Joachim HAVARD DE LA MONTAGNE



Joachim Havard de la Montagne
Joachim Havard de la Montagne,
compositeur, maître de chapelle de l'église de la Madeleine,
à Paris VIII°, de 1967 à 1996
- (photo Guy Vivien, Paris, 1978) -

Fichier MP3 Extrait sonore de Esquisse (1972), Philippe Brandeis, au grand orgue d'Argenteuil
Fichier MP3 Andante de Donizetti, J. Diény (hautbois), J. Havard de la Montagne (orgue), 1988


Le compositeur et kapellmeister Joachim Havard de la Montagne s’est éteint le 1er octobre 2003 en région parisienne à l’âge de 75 ans, des suites d’une longue maladie.

Issu d’une vieille famille normande qui a produit des écrivains et journalistes catholiques, Joachim Havard de la Montagne est né le 30 novembre 1927 à Plainpalais (Genève) où ses parents étaient installés depuis quelques années, son père travaillant alors à la Société des Nations (ancêtre de l’ONU). Il vécut toute sa prime jeunesse à Genève : alors élève de l’Institut Florimont au Petit-Lancy (fondé en 1905 par la Congrégation des Missionnaires de Saint-François de Sales), où dès l’âge de 9 ans avec la chorale dont il faisait déjà partie il chantait encore les Complies, c’est en écoutant régulièrement William Montillet à St-Joseph et surtout René Livron à Notre-Dame qu’il se prit de passion pour l’orgue et la musique. Installé à Paris au début de la guerre, il termina ses études scolaires au Collège du Sacré-Cœur de Charenton (Petit Séminaire de Conflans, Val-de-Marne). On y célébrait à cette époque les offices avec beaucoup de dignités dans une liturgie quasi monacale servie par un chœur de jeunes qu’il avait rapidement rejoint. De là, sans doute, son goût prononcé pour la musique religieuse et la musique vocale en général ! Tout en prenant des leçons particulières d’orgue auprès d’Henry Le François, il entra en 1946 à l’Ecole supérieure de musique César-Franck de la rue Jules-Chaplain (Paris VIe), héritière de la pensée de Vincent d’Indy et fondée en janvier 1935 par Louis de Serres, Marcel Labey et Guy de Lioncourt. Elève de Jean Fellot puis de Edouard Souberbielle (orgue), Michel d’Argoeuves (solfège), René Malherbe (harmonie, contrepoint), René Alix (contrepoint), Suzanne Guillemot puis Jean de Valois (chant grégorien), il ressortait de cet établissement en 1948, ses diplômes en poche.

Après avoir effectué ses premières armes d’organiste en 1947 à l’église Notre-Dame de Bellevue à Meudon (Hauts-de-Seine), il deviendra maître de chapelle et organiste durant près d’un demi-siècle (octobre 1948 à novembre 1996) de l’église Sainte-Marie-des-Batignolles (Paris XVIIe), de l’église Sainte-Odile (juillet 1951 à avril 1966, Paris XVIIe), de la synagogue de la rue Copernic (novembre 1956 à novembre 1996, Paris XVIe) et maître de chapelle durant 30 années de la prestigieuse église de la Madeleine à Paris VIIIe (mars 1967 à novembre 1996), paroisse de l’Elysée. Là, il renoua avec la tradition musicale de ses illustres prédécesseurs (Camille Saint-Saëns, Théodore Dubois, Gabriel Fauré) en fondant avec son épouse les Chœurs et l’Ensemble Instrumental de la Madeleine, avec lesquels il donnait des séries de concerts mensuels de grande renommée dans les milieux musicaux parisiens " Une Heure de musique à La Madeleine ". Celles-ci attirèrent durant plus de deux décennies (237 concerts) une foule d’amateurs de musique de tous bords et de tous âges. C’est lui qui dirigea la musique aux obsèques à La Madeleine de Cino Del Duca, Francis Bouygues, Tino Rossi, Michel Simon, Thierry Le Luron, Joséphine Baker… Il savait s’entourer d’excellents artistes musiciens avec lesquels il exécutait des œuvres liturgiques ou concertantes souvent tombées dans l’oubli ou méconnues. On lui doit ainsi d’avoir fait redécouvrir au public plusieurs chefs-d’œuvre, parmi lesquels le Requiem de Michaël Haydn, celui de Jean-Christian Bach et celui de Gounod dont il retrouva les partitions, annotées de la main de Fauré, enfouies dans les caves de La Madeleine, le Stabat Mater de Schubert, les Sept Paroles du Christ en croix de Joseph Haydn, l’oratorio Christus de Mendelssohn, l’Oratorio de Pâques de Bach, la Passion selon Saint Jean de Haendel, la Passion selon Saint Marc de Perosi… Il avait toujours à cœur " de respecter les textes prévus dans la liturgie officiel et l’esprit de l’époque liturgique " dans laquelle il vivait, prenant grand soin " de choisir des polyphonies en corrélation étroite avec l’esprit de la liturgie de la fête. " Parmi son important répertoire qu’il interprétait au fil de l’année liturgique, il affectionnait plus spécialement les Messes de Gretchaninoff, Bruckner, Hadyn, Mozart, de Ranse, Wöss, Nibelle, Vierne, Gounod, Büsser, Hilber, Alain, Hummel, des Psaumes de Litaize, Samson, Roesgen-Champion , ou encore des motets de Vittoria, Duruflé, Poulenc, Delalande, Elgar, de Séverac, Schumann, Vivaldi, Fauré, Liszt, Franck…

M. Havard de la Montagne fut membre de la Commission de Musique Sacrée du diocèse de Paris dès sa création en 1964, aux côtés d’Olivier Messiaen, Gaston Litaize, Jean Langlais, le chanoine Revert et le R.P. Martin. Grand Prix International du Disque Lyrique à deux reprises, on lui doit notamment, pour la maison de disques " Le Chant du Monde " une trentaine de chansons pour illustrer l’Histoire de France par les chansons de Pierre Barbier et France Vernillat, dont Régine Deforges signalait encore récemment tout l’intérêt historique, et l’enregistrement en première mondiale sous sa direction, du Requiem de Gounod (1978, Arion) et de ses Complies (BNL, 1993) qui lui valurent deux Orphées d’Or décernés par l’Académie du Disque Lyrique.

Secrétaire général de l’Union des Maîtres de Chapelle et Organistes (1960), alors présidée par Henri Büsser, qui milita activement pour la reconnaissance du statut d’organistes, professeur de musique aux collèges Sainte-Marie-de-Monceau puis Fénélon-Sainte-Marie à Paris (1962 à 1978), professeur de solfège au Conservatoire municipal de Franconville (Val-d’Oise) durant une dizaine d’années (1978-1988), Vice-président de l’Association Una Voce (1999), Joachim Havard de la Montagne est également l’auteur de nombreux articles musicologiques publiés à partir de 1952 dans diverses revues spécialisées (Musique-Sacrée, L’Orgue, Musique et Loisirs, Musica et Memoria…), parmi lesquels on peut citer : Les instruments à l’église, Guy de Lioncourt, La marche des Anges, L’art musical et son histoire dans la Liturgie, La musique religieuse de Charles Gounod, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Maurice Duruflé, Jeanne Demessieux, Olivier Messiaen, Le violon d’Ingres, Les grandes étapes de la musique, Orgue et Liturgie, Le monde des organistes, Le Maître de chapelle dans l’histoire…

Admis très jeune en février 1950 dans les rangs de la SACEM comme sociétaire, Joachim Havard de la Montagne n’a cessé de composer durant plus d’un demi-siècle. Son catalogue renferme plus d’une centaine de numéros d’opus dans tous les genres, dont bon nombre de pièces de musique religieuse, au sein desquelles on remarque : plusieurs Messes (de la Paix, de la Miséricorde, de Noël, Missa Ultima), deux oratorios : Les Complies, Office de Prime pour soli, chœur, orgue et orchestre, un Cantique de David pour baryton solo, chœur, orgue et orchestre, de nombreux motets (Ave Maria, Beati omnes, Libera me Domine, O Salutaris, Psaume 150, Venite exultemus…), des Répons pour la Passion selon St-Jean, St-Marc, St-Luc et St Mathieu, ainsi que 26 Psaumes (chœur à l’unisson et chœur à 4 voix mixtes)…, et des pages pour orgue : un Choral, Canon et Fantaisie sur " O glorifica ", une Partita sur " O Salutaris ", une Prière pour les défunts, une Séquence à Saint-Denis et des Versets pour les vêpres de Saint-Laurent… On lui doit également de la musique vocale profane, parfois écrite sous le pseudonyme de Louis Villereuse, parmi laquelle plusieurs partitions pour chœur : Aubépin aubépine, La Petite haie, Le P’tit homme, L’Envers de Paris, Les Chansons qui meurent et des mélodies : A la poubelle, Je ne veux pas, Le Camelot d’amour, Le Vigneron ; des pièces pour piano : Chansons d’automne (4 mains), En promenade (4 mains), Deux pièces brèves : Affetusoso, Giocoso ; de la musique de chambre : Suite en couleurs (harpe et clavecin), Trois danses anglaises (clavecin et guitare), Chansons d’histoire de France (deux suites pour quatuor de saxophones) ; des œuvres orchestrales : Choral, Canon et Fantaisie sur " O quam glorifica " pour cordes, harpe, trois trompettes et timbales, Prélude pour un anniversaire pour chœur et orchestre ; des chœurs liturgiques juifs et des chants israéliens : Hodo al Eretz, Artsa Alinou, Ishmechou ve malchtecho, Yisrael veoraita, etc...

S’inspirant souvent du grégorien dans sa musique religieuse, Joachim Havard de la Montagne aimait en outre écrire de la musique modale plus que de la musique tonale, estimant " que cette forme d’expression n’a pas été souvent exploitée ; elle permet des développements riches et abondants et touche énormément l’auditeur. " Il était en cela en contradiction avec certains auteurs de musique concrète, sérielle ou d’avant-garde " qui pensent que tout a déjà été écrit en musique et que l’assemblage de bruits divers et variés, souvent agressifs, doit dorénavant remplacer la musique procurant des sons agréables à l’oreille. "

Bien avant la mode des baroqueux, dès les années cinquante il s’était intéressé à la musique ancienne, et en collaboration avec son épouse la claveciniste et organiste Elisabeth Havard de la Montagne qu’il avait connue en 1947 sur les bancs de l’Ecole César Franck, il avait restitué et réalisé plusieurs œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles (Campra, Corette, Desmarets, Haendel, Sabadini…), dont certaines furent enregistrées notamment chez Studio SM et Erato.

Egalement chef de chœur, chef d'orchestre, pédagogue et musicologue, Joachim Havard de la Montagne donnait à sa carrière musicale un lustre et une importance à peu près uniques de nos jours et qui rappelaient la fonction telle qu'elle existait chez les musiciens classiques d’autrefois. Admirateur de Bach, Mendelssohn, Saint-Saëns, Fauré, Ravel, Honegger et Rachmaninov, il a été l’un des derniers représentants de ce métier de maître de chapelle en voie de disparition. Il laisse un livre de souvenirs Mes longs chemins de musicien, dans lequel il relate ses 50 années d’activités artistiques (1999, L’Harmattan).

1er, 2 et 8 février 2001
Académie de musique des Grandes Écoles et Universités

Bizet : Te Deum
Saint Saëns : Première symphonie
Havard de la Montagne : Cantique de David (création mondiale)

Commandeur de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, officier de l’Ordre National du Mérite, Médaille de Vermeil de la Ville de Paris, Joachim Havard de la Montagne est décédé, des suites d'une longue maladie, à Argenteuil (Val-d'Oise) le 1er octobre 2003, jour de la "Journée Internationale de la Musique" et date anniversaire de la naissance de sa première épouse Elisabeth. Ses obsèques eurent lieu le vendredi 3 octobre en la basilique Saint-Denys d'Argenteuil, sa paroisse, suivies de son inhumation dans le petit cimetière de Sciez (Haute-Savoie), où reposait déjà sa première épouse Élisabeth, non loin de leur chalet "Le Point d'Orgue".

La messe dominicale du 16 novembre 2003 en l'église Sainte-Marie-des-Batignolles (Paris XVIIe), où Joachim Havard de la Montagne avait exercé durant si longtemps, fut dite à son intention. Au cours de celle-ci sa Missa Ultima pour 4 voix et orgue fut interprétée par les Chœurs de Sainte-Marie et son successeur l'organiste Jean-Louis Vieille-Girardet qui joua également plusieurs de ses pièces pour orgue (Méditation et prélude, Prière, Choral, Antienne...) Le 22 novembre 2003 dans cette même église, on donna un concert en son hommage au grand orgue Mutin Cavaillé-Coll avec l'organiste Anne-Adeline Lamy (œuvres de Bach, Schumann, Guilmant, Messiaen, Pierné, Duruflé et Joachim Havard de la Montagne). Le 1er décembre 2003 en l'église Saint-Honoré-d'Eylau (Paris XVI°), un autre service religieux était célébré par Mgr Brizard, directeur général de l'Oeuvre d'Orient et ancien curé de l'église de la Madeleine. Un Chœur composé d'une trentaine de chanteurs professionnels et amateurs, tous amis du compositeur, dirigé par Philippe Brandeis, interprétait à nouveau des extraits de sa Missa Ultima et des fragments du Requiem de Maurice Duruflé. L'organiste Nicole Pillet-Wiener joua à cette occasion l'Esquisse et la Prière pour les défunts de Joachim Havard de la Montagne, ainsi que le Prélude en ut mineur de Mendelssohn qu’il affectionnait plus particulièrement.

La disparition de ce musicien, soulignée par la presse nationale qui lui a unanimement rendu hommage, est une perte pour le monde musical, plus particulièrement pour la musique religieuse. Homme de foi, c’était en effet l’un des tout derniers maître de chapelle de Paris, ultime héritier de cette époque où les célébrations liturgiques étaient fidèlement servies par le chant grégorien, les répons, les polyphonies de la Renaissance et les chœurs admirables de Bach.

Denis Havard de la Montagne


Articles de ou concernant Joachim Havard de la Montagne sur ce site :
Radio, télévision, musique et religion, ignorance et sectarisme
Mes longs chemins de musicien
Interview : À bâtons rompus
Le monde des organistes
L'humour dans la musique et chez les musiciens
Le vocabulaire musical dans le langage familier
Il y a 50 ans, à propos d’une émission à Paris-Inter
L'Art musical et son histoire dans la liturgie
Orgue et liturgie
Henri Büsser et l'orgue
In Memoriam : Jeanne Demessieux
Le maître de chapelle dans l'histoire de la musique
Interprétation
Les instruments à l'Eglise
Le violon d'Ingres
Jean-Philippe Rameau
Guy de Lioncourt
Note sur un motet pascal de l'abbé Roussel : PASCHA NOSTRUM à 4 voix mixtes (1953)
Obsèques d'Eugène Bigot
La musique religieuse de Charles Gounod
Les instruments de musique
Folklore oublié
Fichier MP3 Gabriel Fauré et la musique religieuse
Fichier MP3 Olivier Messiaen
Complies - Office de Prime (avec 3 extraits en MP3)
Lettre de Jean Fellot à JHM, 30 décembre 1947
Fichier MP3 Catalogue de Joachim Havard de la Montagne, par D.H.M.
Notice obituaire
Disparition de J.H.M. relatée dans la presse
Une Heure de musique à La Madeleine (1974-1996)


 

A BATONS ROMPUS...

J’ai beaucoup hésité avant de livrer le texte qui va suivre. Il se compose d’un ensemble de réponses à un abondant questionnaire que m’a proposé mon ami Pierre Brusselaars1. Musicien de talent, passionné par le chant et par surcroît bon pianiste, celui-ci chante à l’église de la Madeleine depuis bientôt trente ans et fait partie des Chœurs de la Madeleine depuis leur fondation en 1971. J’ai donc répondu à ses questions avec sincérité et en toute modestie. Ces lignes ne font que retracer un parcours comme il y en a beaucoup d’autres ; le parcours d’un passionné de musique qui a tenté aussi de s’exprimer dans la composition musicale.

Joachim HAVARD DE LA MONTAGNE 2
(juillet-août 1994)

 

Choeurs de la Madeleine, en 1983
"Les Choeurs de la Madeleine", église de la Madeleine, Paris, Requiem de Cherubini, 25 novembre 1983
( photo D.H.M. )

Pierre Brusselaars : A quel âge avez-vous commencé à composer? A l'époque de vos débuts, avez-vous écrit des oeuvres que vous n'avez jamais publiées ni fait jouer en public? Avez-vous une liste exhaustive de vos compositions?

Joachim Havard de la Montagne : Quelques vagues et brefs essais remontent à la période de mes 15 ou 17 ans en dehors de pages proprement scolastiques. Mes premières compositions réelles mais bien modestes étaient destinées à ma demande d'adhésion à la S.A.C.E.M. en 1949. J'avais alors 21 ans; il s'agissait de cinq motets religieux pour chœur ou pour voix soliste avec accompagnement d'orgue. Certaines de ces pages n'ont jamais été exécutées et pourtant j'en aurais déjà eu la possibilité puisque je disposais à l'église Sainte-Marie-des-Batignolles3 d'un ensemble vocal et de l'orgue dont j'étais titulaire ; d'autres ont même été perdues... J’ai effectivement une liste de mes compositions qui sans doute n'est pas tout à fait à jour. Cela représente une centaine de titres.

P. B. : Votre besoin de composer s'est-il manifesté en permanence ou y a-t-il eu des éclipses? Avez-vous toujours été inspiré par la musique religieuse ou bien avez-vous aussi composé de la musique profane vocale ou instrumentale ?

J.H.M. : Mon besoin de composer depuis plus de quarante cinq années a en effet subi des éclipses: il y a eu des périodes au cours desquelles mes occupations professionnelles et surtout "alimentaires", en particulier l'enseignement, m'éloignaient momentanément de toute possibilité de composer : pas seulement pour une question de temps disponible mais surtout en raison d'une absence de liberté d'esprit. Le temps disponible, j’aimais aussi le réserver à la famille, aux distractions, au repos...

Joachim Havard de la Montagne
Joachim Havard de la Montagne avec sa cravate de Commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, novembre 1996
( coll. D.H.M. )

Il y a eu également une longue période durant laquelle je me suis consacré à des travaux musicologiques à partir de manuscrits ou d’éditions anciennes : grands Motets ou Psaumes de Campra, Clérambault, Corrette, Desmarets. Certaines de ces œuvres sont éditées et ont été enregistrées. Mais, surtout, ayant dès mes débuts et durant une bonne douzaine d’années écrit presque exclusivement pour la liturgie, j’ai été subitement dégoûté de poursuivre dans cette voie lorsque sont intervenus, vers 1962, les bouleversements dans la liturgie de l'église, le sabotage de la vraie musique et du chant grégorien, le sabordage de tous les éléments indispensables à l'exécution de la belle musique. Nous étions alors en plein ouragan sous le prétexte de se soumettre à "l'esprit du Concile". J'ai bien écrit alors quelques courtes pages à l'usage de cette "néo-liturgie" mais, compte tenu du climat détestable qui régnait parmi le clergé, mon expérience fut sans lendemain et je quittai l'église Sainte-Odile4 pour laquelle j'avais écrit ces pages, en claquant la porte. Je me suis alors tourné vers la musique instrumentale, écrivant pour l'orgue et surtout pour le clavecin et la harpe en duo : l'occasion était belle et j'avais de quoi être inspiré! Le "Duo Harpe et Clavecin de Paris" venait d'être créé par mon épouse Elisabeth au clavecin et Jacqueline Bender à la harpe ; j'écrivais pour elles deux la Suite en Couleurs et plusieurs arrangements et transcriptions pour ces deux instruments, m'éloignant donc des compositions religieuses pour les raisons que je viens d'évoquer. Vers la même époque, j'ai écrit des chansons pour chœur, dont certaines ont été éditées. Dans un domaine voisin, j'avais aussi écrit des chansons pour voix seule et piano de style " variété " (à part l'une d'entre elles, l'expérience n'a pas été très concluante) et surtout une trentaine de "Chansons de l'Histoire de France" que l'on m'avait demandées en 1957 pour le disque5 et pour une série d'émissions radiophoniques avec France Vernillat.

Oui j'ai composé de la musique purement instrumentale en dehors des pièces pour clavecin et harpe, mais surtout pour l'orgue ainsi que cinq petites pièces pour piano. J'ai transcrit aussi pour orchestre Choral, Canon et Fantaisie que j'avais d'abord écrit pour orgue seul. En devenant Maître de chapelle de l’église de la Madeleine (1967)6, je retrouvais une liturgie digne de ce nom et des possibilités musicales qui devaient encore s'améliorer et s'augmenter lorsque je créai les Chœurs puis l'Ensemble Instrumental de La Madeleine. Ces heureuses circonstances devaient m'inciter à écrire de plus en plus. Ce fut une première Messe pour chœur et orgue suivie d'une seconde pour la fête de Noël. Plusieurs années après, j'en écrivis deux autres, l'une pour chœur d'hommes, orgue et cuivres (pour le Chœur de l'Armée) l'autre en français pour chœur d'hommes et orgue que j'ai transcrite ensuite pour chœur mixte. Il est exact que j'aimerais pouvoir achever à temps pour 1995 une Messe de Pâques pour chœur et 2 orgues. Presque toujours, pour moi, la création de messes ou de motets est motivée par une circonstance particulière et dans la perspective d'une exécution bien définie. Il en est de même lorsque j'écris (cela m'arrive très souvent) des harmonisations ou des orchestrations d'auteurs divers, surtout en vue des concerts. Modestement, je dirais que, comme les grands et célèbres maîtres de chapelle d'autrefois, ces circonstances me stimulent encore davantage et je mesure constamment la chance dont je bénéficie tandis que tant de musiciens conservent dans leurs cartons les œuvres qu'ils ont écrites sans pouvoir jamais les entendre!

P.B : Quels ont été vos maîtres? De quels musiciens du 19ème ou du 20ème siècle vous sentez-vous proche?

J.H.M. : En matière d'écriture, ce furent les professeurs de l'Ecole César Franck qui sans doute m'ont marqué; ces excellents musiciens tels que Guy de Lioncourt, Marcel Labey étaient les héritiers de Vincent d'Indy et les plus grands admirateurs de César Franck. Sans doute m'ont-ils influencé pour une certaine rigueur, dans l'essence religieuse de toute musique, dans l'art de s'inspirer du chant grégorien. Mais je dois avouer que je suis davantage un autodidacte dans la composition et surtout dans l'orchestration. Quant aux musiciens auxquels je suis le plus attaché, il y a évidemment Jean-Sébastien Bach, ensuite Mendelssohn (avec ses Psaumes et ses Oratorios extraordinaires), Saint-Saëns (auquel on rend justice après un long purgatoire), Ravel, Honegger, Rachmaninov... Je limite la liste, mais j'ajoute Gabriel Fauré!

P.B. : Avez-vous chanté en chœur autrefois?

J.H.M. : Si je suis si attaché à la musique religieuse et à la musique vocale en général, c'est certainement aussi parce que j'ai, en effet, depuis mon plus jeune âge, chanté dans des chorales. Dès l'âge de 9 ans dans mon collège de Genève où l'on y chantait même les Complies, puis dans mon collège parisien où les Offices étaient dignes d'offices pontificaux et où l'on célébrait une grande liturgie quasi monacale, enfin dans les chœurs de l'Ecole César Franck avec lesquels j'ai découvert les Passions et les Cantates de Bach et participé à la création d'un Oratorio de Guy de Lioncourt.

P. B. : Vous aimez composer, vous me l'avez dit. Pour les œuvres brèves, vous arrive-t-il de composer à l'improviste sans l'avoir programmé préalablement? Pour les œuvres plus importantes, planifiez-vous vos jours et heures de composition? Ou préférez-vous écrire : à votre domicile parisien ou à votre chalet savoyard " Le Point d'Orgue "? Avez-vous alors besoin de solitude? Passez-vous, pour écrire, plus de temps au clavier ou à votre bureau?

J.H.M. : Les œuvres brèves, en général, je les écris dans un but précis et, si l'on peut dire, fonctionnel, même si ce n'est pas indispensable au déroulement d'une cérémonie mais simplement parce que l'idée m'inspire. Pour les œuvres plus importantes, je mûris assez longuement le projet mais, encore une fois, le fait de savoir que j'aurai à coup sûr la possibilité et l'avantage d'en monter l'exécution dans des conditions idéales me donne un élan irrésistible.

J'écris en fonction de mes heures de liberté qui sont irrégulières et donc selon les circonstances. Pour le premier jet, oui j'ai besoin de solitude, allant irrégulièrement de mon bureau au clavier. Ensuite pour affiner les détails, pour éventuellement modifier l'harmonie, pour améliorer le texte si l'œuvre est vocale, pour orchestrer, selon le cas, l'entourage familial ne me gêne pas trop. Mais il est certain qu'au point de départ, il y a des "jours sans" et des "jours avec" ; autrement dit, l'inspiration n'est pas toujours au rendez-vous! En général lorsque l'œuvre est bien entamée, l'inspiration ne fait que s'accroître. De plus, j'ai alors de plus en plus hâte de la voir achevée et surtout "mise au propre", c'est à dire tout à fait lisible et présentable comme une partition imprimée. J'ai dès lors presque autant de satisfaction à la contempler sur le papier que j'en aurai au moment de la première audition. Il m'arrive aussi bien de me trouver à sec devant la page blanche que d'avoir une inspiration qui me semble géniale, de ne pouvoir la noter sur le champ puis de ne pouvoir la retrouver au moment opportun! Il m'est arrivé effectivement d'avoir une idée en pleine nuit et de me lever pour la noter, mais je suis souvent trop paresseux pour ce faire! Par commodité j'écris presque toujours l'œuvre proprement dite chez moi en région parisienne car lorsque je suis en vacances au " Point d'Orgue ", je m'évade un peu de la musique en faveur d'occupations bien différentes et de loisirs variés en famille. Pourtant c'est souvent au " Point d'Orgue " que je prends un peu de temps pour recopier calmement l'œuvre au propre ou établir le matériel de partition pour le chœur ou pour l'orchestre ; ce travail demande moins de concentration et par bonheur cela ne me déplaît pas. Ainsi, cet été, j'ai recopié et mis au point l'orchestration d'un Prélude pour un Anniversaire, œuvre qui ne dure que quatre minutes environ mais écrite pour grand orchestre et chœur dont je réserve la surprise lors du concert de la 200ème " Heure de Musique à La Madeleine " du 13 décembre 1994. Il s'agit presque d'une plaisanterie musicale ou disons, d'un " gag "

P.B. : Pour les œuvres chorales, vous choisissez les textes dans la liturgie ou la Bible. Les mélodies vous viennent-elles indépendamment des textes ou les portent-elles immédiatement? Raturez-vous beaucoup ou peu vos manuscrits? L'harmonisation se fait-elle mesure par mesure? ligne par ligne ?

J.H.M. : Je n'aime guère revenir sur ce que j'ai écrit ; certes, je rature, je modifie, mais il est rare -peut-être ai-je tort parfois- que je supprime totalement un passage pour écrire autre chose. Mes brouillons sont assez désordonnés et un peu raturés; l'œuvre prend sa forme définitive lorsque je la recopie "au propre". Le texte pour lequel je décide de composer m'aide énormément, qu'il soit religieux ou profane. Je pense même préférer composer sur un texte -si je le choisis, c'est qu'il m'inspire particulièrement- et donc écrire pour les voix (soli ou chœur) plutôt que d'écrire de la musique purement instrumentale. La voix elle-même m'inspire ; ce qui n'empêche pas que les intermèdes instrumentaux dans une œuvre vocale m'attirent tout autant car il s'agit de construire tout un ensemble. L'harmonisation d'un thème, qu'il soit de moi ou déjà écrit par d'autres, m'apporte autant d'agrément et de plaisir que l'invention du thème proprement dite : je l'écris verticalement bien sûr, phrase par phrase, ce qui est naturel. Cette harmonie me suggère parfois une modification d'un thème ou l'idée d'un développement inespéré, d'un contrepoint plus riche, d'un fugato ou d'un rythme changeant... Pour une œuvre importante, j'établis en général un plan auquel je me tiens d'autant plus s'il s'agit d'une oeuvre qui sera chantée : il faut structurer, alterner, équilibrer les parties purement instrumentales, les chœurs, les soli et le choix des voix. Je détaille l'orchestration par la suite mais déjà, au fur et à mesure que l’œuvre avance et prend forme, je sais que je confierai tel passage à la flûte, tel autre au hautbois, tel thème au cor, tel rythme aux cordes, etc... Pour moi, l'instrumentation c'est la variété des couleurs, tel un peintre, que j'apporte à l'ensemble et un moyen étonnant de mieux exprimer et mettre en valeur des sentiments ou des impressions que je désire livrer aux futurs interprètes et aux futurs auditeurs. Pour le Prélude pour un Anniversaire, contrairement à mes habitudes, j'ai écrit directement la partition d'orchestre avec le chœur (élaborant ensuite la réduction au clavier) car il s'agit précisément, sur le plan des sonorités, d'une recherche élaborée, d'un assemblage, de contrastes, d'alternances.

P. B. : Lorsque vous avez composé Les Complies (1981) ou L'Office de Prime (1991), les avez-vous déjà composées pour soli, chœur et clavier avant d'écrire les parties d'orchestre? Recourez-vous au magnétophone pour fixer des improvisations, des phrases, des rythmes? Les thèmes que vous vous imposez parfois (par exemple dans la correspondance entre les lettres d'un prénom et les notes) ne brident-ils pas votre inspiration?

J.H.M. : Je pense avoir déjà répondu au sujet du plan que je me fixe et à la répartition des soli, chœurs, orchestre dans le projet d'une œuvre. Par ailleurs, j'ai souvent songé à improviser au clavier un projet en l'enregistrant pour le noter ensuite mais je ne m'y suis jamais décidé... Sans doute ai-je tort car des idées s'envolent à jamais faute de les avoir fixées à temps. Les thèmes que je me suis souvent imposés me facilitent plutôt l'élaboration de l'œuvre, qu'il s'agisse d'un thème formé par les lettres d'un prénom ou par des initiales (comme dans Les Complies, L'Office de Prime, L'Ode à Sainte-Madeleine une pièce pour piano) ou qu'il s'agisse d'un thème grégorien comme j'en ai également utilisé dans ces mêmes oeuvres ou dans des pièces pour orgue. C'est un choix qui me porte considérablement et m'apporte une motivation toute créatrice. Puisqu'il est question des Complies et de L'Office de Prime, je peux avouer que ces deux œuvres sont celles auxquelles je demeure le plus attaché; ceci pour plusieurs raisons : la dimension et la durée de chacune d'entre elles, les effectifs importants qu'elles nécessitent, l'enregistrement7 qui en a été fait, le prix du disque qu'elles m'ont valu et surtout le souvenir de l'inspiration que m'ont apportée ces textes soigneusement choisis, comme le sentiment d'être parvenu à pleinement m'exprimer. La réalisation des Complies m'a été en quelque sorte indispensable sur le plan affectif dans la recherche de l'apaisement. Dix ans plus tard, la création de L'Office de Prime m'apporte, comme un complément, la même satisfaction dans le besoin de m'exprimer. Bien entendu, les textes choisis sont le point de départ de l'inspiration. Mon grand souci est de parvenir à lier étroitement l'expressivité des thèmes, de l'harmonie, de l'instrumentation au sens profond des paroles et à l'évocation des dédicataires. A propos de l'inspiration grégorienne, j'aime beaucoup écrire de la musique modale plus encore que la musique tonale. J'estime que cette forme d'expression n'a pas été souvent exploitée ; elle permet des développements riches et abondants et touche énormément l'auditeur. Je suis en pleine contradiction vis à vis de certains auteurs de musique concrète, sérielle, d'avant garde, qui pensent que tout a déjà été écrit en musique et que l'assemblage de bruits divers et variés, souvent agressifs, doit dorénavant remplacer la musique procurant des sons agréables à l'oreille!

P.B. : Existe-t-il d'autres messes de votre composition que vous ne nous avez pas fait chanter à La Madeleine? N'êtes-vous pas tenté aussi par des œuvres du style Passion, Magnificat, Grand Messe et, pourquoi pas, Requiem? Je verrai bien une de ces oeuvres, votre Messe de Pâques (en projet) et votre belle Ode à Sainte Madeleine réunies sur un même CD ?

J.H.M. : Si la forme musicale aussi traditionnelle que la Messe m'a plusieurs fois inspiré et me tente encore avec cette Messe de Pâques (en projet)8, ces Messes là conservent un caractère liturgique dans ma pensée par leur dimension et par les effectifs un peu réduits qu'elles réclament. Il y a, en effet, deux Messes d'ailleurs citées plus haut, que nous n’avons pas chantées à La Madeleine. Non, je ne suis pas tenté d'écrire une messe de concert, ni un Magnificat ni un Requiem. J'ai l'impression que chaque compositeur, jusqu'à nos jours, a voulu écrire son Requiem! Dans Les Complies j'ai exprimé ce que d'autres ont cherché à exprimer dans leur Requiem, mais dans une optique plus personnelle par rapport à l'au-delà et la vie éternelle. Mais il y a aussi d'autres ensembles de textes liturgiques pouvant faire l'objet d'une œuvre importante. Les psaumes m'attirent beaucoup et représentent pour l'inspiration une source abondante et variée, qu'ils soient en latin ou en français. J'en ai d'ailleurs traités plusieurs dans certaines oeuvres déjà citées. Dans un domaine différent, j'ai parfois rêvé d'avoir l'occasion d'écrire une musique de film ou, mieux, une opérette! C'était vraiment un rêve! et l'opérette, de nos jours, n'est plus du tout en vogue! Quant aux projets d'enregistrements, il m'arrive d'en faire à nouveau, en espérant que ce ne soit pas des châteaux en Espagne, mais beaucoup de questions matérielles, financières restent à résoudre et là nous sommes loin de l'art et de l'inspiration musicale.

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1) Pierre Brusselaars a quitté l'Église de la Madeleine en juin 2001 après y avoir chanté pendant 35 ans. Depuis cette date, il renforce le Chœur de l'église St-Pierre-du-Gros-Caillou à Paris et dirige en second le "Chœur des Centraux" de la Société Générale à la Défense ; cette formation propose 4 concerts annuels en son auditorium et participe à la Fête de la Musique. [ Retour ]

2) Depuis 1994 Joachim Havard de la Montagne a composé plusieurs œuvres nouvelles, notamment : une Prière pour solo et orgue (1997), un Cantique de David pour baryton solo, chœur, orchestre et orgue (2000), un Magnificat pour soli, chœur et orchestre (2001), ainsi que deux Pièces brèves pour piano : Affetuoso et Giocoso (1998) et deux Suites pour quatuor de saxophones : Chansons d'histoire de France (1999)... [ Retour ]

3) Maître de chapelle et organiste de l'église Sainte-Marie-des-Barignolles, à Paris XVIIe, d'octobre 1948 à novembre 1996. [ Retour ]

4) Organiste de l'église Sainte-Odile, à Paris XVIIe, de juillet 1951 à avril 1966. [ Retour ]

5) Onze disques 33 tours Chant du Monde, LDY4101 à 4111. [ Retour ]

6) M. Havard de la Montagne a pris sa retraite en novembre 1996. [ Retour ]

7) CD BNL Productions (Auvidis Distribution), BNL 112853 (enregistré en 1993), Grand Prix international de l'Académie du disque lyrique en 1994. [ Retour ]

8) Ce projet de composition d'une Messe de Pâques n'a finalement pu être mené à bien. [ Retour ]



Annonce concert à la Trinité, Paris.


Duruflé : Requiem - Joachim Havard de la Montagne : Complies Parution :

Joachim Havard de la Montagne : LES COMPLIES
Maurice Duruflé : REQUIEM
op. 9

par le Jeune Chœur d'Ile de France ( premier disque), l'Orchestre Bel'Arte
et la participation du Chœur d'Enfants d'Ile de France
direction : Francis Bardot
Jean-Gabriel Saint-Martin, baryton - Astryd Cottet, soprano
Laure Savoyen, mezzo-soprano - Sophie Parmentier, alto
Nicolas Pien, orgue
enregistrement public, église de la Trinité (Paris) les 7 et 12 mars 2004
réalisation Laurent Pélissier - une production du Jeune Chœur d'Ile de France

1 CD avec livret de 16 pages, JCIDF001
pour tous renseignements : redaction@musimem.com


Affiche concert - Église de La Trinité

Concert à Ste-Marie-des-Batignolles Concert du 18 mai 2011



 


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