronnées par la récompense suprême du Grand Prix de Rome, avançait vers un rêve de gloire qui allait le soutenir durant quelque quarante années de création. Même si cela n’a pas suffi à donner l’immortalité à son nom, à travers son théâtre lyrique, il a eu à cœur de prodiguer illusion et joie à ses contemporains. Peut-être y aurait-il là matière à satisfaction…
Laissez vivre à sa guise celui qui veut être heureux.
De demain, nous n’avons aucune connaissance.(Laurent de Médicis le Magnifique)
© France FerranGaston Salvayre, 2e mouvement du Trio en sol mineur, pour piano, violon et violoncelle, composé “à la mémoire de mon frère Jacques Salvayre” (Paris, Choudens).
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Fichier audio par max Méreaux (DR.)
Gaston Salvayre, Dans les bois, valse pour piano, dédicacée "A mon ami James Love" (Paris, Choudens/Biblioteca Nacional de Espana)
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Partition complète au format PDF.1) Né à Toulouse le 24 juin 1847, mort à Ramonville-Saint-Agne le 17 mai 1916, petit-fils de Gervais Salvayre (1771-1858), voiturier au quartier St-Georges à Toulouse, Gaston Salvayre, élève du Conservatoire de Toulouse, puis du CNSM, Premier Grand Prix de Rome en 1872, ami de Franz Liszt, auteur d'ouvrages lyriques et de musique religieuse, est le fils de Pascal Salvayre, cordonnier. Sa tante maternelle Marianne Garrigues née Salvayre (1807) est la quadrisaïeule de l'auteur de cette notice. [ Retour ]
2) Serait-ce dû à la présence aux U.S.A de ses contemporains, les Toulousains Victor Capoul, célèbre ténor devenu directeur du Conservatoire de New York après avoir dirigé l'Opéra de Paris, et de Cazelles à la tête du Théâtre de la Nouvelle-Orléans où fut édité en version bilingue son opéra Richard III ? [ Retour ]
Concert d'oeuvres de divers Prix de Rome pour le centenaire du décès de Gaston Salvayre (Coll. France Ferran) DR.
PARU EN 2016
France Ferran : Gaston Salvayre, le Verdi de Toulouse, ouvrage de 605 pages paru en octobre 2016, support numérique uniquement. Contact : ferran.france@sfr.fr
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Musique au salon - Le monde des arts ( France Ferran ) |
RICHARD III
mis en musique et réhabilité
Gaston Salvayre ( BNF/Gallica ) En 1591, Shakespeare termine sa tétralogie autour de la Guerre des Deux-Roses par le drame historique mettant en scène Richard III. Avec l'une de ses plus fameuses pièces, il allait offrir un sujet de choix à une dizaine de compositeurs qui s'en empareront jusqu'à nos jours. Parmi eux, un seul Français, Gaston Salvayre ; amorcé dès 1879, boudé par Paris, son opéra sera monté en 1883 à Saint-Pétersbourg, au Théâtre Mariinsky.
Une toute récente actualité, ce printemps, remet en lumière le roi Richard III d'Angleterre, solennellement inhumé en la cathédrale de Leicester, à la suite de la découverte de son squelette en 2012 sous un parking de la ville sur l'emplacement du couvent des Grey Friars1 . Richard y avait été enseveli à la hâte, près du champ de bataille de Bosworth où il périt en 1485.
Pour saluer cette réhabilitation, la toute dernière œuvre musicale à lui consacrée, The Last Plantagenet pour chœur et orchestre, une commande dont s'est chargé le compositeur anglais John Webb2
Roses blanches pour un roi maudit
Autour du bref règne du dernier roi yorkiste (1483-1485), s'est incrustée la légende noire, inspirée par la maison rivale des Lancastre, que la pièce de Shakespeare a contribué à enraciner. De nos jours, les historiens se sont employés à corriger radicalement l'image du tyran sanguinaire.
Précédées la veille de son enterrement, du défilé de 38 000 personnes devant son cercueil de chêne couronné de roses blanches, le 26 mars 2015, dans la cathédrale St Martin de Leicester, se déroulèrent des funérailles nationales selon le rite anglican pour ce souverain catholique avec lequel s'est éteinte la lignée royale des Plantagenêts. 'Aujourd'hui nous rendons hommage à un roi qui a vécu à des temps troubles et que la foi chrétienne a soutenu de son vivant et lors de sa mort.' Ces mots rédempteurs, ce sont ceux d'Elizabeth II, occupant ce trône, enjeu mortel de tant de querelles.
De Saint-Pétersbourg à La Nouvelle-Orléans : Richard III de Salvayre, opéra romantique, opéra-fanfare !
Au moment où Salvayre s'empare du sujet, Paris est le fief reconnu de l'opéra romantique avec ses effets attendus de mise en scène, de divertissements chorégraphiques, combinés à une action spectaculaire. Son Richard III va se couler dans ce style : de la procession funèbre où le cadavre de la Reine Anne traverse le plateau à la scène orgiaque. Les nombreux chœurs incluent de grandes formations de gypsies, chasseurs, spectres. Scène singulière encore : le mariage de Richard avec sa propre nièce, débutant par une marche nuptiale, conduite par le Cardinal Bourchier et un quatuor d'évêques sur l'air du patriotique Rule, Britannia !
Bien que d'une fidélité toute relative à l'intrigue de Shakespeare, le personnage est toujours aussi sombre. Comme pour Le Bravo, le livret est d'Emile Blavet, dont la presse salue la parfaite connaissance du théâtre avec la marche rapide des scènes, reproduisant la libre allure de la poésie shakespearienne. L'Opéra de Paris ne s'étant pas décidé à l'accueillir, la création a eu lieu à Saint-Pétersbourg, au Théâtre Mariinsky qui abrite la troupe d'opéra italien, administrée par le Français Albert Vizentini auquel Salvayre devait déjà la création parisienne de son premier opéra Le Bravo.
Il est monté en cinq actes sous le titre de Riccardo III, dans la version italienne d'Achille Thémines. Les costumes sont signés Théophile Thomas, peintre et dessinateur pour les grands théâtres parisiens. Les divertissements chorégraphiques sont du Marseillais Marius Petipa, fondateur de l'école russe de ballet, et à l'orchestre, le chef italien Enrico Bevignani, sur le point de rejoindre New York où l'attend au Metropolitan Opera une prestigieuse carrière, de 1884 à son Gala d'Adieux, le 25 avril 1900.
Dans la salle du Mariinsky, mêlés à la haute aristocratie, les compositeurs Anton Rubinstein, César Cui, l'écrivain Léon Tolstoï, les ambassadeurs de France et d'Espagne...
Alexandre III, empêché par une malencontreuse chute de cheval, s'est tenu au courant de la représentation à laquelle sa cavalerie a prêté des chevaux : triomphe assuré, quatre rappels après le 2nd acte pour l'auteur et ses interprètes, un auditoire conquis. D'où la nomination sur le champ par le Tsar, de Salvayre et de son librettiste Blavet au grade de chevaliers de l'Ordre de Sainte-Anne.
Le soir de la première, si les critiques apprécient l'habileté orchestrale du compositeur et ses scè- nes à grand effet (Trio des Larmes, scènes de la Forêt et des Spectres), la longueur démesurée de l'ouvrage les a passablement éprouvés : plus de cinq heures d'audition, ponctuées d'interminables entractes, ne les libéreront du Mariinsky qu'à une heure et demie du matin. Sagement, dès la se-conde représentation, Salvayre va procéder à des premières coupures, notamment dans le 3ème acte, et par la suite, rarmener à quatre actes son grand opéra.
Huit ans d'éclipse avant la création en français de Richard III , tant en province qu'à l'étranger. En 1891, à Nice, sa première en France, sous la conduite de Salvayre, devant un public d'élite, Le Matin écrira : 'Le drame est bien conduit. G. S. a marqué sa place au premier rang des compositeurs modernes.'
En 1892, lorsque le théâtre du Capitole l'offre aux Toulousains, la critique juge que le sujet de la tragédie shakespearienne convient on ne peut mieux au tempérament du musicien. L'ouvrage sera repris plusieurs fois dans les années précédant la Guerre de 14-18.
De Rouen, en janvier 1894, Salvayre écrira : 'La réussite de Richard à Rouen a été aussi grande que possible, elle a dépassé mes espérances'. Ce que corrobore la presse locale trouvant que cet opéra 'au point de vue musical, se rapproche beaucoup du genre de Meyerbeer avec un souci marqué de modernisme dans l'orchestration. Très grand et légitime succès '.
En 1895, Richard III traverse l'Atlantique, accueilli par le Théâtre français de La Nouvelle-Orléans ; le journal local L'Abeille parlera avec enthousiasme d'un 'opéra-fanfare à l'orchestration corsée, pleine de vigueur et d'énergie, sans négliger la mélodie', pour conclure que 'ce jeune compositeur (trentenaire quand il compose Richard III ) a su allier le bon sens et la clarté de la conception française à la science et à la rêverie allemande.'
Par la suite, vont s'enchaîner les échecs auxquels des inimitiés tenaces chez ses confrères et dans la presse y auront leur part. Ainsi Egmont et La Dame de Monsoreau : 'Ce dernier ouvrage n'échoua que sous les assauts répétés d'une cabale impitoyable', rappellera Georges Guiraud dans L'Express du Midi, lors du décès du compositeur en mai 1916.
De son vivant, Salvayre ne devait renouer avec le succès qu'en 1909 avec son unique opéra-comi-que Solange, créé Salle Favart : ' Une revanche bien méritée, qui a réussi à le remettre en pleine lumière', estime La Presse.
Dans l'intervalle, de 1895 à 1902, il était devenu le critique réputé du Gil Blas.
A la fin de sa vie, depuis son Midi toulousain, alors que vient de se déclencher la Grande Guerre, dans un ultime élan patriotique, il compose un drame sacré en 4 actes, Sainte-Geneviève, mettant en scène la libératrice de Paris. Oeuvre posthume, créée avec succès à Monte-Carlo en 1919 et, le dimanche 27 août 1939, sous l'imminence du second conflit mondial, Radio-Paris va diffuser sur ses ondes la version de concert de Sainte-Geneviève sous la direction d'Henri Tomasi.
On ne peut oublier les louables efforts du Comité des Amis de Gaston Salvayre, créé en 1931 par des personnalités toulousaines, permettant notamment la création posthume de son drame ly- lrique en 4 actes La Belle Imperia , sous la direction d'André Cluytens, ainsi que la reprise de son ballet Le Fandango (1878) ou encore de son Stabat Mater (1879), que les principales églises de Toulouse firent entendre, des années durant, au cours des offices du Vendredi Saint.
Pour le centenaire de sa mort, en mai 2016, la Ville de Toulouse envisagera-t-elle dans ses pro- gramme culturels la remise en lumière du patrimoine musical laissé par son Prix de Rome 1872, que la critique avait salué, dès ses débuts, sous le titre flatteur de Verdi de Toulouse ?
France Ferran
(avril 2015)
Richard III et l'art lyrique
1859 - Riccardo III, opéra de Giovanni Battista Meiners (1826-1897). Scala de Milan.
1879 – Riccardo III , opéra de Luigi Canepa (1849-1914).
1883 - Richard III, opéra en 5 actes de Gaston Salvayre, créé sous le titre de Riccardo III, dans la version italienne d'Achille Thémines.Théâtre Mariinsky- Opéra Italien de Saint-Pétersbourg.
1961 - Konig Richard Der Dritte, de Jef van Durm, compositeur flamand (1907-1965).
1975 - Richard The Third, opéra en 4 actes de Paul Harris Turok, compositeur américain (1929-2012) ,livret anglais d'après Shakespeare. Philadelphie, en concert 28/04/1980.
1987 - Rikard III, oratorio d'Igor Kuljeric, compositeur croate (1938-2000), créé à Zagreb.
1987 – Riccardo III, de Flavio Testi (1923-2014), créé à Milan, 1987, Turin, 1986.
2005 - Richard III, dramma per musica en 2 actes de Giorgio Battistelli (né en 1953), livret d'Ian Burton, Opéra d'Anvers.
2015 - The Last Plantagenet, pour chœur et orchestre, du compositeur anglais John Webb (né en 1969), livret de Hazel Gould. Commande pour l'inhumation solennelle de Richard III, Montfort-Hall, Leicester, 18/04/2015.__________________________________
1. La Réforme anglicane, voulue par Henri VIII, entraîna en 1538 la destruction des monastères ; le couvent des Grey Friars (Francis-cains), en ruines, la tombe du roi vouée à l'oubli.
2. John Webb, compositeur anglais né en 1969, auteur d’œuvres orchestrales, lyriques et de musique de chambre. Commande officielle 'The Last Plantagenet ,conte magique de surprises et d'intrigues, mettant en scène la figure du roi retournant à Leicester et observant avec étonnement cette ville qui lui fut familière, 530 ans auparavant.
Gaston Salvayre à l'époque du Prix de Rome vers 1875 ( coll. France Ferran ) L'article ci-dessous est paru en juin 1916 dans le Bulletin paroissial de Saint-Exupère-Saint-Michel [de Toulouse] au moment de la disparition de Gaston Salvayre. Il a été retrouvé en novembre 2006 par Frère Raymond, de cette paroisse, et nous a été aimablement communiqué par Mme France Ferran que nous remercions vivement. On doit la première partie de ces lignes au chanoine Henri Dupin, alors curé de Saint-Exupère-Saint-Michel. Né le 7 juin 1847 à Boulogne, chanoine honoraire en 1889, il avait été nommé dans cette cure en 1897, poste qu'il occupera durant 28 années jusqu'à sa mort arrivée le 29 décembre 1925. La seconde partie, qui concerne plus particulièrement la biographie du défunt, est due à Georges Guiraud (1868-1928). Fils d'Omer Guiraud (1847-1912), organiste de la basilique Saint-Sernin de Toulouse et professeur au Conservatoire de cette ville, il fut formé à l'Ecole Niedermeyer puis au Conservatoire de Paris (Franck, Widor, Massenet), fut chef de chant aux Concerts Colonne et organiste dans la capitale, avant de regagner sa ville natale où il recueillit la succession de son père à Saint-Sernin et au Conservatoire. La troisième partie a été écrite par le rédacteur du Bulletin paroissial. Soulignons enfin que par ignorance ou mauvaise lecture lors de l'impression, le prénom Gustave a été malheureusement substitué à celui du disparu (Gaston!)
D.H.M.
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Gustave SALVAYRE
C'était peu de temps avant la grande guerre.
J'allais faire visite à mon cher et saint ami M. le Curé de Ramonville-Saint-Agne. Il m'avait dit qu'il avait pour paroissien une des plus belles gloires de notre faubourg Saint-Michel. J'étais vivement désireux de causer avec l'ancien locataire de Mgr le Chanoine Moulins, 2, chemin du Busca, — Gustave SALVAYRE, réfugié à Ramonville-Saint-Agne, dans une maison à lui qu'il avait accommodée spécialement à ses besoins et à sa fantaisie. Son cœur cependant — comme il parut bientôt — n'avait pas complètement déménagé de chez nous, et nous le conservions tout entier à Saint-Michel,
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Mais nous voici déjà dans le salon du Maître. Là, tout à la toulousaine. Un vénérable et pittoresque rouet tel que le maniaient jadis nos graves ménines s'étale sur le chambranle de la cheminée à la place d'honneur. Le reste de l'ameublement et du décor témoigne du même amour pour la petite patrie et la glorieuse Garonne.
Une porte s'ouvre, Gustave Salvayre nous aborde avec une très accueillante simplicité qui met aussitôt tout le monde à l'aise. Notre grand compositeur est de petite taille. Ses jambes me semblent trop petites pour son buste trop allongé. En sa personne, c'est le mérite et non la physique apparence qui s'impose le plus et le mieux.
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Salvayre nous .savait gré que nous eussions adopté son Stabat d'une manière habituelle pour nos exécutions du soir du Jeudi-Saint. Nous l'avions en effet déjà donné plusieurs fois avec espoir de l'interpréter encore non seulement avec application mais avec succès, C'est le Stabat de Saint-Michel, il est à nous, nous nous l'approprions. Fort sensible à cet hommage pratique, à cette reconnaissance effective de son beau talent musical, Salvayre nous menace de s'en mêler en personne et de venir diriger lui-même une de nos exécutions.
Il nous fit trembler un peu, car il parlait de grand orchestre et de ressources qui dépassent nos moyens après tant de malheurs et la loi de séparation.
D'ailleurs, nous serions bien exigeants si M. Berny ne nous suffisait pas. Il est compétent, et de plus accommodant et poli. Il obtient de merveilleux et puissants effets avec des moyens tout simples, tout à fait à noire portée.
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Salvayre ne nous dissimula point son affection pour notre église et notre école paroissiale de Saint-Exupère. II témoigna bien haut qu'il se souvenait avec bonheur des chers Frères, ses premiers maîtres. Il aimait de faire bien remarquer qu'il avait fait ses débuts dans l'art musical et le chant comme enfant de chœur de la maîtrise paroissiale de Saint-Michel avant de passer à la maîtrise de la Métropole et au Conservatoire.
Toutes ces généreuses déclarations se burinèrent dans mon esprit à mesure que cette belle âme se dévoilait à nous. La tare et la lâcheté de l'anticléricalisme ne l'ont jamais atteinte. Je sentais en moi des flots d'estime s'accumuler pour cette gratitude fidèle aux souvenirs d'enfance et aux premières influences de la paroisse natale.
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Notre hôte nous parla d'un nouvel opéra dont il espérait, au printemps prochain, un succès retentissant. II l'avait écrit, il travaillait à en obtenir et régler la représentation sur une des grandes scènes de notre capitale consécratrice de toutes les œuvres de génie.
Il voulait parler de Sainte-Geneviève. Hélas ! Sainte Geneviève qui put arrêter les Barbares aux portes de Paris demeure maintenant arrêtée par les Barbares. C'est comme une revanche, mais qui aura bientôt un terme.
Plaise à Dieu que Salvayre se survive à jamais dans un chef-d'œuvre chrétien et français à la fois, et que la triomphale représentation de Sainte-Geneviève s'ajoute, comme une gloire de plus, à la Victoire de la France.
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C'est de Ramonville-Saint-Agne qu'il avait conduit la dépouille de sa mère et celle de sa tante au grand cimetière de Toulouse en passant par l'église Saint-Exupère. Il a voulu pour lui-même que les derniers honneurs, avec les dernière prières, lui fussent rendus chez nous où, tout mort qu'il est, nous l'entendons et l'entendrons encore, fidèle à sa grande mémoire et à son splendide Stabat, dont M, Joseph Berny disait en l'accompagnant à notre grand orgue : "Vraiment, voilà de la grande musique!"
Voici venu le moment de laisser parler Georges Guiraud, l'éminent organiste de Saint-Sernin Ce sera plaisir de voir comment les artistes savent louer les artistes.
[chanoine Dupin]
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Mort de SALVAYRE — Courte biographie — Appréciation de son cœur
Notre compatriote, le grand musicien Salvayre, est mort à la suite d'une longue et pénible maladie dont ne put avoir raison, — malgré les espérances de ses amis — sa robuste constitution.
Gustave Salvayre était né à Toulouse le 24 juin 1847. Il fit ses premières études à la maîtrise de la Cathédrale Saint-Étienne d'où sont sortis tant de vrais et solides musiciens, tant d'admirables chanteurs. II entra ensuite au Conservatoire de notre ville où l'érudit directeur Paul Mériel, dont le nom est resté si vivant dans la mémoire de tant de musiciens toulousains, lui enseigna l'harmonie et le contre-point. C'est grâce à ses leçons, nous assure un ami bien renseigné, grâce au travail ardent auquel il se livrait, qu'il put entrer d'emblée au Conservatoire de Paris dans la classe de composition d'Ambroise Thomas.
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En 1872, Salvayre obtint le grand prix de Rome avec une cantate, Calypso, qui faisait déjà pressentir un compositeur remarquablement doué pour la scène.
Son premier envoi de Rome, un Stabat souvent entendu dans nos églises, attira immédiatement l'attention du monde musical sur le jeune lauréat qui débuta au théâtre par un opéra en quatre acres : Le Bravo (Lyrique 1877) — dont le succès immédiat fit dire à Vitu qu'un nouveau Verdi était né.
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Il semble que beaucoup d'injustice se soit mêlée aux critiques acerbes qui accueillirent dans la suite les ouvrages que Gustave Salvayre produisit soit au théâtre, soit au concert. Les chroniques d'un tour si personnel, mais d'une sincérité parfois cruelle et violente, qu'il publia, dans le Gil Blas notamment, lui avaient valu quelques inimitiés qui le poursuivirent sans relâche et ne désarmèrent même pas devant les solides et indéniables qualités musicales qui éclatent dans tant de nobles pages de Richard III, etc.
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On peut dire que le vieux lutteur est mort à la tâche.
Quelle que soit l'opinion de l'avenir sur l'œuvre de Salvayre, notre glorieux compatriote n'en restera pas moins une personnalité musicale des plus caractéristiques.
Pianiste hors ligne, il avait travaillé à Rome avec Liszt, organiste de premier ordre. Salvayre était un musicien très sûr de son métier, un musicien complet à l'inspiration claire et vigoureuse, au tempérament fougueux, et qui, respectueux d'un passé dont il pouvait être fier à tout droit, resta attaché à une forme d'art aujourd'hui fortement décriée par de hardis novateurs, mais qu'il défendit à coups de bélier contre les plus acharnés de ses contradicteurs.
Georges Guiraud
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Les obsèques de Gustave SALVAYRE
Elles eurent lieu à l'église Saint-Exupère, le samedi 20 mai à 10 heures du matin.
Grâce à une attention délicate de M. le Chanoine Dupin, curé de la paroisse qui avait voulu honorer de façon spéciale la dépouille du célèbre musicien, la maîtrise, avec ses chants liturgiques et le grand orgue se sont fait gracieusement entendre au cours de la cérémonie.
M. Joseph Berny, l'excellent et sympathique organiste, exécuta magistralement sur son instrument différents morceaux extraits des œuvres religieuses de Gustave Salvayre : l'Extase des élus de la symphonie biblique, la Vallée de Josaphat, l'O quam tristis et l'Introduction du Stabat Mater.
Puis le cortège, composé d'amis du défunt, parmi lesquels nous remarquâmes Pedro Gailhard, Carbonne, Aymé Kunc, Mazeiller, Monnereau, G.Guiraud, Pagès, Boyer, etc., se mit en marche pour le cimetière où eut lieu l'inhumation.
Après les dernières prières dites par M. l'abbé Trilhe, des discours furent prononcés d'abord par M. Aymé Kunc, Grand prix de Rome, au nom du Conservatoire, ensuite par M. Saint-Charles, au nom des anciens élèves, enfin par M. Paul Feuga au nom des Œuvres de Guerre de la Haute-Garonne.
Empruntons pour finir à l'un des orateurs ce beau mouvement : —-"Salvayre n'est plus — Son souvenir, son œuvre resteront dans nos cœurs et Toulouse en deuil s'inclinant sur son tombeau pourra dire avec orgueil : "C'était mon fils !"
Mais c'est Saint-Michel qui le donna à Toulouse et à la France.
1873Compositeur méconnu1, Paul Puget a écrit principalement pour le théâtre et fut joué pourtant à deux reprises à l’Opéra-Comique : Le Signal, opéra en 1 acte (17 novembre 1886) et Beaucoup de bruit pour rien (Heugel), drame lyrique en 4 actes, d’après Shakespeare (24 mars 1899). Dès 1869, tout juste âgé de 20 ans, il avait déjà écrit un opéra-bouffe en 1 acte, le Maître danseur. Mais le succès ne fut jamais au rendez-vous et ces deux ouvrages furent retirés rapidement du répertoire. La critique spécialisée reprochait à son drame non pas le réel talent artistique du musicien qu’elle reconnaissait bien volontiers, mais plutôt son manque d’imagination. Si cela est peut-être exact pour cette œuvre, ce n’est pas le cas, et loin s’en faut, pour toutes ses partitions, ce qui lui valut d’ailleurs, quelques années après sa mort, un hommage appuyé. Le 23 juin 1924, Salle Gaveau à Paris, était organisé un Festival en sa mémoire.
Henri Puget, son père, était de son vivant un ténor renommé. Né à Marseille en 1813, d’un père marin, il n’avait pas voulu suivre la carrière paternelle et s’était tourné très tôt vers la musique en rejoignant le Conservatoire de sa ville natale. Après avoir remporté des prix de chant, de solfège et de déclamation et effectué un court séjour à Alger, il s’installait quelques temps à Toulon, puis à Nantes. C’est là qu’il commença à se faire un nom sur les planches en abordant les grands rôles de l’opéra-comique et de l’opéra alors en vogue : les Mousquetaires de la reine et l’Eclair de Fromental Halévy, le Comte d’Ory de Rossini, et Masaniello de Carafa. Engagé ensuite par les Opéras de Marseille, Toulouse et enfin Rouen, c’est là qu’il fut remarqué par Perrin, le directeur de l’Opéra-Comique, qui se l’attacha immédiatement. C’était en 1854, et dès lors il tint la meilleure place parmi les ténors français qui se faisaient rares à cette époque. C’est ainsi qu’il fut ensuite engagé à l’Opéra (1856), puis au Théâtre-Lyrique en 1865. Non seulement il a repris à Paris la plupart de ses succès de province, mais en a également créé bien d’autres, notamment Andiol dans la Fiancée du diable (5 avril 1854) et surtout le Chevalier des Grieux dans Manont Lescaut d’Auber (23 février 1856), ainsi que le Roi Candaule (9 juin 1865)... Il n’est guère surprenant dans ses conditions que le jeune Paul-Charles-Marie Puget, né le 25 juin 1848 à Nantes, où son père se faisait applaudir dans des opéras d’Halévy, opta à son tour pour une carrière musicale et encore moins étrange qu’il eut une réelle prédilection pour la musique de scène! Ainsi, pendant que son père était acclamé à l’Opéra et à l’Opéra-Comique, Paul Puget entrait au Conservatoire de Paris où il suivait les cours de piano de Marmontel et ceux de composition de Victor Massé. Ironie du sort, on sait combien ce dernier, également Grand Prix de Rome, avait aussi un goût très prononcé pour la musique de théâtre. Les noces de Jeannette, composées en 1853, sont même encore connues et appréciées de nos jours! En 1873, il se présentait au Concours de l’Institut et décrochait le premier Grand Prix avec sa cantate Mazeppa2, sur des paroles de M. de Thémines de Lauzières. Les critiques musicaux soulignèrent cet ouvrage qui « contenait une ravissante polonaise et attestait surtout un vrai tempérament musical, ainsi qu'une grande exubérance d'idées »3. Ses envois de Rome qu'il fit au cours du traditionnel séjour à la Villa Médicis, effectué de janvier 1874 à décembre 1877, exécutés dans la salle des concerts du Conservatoire lors des séances de l'Académie des Beaux-Arts furent également remarqués, notamment l'ouverture de Macbeth, une Ode de Jean-Baptiste Rousseau pour chœurs et orchestre, et Le Prince noir, opéra en un acte...
Le Théâtre de la Renaissance en 1873, au lendemain de sa construction, 20 boulevard St-Martin, Paris. C'est là que Sarah Berhnardt, alors directrice, créa le 3 décembre 1896 Lorenzaccio d'Alfred de Musset, avec une musique de scène de Paul Puget. ( B.N. ) Paul Puget, vice-président du Salon des Musiciens Français, nommé chef des chœurs à l’Opéra de Paris en 1900, à l’époque où il était dirigé par Pierre Gailhard et où l’on jouait Siegfrid et Tristan et Isolde de Wagner, l’Enlèvement au Sérail de Mozart ou encore Les Barbares de Saint-Saëns ou Paillasse de Léon Cavallo, s’est livré toute sa vie à la composition. Si comme nous l’avons déjà souligné, il écrivit principalement pour le théâtre, il s’est néanmoins essayé dans d’autres genres musicaux et souvent avec bonheur, notamment avec de jolies mélodies pour chant et piano éditées chez Girod ou Leduc : Poème de l’absence, Vingt mélodies, Au bord de la mer..., des pièces pour piano : Enfantines, Chaumes et bruyères... ou pour instruments divers, comme ce Solo pour basson qui servit de morceau de Concours au CNSM en 1899 et 1916, et des pages de musique religieuse parmi lesquelles on relève plus particulièrement une Messe brève pour chœur, soli et orgue, qui fut donnée en première audition le 12 septembre 1875 à l’église Saint-Louis de Port-Marly (Yvelines) et un Ave Maria pour deux soprani (Fromont, 1895). En ce qui concerne sa musique de théâtre, en dehors des œuvres déjà mentionnées il convient de citer également : La Marocaine (opéra en 1 acte), Andre del Garto (opéra en 2 actes), Ulysse et les sirènes (opéra-comique), Les jardins d’Armide (opéra en 3 actes) et la musique de scène pour Lorenzaccio de Musset, crée par Sarah Bernhardt le 3 décembre 1896 au Théâtre de la Renaissance.
Chevalier de la Légion d’honneur, Paul Puget4 est mort le 15 mars 1917 à Paris.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Paul Puget, Suprême désir, pour chant et piano, poésie d'André Chénier, dédicacé "au Docteur Pierre Camescasse" [1862-1954, chirurgien et mélomane], (Paris, E. Fromont éditeur, 1909/coll. Bnf-Gallica) DR.
Fichier audio par Max Méreaux avec transcription pour clarinette et piano (DR.)
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____________1) Véfa de Bellaing est l'un des rares biographes à fournir quelques éléments sur ce compositeur dans son Dictionnaire des compositeurs de musique en Bretagne (Ouest Editions, 1992, 280 pages). [ Retour ]
2) Ce poème de Byron, publié en 1819, qui raconte l'aventure d'un noble polonais, Ivan Stepanovic Mazeppa qui combattit dans les armées de Charles XII, a inspiré par la suite bien d'autres artistes, écrivains et poètes : Horace Vernet et Victor Hugo notamment, ainsi que plusieurs musiciens dont Liszt qui a intitulé son sixième poème symphonique Mazeppa (1851). [ Retour ]
3) Les Annales du théâtre et de la musique, année 1878, p. 595. [ Retour ]
4) Paul Puget, de son vrai nom Paul Curet, a repris le nom de scène sous lequel son père était connu. Il n'a donc aucun lien de parenté avec Loïsa Puget (1810-1889), la célèbre auteur de romances et chansonnettes en vogue sous Louis-Philippe Ier, et avec la dynastie des facteurs d'orgues originaire de Montréal (Aude), illustrée par la Manufacture d'orgues Théodore Puget & Fils, fondée à Toulouse en 1834. [ Retour ]
Antonin Marmontel ( cliché Femina, in Musica 1907, coll. D.H.M. ) DR Premier prix de piano en 1867, ce musicien, oublié de nos jours, a eu autrefois son heure de gloire comme auteur de cours de musique et pédagogue. Durant longtemps, tous les jeunes élèves des classes élémentaires ont en effet étudié au cours de leur scolarité ses ouvrages La Première année de musique, solfège et chants, à l’usage de l’enseignement élémentaire (Paris, Librairie Armand Colin,1886, in-8, 144 pages) et La Deuxième année de musique, solfège et chants, chœurs à l’unisson et à deux et trois parties (Paris, Librairie Armand Colin, 1890, in-8, 340 pages). Réédité à de très nombreuses reprises (70e édition en 1931), le premier recueil, comportant des " leçons, résumés, 154 exercices, 55 chœurs à l’unisson ou à deux parties, 50 devoirs, questionnaires et lexique ", arborait fièrement en page de garde cette devise de l’auteur " Crier n’est pas chanter " et ce mot de Saint-Saëns : " Les solfèges les plus simples sont les meilleurs. " Parmi les nombreuses élèves que Marmontel forma dans sa classe de piano pour femmes au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris, entre 1901 et 1907, l’une d’elle a plus particulièrement marqué l’histoire du piano. Magda Tagliaferro (1894-1986), ambassadrice de la musique française aux Etats-Unis, puis au Brésil, dont les cours publics à la salle Cortot de l’Ecole normale de musique étaient très prisés dans les années cinquante, avait en effet obtenu son 1er prix de piano dans sa classe.
Antoine-François Marmontel, père d'Antonin ( lithographie de M.-A. Alophe ) Né à Paris le 24 novembre 1850, Antonin-Emile-Louis Corbaz-Marmontel reçut ses premières leçons de piano auprès son père Antoine-François Marmontel, brillant pianiste et pédagogue qui compte parmi ses plus illustres élèves Georges Bizet, Vincent d’Indy, Francis Planté, Louis Diémer, Emile Paladilhe, Albert Lavignac et Marguerite Long. Il avait vu le jour le 18 juillet 1816 à Clermont-Ferrand. Elevé par son grand-père, neveu et filleul du littérateur Jean-François Marmontel1, c’est lui qui l’avait conduit en 1828 au Conservatoire de Paris, suivant les conseils d’Onslow. Entré dans la classe de piano de Zimmerman, auquel il succédera en 1848, il avait obtenu un 1er prix en 1832. Dans cette classe qu’il occupa jusqu’en 1887 et qui devint rapidement la plus renommée de Paris, fut formée toute l’élite des pianistes français de la seconde moitié du XIXe siècle. Décédé le 15 janvier 1898 à Paris, Antoine-François Marmontel, à l’époque où il donnait des leçons particulières, compta parmi ses toutes premières élèves Léopoldine Hugo2, alors âgée d’une dizaine d’années...
Antonin, précocement doué pour la musique, entra au Conservatoire à l’âge de 10 ans et dès 1862 obtenait une 1ère médaille de solfège. Peu après il retrouvait son père dans sa classe de piano et décrochait le 1er prix en 1867 avec l’interprétation 1er solo du 2e Concerto en fa mineur de Chopin. Deux années plus tard il recevait un 1er prix d’harmonie et accompagnement, et l’année suivante, un 2ème prix de contrepoint et fugue dans la classe de François Bazin. En 1873 il se présentait au Concours de Rome avec la scène lyrique à trois voix Mazeppa de Thémines de Lauzières ; le jury lui décernait une mention honorable. Il ne fut pas plus chanceux aux Concours de 1874 avec la cantate Acis et Galatée d’Adenis, et de 1875 avec Clytemnestre de Roger Ballu car ses ouvrages ne furent même pas récompensés !
Une fois ses études achevées, Marmontel restait au Conservatoire comme professeur où il fut nommé en février 1875 répétiteur de solfège ; poste dont il démissionna en 1881. Il se consacrait ensuite à ses activités de second chef des chœurs de l’Opéra (1878 à 1889), tout en étant membre du comité d’examen de solfège, de piano et harpe du Conservatoire à partir de décembre 1896. En 1901 il succédait à Raoul Pugno dans sa classe de piano (femmes) du Conservatoire.
Fragment (couverture et premières mesures) de la Chanson arabe pour piano d'Antonin Marmontel, 1883, Au Ménestrel, Paris ( coll. D.H.M. )
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)Compositeur fécond, l’œuvre pianistique d’Antoine Marmontel n’a pas résisté à l’épreuve du temps. Ses quelques 150 pièces, même si elles sont habilement écrites comme le soulignait Georges Humbert en 1913, ne sont guère plus jouées de nos jours. Parmi celles-ci, notons chez Lemoine : Angélus, Caprice, En chasse, Impromptu, Intermezzo et Scherzetto, L’Enchanteresse, Novelette, Valse lente, Valse Mazurka et une Sonate pour piano, op. 13 ; et chez Heugel : Arabesques, Autrefois, Balancelle, Barcarolle, Courante, Feuillet d’album, Le Long chemin, Le Ruisseau, Prélude, Toccata, Valse sérénade… On lui doit également quelques mélodies : Fleur de l’Onde (Durand), Sérénade (Le Ménestrel), Sylvie (Avocat), mais ce sont surtout ses ouvrages didactiques qui le firent connaître. En dehors de La Première année de musique et La Deuxième année de musique, qui reçurent l’approbation de ses pairs, notamment Ambroise Thomas, Jules Massenet, Camille Saint-Saëns, Charles Gounod, Léo Delibes, Ernest Reyer qui écrivaient en juin 1886 : " M. A. Marmontel a su éviter la sécheresse inhérente aux traités élémentaires ; il a su allier tout à la fois les exigences de la pédagogie et de l’art, en donnant comme application des principes un choix de morceaux à la portée de ses jeunes lecteurs, et empruntés surtout au répertoire moderne, ce qui n’avait pas encore été fait jusqu’à présent ", Antonin Marmontel a écrit des Exercices de première année de musique, solfège et chants…à l’usage de l’enseignement élémentaire (Paris, Librairie Armand Colin, in-8, 144 pages), complément de La Première année de musique dont ils suivent pas à pas l’ordre et les divisions ; deux méthodes : Enseignement progressif et rationnel du piano (Heugel) et Le Mécanisme du piano (Heugel) ; et des pages destinées aux jeunes pianistes : L’Art de déchiffrer comportant 100 Etudes (Heugel), L’Art de déchiffrer à 4 mains, 50 Etudes (Heugel), Petites Etudes mélodiques de mécanisme (Heugel)…
Officier de l’Instruction publique (1889), chevalier de la Légion d’honneur, Antonin Marmontel est mort subitement le 23 juillet 1907, à l’âge de 56 ans, dans son appartement parisien 4 rue des Calais, des suites d'une attaque d'apoplexie. Reconnu par ses pairs, il fut dédicataire de nombreuses œuvres, notamment la Mascarade pour piano d’Emile Artaud (O’Kelly, 1879), le Prélude pour piano de René Baillot (dans 26 Menus propos, op. 37, Richault, 1880), les Valse n° 6 et Valse n° 9 de Reynaldo Hahn (Le Ménestrel, 1898), et le Prélude en la bémol majeur pour piano de Mel Bonis (Leduc, 1901).
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Antonin Marmontel, Badinage pour piano à quatre mains, dédicacé "A mes élèves Fernande et Marthe Richard" (Paris, Armand Colin, 1893)
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Fichier audio par Max Méreaux (DR.)1) Jean-François Marmontel, né le 11 juillet 1723 à Bort-les-Orgues (Corrèze), décédé d'apoplexie le 31 décembre 1799 au hameau d'Habloville, commune de Saint-Aubin-de-Gaillon (Eure), protégé de Voltaire, directeur du Mercure de France (1758), historiographe de France (1771), secrétaire perpétuel de l'Académie Française (1783), s'il est connu pour ses activités d'écrivain et de polémiste (Contes moraux, Bélisaire, les Incas...), avait également quelques goûts prononcés pour la musique. On lui doit en effet de nombreux livrets d'opéras de Rameau (Lysis et Délie, La Guirlande, Les Sybarites), Philidor (Persée), Grétry (Le Huron, Lucile, L'Ami de la maison, Zémire et Azor) Cherubini (Démophon), Piccini (Didon, Roland, Le Dormeur éveillé, Pénélope)..., un Essai sur les révolutions de la musique en France (1777) et des articles sur la musique rédigés pour la célèbre Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751-1772). Il avait épousé Marie-Adélaïde de Montigny, nièce de l'abbé Morellet, philosophe et écrivain, qui lui donna 3 enfants. [ Retour ]
2) Fille aînée de Victor Hugo, Léopoldine, née le 28 août 1824 de son union avec Adèle Foucher, est tragiquement morte noyée dans la Seine, le 4 septembre 1843 à Villequier (Normandie), en même temps que son jeune mari Charles Vacquerie qu'elle avait épousé 6 mois auparavant; elle n'avait pas atteint sa vingtième année. Ce drame va inspirer à Victor Hugo quelques uns de ses poèmes les plus poignants, notamment Demain, dès l'aube... (Les Contemplations - Livre IV - XIV 3 septembre 1847) :
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.[ Retour ] La Première année de Musique... ( coll. D.H.M. )
1874Triste destinée encore que celle de ce brillant Prix de Rome : considéré comme un musicien de grand avenir par son professeur de composition au Conservatoire de Paris, la mort le fauchait à l'âge de 21 ans durant son séjour en Italie.
Alexis Chauvet
(1837-1871), organiste et compositeur, professeur d'orgue de Léon Ehrhart ( photo Braun )Alsacien de naissance, puisqu'il vient au monde à Mulhouse le 11 mai 1854 au domicile de ses parents, maison Kist, 23 rue des Champs-Elysées, Léon Ehrahrt est fils de Valentin Ehrhart « instituteur à l'Ecole primaire », né en 1824 à Goldbach (Haut-Rhin) et de Thérèse Schelbaum. Il apprend la musique dans sa ville natale auprès de Joseph Heyberger, futur professeur de solfège au CNSM (1872) et chef de chant à la Société des Concerts du Conservatoire (1874). Il gagne ensuite la capitale et devient l' élève particulier de l' excellent organiste Alexis Chauvet au moment où celui-ci quitte Saint-Merry pour prendre possession du grand Cavaillé-Coll de la Trinité. Il rejoint également le Conservatoire de Paris, où l'a d'ailleurs précédé, quelques décennies auparavant, son homonyme Charles Ehrhart, originaire de Colmar, qui obtenait en 1825 un 2e prix de cor et qui fit carrière dans les variétés. Durant ses études musicales, n'ayant pas encore atteint sa seizième année, Léon Ehrhart emporte la place d'organiste de l'église Saint-Pierre de Montrouge (82 avenue d'Orléans, Paris XIVe) mise au concours le mercredi 30 mars 1870. Plusieurs concurrents se sont présentés devant le jury composé d'Ambroise Thomas (président, professeur de composition au Conservatoire de Paris), Edmond d'Ingrande (secrétaire, maître de chapelle de saint-Leu-Saint-Gilles), Alexis Chauvet (organiste de La Trinité), Théodore Dubois (organiste de La Madeleine), César Franck (organiste de Sainte-Clotilde), Alexandre Lafitte (maître de chapelle de Saint-Nicolas-des-Champs), Justin Navay (maître de chapelle de Saint-Pierre de Montrouge) et Eugène Vast (organiste de Saint-Germain-l'Auxerrois). Cet orgue neuf est l'oeuvre des facteurs Peschard et Barker qui l'ont construit en 1869 dans cette nouvelle église tout juste achevée. Titulaire de cet instrument, avant sa première restauration par Merklin (1891), puis par Gutschenritter (1934) et Beuchet-Debierre (1950) et qui sera touché par Jean Langlais (1934), puis Jean-Jacques Grunenwald (1955), il n'a guère le loisir de le jouer longtemps : durant la Commune, le 12 mai 1871, de violents combats entre les Communards réfugiés dans cette église et l'armée régulière font d'importants dégâts, en particulier à l'orgue. Devenu injouable, ce n'est que vingt ans plus tard, avec la reconstruction de Merklin qu'il peut résonner à nouveau.
C'est probablement au cours de ses fonctions d'organiste qu'il compose quelques œuvres de musique religieuse, parmi lesquelles un Kyrie et un Benedictus qui seront chantés lors de ses propres obsèques, ainsi que des pages pour orgue dont on sait qu'un « fort beau motif » est interprété bien plus tard, le mardi 20 mars 1888, par Victor Sieg à l'orgue de l'église Notre-Dame-de-Clignancourt (Paris XVIIIe) pour les obsèques de Louis Hanoyé, adjoint au maire du XVIIIe arrondissement.
En juillet 1870, peu après sa nomination à Saint-Pierre-de-Montouge, ayant tout juste fêté ses 16 ans, Léon Ehrhart obtient au Conservatoire un 2e accessit de contrepoint et de fugue dans la classe de Reber et la même année un 1er prix d' orgue dans la celle de François Benoist. Henri Reber, son professeur de fugue et de composition, alsacien originaire également de Mulhouse, membre de l' Institut, inspecteur des conservatoires, qui avait succédé à Halévy en 1862 dans sa classe de composition, le mène au concours de composition de l' Institut, où il se présente la première fois en 1872, tout juste âgé de 18 ans, aux côtés de Gaston Salveyre, Henri Dallier, Alfred Pilot et Jules Arnoud. La cantate Calypso, sur un texte de Victor Roussy, lui vaut un premier Second Grand Prix, le premier Premier Grand Prix étant remporté par Gaston Salveyre. Il concourt à nouveau vainement l' année suivante en même temps que Paul Véronge de la Nux, Antonin Marmontel, André Wormser, Paul Hillemacher (1er Second Grand Prix) et Paul Puget (1er Premier Grand Prix) avec la cantate Mazeppa, sur un texte de Thémines de Lauzières. En 1874, cette fois-ci le sujet proposé, Acis et Galatée, sur des paroles de Jules Adenis, lui permet enfin de remporter le 1er Premier Grand Prix. Il a cette année pour concurrents Paul Véronge de la Nux (1er Second Grand Prix), André Wormser (mention), Eugène Pop-Méarini et Paul Hillemacher. Un compte-rendu de l'exécution des cantates, le 3 juillet 1874 au Conservatoire et le lendemain à l'Institut, devant un jury constitué d'Ambroise Thomas (président), H. Reber, F. David, Massé, F. Bazin, Massenet, Vaucorbeil (au Conservatoire) et de tous les membres de l'Académie des Beaux-arts présents au concours définitif (à l'Institut) nous livre quelques détails :
« Nous avons le grand regret de ne pouvoir rendre compte des cantates de concours pour le prix de Rome, la presse même spéciale n'ayant pas été convoquée à l'Institut, au contraire. Nous comprenons le huis clos appliqué au concours préalable du Conservatoire, où le jury, tout musical, se recueille et recherche tous les moyens de se dérober aux moindres influences. Mais une fois le premier, jugement porté, on se demande la raison du second huis clos en ce qui concerne la presse. On admet bien à l'Institut quelques amis des concurrents et de leurs interprètes, mais pas le vrai public, et encore moins les journalistes. Pourquoi?
Le grand prix ainsi décerné perd beaucoup de son éclat et même de sa valeur, car on prive sans raison les concurrents malheureux des bravos que peuvent mériter certaines parties de leurs cantates.
Une autre observation que nous nous permettons de faire de partage, avec M. Thémines, de l'Art musical : Pourquoi n'exécute-t-on pas les cantates avec orchestre, puisque le règlement exige qu'elles soient orchestrées? Une bonne instrumentation ne doit-elle pas compter et pour beaucoup dans les mérites d'une cantate de concours pour le grand prix ?
On nous répondra qu'un orchestre entraîne à sa suite des frais assez considérables. Eh bien, si le ministère des beaux-arts de France ne peut appliquer annuellement 2,000 francs supplémentaires au prix de Rome, que le Conservatoire prête à l'Institut son jeune orchestre si bien discipliné par M. Deldevez. Il suffira et sera même un attrait de plus.
A part les observations qui précèdent, empressons-nous de déclarer que, de l'avis même des concurrents de M. Ehrhart, le grand prix a été parfaitement jugé et décerné ; que la cantate du nouveau prix de Rome est une œuvre écrite déjà de main de maître et qu'elle révèle un compositeur d'avenir. On nous dit aussi que la cantate du second prix, M. Véronge de la Nux renferme une seconde partie remarquable, et qu'enfin la mention obtenue cette année par M. Wormser, comme elle le fut, l'an dernier, par M. Antonin Marmontel, est d'un bon augure pour la prochaine cantate de M. Wormser. Et, en effet, les quatorze voix qui viennent d'être données à M. Antonin Marmontel ne prouvent-elles pas qu'avec une interprétation moins accidentée, sa cantate arrivait aux honneurs partagés du second prix? Malheureusement, on le sait, Mlle Mauduit et le ténor Sylva durent être remplacés à la dernière heure par Mlle Ducasse et Roger. Or, la voix de Roger s'est trouvée absolument empêchée le jour de l'exécution par un enrouement subit. Plus heureuse, Mlle Ducasse s'est habilement tirée du tour de force qui lui incombait. [Marc] Bonnehée s'est fait applaudir dans cette cantate, éprouvée tout d'abord par une grave indisposition de son jeune auteur.
Au nombre des jeunes cantatrices remarquées dans le concours des cantates, on signale, d'une part, Mme Fursch-Madié et sa belle voix, de l'autre, Mlle Chapuy et son intelligente diction, si intelligente que l'un des membres du jury, M. Camille Saint-Saëns, nous disait le lendemain : « Voilà l'artiste qu'il me faudrait pour créer mon opéra le Timbre d'argent. »
(in Le Ménestrel, 12 juillet 1874)
A cette époque Léon Ehrhart a déjà écrit un prologue musical La Muse populaire pour l' inauguration du Théâtre du Châtelet transformé en Théâtre lyrique et une Suite d'orchestre : Prélude et Intermezzo (janvier 1874). Au début du mois de janvier 1875, il se rend dans la ville éternelle, où il arrive le 28 janvier. Durant son séjour à la Villa Médicis il compose des « Fragments symphoniques », qui seront exécutés le 23 mai 1876 à la séance d'audition des Envois de Rome au Conservatoire de Paris, travaille ardemment à la composition d' un grand oratorio et d' un opéra-comique intitulé Maître Martin. Alors qu' il achève à peine l' écriture de cette œuvre, il décide de quitter Rome durant quelque temps pour des raisons de santé... ; Arthur Pougin, l' un de ses rares biographes au XIXe siècle, rapporte cet épisode tragique :
Vers le mois de septembre 1875, craignant, vu sa complexion délicate, d'être exposé aux fièvres qui sévissent souvent à Rome pendant l'automne, il s' éloigna de cette ville et se rendit à Venise. L' infortuné n' avait fui un danger que pour tomber dans un autre; à peine était-il installé à Venise, qu'il y fut pris par les fièvres des lagunes. Ne voulant pas rester, seul et malade, dans une ville ou il ne connaissait personne et où il ne saurait comment se faire soigner, Ehrhart, malgré son état de souffrance, prit le chemin de fer pour retourner à Rome. Hélas ! il n' eut même pas le temps d' y arriver. Pendant ce court voyage, le mal fit des progrès d' une rapidité effroyable, des progrès tels qu' Ehrhart fut obligé de s'arrêter à Porretta, petit pays situé près de Florence, et qu' il mourut là, à l'âge de 21 ans, le lundi 4 octobre 1875.
(in le supplément (1878-1880) de la Biographie universelle des musiciens de Fétis)
Le quotidien Le Gaulois, dans son édition du vendredi 15 octobre 1875, nous livre quant à lui un récit plus détaillé de ce douloureux événement :
Une lettre de Rome du samedi 9 octobre, nous donne de tristes détails sur la fin prématurée d'un jeune pensionnaire de l' Académie de France, M. Léon Ehrhart, mort le 4 de ce mois, au moment où le train de Bologne à Florence allait arriver à Parretta :
« M. Léon Ehrhart revenait avec un de ses camarades, M. Lambert, d'un voyage d'art et de plaisir qu'ils venaient, de faire ensemble à Venise et à Bologne. Ils se rendaient à Florence. Tout à coup M. Ehrhart s'affaissa sur son compagnon qui le crut endormi. On entrait sous un tunnel. Sentant une pression assez forte sur son épaule, M. Lambert essaye de relever son ami ; mais le corps retombait lourdement sur lui-même. Enfin la lumière réparait. M. Lambert et ses compagnons de route comprennent de suite, à des symptômes trop certains, que le pauvre jeune homme est mort. Il s'agissait de s'arrêter à la plus prochaine station, qui était à une heure du point où ils se trouvaient en ce moment. On s'arrête enfin. C'était Porretta. Aussitôt la catastrophe déclarée, les employés de la gare, n'ont qu'une idée : un crime a été commis ; M. Lambert est mis en état de suspicion! Il a beau dire son nom, sa qualité, celle de son camarade, rien n'y fait. Cependant on avait déposé le pauvre mort sur une des banquettes de la salle d'attente. M. Lambert songea alors à tirer de sa poche et à montrer le passeport diplomatique sur lequel leurs noms étaient inscrits. Tout aussitôt le chef de gare, les agents de la police, tous se confondent en excuses ; M. Lambert est rendu à ses devoirs d'amitié. Il retourne à son cher camarade, laissé seul, et veille sur lui jusqu'au lendemain.
« Arrivent alors deux pensionnaires de l'Académie de France, envoyés par le directeur pour lui prêter assistance. Les honneurs funèbres sont rendus au mort, à l'église et au cimetière, en présence des autorités de la petite ville, des jeunes gens, des employés de la gare, qui ont assisté avec recueillement et une émotion véritable à ces tristes cérémonies. M. Léon Ehrhart avait obtenu, comme compositeur de musique, le grand prix de Rome, il y a deux ans. Aussi les musiciens de la ville ont-ils voulu suivre le deuil en exécutant une marche funèbre. Rien de plus touchant que ce simple cortège, si cruellement improvisé par la mort. Aux quatre coins du cercueil on avait attaché (suivant la coutume du pays) des vers italiens rappelant les noms, les qualités et la triste fin du jeune homme.
« M Léon Ehrhart avait vingt et un ans à peine. Elève de MM. Reber et Ambroise Thomas, grand prix de composition, doué d'un talent naturel et brillant, il semblait appelé à la plus heureuse destinée. Sa pauvre mère, qui, au moment où je vous écris, sait déjà, hélas qu elle n'a a plus de fils, ne trouvera de consolations, si elles sont possibles, que dans le témoignage unanime des regrets sympathiques et des afflictions fraternelles dont l'Académie de France à Rome est en ce moment le siège et l'écho. Un service funèbre doit être célébré lundi prochain dans l'église Saint-Louis-des-Français.
« 0 jeune musicien, dit l'inscription poétique placée sur le cercueil, puisse le son des harpes angéliques réjouir ton âme dans l'éternité! »
Un autre courrier daté de Rome, le 15 octobre 1875, de la main même de Marcel Lambert, diplômé des Beaux-arts (1865), premier Grand Prix de Rome d'architecture (1873), camarade et témoin direct de la mort d'Ehrart, adressée à Henri Maréchal, lui-même premier Grand Prix de Rome de composition musicale (1870), nous donne encore davantage de précisions :
Rome, 15 octobre 1875
Mon Cher Maréchal,
Vous avez dû être frappé du malheur qui termina notre voyage si bien commencé à Florence et si bien continué à Brescia en votre compagnie. Je ne puis, pour moi, y penser sans qu'un tremblement me prenne. En effet, je me rappelle nos adieux à Brescia et combien vous étiez heureux d'avoir fait si particulièrement connaissance avec ce pauvre Ehrhart. Vous aviez pu constater comme moi que rien n'indiquait une affection grave ; il était plus gaillard que nous à la marche, mangeait comme quatre et riait volontiers des bonnes histoires que vous racontiez... pourtant, il est mort!...
J'ai déjà envoyé à sa pauvre mère des détails très précis. Cette lettre m'a coûté beaucoup, car je suis à peine remis de l'émotion que j'ai éprouvée. Permettez-moi donc d'être un peu bref. Je vous assure qu'il m'est très pénible de revenir sur ce triste événement !
Ce n'est qu'à Venise que le pauvre garçon se plaignit : il disait que l' humidité ne lui était pas propice ; il souffrait de douleurs dans la poitrine, et les six derniers jours de notre séjour dans cette ville il mangea fort peu. Il n'avait pas confiance au docteur que nous vîmes. .Moi. je croyais à une bronchite qui n'arrivait pas à se déclarer, Gabriel Ferrier le croyait poitrinaire. Maintenant, en me rappelant bien tous les détails, je suis persuadé qu'il lui est survenu une nuit une hémorragie. Il me dissimula cet accident en le mettant sur le compte d'une indigestion. C'est du reste depuis cette nuit qu'il fut plus mal en train. On le sentait frappé de quelque chose ! Il me dit un jour que son père était mort d'une maladie nerveuse ; une autre fois il me dit qu'il me donnerait des lettres pour sa mère, etc., etc. Toutes ces choses prouvent bien qu'il était impressionné par quelque souvenir ou quelque appréhension et cela a peut-être hâté sa fin de ne pas s'en être ouvert carrément, du moins. je le crois, car on aurait peut-être pu le remonter.
Enfin, les deux derniers jours avant notre départ, il fut plus gai, saut par intervalles, quand des oppressions dans la poitrine le prenaient. Il eut aussi plus d'appétit ; aussi nous décidâmes de partir.
Je croyais toujours à une bronchite.
Nous devions coucher à Florence. Il fut gai dans le train. A Bologne, nous achetâmes un poulet dont il mangea la moitié avec du pain et but du vin.
Comme je me disposais à dormir à l'approche de la nuit, il m'offrit sa place de coin. Je refusai et l'engageai à dormir. — « Non. dit-il. je vais travailler à mes envois. »
Alors il se passa un certain temps que je ne puis apprécier et je sentis ses jambes dans les miennes. Je crus à une plaisanterie et le repoussai ; mais je sentis alors une certaine raideur ; je me levai en sursaut ; il tomba de la banquette en étendant les bras. Je le relevai en appelant au secours ; mais en l'espace de quelques secondes, il soupira trois fois ; sa figure et ses membres se contractèrent tellement que je pressentis la mort : en effet, le pauvre garçon était mort!...
Inutile de vous dire mon émotion ! Je ne savais ce que j'allais devenir ! Enfin, à la gare de Porreta, on le descendit, et alors commença pour moi une série d'ennuis de toutes sortes. On se crut sur la piste d'un crime.
On me surveilla jusqu'au lendemain midi. Le préfet vint et après quelques questions et sur la vue de mon passeport diplomatique. on me fit presque des excuses en se mettant à ma disposition.
Je fus enfin heureux de l'arrivée de deux camarades qui m'aidèrent à lui rendre les derniers devoirs. Encore tout n'alla pas sans encombre, le curé ne voulant pas l'enterrer dans le cimetière sous prétexte qu'on ne savait pas à quelle religion il appartenait !... Pourtant tout se passa très décemment, mais la cérémonie religieuse n'eut lieu qu'après l'inhumation et après notre départ, quand le directeur eut télégraphié pour spécifier sa religion.
Cela me fait quelque chose de reparler de ce triste événement ! Voyager deux mois d'une manière très agréable avec un garçon, se lier avec lui très sérieusement et le voir mourir subitement entre vos bras. . . comme cela. . . c'est pénible ! J'en ai encore pour quelque temps à avoir les nerfs malades !
Nous avons expédié à sa pauvre mère tous ses papiers et sa musique manuscrite...
C'était peut-être l'étoffe d'un grand homme !...
Enfin, il faut se faire à cette idée que peut-être nous travaillons sans être appelés à produire et que nous pouvons être arrêtés par la mort.
Mon cher ami, assez sur ce triste sujet. Souhaitez le bonjour aux camarades que vous pouvez rencontrer, à Lafrance et autres. Je ne vous dis pas à bientôt, à moins qu'avec votre caractère voyageur vous ne veniez d'ici peu à Rome; mais, en tous cas, j'espère renouer connaissance avec vous à Paris d'ici à deux ans...
Croyez-moi votre tout dévoué.
Marcel Lambert.
Avec la publication de cette lettre dans le journal musical Le Ménestrel, édition du 8 novembre 1913, Maréchal ajoute ces commentaires :
« Plusieurs années après ce dramatique événement, Lambert en reparlait encore avec une émotion poignante. Ce qu'il ne pouvait dire en sa lettre, déjà longue, je l'avais en partie deviné, étant fréquemment passé à Porretta dans les allées et venues de Bologne à Florence par cet extraordinaire chemin de fer stratégique qui relie les deux villes.
Dans l'une de celles-ci, la mort rapide, imprévue d'Ehrhart eût été déjà fort grave de conséquences pour son compagnon de voyage. Survenant à peu près à l'extrême sommet de l'Apennin, dans une petite ville perdue de trois mille habitants à peine, elle devait nécessairement se compliquer de formalités administratives d'extrême lenteur.
C'est ainsi que Lambert dut passer toute la nuit enfermé dans la salle d'attente des troisièmes classes de la petite gare, avec le cadavre de notre camarade étendu sur une banquette et gardé à vue par les carabiniers. Ce ne fut que le lendemain, assez tard dans la matinée, que les autorités, après bien des négociations (télégramme à Rome, démarche du Directeur de l'Académie auprès de l'Ambassadeur de France, visite de celui-ci au Ministre des Affaires étrangères, communication de ce dernier à son collègue de l'Intérieur) que les ordres, expédiés aussi rapidement que possible, parvinrent au Préfet à Bologne et lui permirent de faire remettre Lambert en liberté.
On a lu la suite du drame qui se reconstitue de lui-même ; et, puisque Marcel Lambert [1847-1928] en fut l'unique témoin, et qu'il n'a pas encore été présenté au lecteur, il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici qu'à son retour d'Italie il ne tarda pas à attacher son nom à d'importants travaux d'abord comme collaborateur de Lefuel au Louvre et aux Tuileries, et qu'il devint architecte en chef des monuments historiques pour, en 1888, être nommé au Palais de Versailles.
En outre, Marcel Lambert publia en collaboration avec Philippe Gille un curieux livre : Versailles et les deux Trianons [Tours, A. Mame, 1899, 2 vol.] ; enfin, comme sculpteur, plusieurs œuvres de lui furent couronnées et, devant une aussi brillante carrière, on ne peut songer sans mélancolie à celle qui attendait Ehrhart disparaissant à vingt et un ans sans avoir pu balbutier les premiers mots d'un art pour lequel, lui aussi, paraissait si bien doué ! »
C'est le 11 octobre que fut célébré ce service funèbre à Saint-Louis-des-Français : « L'église était pleine. Les élèves et le personnel de l'Académie de France, ainsi que celui de l'ambassade et de la légation étaient présents. » Au début de l'année 1876, la dépouille du pauvre Ehrhart put être rapatriée aux frais du Ministère des Beaux-arts et le jeudi 23 mars ses obsèques ont enfin lieu en l'église de la Madeleine (Paris VIIIe). Saint-Saëns est alors titulaire du grand-orgue, François Manson celui de l'orgue de choeur et Théodore Dubois le maître de chapelle :
« La maîtrise de la Madeleine, sous la direction de M. Th. Dubois a fait entendre un Kyrie et un Benedictus du jeune maître que l'on pleurait. Le Kyrie surtout a paru fort remarquable. Un grand nombre de musiciens emplissaient la nef. MM. Ambroise Thomas, Gounod, Reber, Jules Cohen, de Laborde, Heyberger, Massenet, Marmontel, étaient venus rendre hommage au jeune compositeur. » [Le Ménestrel, dimanche 26 mars 1876]
Quant au Petit Journal, il rapporte : « On a exécuté à la Madeleine une messe au défunt, dont le talent de compositeur donnait de belles espérances. » [édition du dimanche 26 mars 1876]
Ensuite, le défunt est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (52e Division, 5e ligne, S, 14) comme nous l'apprend une note du même Ménestrel [2 avril 1876]:
« La ville de Paris, voulant honorer la mémoire de M. Ehrhart, le jeune compositeur, dont les obsèques ont eu lieu à la Madeleine, vient de décider qu'un terrain serait donné à perpétuité, au Père-Lachaise, aux restes mortels du pensionnaire de l'Académie de France à Rome. On ne saurait trop féliciter la ville de Paris de cette honorable initiative, mais comment la même pensée ne lui est-elle venue depuis longtemps déjà en l'honneur d'Auber, l'une de nos gloires française ? »
Est-il besoin d'ajouter que Léon Ehrhart, musicien si doué à l' avenir prometteur, est totalement retombé dans l' oubli et que son nom même est inconnu des biographes du XXe siècle ?! Cependant, rendons grâce au professeur Paul-Philippe Meyer, directeur de l'Orchestre de l'Université de Haute-Alsace qui a entrepris des recherches afin de tenter de faire revivre son œuvre ; il a ainsi donné en concert, en novembre 2007 au Temple Saint-Etienne de Mulhouse, ses cantates d'essai au concours préparatoire du Prix de Rome Pendant la Tempête (23 mai 1872) et Printemps (21 mai 1874), écrites pour choeur mixte et orchestre, qui par ailleurs ont été restituées par le compositeur Pierre Thilloy et rééditées aux Editions Musicales de La Salamandre, dont ce dernier est le directeur artistique.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
(janvier 2016)La mort de Léon EHRHART
L'annonce du décès d'un pensionnaire de l'Académie de France à Rome va susciter une nombreuse correspondance pour son directeur, le peintre Eugène Lenepveu1 . A cette occasion, nous dit l'historien François Fossier2, "il apporta beaucoup de sollicitude au rapatriement du corps du pensionnaire musicien Ehrhart, mort d’une rupture d’anévrisme en Émilie."
Dans le certificat officiel en date du 12 février 1876, transmis à la Villa Médicis, le docteur Roberto Magnanelli, qui constata le décès, déclare que "la maladie dont souffrait le pensionnaire était un anévrisme à la paroi postérieure de l'arc de l'aorte, et dont la rupture fut l'unique et indubitable cause de la mort, survenue le soir du 4 octobre dans cette gare ferroviaire de Porretta." Station thermale réputée sur la commune de Casio Casola, Porretta se situe aux alentours de Vergato, province de Bologne en Emilie, et à quelque 200 km de Venise d'où s'était embarqué, déjà souffrant, le malheureux musicien. Léon Ehrhart a donc succombé à une hémorragie interne fatale.
S'est associé spontanément au deuil qui vient de frapper la Villa Médicis, l'Ambassadeur de France auprès du Saint-Siège ; il aura la délicate attention d'ordonner un service à la paroisse française de Rome, Saint-Louis-des-Français. Initiative qui entraîne la protestation de la paroisse Sant' Andrea delle Fratte dont dépend la Villa. Courtoisement, le directeur Lenepveu s'empresse de préciser qu'à Saint-Louis, n'a été célébré qu'un service du souvenir à la seule initiative de notre Ambassadeur auprès du Saint-Siège et qu'en fait, les obsèques avaient eu lieu à Porretta, là où la mort avait frappé le jeune pensionnaire.
Comme Lenepveu l'avait promis à Madame Ehrhart, le souvenir de son fils sera préservé en cette église même de Saint-Louis-des-Français par un monument, qui se réduira en fait à une plaque commémorative3.
Au-delà des condoléances officielles, il y a l'émotion sincère - la correspondance en fait foi - devant cet événement douloureux, mais déjà survenu avec les décès à Rome des pensionnaires Maréchal (1847) et Bonnardel (1856), tous deux sculpteurs, la disparition brutale d'un jeune artiste qui "avait déjà fourni des preuves d'un talent réel" comme l'écrit le ministre H. Wallon. Entendant satisfaire à la demande de Mme Thérèse Ehrhart, soucieuse du retour en France du corps de son fils, le ministère va charger Lenepveu d'organiser ce rapatriement. Selon un arrêté de Paris en date du 20 mars 1876, un mandat ordonnancé en son nom viendra rembourser les frais globaux s'élevant à 2124 Francs.
Hommage parisien
C'est ainsi qu'après avoir été inhumée provisoirement en Emilie, au cimetière de Porreta, la dépouille de Léon Ehrhart effectuera son ultime voyage "dans un cercueil de zinc et de bois", nous dit-on, vers la France où l'attend, quelque six mois après son décès, l'hommage du Ministère des Beaux-Arts, lequel tient à faire savoir publiquement et très précisément son rôle:
"Vous êtes prié d'assister aux Convoi, Service et Enterrement de Monsieur Léon Ehrhart, pensionnaire de l'Académie de France à Rome, mort subitement à Poretta, près de Florence, le 4 octobre 1875 dans sa 21ème année et dont les restes mortels ont été transportés en France par les soins et aux frais du Ministère des Beaux-Arts.
Les obsèques auront lieu en l'église de la Madeleine le jeudi 23 mars 1876 à 11 h très précises. On se réunira à l'église.
De Profundis.
De la part de Madame Vve Ehrhart, sa mère, de sa famille et de tous ses Amis.
Paris, le 17 mars 1876."Ce faire-part, rédigé au nom de sa mère, Mme Veuve Ehrhart, a pris place dans les archives retrouvées par les soins du professeur Paul-Philippe Meyer4, directeur de l'orchestre de l'Université de Haute-Alsace. Alors que la trace d'Ehrhart semblait s'être à jamais effacée dans sa ville natale de Mulhouse, le 10 novembre 2007, le chœur de l'U.H.A sous sa direction a fait entendre avec succès au Temple Saint-Etienne Pendant la Tempête et Printemps. Il s'agit là des cantates d'essai au Prix de Rome, auquel Léon Ehrhart s'était présenté à plusieurs reprises avant son obtention en 1874 ; elles font parties des manuscrits que le professeur Meyer a été amené à découvrir à la Bibliothèque Nationale de France5.
Au cours de ce concert, où l'on a pu entendre pour la première fois les oeuvres d'Ehrhart, était également au programme l'oratorio Gallia de Charles Gounod, membre de l'Académie des Beaux-Arts sous le directorat de Lenepveu. Composé pour l'ouverture de l'Exposition Internationale de 1871 à Londres, Gallia été donné une première fois à Mulhouse le 23 novembre 1889. Saluons au passage ce bel acte de courage de la part de Gounod qui osa faire entendre, dans une Alsace allemande, son texte français évoquant clairement les événements de 1870 et leurs conséquences !
Au XXe siècle, le compositeur et maître de chapelle de la Madeleine, Joachim Havard de la Montagne, fut l'un des premiers à redonner en concert Gallia. C'était le 22 mars 1983 à l'église de la Madeleine, là même où avaient été célébrées en 1876 les obsèques françaises6 de Léon Ehrhart.
France Ferran
____________1) Eugène Lenepveu (1819-1898) directeur de la Villa Médicis de 1873 à 1878, Grand Prix de Rome de peinture en 1847. Sa plus belle réalisation est le plafond de l'Opéra Garnier qui dut céder sa place en 1964 à celui de Chagall. [ Retour ]
2) On doit à François Fossier, professeur d'Histoire de l'Art contemporain à l'Université Lyon 2, l'édition de la correspondance des Directeurs de l'Académie de France à Rome, mise en ligne depuis mars 2007, celle de J.E. Lenepveu, constituant le tome XI.
(http://www.bibliotheque-institutdefrance.fr/actualites/Corr.dir.Villa.Medicis.html) [ Retour ]3) Rapporté dans un article du Dr M.Mutterer, consacré à Ehrhart, in le "Bulletin du Musée Historique de Mulhouse", année 1929 : A l'église Saint-Louis des Français de Rome, dans la cinquième chapelle de droite, faisant face à celle où se trouvent les fresques célèbres du Caravage représentant des scènes de la vie de Saint Matthieu, on voit dans le mur une plaque de marbre portant l'inscription suivante : " A la mémoire de Léon Ehrhart, musicien-compositeur, Grand Prix 1874, né à Mulhouse en 1854, mort à Porretta le 4 octobre1875". [ Retour ]
4) Paul-Philippe Meyer, professeur agrégé en musicologie et histoire culturelle, directeur de l'Orchestre et du Chœur de l'UHA, membre du CRESAT (Centre de Recherches sur les Economies, les Sociétés, les Arts et les Techniques), laboratoire de recherches basé à l'UHA à qui nous devons de précieuses informations sur Ehrhart. [ Retour ]
5) Relevés détaillés dus à Paul-Philippe Meyer, concernant les manuscrits, conservés à la BNF, rue de Louvois, Paris :
MS 7066 : regroupe la Cantate Pendant la tempête pour chœur mixte et orchestre, datée du 23 mai 1872, et Calypso, datée du 21 juin 1872.
MS 6378 : Suite d'orchestre : n°1 Prélude (80 mesures) - n°2 Intermezzo (env. 180 mesures), datée du 10 janvier 1874.
MS 7065 : en première page, le faire-part des obsèques parisiennes (voir infra). Puis, la Fugue à 4 parties, datée du 20 mai 1872, la cantate Printemps pour chœur mixte et orchestre, datée du 21 mai 1874, et enfin Acis et Galatée (210 pages), datée du 24 juin 1874. [ Retour ]6) Dans le faire-part de décès, il est question d'assister également à l'enterrement qui dut se faire dans un cimetière parisien. C'était, nous précise P.P. Meyer, peu de temps après les événements de la guerre de 1870, l'Allemagne avait laissé aux Alsaciens jusqu'en 1872 le choix de garder la nationalité française et de quitter le territoire alsacien ou de rester en Alsace et devenir allemand. Ceci n'a pas empêché certains Français de rester en Alsace avec des autorisations, notamment des industriels. Dans le cas de Léon Ehrhart, il n'avait pas trop le choix. En effet pour devenir Prix de Rome, il fallait être français, d'autre part il échappait aux obligations du Service militaire à effectuer sous le drapeau allemand. [ Retour ]
1875
André Wormser (1851-1926), élève de Marmontel et de Bazin au Conservatoire de Paris, Grand Prix de Rome en 1875 avec la cantate Clytemnestre. Son plus grand succès fut la pantomine L'Enfant prodigue, donnée à Paris le 14 juin 1890. On lui doit également d'autres oeuvres scéniques (ballets, opérettes, vaudevilles...), des symphonies, des choeurs, des mélodies et des pages pour piano. Photographié ici en 1903 lors du premier Concours Diémer.
( photo X..., Musica, mai 1912 )Signature autographe (DR.)
Affiche pour L'enfant prodigue d'André Wormser, dans le hall de l'École de musique Schulich (pavillon Strathcona) faculté de musique de l'Université McGill à Montréal.
(photo Michel Baron, avril 2017) DR.
André Wormser, Tristesse, poésie d'Alfred de Musset, pour baryton ou mezzo-soprano et piano, dédicace "à Monsieur L. Lauwers", baryton belge
( Paris, Théodore Michaëlis, éditeur, 45 rue Maubeuge/coll. Biblioteca Nacional de Espana )
Fichier audio par Max Méreaux avec transcription pour clarinette et piano (DR.)
1876 Paul et Lucien Hillemacher, Soupir, mélodie pour voix et piano, poésie de Sully-Prud’homme, dédicacée « A Jules Massenet » (Paris, A. Leduc, 1898), transcription pour clarinette et piano, et fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Paul et Lucien Hillemacher, Ici-bas, mélodie pour voix et piano, poésie de Sully-Prud’homme, dédicacée « A Madame Vital » (Paris, A. Leduc, 1885), transcription pour clarinette et piano, et fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Paul VÉRONGE DE LA NUX (1853-1928)
Marc Véronge la Nux, père de Paul (portrait in Album de Taverny, 20 pièces pour piano par L. Julien Rousseau, dédicacé "A la mémoire de Marc de la Nux, mon vénéré maître") Né à Fontainebleau (Seine-et-Marne), le 29 juin 1853, où son père était domicilié momentanément, Paul Véronge de la Nux est issu d’une vielle famille française de Gascogne installée à Paris au XVIIe siècle, puis au début du siècle suivant à l'Ile Bourbon (La Réunion). C'est Jean-Baptiste-François de Lanux, né en 1702 à Paris, décédé le 23 décembre 1772 à Saint-Paul (La Réunion), fils de Henry-François de Lanux (1670-1737), valet de chambre ordinaire de Marie-Adélaïde de Savoie puis de Marie Leszczynska, qui s'installa dans cette île vers 1722.
« Adonné à l'astronomie et à toutes choses de l'esprit », il fut élu correspondant de l'Académie des Sciences de l'Institut de France et laissa une nombreuse descendance toujours représentée de nos jours, parmi laquelle figurent les poètes Evariste de Parny (1753-1914) et Leconte de Lisle (1818-1894), et Paul Véronge de la Nux. Le père de ce dernier, Marc Véronge de la Nux (1830-1914), né à Saint-Denis (La Réunion), sans doute sous l'impulsion de sa mère « maîtresse de musique » à La Réunion, étudia le piano au Conservatoire national supérieur de musique de Paris où il décrocha un accessit en 1847, avant de se perfectionner auprès de Thalberg et de Liszt. Il se livra ensuite à l’enseignement de son instrument et eut notamment pour élèves : la princesse Hélène Bibesco, Marguerite Dauphin (future Madame Adolphe Boschot) et André Gide lorsqu'il fréquentait la pension Keller à Paris où il était entré en 1886 pour 18 mois. L'on sait, que celui-ci continua d'étudier le piano auprès de son maître jusqu'en 1891 et conserva toute sa vie pour lui une grande affection ; il le fit revivre sous les traits d'Edouard La Pérouse dans son roman Les Faux-monnayeurs. Excellent pianiste, Gide hésita d'ailleurs un temps entre la carrière de pianiste et celle d'écrivain.
Paul Véronge de la Nux au début des années 1900 ( photo X... ) Hyacinthe-Evariste Véronge de Lanux, frère de Marc, entreprit également des études musicales au Conservatoire de Paris, mais la mort l'enleva fort jeune, le 3 septembre 1850.
Paul Véronge de la Nux reçut de son père ses premières leçons de musique, puis, à son tour rejoignit le Conservatoire de Paris à l’époque où Ambroise Thomas venait de succéder à François Auber à la tête de ce vénérable établissement. Premier accessit d'harmonie et accompagnement en 1870, deuxième accessit de piano la même année dans la classe de Georges Mathias et premier prix de contrepoint et fugue en 1872 dans celle de François Bazin, il se présenta en 1874 au concours de composition de l’Institut (Prix de Rome). Il fut récompensé par un premier Second Grand Prix, derrière Léon Ehrhart, avec la cantate Acis et Galatée sur des paroles d’Eugène Adanis. L'année suivante, à nouveau candidat, sa scène lyrique Clytemnestre, sur des paroles de Roger Ballu, ne fut pas primée. C'est André Wormser qui remportait le Grand Prix et Amédée Dutacq une mention honorable, les autres candidats non récompensés étant Eugène Méarini dit Pop (futur alto à l'Opéra-Comique), Antonin Marmontel et Paul Hillemacher. Enfin, en 1876 il décrochait un Premier Grand Prix, deuxième nommé derrière Hillemacher, avec la cantate Judith, sur des paroles de Paul Alexandre. A cette époque, il était déjà accompagnateur au Théâtre de la Renaissance.
Paul Véronge de la Nux, Berceuse, mélodie sur des paroles d'Augustine Brohan ( Paris, 1885, Imprimerie E. Delanchy & Cie/ coll. BnF )
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avec transcription pour clarinette de la partie vocale (DR.)
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Après le traditionnel séjour à la Villa Médicis réservé aux Grands Prix de Rome, qu'il effectua de janvier 1877 au 31 décembre 1880, notre musicien reprit ses activités au Théâtre de la Renaissance comme chef de chant. Situé au numéro 20 du boulevard Saint-Martin, à Paris, cette salle de spectacle avait été construite en 1873 par l’architecte Lalande. On y donnait des petites opérettes de Charles Lecocq : Giroflé-Girofla (11 novembre 1874), La Petite Mariée (21 décembre 1875), La Marjolaine (3 février 1877), Le Petit Duc (20 novembre 1878) ou d’Offenbach : Belle Lurette (1880). Sarah Bernhardt en assura la direction de 1893 à 1899, puis Lucien Guitry à partir de 1903. C’est là que furent créés Crainquebille d’Anatole France, Lorenzaccio d’Alfred de Musset et la Ville Morte de d’Annunzio.
En 1903, il était nommé Inspecteur de l'enseignement musical, en remplacement de Gustave Canoby, lui-même nommé bibliothécaire du Ministère de l'Instruction publique. Admis à la retraite en 1925, il sera à son remplacé par Paul Vidal.
Paul Véronge de la Nux est connu pour ses mélodies éditées à Paris en 1882 chez Henry Lemoine, sous le titre général de Chansons, un volume comprenant 10 morceaux : Un baiser de ta lèvre, chanson espagnole (paroles de Raoul Gineste), Le pâtre, à l'écho des montagnes, chanson écossaise (paroles de G. Chouquet), Quand je viens à ta maison haute, chanson andalouse (paroles d'Emile Blémont), Quand nous nous sommes embrassés, chanson marine (id.), Carmina, ma rose vermeille, chanson d'amour (id.), Savez-vous, les enchanteresses, chanson de Nice (id.), A Valence, chanson de Valence (id.), Il était soyeux et long, chanson d'avril (paroles de Henry d'Erville), Pour vivre je chante, chanson de Bohême (paroles d'A. Adam), Viens, la belle, chanson napolitaine (paroles de Raoul Gineste). On lui doit aussi d'autres pages du même genre : A Sarah Bernhardt, après une représentation de Phèdre, sur un sonnet d'Emile Blémont (en vente aux bureaux de L'Artiste, 16 rue Grange-Batélière à Paris, 1883), Douleur maternelle, sur un sonnet d'Emile Blémont (in L'Artiste, revue de Paris, 1883, II, 89), Tirana, sur une poésie de Louis Viardot (id., 1884, II, 476), Berceuse, paroles d'Augustine Brohan (id., 1885, I, 477), Mélodie, sur une poésie de Douglas Read (id., 1886, II, 313), Farandole (in Le Gaulois à ses abonnés, 1888), Rêverie, paroles d'Emile Blémont (Lemoine, 1892), Rondeau, sur une poésie d'Amédée-Louis Hettich (Leduc, 1909) et Berceuse, pour voix à deux parties, sur des paroles de A. Brohan, in La première année de musique, solfège et chants, par A. Marmontrel (A. Colin, 1886, nombreuse rééditions ultérieures). Mais, il a également abordé d'autres genres musicales : une Suite orientale pour piano à 4 mains : 1 - Danse d'Almée, 2 - Choeur d'Almées (A. Colin, 1893), Trois pièces pour piano : Prélude, Sérénade espagnole, Valse (Lemoine, 1878), une Ouverture symphonique (envoi de Rome, 1878), un Solo de concours pour trombone avec accompagnement de piano (Evette et Schaeffer, 1903), un Morceau de concours pour clarinette et piano (Enoch, 1906)1, une musique de scène comprenant notamment une marche et une pavane pour Isora, drame en 4 actes d'Adolphe Aderer (représenté en 1895 au Théâtre de l'Odéon), et trois opéras : David Rizzio sur un livret italien (envoi de Rome, 1877), Lucréce (envoi de Rome, 1878) et Zaïre, en 2 actes, sur un livret de MM. Edouard Blau et Louise Besson, son principal ouvrage lyrique joué à 10 reprises à l’Opéra de Paris.
Paul Véronge de la Nux, médaillon gravé par A. Lanson en 1883. ( ) DR Lors de la première représentation, le 28 mai 1890, la critique fut partagée. Certains félicitèrent les librettistes d’avoir bien collé à l’action de la tragédie de Voltaire, mais reprochèrent au compositeur une certaine banalité de sa musique, avec l’emploi de « formules rythmiques, mélodiques ou instrumentales les plus familières... » et « de tournures gauches et gênées, dans l’embarras d’une déclamation pénible...» Ils mettaient cela sur le compte de l’inexpérience du compositeur, tout en reconnaissant certaines qualités dans cette œuvre qui laissaient apparaître un talent à venir, notamment la puissance de son orchestration, comme dans la marche bien développée du second acte, et quelques passages émouvants : effet pathétique de la déclamation de Lusignan dans le 1er acte, première entrée de Zaïre après un chœur oriental agréable, duo de Zaïre et Fatime... [Camille Bellaigue, in L'Année musicale, octobre 1889 à octobre 1890]. D'autres, au contraire, apprécièrent d'emblée « son style dramatique et toujours approprié aux situations, la clarté et l'élégance de sa forme musicale, son inspiration mélodique d'un tour habituellement heureux et parfois pittoresque » et reconnaissaient qu'il « s'est révélé musicien de race à qui rien de la technique de son art n'est étranger, très résolu dans l'emploi des procédés modernes et dans les développements symphoniques, avec un persistant souci d'originalité et une instinctive horreur du banal » [Jean Alboize, in L'Artiste, mai 1890]. La soprano Emma Eames (Zaïre), la rivale de Nelly Melba à Londres, et le baryton-basse Jean-François Delmas (Orosmane), créateur en France de plusieurs opéras de Wagner, tenaient les deux rôles principaux.
Chevalier de la Légion d’honneur (reçu le 5 août 1892 par Gounod), Paul Véronge de la Nux est décédé le 6 juin 1928 à Paris 6e. Il avait une sœur aînée, Anaïs-Jeanne, née le 12 janvier 1852 à Paris, décédée le 19 août 1921. « Pianiste fort distinguée », elle eut de son union avec Pierre-Joseph Combret trois enfants dont Pierre Combret de Lanux (1887-1955). Diplomate et homme de lettres, celui-ci fut le secrétaire d'André Gide de 1907 à 1909 et son épouse américaine, Elizabeth Eyre de Lanux (1894-1996), sera une décoratrice et styliste très en vogue à Paris dans les années 1920-1930. Un frère puîné nous est aussi connu par la presse de l'époque qui annonce son décès survenu en mars 1889 : Edouard Véronge de la Nux, « jeune artiste lyrique » âgé de 24 ans. [Le Ménestrel, 17 mars 1889, Le Rappel, 20 mars 1889]
Signature autographe de Paul Véronge de la Nux, mai 1904 ( Coll. D.H.M. ) Denis Havard de la Montagne
1 Enregistré en 1996 par Hervé Cligniez et Cyril Goujon, disque REM 311300 XCD intitulé Le Chant du pâtre, œuvres pour clarinette et piano, avec : Louis Ganne : Le Chant du Pâtre, Léon Delcroix : Sérénade, Ernest Fanelli : Humoresque n° 1, Gabriel Pierné : Canzonetta - Sérénade, Paul Ladmirault : Sonate pour clarinette et piano, Rhapsodie gaélique (extraits) et Georges Marty : Première Fantaisie.
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1877Pas de premier prix
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1878
Clément BROUTIN (1851-1889)
Clément Broutin, La Fille de Jephté, scène lyrique du Concours de Rome de 1878
(Paris, Lemoine, 1878/coll. Bibliothèque Nationale d'Espagne) DR.
Extrait : morceau n° 1B, Air - fichier audio par Max Méreaux (DR.)
Partition au format PDFNé le 4 mai 1851 à Orchies (Nord), Clément-Jules Broutin n’a pas vécu assez longtemps pour marquer de son empreinte l’Histoire de la musique. Peu de renseignements sur cet artiste nous sont parvenus. Son nom et son œuvre sont même inconnus des dictionnaires de musique !
Initié à la musique dès sa plus tendre enfance par son père, Jules Broutin, et son grand-père Crépin Broutin (1782-1862), tous deux professeurs de musique à Orchies, il fut un temps, à partir de 1871, élève d'harmonie de Victor Delannoy (Prix de Rome 1854) au Conservatoire de Lille (1er Prix 1873), avant d'entrer ensuite au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris. Là, il suivit notamment les classes d’harmonie et accompagnement d’Emile Durand, d’orgue de César Franck, et de composition de Victor Massé. Ses études furent récompensées par plusieurs premiers prix : harmonie et accompagnement lors du concours du 14 juillet 1875 de fugue, fugue en 1876 et orgue la même année. Admis à l’épreuve définitive du concours de composition musicale du prix de Rome en 1877, en même temps que cinq autres candidats (Amédée Dutacq, Samuel Rousseau, Claude Blanc, Henri Dallier et Pop-Méarani) l’Académie des Beaux-Arts lui décernait une mention honorable. Cette année là seules deux récompenses furent distribuées : un Second Prix à Claude Blanc et une mention à Broutin. Le sujet de la cantate était Rebecca à la fontaine, scène à trois voix de Pierre Barbier, le fils du célèbre auteur dramatique Jules Barbier.
L’année suivante, Clément Broutin se présentait à nouveau au Concours de Rome : cinq candidats furent admis à l’épreuve finale (Henri Dallier, Samuel Rousseau, Claude Blanc, Clément Broutin et Georges Hue). Le sujet, une scène à trois voix, était cette fois ci La fille de Jephté d’Edouard Guinand, sous-chef au Ministère de la marine. Le 29 juin 1878 le jury de l’Académie des Beaux-Arts, après avoir entendu les cantates des concurrents parmi lesquelles celle de Broutin interprétée par Mlle Mézeray, MM. Talazac et Lorrain, lui décernait à l’unanimité le premier Grand Prix . Lors d’une nouvelle interprétation à la séance annuelle de l’Académie des Beaux-Arts, son œuvre fut vivement applaudie.
Il passait ensuite deux années à la Villa Médicis, en 1879 et 1880. Parmi ses envois de Rome à l’Institut, auxquels rappelons-le étaient tenus les pensionnaires, Clément Broutin adressait un poème symphonique intitulé Sinaï et une Symphonie en 4 parties. Le 22 décembre 1881 dans la salle du Conservatoire eut lieu l’audition publique de cet ouvrage, écrit pour chœur, orchestre et solistes (Melle Mézeray et MM. Lorrain et Jourdain). Le sujet difficile de ce drame biblique fit qu’il fut accueilli assez froidement, bien que la critique d’alors reconnaissait une partition de grande valeur " qui décèle chez son auteur d’excellentes qualités de composition, et surtout un sentiment élevé et une grande intelligence de son sujet."1. Voici ce qu’écrivaient Edouard Noël et Edmond Stoullig , utilisant parfois des termes un peu trop sévères à notre goût :
" L’œuvre de M. Clément Broutin débute par un prélude instrumental attaqué largement par le quatuor. Cette première partie a quelque chose de vague, d’indécis, qui peint bien le Mont Sinaï, l’inconnu. Les hébreux arrivent lentement, épuisés et découragés par trois mois d’exil. Le compositeur a montré dans un chœur un peu faible qu’il savait se servir des voix ; mais il a tort d’employer constamment le même procédé : tous ses chœurs sont écrits en canon. L’air d’Aaron est un des plus beaux morceaux de l’œuvre. Il est soutenu par une belle phrase des violoncelles qui a enlevé les applaudissements de l’auditoire. Nous aimons moins l’air de marie, dont la première partie est cherchée, tourmentée. Marie console Aaron. Il fallait une mélodie simple. M. Broutin a mieux compris son sujet dans la deuxième partie du morceau où se dessine un joli trait de violons. Le duo qui suit : Après tant de souffrances... est bien écrit. La reprise par la soprano de la phrase du ténor est amenée par une rentrée originale. Le mouvement rapide du finale forme un contraste heureux avant l’arrivée de Moïse, qui montre le Sinaï aux Hébreux. Ce morceau et le chœur Chantons l’Eternel sont d’un beau style, large, élevé, accompagnés à grands coups d’archet par les instruments à cordes et à pleine voix par les cuivres. Enfin, voici la dernière scène ; la montagne se couvre d’ombres ; l’orage gronde, des voix célestes appellent Moïse, qui monte au Sinaï au milieu d’éléments déchaînés. M. Broutin n’a pas pu le suivre ; il s’est arrêté à mi-chemin ; on sent que le souffle lui manquait. Il s’est alors contenté d’indiquer ce qu’il voulait faire. La scène se termine par le retour du calme et quelques mesures de musique céleste d’un heureux effet. "
Comble de malchance l’orchestre, faute de répétitions suffisantes, dénaturait la pensée de l’auteur en prenant un mouvement infiniment trop vite !
Peu après son retour de la Villa Médicis (décembre 1880), Clément Broutin partit s'installer en Algérie, à Mustapha, afin d'y enseigner la musique. C'est là qu'il épousa, le 9 mai 1882, une jeune femme alors âgée de 17 ans, Alice Sabatéry, qui lui donna un fils unique : Wilfrid Broutin, né le 2 janvier 1883. Mais, malheureusement la jeune mère mourut 3 trois plus tard, le 6 juillet 1886 ; elle n'avait que 21 ans et sa mère, née à Norwood en Angleterre Alice Dawson, veuve de l'avocat originaire de Grenoble André Sabatéry (1830-1876), mourut de chagrin 5 mois plus tard, le 15 décembre 1886 à 42 ans. De retour en France avec son fils après ces tragédies, Clément Broutin prit la direction du Conservatoire de Roubaix au début de l'année 1887, succédant à son ancien professeur Victor Delannoy, démissionnaire, tout en assurant également la direction de la musique municipale La Grande Harmonie, et celle de l'Union artistique et littéraire de Roubaix-Tourcoing. Mais, il n'eut guère le temps d’exercer ses fonctions, car, à son tour, la mort vint le frapper au bout d'à peine trois années d’exercice, le 27 mai 1889 ; il était alors âgé de 38 ans !
Officier d'Académie, il laisse un drame biblique, Le Veau d'or (1883), des mélodies : Connais-tu l’heure enchanteresse (1881), Berceuse, Chanson de Printemps (Lemoine, 1883), une Mazurka lente pour piano (1883), 2 Pièces pour violon et piano datées de 1886, une Suite pour orchestre (Lemoine) et une Ouverture triomphale (Lemoine). Son catalogue comporte encore une Danse israélite pour orchestre (Lemoine), une Fantaisie militaire pour orchestre d’harmonie (Evette), ainsi que d’autres mélodies (Barcarolle, Vision, 4 Poèmes du Page, Premier souvenir), dont certaines parues chez Leduc, et des pièces pour piano (10 Pièces familières, Lemoine)...
La Ville d’Orchies il y a bien longtemps, a rendu hommage à l'enfant du pays en donnant son nom à l’une de ses rues, mais la plupart de ses quelque 8000 habitants ne savent plus aujourd’hui qu’un des leurs fut un jour couronné par l’Institut de France !
Denis Havard de la Montagne
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(mai 2003, mise à jour : février 2020)1) Edouard Noël et Edmond Stoullig in Les Annales du théâtre et de la musique, septième année, 1881, p. 507 (Paris, 1882, G. Charpentier, éditeur) [ Retour ]
Samuel Rousseau (1853-1904) ( photo P. Petit ) " Grand, droit, l’aspect d’un athlète, les joues rouges, les yeux brillants, les cheveux gommés, étonnamment courts pour un musicien, M. Rousseau appartient à cette jeune école de musiciens parisiens, qui savent goûter beaucoup de choses en dehors de la salle d’étude ", ainsi s’exprimait la journaliste Fannie Edgar Thomas1 lorsqu’elle rencontrait Samuel Rousseau à Ste-Clotilde en 1894. Maître de chapelle dans cette église depuis plusieurs années, à l’époque où César Franck, puis Gabriel Pierné tenaient le grand-orgue, il venait également, dans un tout autre genre, d’être nommé chef d’orchestre du Théâtre-Lyrique et élu chef des chœurs à la Société des Concerts du Conservatoire. Amoureux de l’art sous toutes ses formes (musique, peinture, sculpture), qu’il percevait même dans la nature parmi les parfums et les coloris infinis des fleurs, ce musicien distingué, longtemps collaborateur de César Franck, offre le rare exemple d’un atavisme artistique encore représenté de nos jours. Celui-ci débuta en effet avec son père au début du dix-neuvième siècle et se continua avec son fils Marcel Samuel-Rousseau et sa petite-fille Eveline Plicque-Andréani. Cas unique dans toute l’histoire des Prix de Rome de composition musicale, trois générations successives de cette famille ont obtenu un Grand Prix (1878, 1905 et 1950) !
C’est dans la Thiérache et dans la petite commune de Neuve-Maison (Aisne) à peine peuplée d’un millier d’âmes, que Samuel-Alexandre Rousseau vint au monde le 11 juin 1853, tout juste quelque mois après la proclamation de l’Empire par Napoléon III. Alexandre Rousseau, son père, issu d'une famille de menuisiers, s’était lancé dans la facture d’harmoniums, instrument à anches libres métalliques mis au point en 1842 par François Debain, et équipait les paroisses les plus pauvres n’ayant pas les moyens de se payer un véritable orgue à tuyaux. De nombreux musiciens ont d’ailleurs composé par la suite des pièces spécialement adaptées pour cet instrument : Berlioz, Franck, Saint-Saëns, Boëllmann, Gigout... En 1855, il avait fondé à Paris, Faubourg Saint-Germain, une manufacture d'harmoniums, transférée par la suite rue Schomer. Plus tard, au début des années 1900, la Maison Gilbert (fondée en 1840) lui succédera. Installée 113-115 rue de Vaugirard, cette entreprise était également spécialisée dans la manufacture des orgues.
Initié à la musique par son père, que Samuel accompagnait parfois dans les églises et qui lui donna ce goût pour la musique religieuse, Samuel Rousseau ne tardait pas à intégrer le Conservatoire, alors installé rue Bergère. Avec Paul Wachs et François Thomé, il fut l’un des tout premiers élèves d’orgue de César Franck lorsque celui-ci succéda en janvier 1872 à François Benoist. A cette époque Marmontel y enseignait le piano et Duprato l’harmonie. Récompensé par un second accessit d’orgue en 1872, il obtiendra finalement un premier prix cinq ans plus tard. Egalement élève de composition de François Bazin durant plusieurs années, il se présenta une première fois en 1876 au Concours de composition de l’Institut avec la cantate Judith. Celle-ci ne lui porta guère chance et il n’obtint que le deuxième Second Grand Prix. A nouveau admis à concourir en 1878, cette fois-ci le sujet l’inspira davantage : La Fille de Jephté d’après un texte d’Edouard Guinand2. Il remporta un Grand Prix, juste derrière Clément Broutin, premier nommé. Il partit ainsi effectuer à la Villa Médicis à Rome le traditionnel séjour de 3 années aux frais de l’Institut, comme c’était la coutume pour tous les lauréats du premier Grand Prix. L’année où il regagnait la Ville éternelle (1879) il se voyait à nouveau récompenser par l’Académie des Beaux-Arts avec l’attribution du Prix Cressent pour son opéra comique en un acte Dianora. Le 22 décembre cet ouvrage était représenté à l’Opéra-Comique et il était donné ensuite à 4 reprises. Ses envois de Rome, Sabinus (1880), Kaddir (1881) et La Florentine (1882) furent également exécutés avec succès au Conservatoire3. Revenu à Paris au tout début de l’année 1882, il reprenait son poste d’organiste-accompagnateur à la basilique Ste-Clotilde où il avait été nommé au commencement des années soixante-dix sur recommandation du titulaire du grand orgue, César Franck lui-même, son professeur d’orgue au Conservatoire. L’orgue de chœur Merklin n’était pas encore installé, il ne le sera qu’en 1888 et Samuel Rousseau participera à son inauguration le 20 février, avec Franck, Dubois et Verschneider. A cette époque il accompagnait les offices sur un gros harmonium Mustel et parfois suppléait son maître à la tribune du grand orgue. C’était un instrument tout neuf que Cavaillé-Coll avait placé en 1859 dans cette toute nouvelle église construite rue Las-Cases par les architectes Gau et Ballu entre 1845 et 1857. Pastiche du style ogival du XIVe siècle, elle fut inaugurée le 30 novembre 1857 et consacrée en 1865. César Franck fut le premier titulaire de ce grand orgue de 46 jeux répartis sur 3 claviers et un pédalier. A sa mort c’est Gabriel Pierné, Grand Prix de Rome également, qui lui succédait en 1890 et quelques années plus tard (1898) Charles Tournemire en devenait à son tour titulaire; tous deux étaient aussi d’anciens élèves de Franck. Au bout de quelques années Samuel Rousseau recueillit la succession du maître de chapelle Alexandre Georges parti à Saint-Vincent-de-Paul et laissait sa place d’organiste-accompagnateur à Victor Fumet, puis à Léon Cazajus. C’est à cette époque qu’il rencontrait la journaliste américaine qui notait en outre que l’on " peut difficilement s’imaginer où Samuel Rousseau peut trouver le temps de s’occuper de l’église, de l’enseignement, de la participation à de nombreuses organisations musicales, tout en écrivant toutes les œuvres toutes contemporaines, qui de surcroît sont importantes et destinées à durer. " Il est vrai que ses activités dans cette paroisse, où il avait pu notamment jouer de l’harmonium, instrument qu’il aimait beaucoup et pour lequel il ne cessera jamais d’écrire, lui inspireront nombre de pages religieuses, entre autres une Messe de Pâques pour soli et chœurs avec violon, violoncelle, harpe et orgue (Lebeau), une Messe de Noël pour soli, chœurs et orchestre, un Requiem, un magnifique Libera me Domine qui sera notamment joué, avec Mme Mathieu et M. Delpouget comme solistes et Paul Taffanel à la direction, par la Société des Concerts du Conservatoire lors de deux concerts spirituels les Vendredi et Samedi Saints 16 et 17 avril 1897, en même temps que la 3e Symphonie en ut mineur de Saint-Saëns, le Requiem de Mozart, le 3e Concerto pour violon de Max Bruch et l’ouverture de Léonore de Beethoven. On lui doit également dans ce domaine une quantité de motets, ainsi qu’un recueil de 12 pièces pour grand orgue, un autre de 15 pièces (Leduc) parmi lesquelles la numéro 3, Echo, est dédicacée à Saint-Saëns, 2 volumes pour orgue ou harmonium intitulés Echos Sacrés (Leduc) et L’harmonium gradué : 50 morceaux pour toutes les combinaisons en 10 séries (Heugel). Alexandre Guilmant lui-même, lors de ses célèbres récitals d’orgue qu’il donnait au Palais du Trocadéro dans les années 1890, interpréta un jour une Cantabile en la bémol et une Berceuse de Samuel Rousseau.
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La Maîtrise de Sainte-Clotilde dirigée par Samuel Rousseau, décembre 1903 ( Musica, janvier 1904, coll. D.H.M. ) |
La musique religieuse ne fut pas la seule activité de Samuel Rousseau, loin s’en faut ! En 1892, il succédait en effet à la fois à Joseph Heyberger comme chef des chœurs à la Société des Concerts du Conservatoire, alors dirigée par Taffanel et qui, rappelons-le, était l’une des institutions de concerts les plus cotées de Paris, et était engagé par le Théâtre-Lyrique pour diriger son orchestre. Installée depuis 1875 dans le Théâtre de la Gaité-Lyrique, rue Réaumur, cette salle de spectacle de 1100 places programmait des opérettes et opéras-comiques légers : la Fille de Mme Angot, Ordre de l’Empereur, les Saltimbanques, les Mousquetaires au couvent... Aux Concerts du Conservatoire on pouvait par contre entendre une musique un peu plus académique avec bien entendu les œuvres des grands classiques (Palestrina, Bach, Mozart, Beethoven, Schumann, Liszt...) mais également des ouvrages des contemporains (Bizet, Franck, Delibes, lalo, Gounod) et ceux de la jeune école alors inconnus : d’Indy, Dukas, Duparc...
En 1892, son opéra Mérowig reçut le Prix de la Ville de Paris et était créé le 12 décembre par le Grand Théâtre de Paris. Le 8 juin 1898 l’Opéra donnait en première représentation l’un de ses drames lyriques, La Cloche du Rhin qui obtenait un réel succès, mais pour des raisons qui échappent à l’art il ne fut programmé qu’à 7 reprises. Il faut dire que Les Maîtres chanteurs de Wagner étaient également à l’affiche ! En 1904, c’est l’Opéra-Comique qui montait son drame musical Milia, et quelques années plus tard, son auteur étant décédé, un autre drame Léone (7 mars 1910). Si son écriture est souvent de construction classique, tout en appartenant à son temps, cela n’empêche pas le compositeur de produire de la musique dans laquelle son harmonie, que l’on peut qualifier de légère, est exempte de tout pédantisme. C’est sans doute pour ces raisons qu’avec d’Indy, de Bréville, Chausson et Coquard, tous anciens disciples de Franck comme lui, lui fut confié la délicate tâche d’achever l’orchestration de Ghiselle, un drame lyrique en 4 actes (Choudens), sur un poème de Gilbert-Augustin Thierry, que l’auteur des Béatitudes surpris par la mort n’avait pu terminer : les trois premiers se partagèrent le second acte, Samuel Rousseau réalisa seul le troisième et Coquard le quatrième. Créé à Monte-Carlo le 7 avril 1896, sous la direction de Raoul Gunsbourg, le compositeur et critique Ernest Reyer4 soulignait alors le travail effectué par quelques-uns des meilleurs disciples de Franck : " Et partout le même tissu symphonique très serré, la même richesse de modulations et d’harmonie. "
Organiste, chef d’orchestre, compositeur fécond auquel on doit, en plus de toutes les œuvres précédemment citées de nombreux chœurs profanes, des morceaux de piano à 2 ou 4 mains, des pièces pour piano et violon et des pages pour petit orchestre, Samuel Rousseau trouvait encore le temps d’écrire des articles musicologiques, notamment pour L’Eclair et de collaborer à la revue Le Maître de chapelle5, et surtout d’enseigner l’harmonie à une classe de femmes au Conservatoire de Paris à partir de 1898. Mais notre musicien, officier de l’Instruction publique (1897), officier d’Académie (1899) et chevalier de la Légion d’honneur (1900), n’a pas eu le temps de poursuive plus en avant son œuvre : le 1er octobre 1904 à l’âge de 51 ans il disparaissait à Paris, au moment où il venait d’être nommé président de la Société des Compositeurs de musique, laissant un fils Marcel Samuel-Rousseau, qui l’année suivante allait obtenir à son tour un Grand Prix de Rome, avant de diriger bien plus tard l’Opéra de Paris. Celui-ci, pensant certainement aux ouvrages de son père déclarait un jour6 : " Le succès au théâtre est fonction de hasard et d’impondérables. L’insuccès aussi bien. Ainsi en est-il d’injustes, et je connais quelques partitions d’entre 1870 et 1914 pour lesquelles la postérité devrait bien réviser son jugement...7 "
Samuel Rousseau avait épousé à Paris, le 8 novembre 1881 (cérémonie religieuse le 10 à Sainte-Clotilde) Eva Lambert des Cilleuls, née le 25 juin 1856 à Paris, morte le 23 décembre 1901 dans cette même ville. Fille d'Amédée Lambert des Tilleuls, notaire à Paris, et de Félicie François, elle était sœur de Louis Lambert des Cilleuls (1849-1933) et de Fernand Lambert des Cilleuls (1851-1926). Le premier, artiste lyrique (baryton-basse), fit ses débuts à l'Opéra de Paris le 2 août 1880 dans Faust (rôle de Wagner), devint secrétaire général de l'Association des Artistes de l'Opéra et fut un professeur de chant renommé ; le second, Secrétaire de la Faculté de médecine et de l'Ecole supérieure de pharmacie de Nancy, avait épousé en secondes noces, le 12 août 1891 à Paris, Berthe Merklin, née le 8 novembre 1866 à Sèvres (Hauts-de-Seine), fille cadette du facteur d'orgues Joseph Merklin. Après de décès de son épouse, Samuel Rousseau se remaria en secondes noces, le 18 février 1903 à Paris (cérémonie religieuse le 19 février à Saint-Jacques-du-Haut-Pas), avec Camille Chateau, née le 31 mai 1872 à Paris, fille de Sylvain Chateau (1833-1920), entrepreneur de maçonnerie à Paris, puis Maire de Sceaux en région parisienne au début du XXe siècle. Celle-ci lui survivra durant près d'un demi-siècle, étant décédée 47 ans plus tard, le 5 mai 1951.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Samuel Rousseau, Prélude et Cantilène pour orgue, dédicacé “ à Monsieur William C. Carl ” (U.S.A., G. Schirmer, 1898) fichier audio par Max Méreaux (DR.)
____________1) The Musical Courier, 6 juin 1894. Fannie Edgar Thomas, née à Chicago en 1848, a habité Paris durant 7 ans à partir d'octobre 1893. Elle a écrit de nombreux articles sur les organistes parisiens qu'elle envoyait à son journal The Musical Courier de New-York. Une trentaine d'entre eux ont été traduits de l'américain par Claude Maisonnat et publiés en français, avec une présentation et des annotations par Agnes Amstrong, dans la revue La Flûte harmonique, publication de l'Association Aristide Cavaillé-Coll, numéros 53/54 (1990), 55/56 (1990), 57/58 (1991) et 75/76 (1998). [ Retour ]
2) L'œuvre d'Edouard Guinant a été mise en musique par bien d'autres compositeurs, notamment Adolphe Dietrich avec son opéra en 3 actes et 4 tableaux, Le Tintoret (Théâtre de Dijon, 10 février 1887), Charles Lefebvre avec son poème lyrique Sainte Cécile (Paris, Dupont, 1896) et surtout Claude Debussy avec la cantate L'Enfant prodigue (1884). [ Retour ]
3) Dictionnaire de musique, Hugo Riemann, deuxième édition française remaniée par Georges Humbert, Lausanne, Librairie Payot & Cie, 1913, p. 878. [ Retour ]
4) Journal des Débats, 12 avril 1896. [ Retour ]
5) Le premier numéro de la revue bimensuelle Le Maître de chapelle, bulletin des Organistes et de la Musique religieuse parut le 15 mars 1888. Elle comptait alors pour principaux collaborateurs : Maurice Bouchor, Jules Faure, César Franck, Alexandre Georges, Eugène Gigout, Alexandre Guilmant, Gustave Lefèvre, Raoul Pugno, Samuel Rousseau, Camille Saint-Saëns et Paul Viardot. [ Retour ]
6) L'Information musicale, n° 44, 31 octobre 1941, p. 239. [ Retour ]
7) La Ville de Paris a rendu hommage à Samuel Rousseau en donnant son nom à un square aménagé devant la basilique Sainte-Clotilde. Créé en 1857, au moment de la construction de l'édifice, ce square d'une superficie de 1746 m2 est situé sur un ancien enclos du couvent des chanoinesses augustines du Saint-Sépulcre, dites Dames de Bellechasse. [ Retour ]
Henri DALLIER (1849-1934)
Henri Dallier, église de la Madeleine (Paris), juin 1931. Photographie ayant appartenu à Charles Chapuis, organiste de l'église Saint-Georges de Vesoul (Haute-Saône), puis à Paul Paray qui a par la suite crayonné "Henri Dallier à qui je dois tant". ( Coll. Jean Cabon ) Auteur de pages de musique de chambre, de mélodies et de pièces pour orgue, Henri Dallier est surtout connu comme organiste, réputé pour ses talents d’improvisateur et d’exécutant. On se bousculait parfois avant guerre pour aller l’entendre aux claviers du Cavaillé-Coll de l’église de la Madeleine, à Paris, qu’il toucha durant près d’une trentaine d’années.
Né le 20 mars 1849 à Reims, Henri-Edmond Dallier reçut sans doute quelques précieux conseils à la Maîtrise de cette ville, alors dirigée par Louis Fanart, puis M. Robert. A l’âge de 16 ans, il était nommé organiste de chœur de la cathédrale Notre-Dame de sa ville natale, à l’époque où Jules Grison tenait le grand orgue. Peu de temps après, en 1867, il écrivait sa Première Sonate pour orgue. En 1870, sans avoir encore jamais fréquenté quelques grandes écoles supérieures de musique, Henri Dallier tentait le Concours de Rome, mais était recalé dès l’épreuve préparatoire. En 1872, une nouvelle tentative lui permettait cette fois d’être admis parmi les logistes de l’ultime épreuve de composition, mais la cantate Calypso, sur des paroles de Roussy, ne l’inspira guère et il n’obtint aucune récompense. Cette même année il laissait sa place d’organiste accompagnateur à Reims au tout jeune Edmond Missa, tout comme lui futur lauréat du Prix de Rome. Quelque temps plus tard Dallier rejoignait la capitale et entrait au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris afin de parfaire son éducation musicale, notamment dans l’étude de l’orgue et de la composition. C’est ainsi qu’il fréquenta les classes de César Franck et de François Bazin. En 1877, à nouveau logiste, sa cantate Rebecca à la fontaine, écrite sur des paroles de Pierre Barbier, dont la première audition devant les membres de la section musique de l’Académie des Beaux-Arts eut lieu le 29 juin, ne lui valut encore par le moindre prix.
Elle était interprétée ce jour-là par Mlle Daram, MM. Bosquin et Boudouresque. L’année suivante, Henri Dallier concourait une fois de plus pour le Prix de Rome : huit candidats s’étaient présentés à l’épreuve préparatoire dont cinq étaient admis au concours définitif : Dallier, Rousseau, Blanc, tous trois élèves de François Bazin, Broutin, élève de Victor Massé, et Hue, élève de Reber. Le sujet imposé, une scène à trois voix d’Edouard Guinand, intitulée La Fille de Jephté, après son audition le 30 juin à l’Institut par Mme Moreau-Sainti, MM. Bosquin et Boudouresque lui rapporta seulement une mention honorable. Ultime consolation, quelques jours plus tard le concours d’orgue du Conservatoire lui valait un premier prix, devant Mlle Marie-Anna Papot ! C’est sans doute ce qui décida le clergé de l’église St-Eustache à lui donner la place de titulaire du grand orgue, celle-ci étant vacante depuis le décès d’Edouard Batiste arrivé en novembre 1876.
Grand orgue de St-Eustache, reconstruit en 1877-78 par Merklin, dont Henri Dallier fut le 1er titulaire en 1878. L’instrument de St-Eustache était alors en pleine reconstruction par le facteur Joseph Merklin, à la suite des importants dégâts qu’il avait subis sous la Commune. Il datait de 1854 et provenait des ateliers de Ducroquet. Le tout nouvel orgue de 72 jeux (4 claviers et pédalier)fut inauguré le 21 mars 1879 par Franck, Dubois, Gigout et son jeune titulaire Dallier. Ce dernier occupera cette tribune jusqu’en 1905, laissant alors brièvement les claviers à Albert Périlhou, avant que soit nommé le 23 mars 1906 Joseph Bonnet. Durant son passage à St-Eustache, Henri Dallier composait notamment pour l’orgue Six grands préludes pour la Toussaint (1891) et l’Offertoire O Filii et Filiae (1896).
La réputation d’organiste talentueux de Dallier se fit rapidement et il fut reconnu par ses pairs comme un spécialiste et un interprète de premier ordre. En 1885, le 11 février, il était demandé, avec Widor, pour inaugurer l’orgue Cavaillé-Coll de Notre-Dame d’Auteuil (32 jeux) et en mai 1889, c’est lui qui eut l’honneur d’ouvrir la série de concerts d’orgue au Trocadéro, lors de l’Exposition Universelle. Il interprétait ce jour-là des pages de Bach, Mendelssohn, Schumann, Saint-Saëns, Franck, ainsi que quelques pièces de sa composition. Saint-Saëns lui dédiait en 1898 son troisième Prélude et fugue, op. 109 (Durand)...
La Madeleine (ca 1900) :
Eglise de La Madeleine à l'époque où Henri Dallier succéda à Fauré en 1905 ( coll. D.H.M. )Le 15 juin 1905 Gabriel Fauré succédait à Théodore Dubois à la direction du Conservatoire de musique et de déclamation de Paris. Il fut alors obligé de résilier son poste de titulaire des grandes orgues de l’église de la Madeleine qu’il occupait depuis 1896. Le 1er octobre, Henri Dallier prenait possession de cette nouvelle tribune où trônait alors un instrument Cavaillé-Coll de 48 jeux (4 claviers manuels de 54 notes et pédalier de 25 notes), installé dans un magnifique buffet dû à l’architecte Huvé (1846). Saint-Saëns lui-même avait déjà touché ces même claviers entre 1857 et 1877. C’est de cette tribune qu’Henri Dallier " a charmé pendant près de trente ans les auditeurs français et étrangers attirés par la célébrité de l’organiste, séduits et retenus par son incomparable talent d’exécutant et d’improvisateur. "
En octobre 1912, au moment de la création de l’Union des Maîtres de Chapelle et Organistes de France par Henri Van Lysbeth et Max Georges, dont à l’origine la mission principale était de s’occuper de tout ce qui intéresse la musique sacrée avant de devenir plus tard une association corporatiste, Dallier était sollicité pour figurer parmi les membres d’honneur du comité, avec Gigout (organiste du grand-orgue de Saint Augustin), d’Indy (directeur de la Schola Cantorum), Guy-Ropartz (directeur du conservatoire de Nancy) et le chanoine Perruchot (maître de chapelle de la cathédrale de Monaco). A ce titre, il prêtat son concours à la cérémonie religieuse avec Salut solennel, sous la présidence du cardinal Dubois, archevêque de Paris, au profit de la Caisse de secours de l’U.M.C.O., organisée le 25 février 1928 à la Madeleine. Le musicologue Amédée Gastoué écrivait à cette occasion : " ...la virtuosité de H. Dallier fit merveille - peut-être un peu trop rapide pour le vaste local - dans la fugue et la fantaisie, et dans les versets de Magnificat que l’organiste titulaire se plut à improviser à la manière des précédentes habitudes parisiennes, destinées à mettre en lumière les ressources infinies de l’instrument. " Cette même année d’ailleurs, le 11 avril, il offrait aux congressistes de la Gilde Sainte-Cécile un récital d’orgue au cours duquel il faisait découvrir ses Cinq Invocations qui fut pour beaucoup d’assistants " une révélation de virtuosité et de charme prenant. "
Dans cette église de la Madeleine, paroisse de l’Elysée, où il a toujours été de bon ton pour les notables et autres célébrités de tout bord d’y faire célébrer les cérémonies de la vie courante, Henri Dallier eut le privilège d’y jouer les obsèques de Saint-Saëns, le 22 décembre 1921, puis celles de Fauré, le 8 novembre 1924 au cours desquelles il improvisait habilement sur le thème de l’Elégie pour violoncelle et piano, op. 24, que l’auteur du Cantique de Racine avait composé en 1880. Et pourtant, malgré ses nombreux succès et sa notoriété grandissante au fil des années Henri Dallier est toujours resté un homme aimable, modeste, sage et même parfois spirituel. Son ami Georges Renard, maître de chapelle de St-Germain-l’Auxerrois, disait de lui qu’il " jugeait son siècle sans acrimonie, se contentant de ce que ce temps lui avait donné de notoriété et la musique, de consolation. "
Henri Dallier en 1911, avec dédicace de sa main: "à mon cher, jeune mais illustre ami P. Paray, son Christophe Colomb. H Dallier octobre 1911" ( coll. Jean Cabon ) Si Dallier fut un virtuose de l’orgue, doublé d’un excellent pianiste, il consacrait aussi beaucoup de son énergie à l’enseignement, tout d’abord à l’Ecole Niedermeyer, où au début du XXème siècle il compta parmi ses élèves un certain Joseph Noyon, puis au Conservatoire de Paris à partir de 1908. Dans cet établissement il professa l’harmonie durant 20 ans, avant de prendre sa retraite en 1928.
Le catalogue d’œuvres musicales de Henri Dallier est plus divers que nombreux, et celles-ci nous montrent une écriture d’une fine musicalité. En plus des pièces déjà citées, mentionnons ses pages pour piano : Scherzettino (Heugel), Mazurka héroïque, Cantilène, Brises marines, La Charmeuse, Treize morceaux (Lemoine)... ; sa musique de chambre : Contemplation (violon et harpe, Leduc), Sous les cieux (violon et piano, Lemoine), Pensée du soir (id.), Fantaisie-caprice (hautbois et piano), un Quatuor à cordes, un Quintette avec piano; sa musique vocale : Les vendanges de Champagne (chœur à 5 voix, Leduc), Mélodies (Heugel, Jobert) ; une Symphonie en fa majeur(1908, Jobert) et ses pages pour orgue parmi lesquelles : Deux offertoires pour orgue ou harmonium, pour Noël et Pâques, dont celui sur l'O Filli et Filia de 1896 et l'Offertoire "sur de vieux Noëls" (Librairie de l’art catholique, 1914), des Paraphrases liturgiques et surtout ses Cinq Invocations pour grand orgue, terminées en 1925 et éditées chez Lemoine. Universellement connues, écrites sur des textes latins en l’honneur de la Sainte Vierge, elles sont destinées à mettre en valeur les nombreuses possibilités d’un instrument tel que le grand Cavaillé-Coll de la Madeleine. La première des Invocations est la plus connue et encore jouée parfois de nos jours : Stella matutina. Elle a d'ailleurs ultérieurement fait l'objet d'un arrangement pour choeur mixte, quintette à cordes, hautbois et orgue sous le nouveau titre de Pastorale pour Noël (Lemoine, 1928). Elle est suivie de O Clemens, extrait du Salve Regina, Monstra te esse matrem, Pulchra ut luna et enfin, Electa ut sol, cette dernière étant construite en forme de toccata concluant admirablement bien l’œuvre. On lui doit également, avec Joseph Jongen et Eugène Wagner, la réalisation des basses chiffrées de l’Ecole du violon aux XVIIe et XVIIIe siècles (collection Joseph Debroux, M. Sénart, 1913-1914, 5 volumes) et un Recueil de pièces anciennes pour violon et piano (Lemoine, 1925).
L’avant-veille de Noël 1934, le 23 décembre, Henri Dallier était emporté par " une maladie insidieuse, pénible dans sa forme et dans sa progression lente ". Il habitait alors, et ce depuis de nombreuses années, au numéro 7 du boulevard Péreire, dans le dix-septième arrondissement parisien. Depuis plusieurs années, ses forces l’abandonnant, il avait dû peu à peu se retirer du monde musical, laissant souvent ses chers claviers de la Madeleine à son futur successeur et lauréat du Prix de Rome, Edouard Mignan. " La lutte fut longue ; elle favorisa cette retraite progressive qui contribua à développer autour de l’artiste une atmosphère d’oubli. En ce monde où tout va si vite, où il faut se rappeler souvent à l’attention de ses contemporains par quelque action d’éclat, le silence s’établit bientôt sur les mérites et sur le nom même de celui qui ne se résigne plus à paraître. " C’est ainsi que Henri Dallier, longtemps adulé par les foules, termina sa vie dans l’oublie et l’indifférence, laissant une œuvre seulement encore connue des spécialistes.
Comme nul n’est prophète dans son pays, surtout en France !, aucun enregistrement d’œuvres de Henri Dallier n’est disponible de nos jours sur le marché français. Par contre, les personnes désireuses de découvrir sa musique peuvent se procurer en Angleterre ou aux Etats-Unis ses Cinq Invocations pour orgue, enregistrées en janvier 1998 par Gérard Brooks à l’orgue St-Ouen de Rouen, en même temps qu’un Scherzo d’Edouard Commette, la Marche funèbre et chant séraphique d’Alexandre Guilmant, les Trois pièces de Jacques Ibert et la Toccata et fugue en la mineur d’Achille Philip (Priory Records PRCD558), et sa Fantaisie-caprice pour hautbois et piano, jouée par Jean de Maeyer et Godelieve Verstraelen (Arcobaleno AAOC93282, enregistré en novembre 1994). Sur ce CD intitulé " French romantic chamber music ", on découvre également d’autres trésors musicaux méconnus pour hautbois et piano de compositeurs français, notamment la Sonate, en ré majeur, op. 166, de Saint-Saëns, l’Introduction et Polonaise du Prix de Rome Adolphe Deslandres et les Scènes écossaises, op. 138, de Benjamin Godard...
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Paru en 2005 : DETROIT CHAMBER TRIO Eduard Perrone (piano) – Velda Kelly (violon) – Nadine Deleury (violoncelle)
Henri DALLIER : Trio en do mineur (1898)
Louis VIERNE : Sonate en si mineur, pour violoncelle et piano, op. 27 (1910)
Joseph ERMEND-BONNAL : Sonate pour piano et violon (1899)
1 CD Award Audio, St. Clair Shores, Michigan, U.S.A.
AA-05001
Distribution Amériques, Canada : www.awardaudio.com ou www.cdbaby.com
Pour la France : contacter rédaction@musimem.com
Lire la critique sur MUSICWEB
Henri Dallier, Prière à Notre-Dame (éd. Robert Leech Bedell, “Edition Le Grand Orgue”), fichier audio par Max Méreaux (DR.)
1879
Georges Hüe (1858-1948),
Grand Prix de Rome 1879, compositeur,
élu à l'Académie des Beaux-Arts
au fauteuil de Saint-Saëns en 1922 ( photo X..., 1875, Musica n° 82 )
Georges Hüe, Scherzo de la Fantaisie pour flûte et piano (fragment), Costallat, 1913 (coll. Max Méreaux).
Numérisation et enregistrement par Max Méreaux