Les femmes et la musique en France

Les origines - Le XVIIº siècle - Le XVIIIº siècle - Le XIXº siècle - Le XXº siècle - Le XXIº siècle

On parle de La musique, dont la patronne Sainte Cécile est morte décapitée à Rome en 232, et pourtant on trouve peu de femmes, excepté depuis quelques décennies, compositeurs ou connues au même titre qu'un Palestrina, Bach, Mozart, Berlioz ou encore Saint Saëns ou Franck... A quoi cela tient-il? Difficile de répondre à cette question ! La plupart des arts (peinture, sculpture...) présente, du moins présentait, cette caractéristique. Les causes sont sans doute multiples : misogynie, relégation de la femme à des tâches ménagères, interdiction d’accès des chanteuses dans les églises, dans les maîtrises, manque d'intérêt, de temps? Et pourtant la musique peut être enthousiaste, inspirer la haine ou l'amour, arracher des sanglots, sublimer l'esprit. N'est-elle pas en ce sens féminine? C'est un "cri de la passion" avait dit un seigneur napolitain à Stendhal. Ne serait-ce pas simplement pour ces raisons que la femme étant elle-même naturellement harmonie, rythme, mélodie, c'est à dire une partition de musique, ne peut créer, sauf exception bien entendu, étant déjà une merveille de la création? Par contre elle peut être une excellente interprète en raison de sa sensibilité, de son affectivité et de son esthétisme. La musique est "essence intime" pour Schopenhauer, "passion" pour Nietzsche, "désir" pour Freud, " nourriture de l'âme" pour Stendhal, "nourriture de l'amour" pour Shakespeare...

LES ORIGINES

Bien qu'aucun nom de musicienne à peu près avant le XVIIe siècle ne nous soit connu, l'iconographie musicale nous prouve que dès l'antiquité la femme jouait de la musique : harpe égyptienne (tombe de Nakt, vallée des Nobles à Kanak, vers 1500 av. J.C.) ; joueuse de lyre (fresque à Pompéi, 79 apr. J.C.); Joueuse de cithare (détail d'un sarcophage, IVe siècle ap. J .C., musée du Capitole à Rome) ; joueuse de vielle à cinq cordes (Florence, Sainte Marie Nouvelle, détail du "Temple de l'église militante" d'Andréa da Direnze, XIVe siècle); femme jouant de l'orgue portatif (XVe siècle, cathédrale Notre-Dame du Puy, France); femme jouant d'un orgue portatif posé sur un tabouret (début du XVIe siècle, art flamand). Un tableau du XVe siècle, "le Champion des dames" de Martin Lefranc, représente même neuf femmes donnant un concert et jouant de la flûte, du tambour, trompette, orgue portatif, chalemie, luth, flûte à bec et doulcemelle (variété de psaltérion).

Nul n'ignore l’importance de la musique religieuse. Sans rentrer dans les détails disons que la plupart des musiciens, à partir du XIIe siècle était formée dans les maîtrises. Autour des cathédrales qui se bâtissaient, apparaissaient alors de véritables centres intellectuels, et même parfois des universités. Les musiciens restaient également attachés au service des chapelles des rois, princes et autres grands du royaume. Léonin et son successeur Pérotin à Notre-Dame, aux XIIe et XIIIe siècles ont tenu un rôle important dans l’histoire de la musique. Guillaume de Machaut (v.1300-1377), chanoine bénéficiant d'un canonicat à Notre-Dame de Reims, illustre parfaitement l'Ars Nova et les théories de Philippe de Vitry concernant le développement de la polyphonie. Gilles Binchois (v.1400-1474), longtemps attaché à la Chapelle du Duc de Bourgogne a composé également des chansons et a élaboré une forme musicale claire. Quant à Guillaume Dufay, chantre à la Chapelle du pape Martin V à Rome, puis du pape Eugène IV, il est considéré comme le grand représentant de l’école franco-flamande. Mais arrêtons ici notre énumération de musiciens célèbres pour préciser que les femmes étaient interdites de chant dans les églises. Cela perdura durant plusieurs siècles puisque encore en 1896 on trouve dans la Semaine religieuse de Paris un rappel de cette interdiction. Ainsi elles ne pouvaient bénéficier de cette formation intellectuelle et musicale de qualité que dispensaient les maîtrises partout en France.

LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

Il n’était pas cependant interdit aux femmes de jouer de l'orgue dans les églises, seulement d'y chanter. Ainsi on trouve trace des premières femmes organistes dès le XVIIe siècle : Marguerite Thierry, née vers 1650, auteur d'un Livre d'orgue; Marie Racquet née vers 1634, organiste du couvent parisien des Filles de la Croix vers 1660 et sa sœur Charlotte-Cécile, née en 1644, organiste (vers 1670) de l'Abbaye de Longpré ; Mlle Desruisseaux imposée en 1695 aux rôles de la Capitation comme organiste; Mlle Dudouet, organiste de l'Hôtel-Dieu de Paris en 1690... Comment se sont-elles formées? Soit auprès de leur père, lui-même déjà musicien, soit encore auprès d'un professeur' particulier, mais non dans les maîtrises.

A la même époque (17e siècle) apparaissent également les clavecinistes, bien qu'à cette période la corporation des organistes et clavecinistes était réunie dans une même association de musiciens. Parmi celles-ci, citons Mlles Letellier et Rebours, associées, Mmes Louis et Oves toutes deux "maîtresses pour le clavecin" figurant dans l'almanach de Pradel en 1692 et surtout Anne Chabanceau de la Barre (1628-1688), chanteuse, luthiste, danseuse et claveciniste, fille de l'organiste Pierre III Chabanceau de la Barre. Elle reçut même, en janvier 1661, un brevet d'Ordinaire de la Musique du Roi pour récompenser "l'excellence de sa voix". Elle se fit entendre à la Cour de Suède et à celle de Hesse, ainsi qu'au Danemark.

Elisabeth Jacquet de la Guerre (vers 1664-1729), compositeur et claveciniste fut également très célèbre à son époque. Titon du Tillet dans son Parnasse françois destiné à honorer les poètes, littérateurs et musiciens de Louis XIV dit d'elle : A peine avoit-elle quinze ans qu'elle parut à la Cour. Le Roi eut beaucoup de plaisir à l'entendre jouer du clavecin; ce qui engagea Madame de Montespan à la garder trois ou quatre ans auprès d'elle pour s'amuser agréablement, de même que les personnes de la Cour qui lui rendoient visite, en quoi la jeune Demoiselle réussissoit très bien. Installée plus tard à Paris, elle acquit une grande renommée comme claveciniste et professeur de clavecin et donna régulièrement des concerts âpres la mort de son mari en 1704, l'organiste Marin de la Guerre. Elle est l'auteur d'un petit opéra, Les jeux à l’honneur de la Victoire, qui fut exécuté en 1685 dans les appartements du Dauphin, d'une tragédie en musique Céphale et Procris (1694), de Cantates françaises sur des sujets tirés de l'Ecriture (1708-1711) et également de Pièces de clavecin et de Sonates pour le violon et le clavecin. Son style est; influencé par le nouveau goût italien qui se développe alors en France.

Marie-Françoise Certain (v.1655-1711), brillante claveciniste, élève de Lully et amie de La Fontaine qui la célébra, eut également son heure de gloire en jouant notamment toutes les symphonies des opéras de Lully.

Restons dans ce siècle pour mentionner quelques célèbres cantatrices qui reçurent les applaudissements de la Cour en cette période de la naissance de l'opéra en France sous l’impulsion de Mazarin. Rappelons auparavant que le premier opéra français Pomone écrit par Robert Cambert (v-1628-1677), organiste et claveciniste, date de 1671. L'opéra, d’origine italienne, créé par Monteverdi en l607, avait eu du mal à s'installer en France, l'opinion publique étant trop habituée au ballet de cour. Ce n'est qu'après près de 30 ans d'essais infructueux qu'il fut enfin adopté et applaudi par le public... Hilaire Dupuy (1625-l709), belle-sœur de Michel Lambert, le beau-père de Lully, fut une des premières chanteuses de renom. Pensionnée en 1651 par la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans, elle se produisait à la Cour dans les récits des principaux ballets de cour et comédie-ballets de Lully. Jean Loret écrivait dans sa gazette La Muse historique, dédiée à Mlle de Longueville, future duchesse de Nemours qui le pensionnait, que la voix de Mademoiselle Hilaire était légère et souple et qu'elle excellait dans l’exécution des doubles ornementés... La Demoiselle Saint-Christophe (v.1625 - apr.1682), cantatrice, entra dans la Musique du Roi en 1645 et tint durant longtemps une des premières places à la Cour. Elle fut engagée par Lully en 1674 à l'Académie royale de musique que Louis XIV avait fondée 5 ans auparavant. Elle créa ainsi le rôle-titre d'Alceste. On dit d'elle qu'elle était belle, intelligente, qu'elle composait des vers et. qu'elle possédait une voix magnifique

La Cercamanen (Anne de Fonteaux) née vers 1630 et décédée vers 1719, chantait déjà à la Cour en 1656. Louée pour la beauté de sa voix, elle fut l'une des rares femmes de sa génération à obtenir le titre de musicienne ordinaire de la Chambre du Roi. Elle devait en grande partie son triomphe a son admirable interprétation de La Pastorale d'Issy (1659) créée par Perrin et Cambert, qui fut un grand succès. Marthe Le Rochois (v.1658-1728), formée par Lully, fut son interprète idéale notamment avec Persée, Amadis et surtout Armide qui fut son plus grand triomphe. Après la mort de Lully (1687), elle joua Médée (1693) de Marc-Antoine Charpentier et Issé (1697) de Destouches. Curieusement deux célèbres cantatrices, Marie-Louise Desmatins, née en 1670, et la Maupin (Mlle d’Aubigny), née à la même époque, moururent toutes les deux jeunes, à l'âge de 38 et 37 ans en 1708 et 1707. Elles connurent le succès après la retraite de Marthe Le Rochois (1698) dans des œuvres de Campra ; Calypso dans Télémaque (1704) pour la Desmatins et Clorinde dans Tancréde (1702) pour la Maupin. La première, atteinte d’embonpoint se retira en 1708 et mourut la même année. Quant à la seconde "petite, très jolie, séduisant femmes et hommes, elle s'habillait souvent en cavalier et se battait en duel..." (R. Legrand), elle quitta la scène en 1705 et mourut retirée du monde dans la solitude.

Ne quittons pas le XVIIe siècle sans parler d'Angélique Houssu, fille, petite-fille, nièce et cousine d'organistes parisiens, qui exercèrent à l'église des Saints Innocents durant plus de 150 ans ! Brillante claveciniste, elle avait épousé en 1697 Antoine Forqueray (1672-1745), qui, avec Marin Marais, fut l'un des plus grands compositeurs et joueurs de viole français. De leur union vinrent trois enfants, dont le célèbre violiste Jean-Baptiste Antoine (1699-1782). Ainsi le couple Forqueray se produisait avec succès en concert dans l'Hôtel de Soissons où il demeurait. Hélas, Antoine Forqueray, qui avait un sérieux penchant pour la boisson, battait sa femme et ses enfants, les laissant dans le plus complet dénuement et trompait allègrement son épouse avec ses servantes ! Celle-ci dut même quitter à cinq reprises le domicile conjugal afin de se réfugier chez ses parents. Son mari n'hésita pas à lui intenter un procès en adultère !, qu’il perdit bien évidemment et la séparation fut prononcée en 1710. Voilà une femme qui n'eut guère le temps, le loisir et même le goût de s'adonner à la composition !

Bien que plusieurs cantatrices aient eu du succès les castrats leur faisaient une certaine concurrence. Ils pouvaient en effet aussi bien tenir des rôles masculins que féminins. La pratique de la castration est d’origine orientale. Les castrats se produirent en premier lieu dans les églises, en Espagne ou en Italie, notamment à Rome où au XVIIe siècle l’interdiction des femmes de chanter à l’église fut étendue à la scène. En 1607, lors de la création du premier opéra de Monteverdi, le rôle-titre de l’Orfeo fut confié à un castrat. Devenus rapidement des vedettes du bel-canto et de ]'opéra. leur déclin s'amorça cependant au cours du XVIIIe siècle, évincés par les ténors et soprani. Cependant ils se maintenaient dans les églises, surtout en Italie où la Chapelle Sixtine par exemple les entretenait jusqu'à la fin du XIXe siècle. C'est Mazarin qui avait introduit en France les castrats au milieu du XVIIe siècle.

LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE

Le dix-huitième siècle voit la femme tenir un rôle de plus en plus important dans la musique et même naître des compositions qui, bien qu'originales, n'atteignent pas le génie. C'est toujours dans l’interprétation que la femme excelle. Parmi ses quelques femmes compositeurs citons Marie de Louvencourt (1680-1712), poétesse et musicienne, auteur de nombreuses chansons avec Rouillé du Coudray et de cantates mises en musique par Clérambault notamment; Mlle Bayon, auteur en 1768 de Six sonates pour le clavecin ou le piano-forte dont trois avec accompagnement de violon obligé"; Mlle Ravissa avec ses Six sonates pour le clavecin ou piano-forte en 1778; Mlle Pouillard ; auteur en 1782 de Trois Sonates pour le clavecin ou le piano-forte et Isabelle de Charrière qui composait en en 1783 "Trois Sonates pour le clavecin ou piano-forte. N’omettons pas également ces organistes qui probablement se sont livrés à la composition mais dont les œuvres se sont égarées au cours des siècles : Agnès Olivier, organiste de St-Landry (1759); Marie-Claude Renault, des Dames de la Croix (1751); Mlle Bouchard, de Saint-Leu-Saint-Gilles (1763); Cécile-Louise Calvière, de Ste-Marguerite (1755); Mlle Chéré, des Religieuses de la Conception(1763); Marie-Anne Corneille, de la Madeleine-en-la-Cité (1747); Mlle Courtin, du Couvent royal des Filles-Dieu de Paris (1769); Jeanne-Françoise Dandrieux, de Saint-Barthélémy (1738); Mlle Fieul, de l'Abbaye de Longchamp à Bagneux (1788); Marie-Geneviève Noblet, de Sainte-Opportune (1769); Mlle Lochmann, cotitulaire à Saint-Etienne-des-Grès (1772) etc... Il est intéressant de souligner que ces femmes organistes ne sont titulaires d'aucune tribune importante et se contentent de jouer dans de petites paroisses ou des couvents. A Notre-Dame, St-Germain-l'Auxerrois, St-Germain-des-Prés, St-Etienne-du-Mont, St-Eustache, St-Merry, St-Roch ou encore St-Sulpice aucune femme! Dans certaines de ces paroisses importantes ce n'est que très récemment que des femmes ont eu accès à la tribune de l'orgue, mais par exemple à Notre-Dame où la liste des organistes est connue depuis le XIVe siècle (et même avant) et celle des maîtres de chapelle depuis le XVe siècle, même de nos jours ces postes sont toujours confiés encore à des hommes !

Parmi les femmes compositeurs du 18ème siècle citons encore Mlle Elisabeth Lachanterie, élève de Couperin, claveciniste distinguée et organiste de Saint-Jacques-de-la-Boucherie (1770) qui est notamment l'auteur de deux concertos pour clavecin avec accompagnement d'orchestre et Marie-Rose Dubois (1717-apr.1787), claveciniste appréciée de l'écrivain d'Aquin de Château-Lyon (auteur du Siècle littéraire de Louis XV) qui mariée en 1741 au violiste Jean-Baptiste-Antoine Forqueray (1699-1782), l'accompagnait dans certains de ces concerts et qui très probablement a dû composer des œuvres perdues depuis.

En dehors des organistes et clavecinistes que nous venons d'énumérer et des chanteuses que nous verrons plus loin, nommons encore Marguerite, Madeleine et Marie Pièche, issues toutes les trois d'une dynastie de musiciens de la Cour et qui furent "fille de la musique de la Chambre" de 1680 à 1717 pour la première, en 1717 pour la seconde et de 1721 à 1727 pour la dernière. Arrêtons-nous aussi quelques instants sur la célèbre famille des Couperin, qui, comparable aux Bach, a donné à la musique près d'une vingtaine d'artistes depuis l'ancêtre Mathurin Couperin, né vers 1569, reçu "Maître joueur d'instruments" le 4 septembre 1586, jusqu'à Céleste Couperin, morte en 1860, dernière des Couperin musiciens, en passant par François Couperin, dit le Grand (1668-1733), considéré comme le maître français du clavecin et le musicien le plus représentatif de la musique française du XVIIIe siècle et de son classicisme. Cette illustre dynastie a donné six femmes à la musique :

- Marguerite-Louise Couperin (1676-1728) : chanteuse, Titon du Tillet disait d'elle que sa voix était exceptionnellement légère. Dès 1702 elle appartenait à la Musique du Roi. Son cousin François Couperin le Grand lui destina plusieurs motets composés entre 1697 et 1714.

- Marie-Madeleine Couperin (1690-1742) : religieuse à l'abbaye de Maubuisson, à partir de 1719, elle y était également organiste.

- Marguerite-Antoinette Couperin (1705-1778), fille du Grand Couperin (comme la précédente). C’était une remarquable claveciniste à tel point que son père malade lui céda sa survivance de la charge de claveciniste de la Chambre du Roi. Egalement professeur de clavecin, elle enseigna aux filles du roi Louis XV.

- Elisabeth Blanchet-Couperin (1729-1815) : femme d'Armand-Louis Couperin et fille du facteur de clavecins Etienne Blanchet, c'était une artiste distinguée qui a notamment tenu durant quelques années (1810-1815) l'orgue de la cathédrale Saint-Louis de Versailles.

- Antoinette-Victoire Couperin (v.1753-1812) : chanteuse, harpiste et organiste.

- Céleste-Thérèse Couperin (1793-1860) : organiste, elle fut la dernière des Couperin à tenir l’orgue de l'église Saint-Gervais à Paris en 1826, lequel, avec une courte interruption avec Michel-Richard Delalande, de 1679 à 1685, avait été touché par la famille Couperin depuis 1653 ! Elle donnait également des leçons de chant et de piano à Belleville.

Excepté les organistes, les femmes ne sont pas autorisées a se produire dans les églises, ni même à la Chapelle du Roi. Le Duc de Luyne dans ses célèbres mémoires note le 26 octobre 1738 : "L'usage n'est point que les filles soient de la musique de la chapelle, ni les ecclésiastiques de la musique de la chambre. Ainsi ]a fille du Sieur de Caix, laquelle joue parfaitement bien de la basse de viole, n'a pu être reçue à la chapelle et est à la chambre..." Cela restreint l’horizon des femmes : si elles ne jouent pas de l'orgue ou du clavecin, ou encore de la harpe ou de la viole, elles n'ont plus comme choix que de devenir chanteuses à la Cour ou à l'Opéra. Le dix-huitième siècle nous a laissés le souvenir de plusieurs cantatrices de renom : Madeleine Tulou (1698-1777), musicienne de la Chambre du Roi en 1726, qui se produisait à l'Académie royale de musique, Marie Antier (1687-1747), formée par Marthe Le Rochois, qui chanta durant 30 ans à l'Académie royale de musique et participa à plusieurs créations d’œuvres de Rameau, notamment Hippolyte et Aricie et Castor et Pollux. Sourches, le 5 décembre 1747, écrit : " I1 y a deux jours que Mlle Autier, fort connue par la beauté de sa voix, mourut a Paris. Il y avoit plusieurs années qu'elle s'étoit retirée de l'opéra. Elle avoit environ soixante huit ans", et le 18 décembre de la même année parlant d’une autre chanteuse : "...Mlle Demetz, de l'opéra, par le crédit et la protection de Mme de Pompadour débuta ici au concert samedi dernier, et son début ne fut pas extrêmement approuvé." Citons encore Catherine Lemaure (1704-1786) entrée dans les chœurs de l'Académie royale de musique en 1719, qui remplaça en 1723 Madeleine Tulou et connut un vif succès dans des pièces de Monteclair (Jepthé) Rebel et Francoeur (Pyrame et Thisbé) et Rameau (Dardanus). "La grande nouvelle de Paris est la rentrée de Mlle Lemaure à l'opéra; elle est autant connue par la beauté de sa voix que par son avarice et ses fantaisies" (Mémoires de Sourches, 24 mars 1740). On connaît d’elle des petites pièces de circonstance, qui sont attestées par une note de Sourches datée du 14 septembre 1752 : "...Mesdames, qui allèrent à Meudon pour la première fois il y a trois ou quatre jours, et qui y ont été tous les jours depuis hier, y étoient dans le moment que le roi de Pologne arriva. Elles y entendoient une petite musique , composée de Mlle Le Maure et de Mme de la Marck (Noailles), qui l’avoit amenée et l'accompagnoit; elles quittèrent pour venir voir le roi de Pologne, avec qui elles furent une petite demi-heure." Pour en terminer avec cette cantatrice, ajoutons qu'elle passait pour être despotique. Elle refusait en effet de chanter si ses conditions n'étaient pas satisfaites et ne se déplaçait qu'en "carrosses à housse ou bien à six chevaux". Elle alla même à refuser de se produire devant Mlle de Clermont lors d'une fête donnée à Louveciennes en 175l, prétextant "qu'elle avoit la colique et qu'elle étoit hors d'état de pouvoir chanter." Sa rivale, Marie Pélissier (1707-1749), musicienne de la Chambre du Roi, créa notamment les cinq premiers opéras de Rameau. Voltaire écrivit: "Pélissier par son art, Lemaure par sa voix."

Marie Fel (1713-1794), élève de son père organiste, rentra à l’Académie royale de musique en 1734 et se produisit au Concert Spirituel. Elle vécut avec Quentin de la Tour et fut célébrée par Voltaire étant l'interprète idéale de l'opéra français à son apogée. Mlle Deschamps (1730-apr.1788) fit une carrière à l'Opéra Comique et à la Comédie Italienne. Sophie Arnould (1744-1802), élève de Marie Fel, est une des soprani françaises les plus connues de ce siècle. Elle débuta à l'Opéra en 1757 et obtint un grand succès dans les rôles principaux de Rameau et de Gluck (Iphigenie en Aulide, Orphée). Elle fut louée par Voltaire, d'Alembert, Diderot et Fontenelle en raison de sa voix "touchante" et de son intelligence hors pair.

En ce dix-huitième siècle signalons encore Rosalie Levasseur (1749-1826), admise à l'Académie royale de musique en 1766, interprète favorite de Gluck (Alceste, Armide...) et Antoinette Clavel dite Saint-Huberty (1756-1812), entrée à l’Académie royale de musique en 1766 également, élève de Gluck, créatrice de la Didon de Piccini, épouse du Comte d'Entraigue, qui moururent tous les deux assassinés; Emilie Candeille (1767-1834), fille du compositeur et chanteur à l'opéra Pierre-Joseph Candeille : chanteuse, pianiste. harpiste, actrice et également compositeur, elle fut jouée au Concert Spirituel (1786) avec une Symphonie concertante pour piano, clarinette, basson et cor. Elle est aussi l'auteur de mémoires conservées à la bibliothèque municipale de Nîmes; et enfin Hélène de Montgeroult (1764-1836), pianiste et compositeur, élève de Dussek et Viotti, professeur de piano au conservatoire de Paris (1795-98), auteur de sonates pour piano et d'un remarquable Cours complet pour l'enseignement du piano (1820).

LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

La Révolution, puis le XIXe siècle avec ses diverses périodes du romantisme au symbolisme, n'amènent pas grand chose de plus pour la femme dans le domaine musicale, si ce n'est qu'avec la naissance en 1795 du Conservatoire national supérieur de musique de Paris les portes d'un enseignement de qualité leur sont enfin offertes. En effet, contrairement aux maîtrises de l'ancien régime réservées aux garçons, les filles ont accès à présent à cette école supérieure de musique. Les habitudes étant tenaces il faut tout de même un certain temps avant que cette nouvelle forme d'enseignement rentre dans les mœurs. Ainsi, 35 ans après la création du conservatoire, soit en 1830, non seulement il n'y a que deux professeurs femmes sur un total de 41 (Mlle Aimée Goblin, solfège, et Mlle Adèle Croisilles, accompagnateur) mais en dehors des classes de chant, solfège et vocalisation qui comptent respectivement le double, 60% et 50% de filles, celles de contrepoint, composition lyrique, orgue, violon, basse-violoncelle, contrebasse, flûte, hautbois, clarinette, basson ne sont fréquentées par aucune fille ! On les retrouve cependant dans celles d'harmonie (40%) et de piano (60%). Ces quelques chiffres nous démontrent que les habitudes et ta mentalité d'avant la Révolution n'ont pas encore complètement disparu : les femmes ne peuvent être que chanteuses ou pianistes !

D'ailleurs la classe d'orgue n'est pas encore fréquentée assidûment par les femmes, bien que celles-ci accèdent à présent à des tribunes plus importantes. Elles continuent, comme avant 1789, a apprendre soit auprès de leur père musicien, soit en leçons particulières auprès d'un maître . Mais au fil du temps les choses vont évoluer et les diverses classes du Conservatoire finiront par accueillir autant de garçons que de filles.

Durant ce temps quelques maîtrises ont rouvert leurs portes sous l'Empire, une Institution royale de musique religieuse est fondée en 1817 par Alexandre Choron, puis la célèbre Ecole de musique religieuse et classique de Niedermeyer est créée en 1853. Mais les maîtrises et l'Ecoles Niedermeyer n'enseignent qu'aux garçons et chez Choron on ne trouve qu'environ 30% de filles. Notons parmi celles-ci en 1830: Mlles Pauline Blanc, Forget, Marie Girard, Coraly Parmigiani, Olympe Bairès, Legendre et Clara Novello. Cette dernière, est la future célèbre cantatrice anglaise (1818-1908) qui triompha dans des œuvres de Donizetti, Bellini et Rossini. L'emploi du temps de l'école de Choron est particulièrement dur : 6 heures du matin: lever, prière, lecture, cours de littérature française, géographie, histoire; 8h15: déjeuner et récréation: 9h à 13h : cours de musique; 13h à 14h, déjeuner et récréation; 14 à 19h30; cours de musique, et enfin à partir de 19h30, souper, recréation, prière et coucher. Au conservatoire l'emploi du temps est à peu près identique (lever a 6 heures, coucher a 9 heures). Quant à l'Ecole Niedermeyer, la plupart des élèves sont d’anciens maîtrisiens chez lesquels on a remarqué des dispositions musicales particulières. Il est donc normal de ne point y trouver de filles. Cependant dans les années 1910, alors d'ailleurs que cette école est sur le déclin et s'installe à Issy-les-Moulineaux, elle ouvre enfin ses portes aux filles. Notons que des musiciens comme Edmond Audran. Léon Boëllmann, Eugène Borell, Henri Büsser, Henry Expert, Gabriel Fauré, Alfred Frommer, Alexandre Georges, Eugène Gigout ou encore André Messager ont été formés chez Niedermeyer.

Mais revenons à nos femmes musiciennes. Dans le domaine de l'orgue, si l'on ne semble pas les retrouver dans les plus grandes églises parisiennes, excepté une certaine demoiselle Bigot qui succède en 1834 à Marrigues à l'église Saint-Gervais, elles occupent par contre souvent des postes importants en province : Madeleine Auger est organiste à la cathédrale Saint-Maclou de Pontoise depuis 1808; Mlle Rodière a celle d'Albi en 1855; Mme Ajon à celle d'Alès en 1861; Mme Barois à Auxerre en 1816, Mlle Ursule Riquier à Bayeux en 1853 ; Mlle Veillat à Luçon en 1846; Mme Foucques à Meaux en 1830; Mme Mager à Mende en 1870; Mme Veuve Pascal est à la collégiale Notre-Dame de Sémur-en-Auxois en 1812; Mme Bailly à l'église Saint-Bénigne de Pontarlier dès le début du XIXe siècle ; Mlle Désirée Bise à l'abbatiale Saint-Sauveur de Montivilliers en 1802; Mlle Constance Leconte de la Varengerie est à Notre-Dame de Carentan en 1811; Mme Louise Potiquet-Emery à l’église d'Argenteuil dans les années 1840; Virginie Noble-Leroi, puis sa fille Marie-Louise Godefroy sont à Notre-Dame de Versailles à compter de 1837; Catherine Pollon-Dufour épouse Lachey est à Notre-Dame de Magny-en-Vexin jusqu'en 1816, année où elle quitte son poste après plus de 50 ans de service; Mlle Roquès est à l'église de Saint-Gaudens en 1877 etc....

Au cours de ce siècle l'enseignement privé féminin se développe également et on trouve, ne serait-ce qu'à Paris, beaucoup de professeurs femmes qui enseignent principalement d'ailleurs le solfège, la harpe, le piano et le chant : Mmes Balanque, Chopin, Coré-Paillard, Darondeau, Delaunay, Jenny Cuchet, A. Drufin, Goblin, Hemat, Georgette Ducrest, Dupouget, Genty, Guilleminot, Théodora Lottin, Morel, Neuhaus, Pontallé, Schobloch, Marie-Rose Serène, Vidal-Saint-André, Mlles Camus, Barré, Elise Herz, Clorinde de Hotteaux, Runzé, Nina Mosso, Elisa Nisot, Pingeon, Alexandrine Tupain, etc...

Durant ce dix-neuvième siècle les salles de concerts et de théâtre s'ouvrent au grand public. Des Sociétés de concerts se créent (Pasdeloup, Colonne...), l'opérette voit le jour, l'opéra se relève de la domination italienne. Des célèbres cantatrices font le régal du public qui se délecte à l'écoute d’œuvres de Berlioz, Félicien David, Meyerbeer, Auber, Adolphe Adam, Halévy. Offenbach, Gounod, Saint-Saëns, Bizet, Lalo, Chabrier... Parmi celles-ci Laure Damoreau-Cinti (1801-1863), soprano, débuta aux Italiens en 1816 puis continua sa carrière à l'opéra où elle créa notamment Le siège de Corinthe et Guillaume Tell de Rossini, Le Philtre d'Auber et Robert le diable de Meyerbeer. Elle chanta aussi à l'Opéra-Comique où elle triompha dans L'ambassadrice d'Auber. Enfin elle se retira en 1841 pour enseigner au conservatoire de Paris. Cornélie Falon (1814-1897), également célèbre soprano française, commença à l'opéra en 1832 dans Robert le diable. Elle hanta des œuvres de Rossini et créa Amélie dans Gustave III d'Auber, ainsi et surtout que La Juive d'Halévy en 1835. Son nom d'ailleurs continue de nos jours de designer la voix de soprano dramatique. Marie-Félicia Malibran, née Garcia (1808-1836), malgré son jeune âge où elle fut fauchée par la mort, fut une soprano dramatique de renom. Elle a été immortalisée en outre par les stances de Musset. C'est en 1825, à Londres, qu'elle débuta avant de s'installer à Paris en 1827. Son premier succès dans la capitale fut la Sémiramide de Rossini (Opéra, janvier 1828). Engagée aux Italiens elle tint durant quelques années la scène comme meilleure interprète de Rossini. Elle partit ensuite en Italie en 1832. Henriette Sontag (1805-1854), bien que de nationalité allemande, se fit entendre à Paris aux Italiens en 1826 et y resta durant plusieurs années. Elle se fit applaudir entre autres dans Don Pasquale. Emma Calvé (1858-1942), de son vrai nom Rose Calvet de Roquer, débuta à Nice, puis entra à l'Opéra-Comique en 1885 et se produisit sur les plus grandes scènes mondiales (Milan. Londres, Berlin, New-York, Manhattan). C'est elle qui chanta Carmen en 1904 pour la millième représentation à l'Opéra-Comique et son interprétation reste légendaire. Elle avait fondé une école de chant dans son château de Cabrières et a écrit ses mémoires, parues en 1940, intitulées "Sous tous les ciels j'ai chanté. Une autre grande cantatrice du XIXe siècle ne doit pas être oubliée ici avec Pauline Viardot (1821-1910), sœur de la Malibran.
Pauline Viardot
Mezzo-soprano, elle commença sa carrière comme sa sœur à Londres (1839), puis entra aux Italiens à Paris, au Théâtre Lyrique et à l'Opéra, tout en se produisant également sur les principales scènes des grandes capitales. Orphée et Alceste de Gluck furent ses plus grands succès. Née Garcia elle avait épousé le directeur du théâtre des Italiens, Louis Viardot. De 1871 à 1875 elle enseigna au Conservatoire de Paris. Avec Nellie Melba (de son vrai nom Helen Amstrong, née Mitchell), 1861-1931, soprano australienne mais élève à Paris de Mathilde Marchesi, nous abordons là une véritable légende qui donna même son nom à un célèbre dessert ! Sa voix d'une grande pureté le resta jusqu'en 1926, année de ses adieux à la scène. Elle avait travaillé sous la direction de Gounod, Massenet, Thomas et Saint-Saëns. Sa vie fut partagée entre Bruxelles, Saint-Petersbourg, l'Italie, les Etats-Unis, l'Australie, ainsi que Londres et Paris. Dans cette dernière ville, elle interpréta le rôle de Marguerite , ainsi que celui de Juliette dans les opéras de Gounod en 1889 et 1890.

Avant de quitter ces cantatrices, citons encore Georgette Ducrest, qui se produisait dans les années 1830 dans les Salons Pape et Petzold ; Mme Matteo Orfila, qui tenait un célèbre Salon ouvert sous Charles X et qui demeura l'un des plus fréquenté de Paris sous Louis-Philippe et le Second Empire, où Liszt fit ses débuts; et Mme Lemonnier, née Philomène Regnault, récitante à la Chapelle royale sous Charles X et chanteuse à l'Opéra-Comique.

Quant à la composition chez les femmes au cours du dix-neuvième siècle, celle-ci reste minime tout en devenant cependant plus importante à la fin de ce siècle. Citons pour mémoire: Les Victorieuses, contredanses nationales sur des motifs populaires, pour piano avec accompagnement de violon (Cotelle, 1830) par Mme Bouchardy; Trois romances et une chansonnette dédiées à M. Jacotot (1830) par Jenny Constantini, Air suisse varié pour piano-forte op. 1 (Lemoine, 1831) par Mlle Delaporte, des airs variés de Pauline Duchambge (L'Absence, A qui pense-t-il?, le Bouquet de bal, La Chanson du fou, Prends-garde, La Ronde...) et également Louise Farrenc (1804-1875), pianiste et compositeur, professeur de piano au Conservatoire de Paris de 1842 à 1872, auteur d'un Traité des observations... et de nombreuses compositions pour le piano, des œuvres de musique de chambre et trois symphonies, Mme Hantute 1, auteur de chansons et romances (Chant du faucheur polonais, Le rendez-vous, Le sommeil de Julien, Le vrai mal d'amour),
Augusta Holmès,
compagne de Catulle Mendès
Mlle Lambert à qui l’on doit un Premier quadrille pour piano (Richault 1830), Mme Jules Menessier-Nodier, auteur de barcarolles et de mélodies romantiques sur des paroles d'Alfred de Vigny, Sainte-Beuve et Victor Hugo; Mlle Millin, professeur à l'Ecole Royale de Musique et compositeur notamment d'un nouveau quadrille de contredanses Les Orientales (1830); Marie Jaëll (1846-1925), pianiste, auteur de nombreuses pièces pour son instrument et de plusieurs ouvrages pédagogiques;
Cécile Chaminade
Cécile Chaminade (1861-1944), pianiste, auteur de deux Trios pour violon, violoncelle et piano, un concertino pour flûte et orchestre, une Symphonie lyrique (Les Amazones, 1888), deux Suites d'orchestre et un ballet (Callirhoé) interprété à Marseille en 1888 et de mélodies et pièces d'orgue (La Nef Sacrée, publiée chez Enoch). Augusta Holmès (1847-1903), filleule d'Alfred de Vigny, écrivit des symphonies dramatiques : Lutéce (Choudens, 1879) Les Argonautes (Grus, 1881), Ode triomphale (Durdilly, 1889), un poème symphonique : Irlande pour très grand orchestre, des opéras (La Montagne noire, 1895....). Compagne de Catulle Mendès elle eut de lui 5 enfants. Loïsa Puget (1810-1889), célèbre auteur de romances et chansonnettes et également d'un opéra Le Mauvais œil (Opéra-Comique, 1869) et d'une opérette La Veilleuse ou les nuits de Milady (éditée chez Heugel), compte également parmi ces femmes compositeurs qui ont commencé à se faire remarquer en cette seconde moitié du dix-neuvième siècle. N'omettons pas également de citer, à cheval sur les XIX et XXe siècles, Mel Bonis (1858-1937), élève du Conservatoire de Paris, auteur d'environ 300 oeuvres (pièces pour piano, musique de chambre, pages vocales).

Comme nous le constatons cette dernière période voit naître davantage de compositions écrites par des femmes ; les catalogues d'éditions musicales en font foi. Mais, il faut le dire, celles-ci sont souvent uniquement connues par quelques musicologues avertis ou autres experts. Le grand public actuel, il est vrai, ne connaît pratiquement aucun nom de compositeurs femmes antérieur à notre siècle ! Par contre de grandes interprètes depuis le XVIIe siècle sont connues même de nos jours.

LE VINGTIÈME SIÈCLE

Henriette Puig-Roget
à la console de l'orgue de Saint-Etienne de Caen, vers 1955
( photo Pierda )

A l'aube du vingtième siècle et jusqu'à maintenant l'on va voir les femmes prendre une place de plus en plus importante dans la musique raflant des premiers prix haut la main au Conservatoire, ainsi qu’à la Schola Cantorum, fondée en 1894 par Charles Bordes, Vincent d'Indy et Alexandre Guilmant et ouverte dès le départ aux élèves des deux sexes. Des femmes vont être violonistes, violoncellistes, flûtistes, chefs d'orchestre ,chefs de chœurs et même percussionnistes. Et bien entendu elles vont continuer de briller dans des domaines qu'elles connaissent depuis longtemps le piano, le clavecin, la harpe et l'orgue. D'ailleurs et curieusement certains domaines tendent à devenir exclusivement féminins, notamment la harpe avec Annie Challan, Martine Géliot, Marie-Claire Jamet, Lily Laskine, Denise Megevand, Murielle Nortdmann Henriette Renié... et le clavecin, à un moindre degré tout de même, avec Laurence Boulay, Michèle Delfosse, Huguette Dreyfus, Huguette Gremy-Chauliac, Brigitte Haudebourg, Mireille Lagacé, Claudine Prunel, Margeurite Roesgen-Champion et la célèbre Wanda Landowska qui fit en plus tant pour la diffusion de la musique ancienne. Le piano trouve également d'excellentes virtuoses : Gaby Casadesus, France Clidat, Lucette Descaves, Ginette Doyen, Frédérique Fontanarosa, Lélia Gousseau, Anne Quéfellec, Katia et Marielle Labèque, Monique de La Bruchôlerie, Yvonne Lefébure, Marguerite Long, Yvonne Loriod, Magdeleine Panzéra-Baillot, Henriette Puig-Roget, Andrée Vaurabourg...

Quant à l'orgue, les femmes du vingtième siècle remportent souvent les premiers prix du Conservatoire de Paris : Noélie Pierront (1928), Henriette Puig-Roget (1930), Marie-Louise Girod et Jeanne Demessieux (1941), Denise Raffy et Rolande Falcinelli (1942), Mlle Thouvenot et Micheline Lagache (1946), Suzanne Chaisemartin (1947), Françoise Renet et Marie-Madeleine Chevalier (1949), Marie-Claire Alain (1950), Jeanne Joulain (1952), Odile Pierre et Eliane Lejeune-Bonnier (1955), Francine Guiberteau (1961), Danielle Salvignol et Arlette Heudron-Fernandez (1966) , Claudine Barthel (1967), Françoise Gumpel-Rieunier et Michelle Guyard (1968), Marie-Danièle Mercier (1971), Marie-Thérèse Jehan (1973), Marie-José Chasseguet (1974), Odile Jutten (1975), Anne-Marie Barat (1976), Sarah Soularue et Marie-Agnès Grall-Menet (1978), Pascale Rouet et Marie-Bernadette Dufourcet-Hakim (1982), Véronique Bonn (1983), Sophie Choplin (1984), Françoise Dornier (1989)...

Pour rester dans le domaine de l'orgue où les femmes sont largement représentées et tiennent à présent de prestigieuses tribunes dans toute la France, citons encore de grandes organistes (en dehors de celles déjà nommées supra): Marie-Louise Jaquet-Langlais, Marie-Madeleine Duruflé, Geneviève de La Salle, Michelle Leclerc, Olga Lermigeaux, Olga Monod, Renée Nizan, Paule Piedelièvre, Jeanne Marguillard, Odile Bailleux, Geneviève Besson, Marthe Bracquemond, Denise Chirat-Comtet, Lise Duffour-Leduc..., sans omettre Elisabeth Brasseur qui fut également la fondatrice (1920) de la Chorale Elisabeth Brasseur (dirigée depuis sa mort en 1972 par Catherine Brilly) et Marie Tarditi qui a été maître de chapelle de l'église Saint-Louis des Invalides (1969 à 1980). Mais il est encore malgré tout quelques domaines réservés aux hommes, entre autres la direction du Conservatoire national supérieur de musique de Paris et les postes de maîtres de chapelle, bien que ceux-ci se fassent de plus en plus rares en raison de "l'évolution" de la liturgie en France ! Certains autres se féminisent avec quelques lenteurs et difficultés : chef d'orchestre notamment.

Il ne nous paraît pas utile d'allonger davantage cet article avec de longues listes fastidieuses en nommant les multiples cantatrices ou chanteuses de notre siècle. Il existe des dictionnaires et répertoires très bien faits dans ce domaine, qui les recensent. Disons seulement qu'il semble ne plus exister de discrimination et qu'une carrière de musicien présente de nos jours autant de facilités, et de difficultés !, pour les hommes et les femmes.


Nadia Boulanger
( Source: livret du CD EMI CDH 7610252 )
Claude Arrieu
( Détail d'une photo de 1929 dans la classe de composition de Paul Dukas, au conservatoire. )

Pour clore ce chapitre parlons des femmes compositeurs du XXe siècle. Là encore, bien qu'il y ait une foule d’œuvres écrites par des femmes, peu d’œuvres ont atteint le succès si ce ne sont quelques pages de Lili Boulanger dont nous reparlerons. On trouve cependant plusieurs femmes lauréates du Grand Prix de Rome : Hélène Fleury-Roy (1904), fut la première femme récompensée et enseigna ensuite à Toulouse, Nadia Boulanger (1908), sœur de Lili, devint directrice du Conservatoire américain de Fontainebleau, Marguerite Canal (1920) devint professeur au CNSM, Jeanne Leleu (1923) fit une carrière de compositeur en écrivant notamment de la musique instrumentale, vocale et théâtrale, Elsa Barraine (1929), professa au CNSM, Yvonne Desportes (1932), enseigna également au CNSM, ainsi d’ailleurs que Rolande Falcinelli (1942), Odette Gartenlaub (1948), Jeanine Rueff (1948), ), Thérèse Brenet et Lucie Robert-Diessel (1965), Monique Cecconi-Botella (1966) et Edith Lejet (1968). Adrienne Clostre (1949), Eveline Plicque (1950) et Ginette Keller (1951) se sont plutôt consacrées à la composition. On remarque donc que les femmes semblent plutôt se cantonner dans l’enseignement que dans la création artistique, mais est-ce réellement volontaire ou seulement une situation de fait, nous l’ignorons ! Il est cependant incontestable que les œuvres écrites par les femmes, même si elles n’atteignent pas au génie, du moins pour l’instant, font partie de notre patrimoine et sont inséparables de l’histoire de la musique.

En dehors des Prix de Rome cités ci-dessus il faut nommer encore Germaine Tailleferre (1892-1983) qui fit partie du Groupe des Six, Simone Plé-Caussade (1897-1985), pianiste, Marguerite Roesgen-Champion (1894-1976), claveciniste et Claude Arrieu (1903-1990), compositeur, lauréate du Prix " Italia " en 1949, qui sont d’ailleurs souvent plus connues que les précédentes. N'oublions pas enfin Marthe Braquemond, auteur d’œuvres symphoniques et instrumentales, de pièces pour piano et flûte, piano et clarinette, et de mélodies; Fernande Decruck (née en 1896) qui a composé des œuvres symphoniques, des trio, quatuor, des pièces de piano et des mélodies; Suzanne Demarquez (née en 1899), auteur de sonates pour piano et violoncelle, de chansons... ; Henriette Puig-Roget (1910-1992), à qui l'on doit des poèmes symphoniques, des concerto pour piano ou violoncelle, des mélodies et chœurs, ainsi que des pièces pour orgue et Marcelle Soulage (née en 1894) auteur de nombreuses pages pour piano, alto, pour orchestre ou encore d’œuvres vocales, ainsi que Nadia Boulanger (1887-1979), compositeur, pédagogue, organiste et chef de chœur, élève de Fauré et de Guilmant, Second Grand Prix de Rome en 1908, qui fut maître de chapelle du Prince de Monaco et qui a laissé des mélodies sur des textes de Verhaeren, une Rapsodie pour piano et orchestre, une cantate Sirène et des pièces d'orgue. Citons encore la violoniste Grazyna Bacewicz (1909-1969), auteur de nombreuses compositions, dont un Quartetto pour violons (Fichier MP3 3e mouvement) souvent interprété de par le monde. Bien que Polonaise, elle avait en effet de sérieuses attaches avec la France, ayant effectué une partie de ses études musicales dans ce pays auprès de Nadia Boulanger et André Touret.


Lili Boulanger
( Source: livret du CD EMI CDM 7 64281 2 )

Incontestablement Lili Boulanger, sœur de Nadia, née en 1893 et morte précocement à l'âge de 24 ans le 13 mars 1918, était génialement douée. Si elle n'avait été emportée si jeune par la maladie, sans doute aurions nous un Mozart féminin. Elève de sa sœur, de Fauré, ainsi que de Caussade et Vidal au Conservatoire de Paris, elle fut la première femme à recevoir le Premier Grand Prix de Rome en 1913, à l'âge de 19 ans, avec sa cantate Faust et Hélène. Durant sa courte vie elle a eu le temps d’écrire quelques œuvres personnelles qui atteignent souvent le pathétique et dont on trouve peu d'exemples, même masculins !, dans l'école française de cette période. On peut dire, et c'est peut-être la seule femme dans ce cas, qu'elle a écrit des chefs-d’œuvre. Les Psaume XXIV (Ad te Domine levavi animam meam) et Psaume CXXIX (De Profundis clamavi ad te) sont " d'une intensité douloureuse et passionnée ", et la Vieille Prière bouddhique pour ténor, chœur et orchestre est elle aussi une œuvre de choix. Lili Boulanger a écrit également des pièces pour piano, pour divers instruments, de la musique symphonique, dont deux poèmes Un matin de printemps et Un roi triste, un opéra inachevé La Princesse Maleine et un magnifique et émouvant Pie Jesu pour soprano, orgue, quatuor à cordes et harpe qui est son dernier numéro d’opus. L'ensemble de son œuvre est de grande qualité et est largement digne de figurer auprès de celles des Claude Delvincourt, Jacques Ibert, Georges Migot, Darius Milhaud et Francis Poulenc pour ne parler que des compositeurs de son époque. On pourrait se poser alors une question : pourquoi ne trouve-t-on jamais, ou très rarement, de pièces de Lili Boulanger au programme des concerts? Là, nous rentrons dans un autre domaine qui serait beaucoup trop long à développer ici. Disons simplement comme Roland Manuel et Claude Rostand, qu'il y a des engouements incompréhensibles, des négligences impardonnables, des refus obstinés qu'on n'explique pas, que notre esprit routinier a peur de l'aventure, de l'inconnu et qu'on aime mieux ce que l'on connaît que ce que l'on ignore !


LE VINGT-ET-UNIÈME SIÈCLE

Plus près de nous, période au cours de laquelle cette disparité homme-femme a pratiquement disparu, on se doit de mentionner les noms de bon nombre d’interprètes et compositrices de grande valeur dont les œuvres figurent au répertoire de la plupart des formations : Betsy Jolas, Pierrette Mari, Michèle Reverdy, KaIja Saariaho, Edith Canat de Chizy, Isabelle Aboulker, Suzanne Giraud, Graciane Finzi, Isabelle Fraisse, Michelle-Agnès Magalhaes, Sophie Lacaze, Giullia Lorusso, Raphaèle Biston, Camille Pépin, Pascale Jakubowski, Pascale Lazarus, Béatrice Thiriet…


CONCLUSION

Au fil des temps les femmes ont affirmé leur capacité à devenir de remarquables interprètes dans tous les genres musicaux, dépassant même parfois l'homme grâce à leur sensibilité exacerbée. Elles sont également d’excellentes pédagogues et ont formé, et forment encore d’ailleurs, une pléiade de musiciens et musiciennes de talent : Rolande Falcinelli pour l'orgue, Lilly Laskine pour la harpe, Huguette Dreyfus et Marguerite Roesgen-Champion pour le clavecin, Marguerite Long pour le piano... Par contre, comme nous l'avons vu au cours de notre étude, en dehors de quelques exceptions comme la géniale Lili Boulanger, pendant longtemps leurs compositions musicales parvenaient difficilement à atteindre la notoriété et la reconnaissance. Quelle en est la cause? On pourrait certainement disserter sur le sujet durant de longues heures ; certains ont même dit que le génie tient à la liberté, dont, trop longtemps, les femmes furent sevrées. Cela est-il vrai? En partie sans doute, mais des chefs-d’œuvre ont été créés dans des conditions terribles, sans liberté aucune? Alors? Sans doute faut-il tout simplement songer à des raisons plus matérielles qui ont longtemps nui à leur émancipation, parmi lesquelles on peut citer un manque d'accès aux études musicales qui n'ont été totalement ouvertes qu'au début du XXe siècle et une prédominance de l'homme dans la vie sociale reléguant la femme à des tâches purement ménagères, comme cela se voit encore de nos jours dans certaines sociétés.

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
(1993, dernière mise à jour : septembre 2021)

Lire aussi sur Musica et Memoria : Juliette TOUTAIN, précurseuse du Prix de Rome pour les femmes.

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1) Eliza Hantute, dont le patronyme est parfois orthographié par erreur Hattuté, est née SALMON le 10 janvier 1807 à Liverpool, baptisée plus tard le 8 avril à St Peter's church, fille de James Salmon, organiste de cette église, et de Eliza Munday (Oxford, 1787 - Chelsea, 1849), célèbre soprano, qui s’étaient mariés l’année précédente le 1er février 1806 à St Peter’s church.

Alors domiciliée avec ses parents à Londres, elle épouse le 28 octobre 1826 à St George's Hanover Square (cité de Westminster, Londres) Louis Hantute, né le 8 pluviôse an VII à Boulogne-sur-Mer où au moment de cette union il réside avec ses parents Jean-Louis Hantute, notaire, et Louise Féron qui s’étaient épousés le 12 juin 1797 à Boulogne-sur-Mer. Licencié en loi, Louis Hantute fut notamment juge de paix à Saint-Sauveur (Yonne) à partir de 1851, puis du canton d'Arpajon (Essonne) à partir de juin 1858. C'est là qu'il décéda le 4 avril 1863 à l'âge de 64 ans, alors veuf d’Eliza Salmon.

On sait que cette dernière était de santé fragile et souffrait d'une grave maladie nerveuse qui l'avait déjà éloignée des planches durant 5 mois en 1834-1835 (La France, 9 mars 1835, p. 3). Contralto, en 1837 elle disait avoir un engagement de Prima dona à la Scala de Milan et avant de partir effectuait une tournée de concerts à Lyon, Chalon et Macon, puis peu après, en 1838-1839, elle était attendu à la Sparta Female Academy (Géorgie, USA) comme professeur de français, piano-forte et chant. Mais sa carrière fut soudainement interrompue par une mort prématurée survenue à l’âge de 33 ans. Elisa Salmon, alors domiciliée 14 rue de Suresnes, est en effet décédée à Paris, 54 faubourg du Roule (1er arrondissement ancien), le 23 octobre 1840. Sa maladie nerveuse l'a sans doute précipitée dans la tombe. (DHM) 


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